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Maison

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Message  Squeezer Lun 14 Mar 2011 - 13:56

Maison

Au réveil, il ne peut pas bouger. C’est épingle. Ça sent le bois, la rouille, et ça pique partout le dos. Tête à l’envers, il cherche l’issu. Il a l‘impression d‘être le bouchon d‘un foutoir. Pourtant, hier, il s’est endormi la conscience tranquille, satisfait: il venait de compléter sa nouvelle cabane. Hier, le tout était bloc et le village saluait son audace constructive.

Il gigote un brin, se renverse puis serpente parmi les objets durs, direction la lumière. Voilà sa tête qui jaillit hors d’un fouillis. De loin, il ressemble à une tortue - un bordel de planches de bois et de briques sa carapace. Il examine donc le tout. Cette nuit, il n’a pas bougé, comprend-il, car sa maison, c’est ce bordel. Elle s’est disloquée.
Donc, il recommence. Il commande du bois, des clous, de la corde et un marteau. Aussitôt sa commande arrivée, il s’y remet. D’abord, il nomme chacune des pièces de bois et les baptise au moyen de l’eau bénite acquise chez le prêtre en échange d’une édition rare de Playboy portant sur les Soeurs volantes. Ensuite, il monte sa cabane, étape par étape, sans aucun plan mais avec beaucoup de rigueur, suivant l’image fragile qu’il s’en fait. Des gens du quartier passent, le questionnent à propos du désastre récent, mais il les ignore, il tape un cloue en guise de réponse: clouez-vous le bec. Il s’acharne ainsi sur sa cabane durant deux semaines. Sans dormir. Sans manger. Se rappelant de manière obsessive l’image de cabane qu’il vise. Arrêter serait trop risqué. Cette image est volatile, elle ne subsisterait pas.
À bout de force, il plante le dernier clou. La cabane, de forme carrée, s’élève à côté des ruines du récent désastre. Plusieurs poutres la soutiennent, comme autant d’éléments antibrièveté. Son allure brute plait à son auteur. C’est le genre d’endroit où il pourrait inviter un ours à trinquer. Oui, décidément, il l’aime, et c’est avec la satisfaction d’un homme qui a bossé dur, d’un homme qui a réalisé son dessein propre, c’est avec la fierté d’un conquérant qu’il va s’enrouler dans sa couette.

Au réveil, il ne peut pas bouger. Ça sent le bois, le bris, et ça gratte partout les muscles. La tête à l’envers, il se sent raqué, raide et rouillé. On connait la suite: il serpente en sens inverse jusqu’au bout du foutoir. Et voilà sa tête qui surgit à l’extérieur. Qui examine l’état des choses pour conclure que tout est foutu. L’idée de reconstruire le déboussole, ses muscles en couinent. Mais Jean est un violent optimiste; l’idée d’arrêter s’exclut des possibles. D’accord, les poutres ne suffisent pas pour maintenir une quelconque longévité. Ça prend autre chose.
Il s’endort, sa tête se penche — l’oreille s’installe dans un clou qui ressort par le nez et il se réveille, aussitôt, avec un plan. Il ne commande rien, il nage plutôt dans les débris pour trouver le marteau.
Durant le mois qui suit, il construit une nouvelle cabane - cette fois à partir des débris des dernières cabanes. Les voisins ne passent pas: le mot a couru, Jean est un fêlé, il n’a pas le sens de la construction; son entreprise solitaire, bien que louable, est une catastrophe virtuelle. Et le petit homme poursuit, et une baraque neuve se profile, tordue, trouée, brouillonne. Les cadres de fenêtres et les portes se superposent pour former des pans de mur. Les poutres dans un état respectable se croisent pour former le plafond. Il rembourre les murs de miettes de bois. Il renforce rien, et conçoit les imperfections de l’ensemble comme autant de réussites: chaque trou est une fenêtre. Enfin, sa baraque est complète, se tenant debout comme une contorsionniste. Sa difformité fait sa noblesse, pense Jean, et joyeux, se sentant accompli comme un Faucheur qui a successivement avalé une dynamite et reconstitué le casse-tête de son squelette éclaté, il entre dans sa cabane.
Pour monter sur le sol à pic du salon, il plante un champ de clous épars. Après quoi, il monte jusqu’à son lit, situé entre la table de cuisine et la douche penchée. Il s’endort avec l’image inquiétante de sa personne en train d’épiler les jambes de la fée Clochette.

Réveil. Tête à l’envers, coincée entre les planches d’un mur. D’un mur! Jean se retire de là. Le voici dans une pièce qu’il n’a jamais construite. Le plafond est rouge sang, les murs ondulent et une petite porte est flanquée dans le sol. Il l’ouvre et descend dans un salon dont le sol est fait d’élastiques croisés. Assurément, quelque chose s’est passé. Mais il se situe au même endroit; ça perdure.
Il s’assoit sur sa tête et s’allume une clope.

Squeezer

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Message  Rebecca Lun 14 Mar 2011 - 17:07

Un texte bien déjanté comme ce Jean dans son univers tout de guingois...une mini épopée dont on se demande si elle est héroïque ou cauchemardesque...
Du coup j'ai envie de savoir la suite...
Rebecca
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Message  midnightrambler Lun 14 Mar 2011 - 22:57

Bonsoir,

Ma Cabane au Canada ?
Doit-on applaudir ?

Amicalement,
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Message  elea Mar 15 Mar 2011 - 0:06

Il y a des expressions étranges, typiques du Québec peut-être ? Mais qui donnent un certain charme à l’ensemble. "C’est épingle" par exemple ou "le tout était bloc". J’ai bien aimé l’absurde de l’obstination et cet espèce de surréalisme teintant l’atmosphère du texte. J’ai adoré l’invitation d’un ours à trinquer. Et cette fin qui vire au fantastique, peut-être une vengeance de la fée Clochette...

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Message  Invité Mar 15 Mar 2011 - 9:27

Très très chouette et, tour de force, parfaitement visuel. A un autre degré, je me demande bien ce que cache ce rocher de Sisyphe moderne. On sent que ça pourrait durer comme ça ad eternam.

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Message  Invité Mar 15 Mar 2011 - 16:52

Oui, un texte réjouissant pour les sadiques que nous sommes !J'ai beaucoup aimé le ton allègre, qui va bien avec le caractère optimiste de Jean, et cette façon de construire ton texte comme il construit sa cabane ... sauf que ton texte , lui, tient le coup ! Bravo !

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Message  Jano Mar 15 Mar 2011 - 18:04

Un texte sympathique qui donne une impression bancale mais qui finalement tient bon. On se laisse prendre par les efforts farfelus de ce pauvre Jean, malheureux architecte qui n'a plus toute sa tête. Finalement, est-ce un fou ou un artiste ? Il tente de construire la maison de ses rêves quitte à transformer la logique, comme l'artiste travestit la réalité pour l'adapter à ses humeurs. Audacieuse tentative.
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