Exo journal : Hortense

Mon nom est Hortense, je suis marchande de fleurs. Pas fleuriste. Marchande de fleurs, comme d’autres d’armes. J’ai poussé dans les champs de béton, entre les mauvaises herbes et l’engrais infertile. Arrosée de coups et de bouquets d’insultes. A seize ans je me suis émancipée pour m’enraciner ailleurs. Dans la solitude et les fleurs, sans humains ni remords. J’ai troqué le gris contre des pétales colorés. Les pots d’échappement contre le parfum des pistils. Les cris abrutis contre le bruissement des feuilles.
A force de patience ma boutique est sortie de terre, de rien, petite graine que je me suis obstinée à planter. Refusant d’appartenir à une franchise. D’abord l’humain n’est pas franc.
Je me lève avant l’aube pour cueillir les fraîcheurs, les belles plantes des marchés. Mon vrai métier c’est artiste. Je compose comme un peintre sur une palette d’odeurs, de couleurs et de significations. Personne n’a jamais compris pourquoi je les prenais en photo mais c’est pour garder une trace de mes œuvres.
Les fleurs se nettoient comme des bébés, avec délicatesse, en caressant leurs corolles. Il faut les vêtir de beaux vases avant de les exposer en vitrine. Les disposer avec goût, comme dans une galerie d’art. Ne pas oublier de les étancher comme il faut, ni sécheresse ni ivresse. Couper avec soin leurs tiges, comme un ongle ou un cheveu, sans le casser ou l’étouffer. Et manier comme personne le sécateur et le pique-fleur.
Je laisse libre cours à l’inspiration pour assembler les bouquets, les couronnes, les décors de table, tous ces éléments que les hommes désirent pour les accompagner du baptême à la tombe. Une vie jalonnée de fleurs. Sacrifiées.
J’habite dans une maison minuscule, perdue au milieu d’un immense jardin de fleurs sauvages. Avec mon mari Safran. Je l’ai croisé dans les coulisses d’un cirque en livrant, de la part de l’Auguste infidèle, un bouquet d’amour éternel à la trapéziste. Safran errait près des cages, tournant autour des lions. Il ne se remettait pas de l’interdiction désormais faite de le lancer.
C’est mon crocus nain, il n’a pas pu pousser, le climat était trop mauvais chez lui. On épice réciproquement nos vies.
Il a postulé partout : doublure scène de Mimi Mathy, porte-clés de Fort Boyard, ou pour le rôle de Petrucciani dans un film sur sa vie. Mais il était soit trop masculin soit trop grand. Et comme il n’atteignait l’extase que quand on l’envoyait en l’air, il était impuissant. Ce n’est pas grave, je ne désire pas d’enfants.
J’ai ma passion secrète, dans mon arrière-boutique : une serre dans laquelle je joue au créateur. J’interpénètre les gènes et les espèces pour tenter d’enfanter la fleur de la passion. Un dahlia noir. En hommage à Ellroy. Et aussi un peu parce qu’un millionnaire excentrique a promis une fameuse récompense à celui qui lui en fournirait tout un champ. Et si l’être humain ne fait pas mon bonheur, l’argent me permettrait d’aller me retirer sur une île fleurie.

Vent du printemps sur les journaux. Fait du bien par son côté " enfantin ".

Maman !
Y se sont trompés à la clinique, c'est toi ma mère !

Ah merde, elle veut pas d'enfant ....:-(

"pour les accompagner du baptême à la tombe. Une vie jalonnée de fleurs. Sacrifiées."
Ben si tu veux Fleur peut sacrifier ta vie. Jalonnée.

Je plaisante Hortense. Mais t'aurais du être MA mère !
Ma mère elle m'a appelée Fleur mais c'est pasqu'elle déteste tout ce qui y ressemble !Toi au moins on voit que tu sais leur parler , les amadouer, les considérer à leur juste valeur !

et les fleurs d'arbres fruitiers, tu les aimes Hortense ? des bonsaïs peut-être ?

ils arrivent quand les vampires et loup-garou ?

C'est vraiment très poétique. Une très jolie métaphore filée sur la fleur de béton...
Un peu moins convaincu par le bébé dont il faut caresser la corolle. Mais j'ai peut-être l'esprit mal placé.

Ben soit tu as l’esprit mal tourné soit ce sont mes phrases qui le sont.
Ce sont les corolles des fleurs qu’on caresse, pas les bébés. "Les fleurs se nettoient avec délicatesse, en caressant leurs corolles". Les bébés ne se rapportant qu’à la délicatesse requise.

J'en profite pour réparer mon oubli :

Personnage : une fleuriste misanthrope
Contrainte d'hier : une épice joue un rôle important dans le récit

Dans mon jardin je sème au gré du vent et les graines se posent par affinités. Elles grandissent, s’amourachent et forment des entrelacs fugaces, du temps de vie d’une fleur. J’adore aller me coucher parmi elles et les écouter faire l’amour.
Parfois Safran me rejoint, il ne dépasse qu’à peine des herbes hautes, on dirait une tête coupée qui volète de fleur en fleur et se fond dans leur teinte jaune orangée, en caméléon. Il s’allonge à mes côtés et nous communions en silence avec la nature.
De toute façon il est sourd et muet. Ce qui m’arrange bien. J’aurais pu apprendre le langage des signes mais celui des fleurs me suffit.
J’ai besoin de ces pauses bucoliques pour supporter l’humanité croisée dans ma boutique.
Aujourd’hui j’ai encore dû subir le rire niais d’un homme venu passer commande pour sa maîtresse. Il vient chez moi pour l’officielle aussi. Il n’y connait rien en symbolique florale mais me demande toujours un bouquet à message. Je m’amuse à brouiller les pistes pour provoquer des embrouilles : créant de l’amitié pour la maîtresse et de l’amour éternel pour la femme. Ou modifiant le nombre de fleurs pour qu’il se trompe dans l’heure du rendez-vous. Cet homme se moque toujours de la musique qui passe en boucle dans la boutique.
J’ai crée un medley de chansons fleuries. Le matin Dalida nous annonce le temps des fleurs. A l’heure où la mégère indomptée du quartier se pointe, Georges lui chante la jolie fleur dans une peau de vache. Pas par hasard évidemment, j’aide les pistes à trouver la chanson adaptée. Pour ma pause repas, Francis me susurre « elle écoute pousser les fleurs ». Les magnolias de Claude accueillent les jeunes couples amoureux. Quand ils sont vieux, Luis leur offre un bouquet de violettes. Et parfois Edith verse une larme sur les roses blanches offertes au petit être qui n’aura pas eu le temps de les voir pousser.
Mais je refuse de goûter aux bonbons de Brel. Les fleurs c’est peut-être périssable mais ça ne fait pas grossir et ça ne donne pas de caries. Pis des fleurs comestibles ça existe.
Je me demande ce que mon client adultère penserait s’il savait que mon livre de chevet c’est les fleurs du mal…
Voilà, je sers des idiots toute la journée mais je ne pense qu’à ma fille. Mon bébé tant attendu, désiré. J’ai pratiqué des milliers d’inséminations artificielles, subi autant de fausses couches que de faux espoirs. Mais depuis ce matin, j’ai celui que le fœtus soit viable, qu’il parvienne à terme. Ma beauté noire s’accroche cette fois-ci. Ma merveille.
J’ai hâte de pouvoir l’admirer. Oh ! Miracle :

Pénétrant dans la serre j’ai vu mon dahlia noir
Il reposait serein dans son écrin satin
Ses veinures brillant d’éclats adamantins
Oh beauté enfantée, créature de l’espoir

De ma vie ce mardi est bien mon plus beau soir
Berçons le nouveau-né jusqu’au petit matin
Dans son nouveau couffin il respire le lutin
Humectons ce joyau d’amour en arrosoir

Safran ne pourra croire ce miracle advenu
La fortune est à nous, à nous les revenus
Inutile désormais de se reconvertir

L’artiste et le nabot vivront des dividendes
La recherche d’un boulot est remise aux calendes
Crésus et Artaban peuvent se dévêtir.

Elea, ton nain me plaît énormément, sa tête voletant de fleur en fleur, c'est une sacrée trouvaille !

Tu as vraiment une manière qui me plaît, un tour de main indéniable ! J'aime beaucoup ce ton poétique tout du long. Repéré aussi, le zeugme de lundi, bien vu ! Et ces petites trouvailles ("J’aurais pu apprendre le langage des signes mais celui des fleurs me suffit." pour n'en citer qu'une) dont je suis très friand, qui donnent envie d'en reprendre une petite tranche.

En ce qui concerne le poème, joli coup d'essai, à mon avis. Je me permets de te signaler malgré tout quelques erreurs métriques (des problèmes de -e élidés à mon avis).
- Pé-né-trant-dans-la-ser-reuh-j'ai-vu-mon-dah-lia-noir (13 syllabes)
- Oh-beau-té-en-fan-tée-cré-a-tu-reuh-de-l'es-poir (13 syllabes)
- Dans-son-nou-veau-cou-ffin-il-res-pi-reuh-le-lutin (13 syllabes)
- Sa-fran-ne-pou-rra-croi-reuh-ce-mi-ra-cl'ad-ve-nu (13 syllabes)
- I-nu-ti-leuh-dé-sor-mais-de-se-re-con-ver-tir (13 syllabes)
- La-re-cher-cheuh-d’un-bou-lot-est-re-mi-s'aux-ca-lendes (13 syllabes).

En dépit de ces petites maladresses, je me sens impliqué dans l'histoire, je ne suis pas déçu.

Voilà, Elea a inventé le sonnet en alexandrins augmentés.

Mes doigts tremblent. Je ne sais pas comment j’arrive à écrire, mais j’ai besoin d’ accoucher de la colère qui me vrille les entrailles. Expulser avant d’imploser.
J’ai veillé dahlia une partie de la nuit, vérifié qu’elle ne prenait pas froid, qu’elle défroissait ses pétales dans de bonnes conditions. Je lui ai parlé longuement, tamisant la lumière pour notre intimité. Puis je suis rentrée me reposer un peu. En arrivant je n’ai pas pu résister à l’envie de réveiller Safran, le temps de lui annoncer la nouvelle. Il a levé un pouce en signe d’assentiment victorieux puis s’est rendormi aussi sec. Mes histoires de fleurs ne l’ont jamais passionné. Et au réveil il est bougon et déteste ouvrir grand les yeux pour lire sur mes lèvres.
Trop excitée pour dormir j’ai finalement pris une douche, enfilé quelques vêtements colorés, moi qui ne m’habille habituellement que de noir, et je suis allée partager ma joie avec mes fleurs sauvages. J’ai couru, crié, ri, chanté, tourné follement sur moi-même jusqu’à en perdre l’équilibre et m’écrouler sur leur tapis mousseux. Puis, incapable de me calmer, de me poser, je suis repartie directement vers la boutique. Je devrais dire vers le carnage…
Je m’y trouve encore, face à la porte fracturée, au milieu des plantes saccagées. Des centaines de fleurs gisent sur le sol, assassinées. Rien n’a été volé hormis le dahlia noir. Je l’ai pourtant quittée quelques heures à peine, à croire que j’étais pistée. Et pourtant personne ne savait, même les secrets défense sont moins gardés. Un stupide flic est venu mâchouiller son stylo d’un air abruti en me posant des questions dont il n‘écrivait pas les réponses sur son carnet. Au départ il ne s’intéressait qu’à la caisse. Comme si elle avait la moindre valeur. Son œil est devenu plus vif et sa truffe humide quand je lui ai montré l’affichette de récompense pour la création de cette fleur. Je lui ai décrit comme j’ai pu, le cœur serré de n’avoir pas pensé à la prendre en photo. Il m’a demandé si j’avais une idée des coupables. Je sais que des milliers de laborantins dans le monde s’essaient à sa création, j’ai bien sûr entendu parler des techniques d’espionnage mais je n’aurais jamais cru qu’ils puissent s’intéresser à moi. Faut croire que j’avais tort. Je vais mener l’enquête moi-même, en parallèle, je n’ai pas confiance, si ce bleu me retrouve mon bébé il risque de le garder pour lui.
En fait le bleu a surtout trouvé un indice sur le malfrat : une empreinte de pas d‘enfant croit-il. Je n’ai pas bronché mais j’ai tout de suite compris que c’était un pas de nain. Safran a volé le dahlia ! Mon voleur n’est pas un espion mais un mari cupide. On ne peut décidemment faire confiance à aucun être humain, même pas les demi-portions. Il a bien sûr piqué mon journal de recherches avec. Si je ne retrouve pas ma dahlia je devrais tout recommencer de zéro, je ne m’en sens pas la force. Des mois de travail réduits à néant par un nain. J’ai le ventre déchiré, béant du fruit arraché. Le petit arrosoir d’argent avec lequel je nourrissais ma création pleure une dernière goutte, comme une poussée de lait.
Si on retrouve Safran je vais demander à Fleur de s’en charger. Voilà une femme qui porte un joli nom, j’ai confiance en elle, nous partageons la même aversion pour l’humanité. Elle va me croquer le crocus en deux bouchées. Et peut-être le faire souffrir un peu avant…

Tu peux compter sur moi.
Je suis navrée de ce qui t'arrive.

J’ai passé la journée couchée dans le jardin, à pleurer avec les sœurs orphelines. Je n’avais pas la force d’aller distribuer des bouquets et des sourires à des inconnus indifférents et heureux.
Le soleil de ce début de printemps a tenté de me décongeler mais n’est parvenu qu’à tiédir ma peau, l’intérieur restant glacé malgré les micro ondes solaires.
Une seule fleur vous manque et tout semble fané.
Quelques pensées sauvages ont caressé mon front. D’humeur badine, le pollen m’a coiffé pour quelques heures d’une perruque blonde. Pucerons et coccinelles ont fait la paix, l’espace d’un câlin, sur mes doigts neutres. Et des papillons m’ont offert un ballet de couleurs pour distraire mes yeux torrents. Léon, de concert, grinçait des sanglots. Mais rien n’y a fait, la perte est trop cruelle.
Léon c’est mon épouvantail. Un homme tel que je les apprécie. Discret et silencieux, comme Safran. Mais lui ne me trahira pas. Il aime les fleurs et passe ses jours et ses nuits à les protéger. Virevoltant sur lui-même pour chasser les prédateurs et leurs becs acérés qui raffolent de mes chères graines et de mes belles des champs. Heureusement, s’ils sont affamés, ils sont également bêtes et effrayés par le mouvement perpétuel. Alors j’ai coincé Léon dans un système d’arrosage automatique continuellement branché. Il danse gaiement dans un sens, puis un autre, brassant l’air aussi sûrement que les battements d’ailes affolés.
Quand la lune a remplacé le soleil, je me suis sentie l’âme noire, si seule au milieu de la vie. J’ai été me blottir dans les bras de mousse de Léon. Il m’a tenu contre lui longtemps, a soufflé sur mon cou des bisous de paille, me murmurant de douces vibrations de bois. Le pompon de son chapeau a caressé ma joue. Et, bercée par la valse, ma peine s’est envolée. Comme un oiseau apeuré.

Ah, je l'aime ton Léon. Quelle ravissante idée, un épouvantail arroseur. Je suis la progression de ton histoire avec beaucoup d'intérêt, tout en craignant le pire pour ton Dalhia noir...

Ce matin, la sonnerie du téléphone m’a coupée en plein rêve : un dahlia carnivore géant engloutissait goulument mon nain et recrachait, dans un rot satisfait, une gerbe de dollars.
C’était le flic crétin : pas de trace de Safran dans la ville. L’enquête allait se poursuivre un peu mais sans grande conviction et aucune alerte enlèvement ne serait déclenchée.
J’ai raccroché, suis retournée au magasin, ai affuté mon sécateur et suis partie à la recherche du traître. J’ai laissé leur chance aux officiels pendant 48h, maintenant c’est terminé, la situation commence à urger. Safran est incapable de s’occuper correctement d’une fleur, si je ne le trouve pas vite fait, elle va flétrir. Plus le temps passe, plus il risque de me la faire périr. A cette pensée mon sang s’échauffe.
Si je le retrouve je lui coupe la tige et les deux bulbes. Pour commencer. Je vais l’envoyer en l’air moi, le lancer contre les murs. S’il a touché à un pistil de ma fille je l’émascule le bonzaï.
J’hante tous les lieux où mon épice frelatée est susceptible de se cacher. Les petits coins qu’il aime. Les canons de l’esplanade des Invalides par exemple, couché dessous, il aime rêver d’en trouver un à sa mesure, dans lequel se lover en priant pour qu’un artificier mette le feu aux poudres et l’envoie valser dans les airs.
Il aurait l’air malin tient, projeté dans le ciel et battant le vide de ses petits bras potelés. J’imagine la chute aussi, un peu rude : de la bouillie de Safran, de l’écrasé de nain. Ça me donne des idées pour le cuisiner à ma sauce s’il n’avoue pas de suite où il a mis ma belle.
En même temps difficile de faire parler un muet, j’aurais peut-être dû l’apprendre finalement ce langage des mains. Là je ne vais pas pouvoir à la fois lui écraser les doigts un par un et lui donner le petit carnet sur lequel il a l’habitude de s’exprimer. Pas grave les orteils feront l’affaire. J’erre toute la journée dans les cirques, les troquets, les foires, mais je rentre bredouille, épuisée, désespérée. Ma quête est sans issue, il ne me reste qu’à prier.

Ma p'tite Hortense, mon hortensia, que je laisse à la porte se geler les feuilles depuis hier ! Lamentable !
Oublie ton nain porte-poisse ! Ton Dalhia noir, il est ici, chez moi !

Vraiment bien. Ton texte est rempli de trouvailles. Et une mention spéciale pour Léon l'épouvantail, grand consolateur devant l'éternel.

Je parcours en flânant les aventures cosmiques que l'exercice fait naître et constate que bien des histoires sèment des pétales noirs...

Spoiler:

J’ai prié toute la nuit, moi qui ne croit pas en ce Dieu, créateur mal inspiré de l’homme. Entre suppliques et invectives, j’ai tenté de l’attendrir, d’atteindre son cœur de pierre sur lequel aucune fleur ne doit pousser. Entre peine et délires, j’ai même fait des rimes, le refrain désespéré d’une mère déchirée. La prière vaine d’une fleuriste solitaire et amère.

Pitié, c’est tout ce qu’il reste
De ma destinée funeste,
Ne voilez pas d’éternité
Ma jolie dahlia enfantée
En fanant son corps céleste

Assassin serait ce geste
Noir écrit de palimpseste
A l’encre de la lâcheté
Pitié

Même si je suis une peste
La punition est trop preste
Pour l’innocente pureté,
Faites preuve de sagacité
Sauvez la beauté manifeste
Pitié

Au petit matin, à l’heure où le soleil et les mauvaises nouvelles éclosent, un coup de sonnette m’a surprise à genoux, les mains jointes sur des doigts blanchis de s’être trop serrés.
La police a retrouvé Safran, il a cédé le carnet pour quelques centaines de milliers d’euros à un consortium de la fleur rare basé en Inde. Il n’a pas vendu dahlia car elle était en piteux état.
Il s’est saoulé à mort pour fêter le fait qu’il était un nouveau riche et a oublié mon nouveau-né dans une boîte en carton sans trous pour respirer, elle s’est asphyxiée.
Bourré comme un coin, le crocus a buté contre une bite le long des quais où il était venu admirer le reflet argenté de la lune pleine, comme lui. Échauffé par l’alcool, il s’était dévêtu, ne gardant en pudeur qu’un slip de coton noir. Il a chu dans la Seine, triste scène, Safran ne savait pas nager, le baigneur en culottes courtes s’est noyé.
Deux flics en uniforme sont venu me rendre le corps. Celui de Dahlia, l’autre je le lègue à la science. Sans remords ni conscience.
Il paraît que j’hérite de la nouvelle fortune bien mal acquise. J’en ferai profiter la flore du monde entier, je vais charger quelques personnes de confiance de créer des parcs floraux protégés. Des hectares sauvages, où l’homme n’aura pas le droit de mettre le pied, juste l’autorisation de les survoler, façon terre vue du ciel. Le projet "fleurir la planète". Peut-être qu’un jour, vue de l’espace elle sera verte comme une orange...

Un double rondeau, mazette on est gâtés! Malgré la tragédie qui couve, on lit le tout le sourire aux lèvres, jusqu'à la dernière phrase clin d'oeil .
Tout ça garde sa cohérence malgré un côté parfaitement loufoque.

J’ai perdu ma Dahlia, elle expirait, flétrie,
Dans une boîte à souliers pour tous petits petons
Amputée d’un pétale, l’éclat noir fané
Sa beauté en langueurs, sublime agonisante
Déposée dans ma main, j’ai senti sur ma paume
L’odorante brise de son ultime souffle
Racornie et sans vie je l’ai mise au jardin
Où j’ai creusé, en pleurs, sa dernière demeure
Allongée auprès d’elle, la tête sur la terre meuble
J’attends de la rejoindre au paradis des fleurs
Peu à peu j’ai senti la sève me quitter
Les feuilles me recouvrir et les fleurs poser
Quelques larmes de pollen sur la mère brisée
Les pulsations terrestres se sont jointes aux miennes
Pour pleuvoir en tristesse au rythme de ma peine
De jeunes pousses vertes ont éclos sur ma peau,
Sur mes lèvres une pensée a élu domicile,
Mon cœur contre le sol est devenu terreau
Sur lui une éternelle est venue prendre vie…

Spoiler:

Une fin en corolle et pleine de sourires

Pas facile d'être la mère d'une fille Unique !
Histoire romantique et noire comme ton Dahlia ; j'ai aimé.

Le texte est très compliqué et je n'ai pas compris quel personnage est cette fleuriste, ou cette fleur. Quelles étaient les contraintes exactement ?

Bouquet final : vertes tiges et noires pensées s'accordent pour nous narrer les vertiges de l'amour

Ah quelle jolie histoire ! Et tout au long, pleins de petits détails inventifs, drôles et poétiques ( les bisous de paille de Léon m'ont ravie), j'ai vraiment adoré, tu parles, moi qui suis une jardinière accro !
Je crois bien que c'est ma préférée... et pourtant, l'inspiration a vraiment visité tout le monde ( sauf moi... j'arrive pas à respecter les contraintes !)
Merci pour ce régal, Elea !

Voilà, tout lu d'une traite: une semaine d'affilée !

Ce n'est pas un exercice, c'est un petit bijou de nouvelle... et je te tire mon chapeau pour les poésies: elles s'intègrent parfaitement (et moi, je m'en fiche qu'il y ait 13 syllabes, ça porte poisse, z'êtes superstitieux ? 13 syllbabes, malheur à table ?).

Bravo. Tu recolles le tout, ni vu ni connu, et hop, une histoire qui emballe, un bouquet de mots !
Merci !

Impressionné je le suis, par la détermination de la créatrice.
Rien à dire sur le contenu, mais plus sur l'exercice en lui-même, cette forme troublante de révélation de la personnalité poétique de l'auteur.

Il est vrai, que dans le feu de l'action, j'ai trouvé normal que tu réalises toutes les contraintes. Avec le recul d'une semaine, je te dis bravo Elea, belle performance poétique.
Signé : une qui aurait bien aimé faire un Sonnet, mais s'est défilée proprement.