Exo en direct du vendredi 19 août 2011 à 20h30

Sean O’Brien était nerveux. Depuis une semaine, les journaux ne parlaient que de ça, de la crise, de la bourse qui s’effondrait, des Grecs qui tombaient en faillite, du franc suisse qui devenait sot et de Delors qui affirmait que l’Europe allait se casser la gueule.
Et si le bien-être de son portefeuille inquiétait Sean au plus haut point, le fait que l’Europe se ramasse une bonne fois pour toutes, et bien, ça n’était pas pour lui déplaire. Parce que l’Europe, il en avait plus que soupé. Politique agricole commune, quotas, fonds de solidarité, normes pour ceci, normes pour cela… oui, y a pas à dire, il en avait marre.
L’Europe, dans son pays, personne n’en avait voulu, ils avaient même voté non au referendum mais bon, il avait fallu revoter encore et encore jusqu’à ce que ça soit oui parce que sinon, basta les subventions avait dit le gouvernement. Il pouvait bien causer le gouvernement, vu la pagaille dans laquelle son île se trouvait aujourd’hui.
Sa banque, filiale d’une grosse boîte française, venait de lui refuser un prêt pour acheter une nouvelle camionnette. Trop risqué en ce moment avait dit le directeur. La vie de Sean n’était pourtant pas différente à ce moment précis du moment d’avant mais c’était ainsi, le contexte mondial, avait renchéri en forme de point final l’employé sourcilleux. Sean n’imaginait pas qu’il représentait le monde à lui tout seul lorsqu’il avait franchi la porte de la Irish Société Générale Ltd, bureau de Killarney. Qu’il avait refranchi dans l’autre sens sans un sou en poche.

En sirotant sa Guinness d’un air défait, Sean réfléchissait à comment sortir de ce pétrin, mais ça le dépassait. Après tout, il n’était que découvreur de sources, pas banquier. L’eau, ça le connaissait. Son bruit, son odeur, son goût. Bien sûr, l’eau, ça avait un prix. Ça payait même plutôt bien. Assez en tout cas pour que Sean monte de temps en temps voir une fille, lui offre des fleurs, des petits cadeaux (attention, pas trop gros tout de même les cadeaux, Sean est économe), avant de rentrer chez lui retrouver son chien et ses dix moutons.
Mais là, même les filles, ça ne l’intéressait plus. Sean avait un goût amer en bouche, celui de l’impuissance face à une société qui ne fonctionne plus que par et pour le pognon.
L’amertume, quand ça se montre tenace et farouche, ça ressemble à une douleur qui finit par rendre fou. Et fou, jamais Sean ne le deviendrait, foi de O’Brien. Et foi de son pays.

C’est à la troisième Guinness (pas mauvais du tout la Guinness !) que l’idée lui est venue.
Enfin, elle n’est pas venue toute seule l’idée, la présence d’une photo de DKS et d’une fille de joie en Une d’un canard à pas cher a contribué à l’ensemble, mais peu importe après tout.
Sean est rentré chez lui, s’est assis devant son ordinateur vieillissant et s’est rendu sur Twit-Twit, un piège à filles qu’il pensait au début, un piège à cons, surtout. Sauf qu’aujourd’hui, la machine allait peut-être le sauver.

« Directeur de la Société Générale arrose ses employées avec l’argent des clients »

Clic. Parti. Le directeur allait regretter d’avoir dit non au prêt de Sean.
Sean qui envoya le message sur la Toile sans préciser de quel directeur il s’agissait. Or la Toile, ça ne réfléchit pas, enfin si, comme un miroir, pas comme un cerveau.
Alors le message se multiplia, se répéta, se transforma. Le directeur bouseux d’une agence de campagne se métamorphosa bientôt en ponte tout puissant au sommet de l’entreprise. Les employées devinrent ministres et l’argent des clients prit la couleur de toutes les réserves de la société.
En moins de deux heures, la rumeur se répandit, plusieurs sites affirmèrent que la Société Générale avait les poches vides et un président-directeur-général en fuite. Personne ne cita ni Irish ni Killarney. De toutes façons, ça aurait servi à quoi…
Les journaux télé en firent leurs gros titres, on tenait la nouvelle affaire Kerviel, le président de la France jura sur son honneur que la justice punirait les méchants et que l’argent du contribuable devait être mieux protégé. Le cours de la Société Générale se cassa royalement la figure en bourse, celui de Twit-Twit augmenta de 8%, le directeur de la Irish Machin à Killarney resta directeur puisque tout le monde avait oublié le Irish dans l’histoire, Sean n’eut pas son prêt et la Toile, une fois encore, se sentit pousser les ailes d’un justicier qui répand la vérité dans le monde entier aussi vite que Superman sauve les innocents.

Et la vérité de la Toile, c’est bien connu, c’est la vraie vérité.