Sublime nuit sombre sur la terrasse

Il y a une rivière qui chante, dans ce trou de verdure. C'est un lieu que j'oublie, que parfois je visite. Finalement, je n'irai plus, je n'aime pas la nature. C'est un trou de verdure où, comment dire, le soleil luit depuis sa montagne fière. Mais malgré tout, ce trou-ci est un trou, et moi je n'y vais plus.

Mais la ville est magnifique. Sublime nuit sombre sur la terrasse. J'ai en main une Chimay terminée il y a peu. Dans la nuit sombre le serveur tarde : les terrasses ont ouvert mais le froid est roublard, il grince dans nos encolures.

La viole de gambe exulte dans son bois délicat. Il fait froid, on dépose un manteau sur les épaules frêles des enfants rois, trop aimés. La ville est magnifique dans sa nuit intestine. Les vagabonds défilent, dessinent dans ma rétine un cercle délicat. C'est un trou de noirceur dessiné dans la ville par les piliers du bar. J'aimais bien regarder mes parents d'un air admiratif ; drôle de passage, l'adolescence. N'y pensons plus, le ciel est magnifique, d'un noir épiscopal de violet parsemé. Défilent les badauds, par cercles dirigés, dont la droiture ausculte le pavé régulier. Rigoureuse cadence du tac tac des talons d'une blonde qui mange peu. Sourires. Ma commande arrive!

Volumiques entorses à nos compas trop sages. Rigueur géométrique, beauté mathématique. Est-ce que finalement le plus grand des poètes ne serait pas Euclide (je dis à ma voisine qui boit du gin tonic) ?

La métrique est parfaite dans ce coin de quartier. La beauté de l'excès, les clairvoyants ivrognes. C'est la bulle noctambule du monde de la nuit, la réponse au commun. À mes oreilles, une rupture romanesque : les tables sont proches. Aussi une prise de bec, aussi des hommes qui rient, aussi un type qui lit, et puis, ah oui!, aussi des buveurs qui envisagent le monde.

- Et on tue l'esthétique à renfort de discours, me répond-elle alors que je m'égare dans une équation à deux inconnues. (Elle, ma voisine.) (Elle a une fossette, tiens, je me dis.)

C'est vrai, je lui dis ou je me dis, je ne sais plus très bien, je regarde trop son sourire. En est-on arrivé au point de devoir discourir sur d'anodines œuvres pour que les foules accourent? Et pourquoi les rhéteurs sont devenus poètes? Ce graveur dans sa cave est voué à l'échec ?

Cette nuit sans descriptif est excessivement belle. Ma voisine est fugace, je l'aime sans le décrire.
Ils passent leur vie à polir des miroirs. Théoriciens menteurs, illégitimes vendeurs, créateurs au rabais vous louez la lumière : ne peuplez pas nos nuits !

- Le Caravage n'a pas écrit d'essai! (et ça, je m'en rappelle, je le lui ai dit ; je me demande si c'était assez clair?)(à ma voisine.)
On s'éloigne des clairières par vos discours sans fonds. Moi ce trou de verdure, c'est lui vraiment que j'aime. Et nos villes anonymes sont nos derniers remparts. J'aime le laid des ruelles dans sa beauté proscrite et le beau des campagnes dans sa laideur parfaite.
Pourfendeurs de l'aspérité par vos fieffés discours apprenez, parmi vos manuels, que nous sommes des orfèvres. Que nos romantiques fièvres sont notre adolescence, que l'art est indécent et se vit dans nos nuits.

Ma voisine de table s'en va, avec mes idéaux. J'ai deux trous rouges au côté droit.

Une belle idée. Des passages auxquels j'adhère avec bonheur. Mais, je le crois aussi, quelques imperfections, de ci, de là, qu'un peu plus de travail devraient gommer sans difficulté.

J'aime sans presque aucune réserve ce soliloque intérieur.

Ah ouais ! Pas mal du tout. Quelques lourdeurs peut-être à force de trop vouloir qualifier (ex : "sur les épaules frêles des enfants rois, trop aimés"). J'aime bcp l'alternance entre contemplation et réflexions philosophiques, tournant par moment à l'absurde. La chute m'a étonnée. Je me demande si elle est si nécessaire que cela, ou s'il ne faudrait pas la tourner d'une autre manière, moins "rimbaldienne"... Sinon, j'ai trouvé le jeu des parenthèses vraiment intéressant.

merci pour ces critiques... elles sont assez rares, mais sont au moins précieuses... peut-être cela m'encouragera à reprendre l'exercice plus régulièrement. pour le manque de travail de ZENOBI, c'est peut être vrai, malheureusement je n'aime pas quand les textes "travaillé" (bien que j'aime le travail, nuance!)(et c'est aussi le propos de ce texte, en meme temps... soyons raccord!).
pour le sans reserve de EASTER, je suis très flatté, d'autant que je n'aime pas trop les reserves ou batiffolent en semi liberté les jolis animaux
pour loreena, concerant la chute, elle n'est peut être pas nécessaire, mais renvoie a celui qui est le modele de ceux qui ecrivent pour dire, ce qui manque aujourd'hui. c'est un hommage a un ancien si moderne... les deux trous rouges, c'est la mort des ideaux : de l'amour et de l'art, une mort presque aussi dure que celle du dormeur! et pour les parentheses, merci de les comprendre, j'aime les triturer en general, content que quelqu'un y soit sensible, tres content.
bon, bientot un nouveau texte peut etre alors
et merci
(ps : je me "plains" du peu de critique et en meme temps je ne le fais que peu.. pudeur deplacee peut etre.. ca changera dans 359 poemes publies!!)

Assez désabusé, très poétique ce fil des pensées qui parcourt simultanément une réalité et l'art dans l'histoire. Les parenthèses sont comme ce regard qui se perd et revient se fixer sur les images proches et réelles.

Tu penses qu'on peut écrire (en donnant tout son poids à ce mot) sans travail ?
Mais peut-être as-tu confondu travailler un texte et un texte "travaillé" au sens, étroit, où celui-ci suinterait la pose ?
Refuser le travail de l'écriture, pour moi, équivaut à se complaire dans la médiocrité. (On peut être nul ou mauvais, etc. aussi en travaillant, mais, au moins, on a eu le courage d'essayer...)

C'est une ambiance un peu étrange et très prenante. Une sorte d'univers trés légèrement décalé , douceur et noirceur mêlées. J'aime bien.

ZENOBI désolé si je n'ai pas été clair ; ce que je voulais dire, c'est que je n'aime pas les textes laborieux, je n'ai pas dit ne pas aimer le travail... mais merci pour le précieux conseil, monsieur le professeur!