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Visite du dimanche

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CROISIC
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Message  CROISIC Jeu 21 Avr 2011 - 21:21

Ma mère s'offre des petits plaisirs simples et cruels.
Non, elle n'arrache pas les ailes des papillons, elle n'écrase pas les fourmilières d'un coup de pied rageur, elle ne frappe pas le chien ni la chatte, non, elle humilie sa belle-sœur, qui est également son amie d'enfance.
Depuis son veuvage, ma mère n'a plus sous la main, l'être aimé qu'elle pouvait rabaisser en toute quiétude.
Moi ? Je ne suis alors que du menu fretin pour elle.

Nine, cet après-midi nous rendrons visite à ta tante Marguerite et à son benêt de mari.
C'est le frère de ton père, je ne devrais pas en parler ainsi, ton père était si vif, si intelligent, comme ton grand-père Jules, grande classe, économie de mots, ta grand-mère Zilda en a perdu la tête, la pauvre innocente, elle s'est réfugiée dans le vin... ça fini toujours ainsi les mariages mal arrangés.
Mais toi, maman, tu l'aimais papa ?
Aimer ! Ce sont des balivernes Nine, tous ces livres que tu lis te bourrent la tête d'idioties.


Bon, aller chez tante Marguerite, cela veut dire, cirer les chaussures jusqu'à se voir dedans, mettre mes plus beaux vêtements et afficher un sourire bonasse.
Nous partons à pieds.
A l'entrée de la propriété, ma mère me dit :

_ Si tu tournes la tête à droite tu auras une calotte.

A droite, il y a la maison de mes grands-parents paternels, que je n'ai pas connu et où vivent ma tante Madeleine – la traîtresse, la voleuse d 'héritage – son mari et ses nombreux enfants.
Ils semblent heureux, la traîtresse et sa famille... Je coule un regard en biais vers leurs rires et leurs jeux, et la calotte promise tombe.

Ma mère toque à la porte d'entrée de la maison de Marguerite et André.
Silence. Porte close. Ma mère toque à nouveau.
La porte du chai s'ouvre sur le regard surpris de tonton André.
Ah ! C'est vous ! J'appelle Marguerite.

Et le scénario habituel s'installe. Tonton André, nous retient dans le chai avec des propos inutiles pendant que nous entendons des bruits révélateurs de prompts rangements à grands renforts de bruits de vaisselle, d'essoufflements, de pas pesants.
Je regarde ma mère à la dérobée.
Elle se délecte à l'avance des plaisirs qui l'attendent.
Tante Marguerite ouvre la porte entre la cuisine et le chai, et s'exclame :

Ah, mais quelle surprise ! Marie, Nine ! Comme c'est gentil !
André ! Fais-les entrer voyons. Pourquoi les retiens-tu dans ce chai glacial ?

Un coup de chiffon preste sur chaque chaise qu'elle nous présente.
Regard méprisant de ma mère.

Alors, Marguerite, toujours très occupée ? Même le dimanche ?
Tu as encore pris du poids, non ? Même enfant tu avais tendance à l'embonpoint, tu te souviens ?
Pourquoi ce tablier ? Mais...il a des taches ? Alors, ma pauvre Marguerite, comment fais-tu ? Ton dernier fils est marié, sortie de la lecture de tes romans- photos, à quoi passes-tu ton temps ? Pas à faire le ménage si je ne m'abuse ?
Et ce torchon pendu ? Un seul torchon pour la vaisselle, les mains et je n'ose imaginer quoi d'autre ?
Tu es plus vaillante pour te rendre chez la Reine et claquer en teinture à cheveux l'argent gagné par ce pauvre André.

Marguerite est écarlate, le souffle court, l'œil enflammé mais elle reste muette.
Ma mère profite de son avantage pour en rajouter :

T'as eu de la chance ma pauvre grosse de 'tomber' sur ce couillon d'André, avec Fulbert tu aurais été moins grasse ma fainéante.
Et puis il a d'la santé ton André, c'est pas comme le mien.... enfin, c'est comme à la loterie, toi, t'as sorti le bon numéro.

Tonton en profite pour rentrer à ce moment là, sinon elles en viendraient sûrement aux mains, ma mère transpire la haine et le dégoût. Je ne comprends même pas tous les mots qu'elle emploie, jamais elle ne parle ainsi à la maison.

André, donne-nous donc deux verres propres – si c'est possible – la p'tite et moi on boirait bien un peu d'eau ; c'est curieux, j'ai presque plus soif l'hiver que l'été !

Ma tante se rebiffe parfois.


_ Tu sais ce que c'est que de s'appeler Marguerite ? Le prénom le plus répandu dans les étables françaises ?
_ Toi... Marie.... vierge à vie ! C'est facile hein ?

Ma mère blême, sert son sac à mains très fort. Je crois qu'elle n'aime pas que l'on parle de la Vierge Marie.


_ Devant la p'tite je ne te répondrai pas Marguerite car tes insinuations n'en valent pas la peine. Chacun sa vie, la tienne n'est pas jolie, jolie.

Mais de quoi parle-t-elle ?

_ Personne t'a obligée à l'épouser le Fulbert... moi, j'avais pas le choix, on avait fait Pâques avant les Rameaux avec André !

Pfuuu ! C'est pire qu'au catéchisme avec ces deux là... j'comprends rien à rien, moi, j'en ai marre des dimanches en famille.
Après, elles se rabibochent pour dire du mal de la tante Madeleine, qui boit et qui élève si mal ses nombreux enfants. Puis, toutes leurs connaissances y passent et moi j'm'ennuie à mourir.
La nuit finit par arriver ainsi que le moment de partir.
Je sais qu'entre le moment où nous allons nous lever de nos chaises et franchir la porte de longues minutes vont encore s'écouler.

Nous prenons enfin le chemin le long du cimetière pour revenir à la maison.

_ Dis maman, puisque tu ne l'aimes pas tante Marguerite, pourquoi on y va aussi souvent et toujours le dimanche ?
_ Tu comprendras plus tard Nine. C'est un grand réconfort pour moi que d'aller prendre des nouvelles de ma famille... enfin, celle de ton père ! Et le dimanche est un jour de paix et de repos pour tous.
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Message  Invité Ven 22 Avr 2011 - 6:33

Un bel exemple de "familles je vous hais", ton texte reflète tout à fait l'atmosphère de ce temps-là dans les familles à la campagne ; les perfidies des mères, l'ennui et l'incompréhension des enfants qui n'en perdent pourtant pas une miette ; c'est très bien restitué. J'aime en particulier le passage de la tante Madeleine : si tu tournes la tête à droite tu prends une claque...
Il y a deux ou trois coquilles :

ça finit toujours ainsi les mariages mal arrangés.
Nous partons à pieds.
il y a la maison de mes grands-parents paternels, que je n'ai pas connus


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Message  Ba Ven 22 Avr 2011 - 7:14

Bienvenue chez les parents domi...niquaux ;-)
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Message  Clarisse Ven 22 Avr 2011 - 8:29

Vie de famille mode d'emploi, à l'usage des petits et des grands!
L'enfant ne comprend pas tout, mais il enregistre ... pour le plus grand plaisir du lecteur.
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Message  elea Ven 22 Avr 2011 - 21:12

Comme souvent quand je te lis, je suis frappée par ta capacité à écrire avec justesse du point de vue d’une enfant. Tout sonne tellement vrai qu’on est happé par l’histoire. Ici en outre, je trouve le contraste entre la candeur de la petite fille et la dureté de la mère très réussi.
Un minuscule bémol pour moi dans le passage "monologue" contre Marguerite, un peu d’un bloc, un peu harangue sans réponse qui m’a paru étrange.

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Message  Invité Sam 23 Avr 2011 - 7:53

Tu n'envisages pas de la faire tomber amoureuse cette mère qui a organisé sa vie dans la haine ordinaire ? Ce serait réjouissant, un contre-emploi et le désarroi que ça susciterais chez elle ...
Parfaitement distillées, les rosseries et perfidies, au point que le "si c'est possible" est presque de trop : "donne nous donc deux verres propres" serait peut-être plus fort encore, avec l'insinuation dont le lecteur mettrait le ton lui-même...

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Message  Aoshi Sam 23 Avr 2011 - 20:17

Excellents personnages, et cette situation est tellement réaliste !
La mère en a sous le coude en ce qui concerne les vacheries verbales.
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Message  Louis Mar 26 Avr 2011 - 8:42

Un portrait lucide d’une mère vue par les yeux d’une enfant.
Une mère d’abord évoquée dans une cruauté qui consiste à humilier, rabaisser son entourage. Le mari disparu est pourtant rehaussé dans son estime « ton père était si vif, si intelligent ». Le ressentiment va aux vivants, non au mort. Celui qui n’est plus était si grand, sa perte est si grande que tout semble en comparaison bas, vil et méprisable.
Cette mère en veut au monde entier de la perte de son mari.
Et d’abord à Marguerite, sa belle sœur, son ancienne amie, coupable de vivre encore, de n’avoir rien perdu, ni son embonpoint, ni son mari si proche du sien, frère du sien, mais pas à la hauteur des qualités de son homme. Marguerite n’a rien perdu, mais au contraire, elle « gagne du poids ». Elle est celle qui prend à la vie, elle est celle qui gagne ; aux effets de hasard des événements, dans le choix des hommes et des situations, elle est chanceuse et gagnante, « c'est comme à la loterie, toi, t'as sorti le bon numéro. » Tandis que la mère de Nine est perdante, avec ce sentiment d’injustice en elle d’une malchance non méritée. Vengeance, jalousie, ressentiment animent alors cette mère infortunée.
C’est chaque dimanche qu’elle entraîne Nine dans la famille de son défunt mari. C’est en ce jour qu’elle accomplit le rituel qui la venge du sort funeste qui l’accable. C’est le jour dédié à un mort, et à l’effort pour rester en vie, pour rester debout par une vengeance sur la mauvaise fortune et tous les vivants. A l’étonnement de Nine, elle s’explique sur cette journée particulière : « le dimanche est un jour de paix et de repos pour tous. » Les mots utilisés sont ceux du cimetière, lieu où l’on repose en paix. La géographie des lieux le confirme : pour se rendre chez tante Marguerite, il faut prendre « le chemin le long du cimetière ».
La mère est vue par les yeux d’une enfant qui ne comprend pas ce rituel. Le portrait dressé, lui, est peint sans ressentiment et sans amertume. Lucide et sans indulgence, ce portrait, mais aussi sans haine, avec cette impression d’un rapport pacifié, chez Nine devenue adulte, avec cette femme « cruelle ».
Bravo Croisic pour avoir si bien figuré les traits de cette mère dans la souffrance, qui souffre et fait cruellement souffrir.

Louis

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Message  CROISIC Mer 27 Avr 2011 - 11:35

De retour sur terre, je viens vous remercier gentes dames et messieurs pour vos lectures, corrections et commentaires avisés ; se reconnaitront, Easter, Coline, Elea, Ba, Clarisse, Aoshi et... Louis. Louis qui me rend plus indulgente, plus intelligente, plus compréhensive, plus éclairée sur mes propres textes.
Un grand merci.
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