La bleue en robe verte

La bleue en robe verte

C'est la première fois que Nadine met cette robe depuis l'été. Cette petite robe verte qui avait fait son succès à Lacanau. Aujourd'hui, Saint Patrick oblige, il faut se parer à la couleur du trèfle. Et Nadine espère bien être la coqueluche du Dickens, ou du Frog'n'Rosbif, où elle a rendez-vous avec ses amies.
- Mais t'es folle ? lui crie Macha au visage. T'as vu le froid qu'il fait ?
- J'espère que t'as prévu un gros pull ou une écharpe, ajoute Églantine.
- Vous inquiétez pas, va, les rassure Nadine.
Elles s'impatientent dans le tram. En vérité, Nadine ne s'est pas du tout inquiété de la température jusqu'à descendre place de la Bourse, où le froid de la Garonne vient couvrir sa jambe de frissons. Quelques mètres plus loin, devant le Charles Dickens : « Hé les filles, il faut commencer par le Black Velvet, ils offrent un chapeau Guinness si tu leur bois deux pintes, et on arrive tout juste pour la fin de l'happy hour ! » Des copains de Macha débarqués en bande, visiblement parés à faire le plein d'alcool et, pour les plus chanceux, de numéros de téléphone.
- Ah c'est ballot, Églantine est partie commander ici, je pensais pas que vous arriveriez si tôt... Ah ben non, la voilà qui revient. Eh ben alors ?
- J'ai voulu leur commander une soixante-quatre et je me suis limite faite jeter. « On boit de la vraie bière ici, ma poulette » qu'il me dit le serveur. Donc voilà.
Églantine bredouille.
- Alors allons-y, sautille Nadine. D'abord on boit, et ensuite on va au Frog pour danser comme des fous !

Passons les détails de la déambulation. « Elle gesticule comme ça parce qu'elle a froid ou parce qu'elle est excitée ? » demande un pote à Macha. « Les deux, je crois » répond Macha.
Au Black Velvet, Nadine commande un chapeau, en vomit la moitié dans le caniveau. Retour au Dickens, boit une Bombardier, et la voilà montée sur une table à danser comme une épileptique sur une musique de ZZ Top. Elle se fait appeler « Reine de la fête », des mains d'hommes se posent un peu partout sur son corps. Sur demande de Macha, deux copains la font descendre. « Mais je veux danseeeeer ! » s'égosille-t-elle. Elle repart avec sur les épaules un magnifique plaid St. James's Fine Whisky offert par la maison pour son impact somme toute positif sur la clientèle. « J'suis pas bourrée ! Je veux danser ! »
- Qu'est-ce qu'on fait d'elle ? demande Églantine.
- Il est même pas vingt-deux heures, si on va direct au Frog, dans moins d'une heure on l'a perdue.
- Sinon je crois qu'il y a un concert au Connemara. C'est un peu loin mais ça peut être sympa ?

On prend Nadine par le bras et on s'enfonce dans les petites rues du quartier St Pierre. Elle tient absolument à pisser sur le mur des Galleries Lafayette parce qu'elle avait « juste pas assez pour s'offrir ce putain de jean » qu'elle avait vu en vitrine. Elle braille des phrases incompréhensibles. « Whaou, y en a qui partent tôt ! » apostrophe un badaud amusé. « Tu veux voir si je suis partie ? » réplique Nadine en montrant ses fesses, ce qui déclenche un échange de beignes entre deux copains de Macha et le badaud qui, subitement, semble s'être mis en tête d'observer d'un peu plus près les fesses de Nadine. « Ma parole, la prochaine fois qu'elle fait un truc comme ça, je la laisse se faire violer, moi ! » dit l'un des deux, visiblement énervé d'avoir du encaisser une droite.
- C'est bon, on arrive.
On entre dans le Connemara. Musique style rock celtique énervé, un mélange entre The Pogues et Airbourne. Étrange, mais ça balance bien.
- Té, regarde le bassiste, on dirait un mélange entre John Entwistle et Jethro Tull, glisse un pote de Macha.
- Waow, je sais que tu t'y connais en rock sur le simple fait que je sais absolument pas de qui tu parles ?
Nadine a rien entendu. C'est vrai qu'il attire l'attention, ce grand bassiste droit raide comme un piquet, avec une expression faciale complètement neutre, bizarrement auréolée d'un bouc touffu et d'un bandana de pirate.
C'est la fin du morceau, on applaudit. Églantine se poste tout près du bar pour prendre les commandes et veiller que Nadine ne s'en approche pas trop. Nadine s'en fout.
- Merci, merci. Et maintenant, en hommage à toutes les bières consommées ce soir, et parce que la Saint Patrick c'est l'occasion de faire des trucs sales... (des rires)... On va jouer une reprise que vous allez chanter avec vous. Maurice, à toi de jouer...
Le premier accord retentit trois fois : la la la. Le bassiste se prépare... Il se fait un peu chier. Enfin non, il prend son pied à ce concert, mais Highway to Hell, pour un bassiste... Enfin quoique, y a une jolie poupée en robe verte qui fait des yeux de merlan frit à quelques pas devant lui.
Nadine n'a d'yeux que pour son mystérieux pirate immobile. On lui a interdit de boire de la bière, tant pis, elle boira se bonhomme de toute la puissance de ses rétines. Waow, trop puissant comme phrase, faudra la retenir pour la lui dire ! « Je t'ai bu de toute la puissance de mes rétines. » Waow !
Ça y est, il a commencé à jouer. Elle a vraiment des grands yeux, cette petite. Son décolleté n'est pas trop mal, non plus, et ses jambes... Le bassiste ne les voit pas bien, il dodeline un peu la tête, espérant les apercevoir.
Les autres à côté commencent à danser, à chanter en chœur. Nadine est ailleurs, dans une bulle avec son bassiste. Que le monde est beau, c'est merveilleux ! Cette chanson parle d'enfer, mais elle est au paradis ! Le public bouge, elle passe comme elle peut, mais elle veut être devant, s'approcher, toujours plus près.
« Je crois que je sais qui je vais choper ce soir, » glisse le bassiste à l'oreille du batteur, qui n'entend pas parce qu'il a, lui, beaucoup d'entrain à mettre dans ses baguettes. Les fûts de la batterie doivent résonner au rythme des fûts de bière, oui monsieur ! La fille se rapproche. Bon on va peut-être tenter quelque chose.
Nadine n'y croit pas : en plein milieu du morceau, le type pose sa basse, s'approche d'elle et l'embrasse. Comment cela peut-il arriver ? Non, cela devait arriver : c'est le destin, le monde est magique ! C'est fabuleux ! C'est merveilleux ! Il n'y a plus de mots !
Le bassiste est fier de l'énormité de la pelle qu'il vient de rouler. Après ça, ils n'ont de prévu sur la playlist qu'un morceau de Creedence, ça ira vite. Juste le temps de lui dire : « Ça te dirait, un verre chez moi ? »
De son côté, Macha a commencé à boire. Elle ne se préoccupe plus du tout de Nadine.
Une chose est sûre, d'ici peu une petite robe verte va tomber. Pas sûr que sa propriétaire se souvienne de tout le lendemain.

Franchement j'ai lu, et c'est pas mal, j'aime beaucoup ton style. L'univers de la saint patrick et la sacralisation du rock me gave un peu (j'suis plutôt hip-hop alors... lol)

Viens faire un tour par là si tu en as l'occasion :-)

http://nouvelle-ecriture.forumjv.com/0-3920-0-1-0-1-0-0.htm

C'est un forum un peu plus jeune, tu pourrais t'y plaire.

à pluche !

Un peu déçu de te lire sous cette forme "sans consistance" à mon goût.
L'ambiance est présente, palpable, les personnages aussi... c'est dire la réussite de ce côté, mais le ton donné à ce texte reste plat, sans âme, du genre reportage de lendemain de fête écrit par un spectateur désenchanté.
- Ah c'est ballot... ça c'est drôle.
Le paragraphe échange de beignes entre deux copains est de loin mon préféré.

La St Patrick à Bordeaux, c'est marrant mon dernier texte relate un soir de St Patrick à Nantes ^^ On y est à peine moins saoul...

J'aime bien le style, c'est vivant. De bonnes descriptions aussi. Mais je regrette un peu que l'ambiance ne monte pas crescendo, Nadine est quand même très vite complètement partie... Et puis difficile de comprendre l'attirance du personnage (aussi saoule soit elle) pour ce bassiste "droit raide comme un piquet, avec une expression faciale complètement neutre, bizarrement auréolée d'un bouc touffu et d'un bandana de pirate"... J'ai l'impression qu'il manque quelque chose à ton texte, peut-être une véritable intrigue ? Une suite ?

il faut se parer à la couleur du trèfle

: de la couleur du trèfle ?

Nadine ne s'est pas du tout inquiété(e)

que vous allez chanter avec vous (nous)

elle boira se bonhomme

Galleries Lafayette

Waow, je sais que tu t'y connais en rock sur le simple fait que je sais absolument pas de qui tu parles ?

Merci commentateurs et trices ! Bertrand, ton expression m'a frappé : commentateur désenchanté. C'est exactement ça. Très possible qu'il y ait un manque (à vrai dire, j'ai bouclé ce texte hier soir 23h59 tapantes pour l'envoyer par mél à un concours qui se terminé à minuit pile.. rock'n'roll !!!)
Yugoski : et moi qui ai étudié dans une promo où tout le monde écoutait du hip hop ^^ Je ne connais pas ce forum, à vrai dire depuis le temps que je suis sur VE j'ai jamais éprouvé le besoin d'aller voir ailleurs, m'enfin rien n'empêche de jeter un oeil...
Ombre : ça pour une coïncidence ^^ j'ai commencé à lire ton texte, ça me plait, c'est d'une simplicité qui donne envie de continuer la lecture, sans pudeur et sans chichi. Et merci pour les fautes, aussi...
Merci et à pluche !

Y’a un côté tourbillon dans ton texte, ce qui colle bien à la fête et à l’ivresse. C’est vivant, rythmé, l’ennui c’est qu’on a un peu l’impression de sauter d’une scène et d’un pub à l’autre sans trop de liant.
J’ai bien aimé le passage des galeries Lafayette et le bassiste du Connemara. Et un avantage pour moi bien sûr, celui de parfaitement visualiser le trajet et les lieux.

ombre77 a écrit:Et puis difficile de comprendre l'attirance du personnage (aussi saoule soit elle) pour ce bassiste "droit raide comme un piquet, avec une expression faciale complètement neutre, bizarrement auréolée d'un bouc touffu et d'un bandana de pirate"...

Le charme inné du musicien...^^

J'ai trouvé l'ambiance très bien retranscrite. Les allées et venues entre les pensées des personnages nous emmènent dans ton monde un peu comme le ferait un caméra. C'est très intéressant.

Cependant, comme d'autres commentateurs l'ont dit, je trouve qu'il manque quelque chose. Tu as voulu prendre un parti neutre dans cette histoire mais du coup le texte est plat.
Je pense qu'il fallait soit "prendre parti" dans ton texte, faire passer quelquechose, soit rester avec ce ton neutre mais aller plus loin dans la description. Car au fond nous aussi on s'en moque qu'une robe tombe quoi...
Voilà mais encore bravo pour le style.

De mon côté, je n'ai pas trop accroché, j'ai trouvé que les personnages n'étaient pas très creusés, c'est sûr, on est plutôt dans l'action, une atmosphère qui amène une certaine légèreté, on est dans la retranscription d'une scène vivante, donc il n y a pas forcément une volonté de s'attarder sur la psycho des personnages, mais je crois que l'esquisser un peu plus, par des détails ou autre, ça aurait rendu l'ensemble moins superficiel...
Et il y a quelque chose dans le traitement du personnage de Nadine qui me dérange un peu, je ne sais pas, peut-être trop de l'ordre de la caricature ?

Je t'ai connu plus en forme, forme et fond. Là, j'ai trouvé que la description de Nadine manquait de finesse, de sensibilité, de profondeur, comme si tu ne t'étais pas toi-même attaché au personnage. Je reste avec le sentiment de quelque chose de gratuit, un épisode écrit vite fait bien fait mais sans consistance véritable, la forme en souffre aussi (la répétition de "paré" au début, par exemple). Dommage.

J'ai suivi ces personnages dans leurs pérégrinations mais sans vraiment avoir de quoi m'y attacher. Je suis restée extérieure. Dommage. Et je ne sais pas vraiment expliquer pourquoi.