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La Tour Sombre / The dark Tower

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La Tour Sombre / The dark Tower Empty La Tour Sombre / The dark Tower

Message  L'Effarouchée Sam 30 Avr 2011 - 3:39

Bonjour!

Quelques explications sur ce texte; c'est une traduction du poème The dark Tower de Browning que j'ai faite l'année dernière, après avoir lu plus jeune la série de Stephen King. Le mythe même me fascine, et j'ai eu envie aujourd'hui de le reprendre, à travers une nouvelle ou un poème en prose peut-être. En attendant, je vous propose de découvrir le poème originel à travers ma traduction.
Vous pouvez lire la version anglaise ici; je n'ai pas réussi à créer une version "face à face" satisfaisante sur ce topic.
Bonne soirée,

Aurélien.




La Tour Sombre





I.

Je songeai tout d'abord: il m'a vraiment trompé,
Cet estropié chenu à la prunelle impie,
Scrutant de biais l'effet que sa sournoiserie
Avait sur moi, sa bouche peinant à cacher
La joie qui en tordait les deux extrémités,
A la pensée d'un autre aussi à l'agonie.


II.

Pourquoi serait-il là, lui, avec son bâton,
Si ce n'est pour leurrer par de rusés mensonges
Le voyageur perdu qui par malheur s'allonge?
Je devinai alors quel rire de démon
S'élèverait - quelle main, pour sa distraction,
Ferait une épitaphe à mon horrible songe.


III.

Or d'après son conseil j'aurais dû m'engager
Dans ces sinistres lieux où l'on voit apparaître
La célèbre Tour Sombre - et je dois reconnaître
Que j'obéis pourtant: sans aucune fierté
Ni espoir ranimé par le but discerné,
Mais plutôt par gaieté que quelque fin pût être.


IV.

Après ma longue errance à travers des contrées,
Après avoir porté ma quête bien des ans,
Mon espoir en haillons en effet ne pouvant
Seulement caresser du triomphe l'idée,
Je combattis à peine une joie insensée
En trouvant la défaite en lieu de dénouement.


V.

Tout comme le malade approchant du trépas
A demi-mort déjà, perçoit poindre des larmes,
Puis reçoit les adieux de ses compagnons d'armes
Et entend quelque ami pousser un souffle las
Sitôt sorti dehors (« puisque la fin est là,
Qu'il est tombé, le coup qu'aucun chagrin ne charme »);


VI.

Quand d'aucuns débattent s'il est assez de place
Près des autres tombes pour celle du vaillant,
Et si pour l'y porter il est jour plus clément;
Quand enfin son blason s'élève à la surface,
Lui pourtant tout entend et tremble qu'il ne fasse
Honte à si bel amour, à trop rester vivant;


VII.

Ainsi j'ai tant souffert dans mon inquisition,
Vu mon échec inscrit dans tant de prophéties,
Entendu si souvent chantée "La Confrérie"
- Ceux qui eurent aussi la Tour pour vocation -
Qu'échouer tout comme eux me semblait ma mission;
Demeurait un seul doute - et si j'étais honni?


VIII.

Je me détournai donc, muet de désespoir,
Pour m'engager enfin sur la route indiquée
Par cet odieux vieillard. Et la triste journée
cédait alors la place à un lugubre soir,
Mais j'eus pourtant le temps de voir son rictus noir
Et son regard malsain sur la plaine asséchée.


IX.

Qu'on m'entende! Après que j'ai juré allégeance
En mon coeur à la plaine, au bout d'un pas ou deux,
Je voulus adresser quelque regard d'adieu
A la route - elle avait disparu! Triste engeance,
Cette plaine où j'étais - grisaille et indigence!
Il fallait avancer - car que faire en ces lieux?


X.

Aussi je cheminai. Et jamais je ne vis
Nature si ignoble et si guère prospère ;
Quant aux fleurs - autant rêver d'une cédrière!
Comme leur loi le veut, l'euphorbe et la chienlit
- Spectacle si mesquin! - grandissaient à l'envi;
Ah! La moindre azalée m'aurait été si chère!


XI.

Rien! Grimace, apathie, pénurie et langueur
Etaient l'étrange lot de cette terre impure;
"Vois ou ferme les yeux", me disait la nature,
"Je ne puis rien y faire, et tout se fane et meurt;
Le Jugement Dernier de son feu rédempteur
Graciera mes captifs en purgeant leur luxure".


XII.

Et si osait pousser plus haut que ses voisins
Quelque tige en charpie, elle était étêtée,
Car l'agrostide ici se croyait jalousée.
Que s'était-il passé? Quoi donc avait éteint
Tout espoir de verdure, et quel esprit malin
Y soufflait toute vie comme une âme damnée?


XIII.

La lèpre, il me semblait, frappait les graminées:
Des brins épars et secs perçaient parfois la boue
Qu'on aurait dit pétrie d'un sang noir par-dessous.
Là une rosse raide, aveugle et désossée,
Semblait toute ahurie d'avoir été chassée
Du haras de Satan à grand renfort de coups!


XIV.

Vivante? Il me semblait qu'elle avait trépassé:
Carcasse ensanglantée à l'échine bancale,
Elle avait les yeux clos sous sa crinière sale.
Rare union du grotesque et de l'atrocité,
Voilà bien un démon digne d'être abhorré:
Seuls les plus malfaisants méritent cette gale!


XV.

Je fermai donc les yeux - les rouvris sur mon âme:
J'y bus une gorgée de visions du passé,
Comme un soldat se saoule avant de guerroyer.
Voilà notre façon de retrouver la trame:
- L'art du guerrier - penser puis dégainer sa lame;
Un saut dans ma mémoire, et tout est rectifié.


XVI.

Pas ceci! Je revis le visage rougi
De mon ami Cuthbert, sous ses boucles dorées.
Cher compagnon! Au coeur de l'épreuve endurée
Il m'a toujours offert son beau bras comme appui.
- C'est ainsi qu'il était. Hélas! atroce nuit!
Ce feu s'évapora dans mon âme glacée.


XVII.

Gilles aussi, debout là, la fierté elle-même,
Aussi franc que le jour où il fut adoubé:
"Quel que soit le défi, je saurai l'affronter!"
Mais la scène bascule - Oh! Mais quelle main blême
Grave sur sa poitrine un signe d'anathème?
Pauvre traître essuyant crachats et quolibets!


XVIII.

Plutôt le noir présent que le passé maudit:
Sur ma route assombrie à nouveau je m'élance.
Nulle vision, nul bruit ne s'offraient à mes sens;
La nuit m'enverrait-elle quelque chauve-souris?
Mais une apparition dans ces espaces gris
En chassant ces pensées combla mon impatience.


XIX.

En travers du chemin, soudain, une rivière
Qui serpente à mes pieds - spectacle inespéré!
Nulle onde cependant dans cette obscurité;
A voir comme elle bout des démons y baignèrent
Leurs sabots rougeoyants - avec quelle colère
Tourbillonne l'écume au sein des flots souillés!


XX.

Rivière insignifiante et pourtant rancunière!
Des aulnes rabougris venaient s'agenouiller
Près de l'eau; et plus loin des saules détrempés
Formaient en s'y jetant un essaim suicidaire.
Mais le sombre torrent coupable du calvaire
Poursuivait son chemin nullement perturbé.


XXI.

Et en le traversant - Dieu! combien je craignais
De marcher sur la joue de quelque moribond,
Ou de sentir l'épieu dont je sondais les fonds
Prisonnier des cheveux d'un odieux macchabée!
- Ce put être un rat d'eau qu'alors je réveillai
Mais comme on aurait dit le cri d'un nourrisson!


XXII.

Je posai enfin pied sur la berge opposée
Espérant un pays plus clément. Vain présage!
Qui avait combattu? Quelle était cette rage?
Quels pas avaient tassé la terre détrempée?
Crapauds ignominieux et cuve empoisonnée
Ou fauves agressifs dans une ardente cage -


XXIII.

Voilà à quoi devait ressembler le carnage
Dans ce cirque angoissant. Qui les cloîtra dedans?
Aucune empreinte au sol vers l'affreux miaulement,
Ni ne s'en éloignant; sans doute un noir breuvage
Les rendit fous furieux - tombés en esclavage
Sous un maître impatient de leur affrontement.


XXIV.

Et en plus de cela - à un furlong de moi -
A quel funeste emploi fut-elle réservée,
Cette roue? Et ce frein, et la herse acérée
Semblant filer les morts tout comme de la soie?
Un outil du Tophet laissé dans cet endroit
Pour aiguiser ses dents voraces et rouillées!


XXV.

Puis apparut un bois dont le sol piétiné,
Devenu un marais, semblait à l'agonie
(Comme un fou bien souvent ressent soudain l'envie
De gâter son ouvrage et de s'en détourner,
La nature inconstante a ici abdiqué):
Sable, argile, débris et sombre pénurie!


XXVI.

Ici c'est quelque tache aux infâmes couleurs,
Là une plaque immonde où la terre amaigrie
Laisse place à la mousse ou à la maladie;
Puis un chêne tordu, figé dans sa douleur,
Dont le tronc fissuré semble béer d'horreur
- Une bouche que tord un spasme d'agonie.


XXVII.

Et toujours aussi loin de notre conclusion!
Rien d'autre à l'horizon que le long crépuscule,
Rien pour guider mes pas! Tandis que je spécule
Je vois un grand corbeau, l'envoyé d'Apollyon,
Déployer dans le ciel son aile de dragon;
Fallait-il pour ma part suivre cet homoncule?


XXVIII.

Car en levant les yeux, je parvins à juger
Malgré l'obscurité qu'aux abords de la plaine
Se dressaient des sommets - ou plutôt une chaîne
De pics froids et affreux presque dissimulés.
Combien je fus surpris! Qui ne l'aurait été?
Vouloir leur échapper - quelle espérance vaine!


XXIX.

Et je crus reconnaître une autre diablerie
Qu'on m'aurait infligée le Seigneur seul sait quand
- En cauchemar peut-être. Sombre aboutissement
Pour ma quête! Or soudain, et à l'instant précis
Où je vais renoncer, un déclic se produit
- La trappe m'enfermait non dehors, mais dedans!


XXX.

Tout m'assaillit alors dans un embrasement:
C'était bien là le lieu! A droite deux sommets
- Deux taureaux corne à corne, une joute acharnée;
A gauche une montagne au pic pelé s'étend...
J'étais abasourdi par l'incroyable instant,
Après toute une vie passée à le chercher!


XXXI.

Et au centre, quoi d'autre à part la Tour unique?
La Tour ronde et trapue, aveugle comme un coeur
Bâtie de pierre brune, et sans aucune soeur
Dans l'univers entier. A l'instant fatidique
Le capitaine voit un écueil identique
(mais déjà le bois rompt!) grâce à l'elfe moqueur.


XXXII.

Ne rien voir? Quand le jour pour moi seul reparut!
Car avant de sombrer, la lumière fugace
Rougeoya au travers d'une étroite crevasse:
Les monts, tels des géants couchés et bien repus,
Regardant la battue du gibier à l'affût:
"Qu'on achève la bête! Au coeur, qu'on la terrasse!"


XXXIII.

Aucun son? Quand le bruit est partout! J'entendis
Croître le carillon:ou plutôt je perçus
Les noms de tous mes pairs, aventuriers perdus.
Celui-ci fut si fort! Celui-là si hardi!
Et l'autre si chanceux! Perdus, mes vieux amis!
Alors sonna le glas de ces années déchues.


XXXIV.

Tous debout, le long des collines, réunis
Avant mon grand départ, tous ceux de ma mémoire,
Un ultime tableau; dans les flammes du soir
Je les vis et les reconnus tous. C'est ici
Que je sonnai, vaillant, grâce à mon cor béni :
"Le chevalier Roland s'en vint à la Tour Noire".



Mars 2010


Aurélien Clause


Un texte par semaine dans chaque section (Prose ou Poésie). Le dernier date de jeudi 28/04. Celui-ci sera déverrouillé lundi 2 mai.
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