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Exo de l'été : Abir, ou la main gauche

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Exo de l'été : Abir, ou la main gauche Empty Exo de l'été : Abir, ou la main gauche

Message  Eugène Bricot Jeu 1 Sep 2011 - 8:01

AVERTISSEMENT : Une scène peut heurter ! La notion de « moment heureux » peut être particulière en fonction de « la tête » dans laquelle on se place pour en raconter le souvenir.




Abir, ou la main gauche

Étalé comme une limande défraichie sur le lit trempé de moiteur, Abir se débroussaillait les poils pubiens de sa main gauche, par-dessous le slip, sans grande conviction. Certains lui résistaient un peu, mais ils se mettraient en bon ordre peu à peu. L'apaisement de son corps quasiment nu et de son âme tortueuse était à son comble. Il n'osait aller plus bas, il avait de petits bras de toute façon et un torse assez long, de frêles jambes au bout desquelles ses doigts de pied tentaient de se maintenir en éventail. De sa main droite, le coude relevé sur le côté, il en avait fait un reposoir entre son crâne aux cheveux courts et l'oreiller. Dans le cube étroit de sa chambre passaient ses heures sans sommeil tandis que les images du téléviseur, tout aussi plat, le laissaient béat sur le dos comme un crucifié, mais à l'horizontale. Le ramadan était terminé, enfin ! Période qui lui était particulièrement pénible d'hypocrisie à cause des nombreux mensonges qu'il devait asséner à longueur de journée. Fini de se planquer, il n'était ici que par sa propre conscience !

Dans l'épaisseur surchauffée de la nuit qui le submergeait peu à peu, sans ventilateur, il observait les défauts du décor de la petite mansarde d'hôtel qu'il avait dégottée in extrémis. Tous ces détails que l'on ne voit pas au premier abord, et qui font qu'après coup, on trouve que c'est cher payé.

Trois moustiques écrasés contre la paroi au dessus de sa tête lui posaient une question essentielle. Quand allaient-ils se décrocher ? Et si, dans leur chute, ils n'iraient pas se coincer entre le matelas et le mur, dans un glissement sournois ? C'était l'endroit où il aimait fourrer sa main droite, quand une fois presque endormi, il se retournait sur le ventre, le nez enfoui dans l'oreiller. Il vérifiait aussitôt la présence éventuelle d'un stock ancien. Ces trois insectes lui paraissaient des alpinistes en position délicate de bivouac forcé sur la face verticale d'un sommet inconnu. La foudre d'un orage, qui avait dû être titanesque, les avaient, l'un après l'autre, carbonisé, transpercé, et depuis, laissé pour mort sans avoir eu le temps de prévenir les secours. Le petit cercle de sang devenu noir autour de chacun en témoignait. Les ailes pliées en quatre, voire sectionnées comme des pétales éparpillés, étaient leur ex-voto. Leurs tronches de moustique, avec le rostre enfoncé dans le pif et les yeux globuleux en décalcomanie, étaient hilarantes. Quant aux pattes, elles s'étaient détachées et, comme de minuscules brins de paille, avaient chuté le long de la paroi, jusqu'au sol.

La propreté d'un hôtel se mesure au nombre de pattes de moustiques échouées sur le rebord des plinthes.

Le plafond était jauni, mais sans doute était-ce déjà la couleur naturelle de l'époque de la construction ? Oui ! C'était ça, en fait. C'était le jaune d'origine. Mais il y avait eu, au fil des années, des craquelures, des crevasses que nos alpinistes n'auraient jamais atteintes, traversant des auréoles sombres aléatoirement disposées. En fait, vu comme ça, c'était mieux ; des nuages zébrés d'éclairs dans un ciel lumineux au soleil couchant.

— Je suis un poète, songeait Abir.

Abir sentait sa sueur perler sur ces flancs, car il ne s'était pas douché depuis au moins trois jours et rêvassait à l'arrivée impromptue, et improbable, d'une charmante personne, bien intentionnée, à tout moment. En particulier des effluves acres montait de son aisselle droite. Il y fourra son nez un instant pour en être certain, tandis que sa main gauche, elle, s'était endormie, retenue par le slip. Le téléviseur, perché sur sa haute béquille contre l'autre mur recouvert de chaux, dont la platitude donnait l'illusion d'un espace plus grand dans le désert rustique de la piaule, débitait les nouvelles qu'il attendait. Il était peinard, là, Abir, sur son matelas, heureux comme un poisson dans l'eau, au cœur battant de cette cité millénaire bouillonnante du moyen orient. L'atmosphère était épaisse , dont le seul courant d'air frémissant était celui de sa respiration lourde. Oui, c'était une sensation de béatitude savoureuse dans laquelle il nageaient, une douce euphorie, après l'homicide qu'il avait commis dans une petite ruelle déserte du souk à l'heure plombée par le sommeil de mi-journée. Abir espérait les informations du soir. Il n'était pas tout à fait certain d'avoir réussi son coup.

— Bandes de journaleux de mes deux ! — qu'il vérifiait effectivement bien présentes entre ses cuisses — grommelait-il !
— Pardon ? Surgit une voix grave, qui venait d'un lieu indéterminé.
—.... !

Abir, cloué sur place, émergeait brutalement de son doux souvenir sanglant, accompagné d'une caverneuse éructation. Sa main gauche sursautait d'elle-même et sortait de l'entre-jambes. Cette main était douée d'un sens inné qui le fascinait. C'était elle qui commandait son cerveau et la main droite qui le nourrissait. C'était elle encore qui avait commis le meurtre ! Mais il ne savait plus trop vraiment ! Elle était presque indépendante de sa pensée et menait sa propre vie. Elle pouvait parfois se mouvoir sans cesse dans un tremblement pervers qui l'impressionnait. Seul, un long cri poussé haut l'arrêtait de vaciller.

— Heu... Y a quelqu'un ? Tenta-t-il, hésitant.
— À ton avis ?
— Euh..... Oui.... oui, y a quelqu'un, par Allah. Répondait-il, la gorge nouée. C'est sûr. Mais par où êtes-vous entré ?
— Je ne suis pas entré, je suis déjà là !
— ... ?
— Regarde sous le lit ! Tu verras pourtant qu'il n'y a personne !

Un long silence s'installait. Abir hésitait, croyant à une très mauvaise blague. Mais la seule image qu'une lame pénètre subitement sa chair par en dessous le matelas le faisait bondir hors du lit et se pencher pour vérifier. Quasiment nu comme aucun musulman ne pouvait le tolérer en présence d'un étranger imprévu, sauf au hammam, il revêtait promptement sa djellaba noire, et défraichie, voire en haillons à certains endroits.

C'était une voix d'homme, très ressemblante à la sienne, comme s'il entendait sa propre voix, mais venue de l'extérieur en fait...!! Il réfléchissait un moment et disait :

— Allo ? Instinctivement, et sans raison apparente, dans le vide de sa chambre qui résonnait.
— Oui ? Qui est à l'appareil ? Répondait l'autre d'un ton qu'il prit presque moqueur.
— Ben, c'est moi !
— Moi aussi, c'est moi !
—...
—...

Le temps s'arrêtait à nouveau, en suspension. Son regard furtif se plongeait dans tous les interstices de la pièce, dans une folle chasse à l'être qui n'était pas là. Il n'était pas certain de bien comprendre. Dehors, au pied du troisième étage où se trouvait sa chambre, le souk se ranimait alors que la chaleur s'atténuait. Il était impossible qu'une voix tant distincte vienne d'aussi loin.
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Exo de l'été : Abir, ou la main gauche Empty Exo de l'été : Abir, ou la main gauche (II)

Message  Eugène Bricot Jeu 1 Sep 2011 - 8:05

...Suite I


— Hé, psst, par ici. Indiquait la voix... -
— Que ?! Quoi ?!

Il se retournait et voyait sur l'écran du téléviseur, un visage qui ne lui était effectivement pas inconnu, mais sur lequel il ne pouvait mettre un nom. Une longue barbe comme la sienne, une bouche épaisse dissimulée, des yeux noirs surplombés de sourcils drus et toujours ce crâne aux cheveux courts. La figure s'adressait à lui, souriante, la voix complice, clin d'œil prononcé à l'appui :

― Hé ! Super, dis ! Bravo hein ! Tu l'as eu le petit môme dans le souk ! Le mécréant !
― Quoi ? Tu es sûr ?

Puis se ravisant de ses paroles, il ne comprenait absolument pas comment il pouvait converser avec un poste de télévision. Acculé, dos au mur, effrayé, c'était la première fois qu'un être divin venait à lui et le remerciait directement de son acte. C'est vrai que pour le martyr qu'il se croyait être on ne pouvait rêver mieux ! Il n'en était pourtant pas à ces débuts et il ne comptait plus ceux qu'il égorgeait comme un mouton, qu'il saignait, puis laissait agonisant jusqu'à la dernière larme, la dernière goutte de sang. Il avait envie de jubiler, d'exploser de joie, mais ne savait que faire en réalité. Un poste de télévision lui parlait en direct par l'intermédiaire d'un visage qui était proche du sien. Terrorisé et émerveillé, figé dans l'angle de la pièce de tout son long, comme une blatte tente de fuir par une fissure trop petite, collé face contre la porte de la chambre et le coin du mur. Il ne savait quoi faire de son corps qu'il détournait de l'autre. Il se sentait épié intensément, piégé, et estimait tout de même que ces remerciements arrivaient bien tardivement après tant d'années... C'était injuste, mais il était fier en même temps !

Subitement, trois coups secs et francs résonnaient dans sa tête, comme trois chocs de massue fortement assénés sur son crâne. Il réalisait qu'avec son oreille, scotchée en ventouse à la porte d'entrée, dans sa position de stupeur figée, les coups étaient donnés de l'autre côté du panneau de bois. De nouveau il y eut trois battements, plus prononcés, jusqu'à ce qu'il décolle de quelques centimètres sa tempe pour que cet assommoir cesse. Il était abasourdi ! Un court instant passait.

― Police ! Ouvrez ! Cria une voix forte venue du couloir !

Il se précipitait alors sur la poignée sans trop réfléchir et ouvrait promptement aux agents, écartait les bras et déclarait triomphalement :

― Me voici, je suis là !

Après ce qu'il avait entendu dans le récepteur et le souvenir de ce sang encore frais écoulé entre ces doigts, il était effectivement prêt à enfin défier cette justice puérile des hommes. Elle était bien en deçà de la volonté d'Allah qui l'avait élu, lui, parmi un si grand nombre de fidèles. La gloire était assurée, et cette fois aux yeux de tous et du monde entier. ― Allah ak-bar !

La porte grande ouverte, les deux policiers calmement posés dans leurs godasses en cuir de leur tenue la plus officielle, se regardaient quelques instants d'un air interrogatif sur le palier, les mains suspendues par le pouce dans le ceinturon épais. Puis, de concert, ils retournaient leur face vers l'homme qui les défiait.

Ils voyaient en face d'eux un type schlinguant de façon honteuse, les deux bras écartés, en sous-vêtement mal retenu. Les bras étaient aussi frêles que les jambes étaient cagneuses, légèrement pliées et tendues comme si Abir prenait son élan pour bondir et accueillir ses futurs geôliers, ou en position de s'assoir sur le trône. Tout dépendait de quel coté du slip on regardait. Un sourire juvénile notoire sous la barbe peu soignée soulignait une joie immense. Ses yeux brillants étaient interrogatifs !

Les hommes, sans prononcer un mot, faisaient signe à Abir de reculer. Ils entraient dans la chambre. À part le lit, le téléviseur, une petite table et une chaise, rien ne les surprenait à par cette odeur acre et faisandée. La Djellaba était posée sur le sol de façon peu respectueuse, ce qu'ils indiquaient à l'occupant qui se précipitait, puis ils ressortaient sans plus de cérémonie, ni parole. Déçu d'aussi peu d'intérêt qu'on portait à sa personne, son histoire, sa vie de héros. Il était fortement désappointé.

Ce qu'il vivait et ressentait depuis quelques minutes le dépassait totalement. C'était une joie intense, comme jamais il n'avait eu, la déclaration à la télévision... Il était bouleversé et s'asseyait, songeur, sur le rebord du lit alors que les flics, déjà loin, battaient en retraite sur une porte fermée aussi tristement qu'elle n'avait été ouverte avec allégresse.

― Que voulaient-ils ? S'interrogea Abir.

Il ne comprenait pas. Quelques instants plus tôt, il était vêtu de sa djellaba devant l'homme du récepteur, ensuite il était en slip face aux policiers.

Ce n'était tout de même pas sous le seul effet du haschich que lui revenaient tous ces moments ensanglantés et délicats qui avaient fondé son existence ? La consécration de ses actes criminels ne serait donc jamais acquise ? Ces deux apparitions soudaines et furtives du mollah et des policiers étaient incohérentes. Ses meurtres de mécréants étaient du pur génie ! Il ne pouvait pas qu'être le seul à le croire ! Quelque chose n'allait pas.

Abir se recouchait à l'exact emplacement où il était, toujours suant. Il tentait de reconstituer les faits de ces dernières heures tandis que le programme de télévision était redevenu tout à fait normal depuis le passage des policiers. Le journal confirmait le meurtre d'un homme de type européen. Ceci éveillait aussitôt son attention, mais ce n'était pas un enfant, ni situé dans le souk, ni dans la même ville ! Le commentateur précisait que l'auteur ou les auteurs du crime n'avaient pas encore étaient trouvés. Ceci le réconforta. Peut-être confondait-il et inversait ses propres assassinats et mélangeait les visages de ses victimes. Après tout, c'est le nombre qui comptait. Il vouait à chacun de ses abattages le rôle d'une pierre précieuse sur une couronne lumineuse d'une majesté. Peu importe l'ordre des brillants pourvu qu'ils scintillent et que ça en jette !

Abir était un rustique, mais pas sans sentiments. Malgré le fond sonore du poste et du brouhaha du souk qui lui parvenait par la fenêtre ciselée en moucharabiehs, il aimait la poésie, sans savoir exactement à quelle rhétorique elle se référait. Celle qui lui venait à l'esprit au sujet du dernier crime qu'il croyait avoir commis sur le garçonnet sonnait juste à son oreille : L'ange déchu.

Le journaliste commentait l'acte, d'une extrême brutalité. Abir désapprouvait. Ce qu'il avait fait était beau. Son cœur se gonflait de nostalgie.

Comment pouvait-il ne pas être confondu avec le portrait dressé par le commentateur ? Sa posture tant naïve devant les policiers avait été sa faiblesse. Son geste d'espoir en leur encontre lui avait enlevé toute crédibilité. C'était sans doute ce qui les avait détournés si vite de l'objet qu'ils espéraient trouver, pensait-il. Pourquoi n'avait-il pas avoué alors ?

Déconcerté par sa maladresse, il comprenait avec discernement que l'arrivée des agents l'avait en fait sorti de sa torpeur et du rêve quant à l'apparition du « Tout-Puissant » sur l'écran. Il ne s'était rien produit de cela. Nulle tête de mollah n'avait traversé le téléviseur. Sa djellaba n'avait pas bougé depuis qu'il s'était allongé, et sa presque nudité devant les représentants de l'ordre n'avait pu que leur assurer qu'il n'était qu'un voyageur, éreinté par la lourdeur du climat. Rien de plus. Simple contrôle de routine dont il n'avait pas su saisir l'opportunité. Le temps n'était pas encore venu de son ascension vers le paradis des bienfaiteurs. Tout simplement. Pourtant, on était à Bagdad ! Pas n'importe où ! Merde !

Le sang chaud des porcs infidèles avait coulé entre ses mains. À de multiples reprises. Seule cette image était nette et certaine pour lui, au point qu'il pouvait en faire la pierre fondatrice de son édifice, son antre et sa miséricorde. Les autres préceptes qu'Allah lui envoyait, dont il se foutait éperdument, la prière à l'appel du muezzin par exemple, étaient largement compensés par ses assassinats nombreux. Pourquoi alors n'avait-il pas encore été démasqué au moins par la faiblesse de la pratique de sa foi ? Ces congénères le fréquentaient quotidiennement, il croisait des vivants, ne serait-ce que dans ses allées et venues banales le reste du temps.
.../...
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Exo de l'été : Abir, ou la main gauche Empty Exo de l'été : Abir, ou la main gauche (III)

Message  Eugène Bricot Jeu 1 Sep 2011 - 8:14

...Suite II et fin.

Il était énervé et, pour se calmer, il se remémorait le « petit dernier » assassinat, comme il l’appelait. L'ange déchu. C'était une merveille de son ingéniosité et de sa force. Même s'il doutait, vu le journal télévisé, qu'il l'eût effectué un jour plus tôt, ou une semaine.
Aucune importance.

Le petit gamin, qu'il avait l'habitude de croiser aux coins des ruelles étriquées du souk, revenait de l'école des expatriés. Il marchait toujours d'un pas rapide et supportait bien à la fois son sac lourd d'écolier et le soleil ardent à cette heure. Sa casquette à l'européenne vissée sur le crâne, il était pressé de retourner chez lui.

Abir, se hissa par-dessus les tentures établies entre les étals des marchands, non loin de la pharmacie « El Amal ». Comme le môme regardait constamment le bout de ses pompes et que son couvre-chef l'empêchait de voir au-dessus du niveau de son front, Abir se laissa chuter, pieds en premier, sur les épaules de sa proie. Le gamin fut cloué au sol par le poids d'Abir. Là, sa main gauche, toujours prompte à réagir, se glissa au fond de la petite gorge étroite et arracha la langue d'un coup sec. Les cordes vocales, envahies rapidement par le sang, ne purent émettre aucun son. Le visage du gosse était déjà déformé par la vision de cet éberlué qui lui tombait dessus, mais avec la langue en moins, c'était pire ! De grosses bulles rosacées se formaient à travers les lèvres ensanglantées. Les unes après les autres, elles se décollaient de la bouche qui tentait d'articuler machinalement. Elles virevoltaient à quelques mètres dans la torpeur de ce milieu de journée, puis explosaient, splatch, gonflées par la chaleur.

Sur chaque globe translucide qui s'élevait, teinté de rouge sang, était inscrit un mot de désespoir du garçonnet. Mais, comme sur toutes les bulles, les mots perdaient leur sens en glissant par dessus les étals. Les caractères déformés, dérapaient, se mélangeaient. Ils tournaient et les mots de la victime se confondaient aux pensées de l'assassin. Abir, lui, trouvait que cela ressemblait à une BD. Pour un illettré, c'était la seule chose qu'il avait réussi à comprendre lors de son enfance trop courte. Les messages bedonnants envoyés au hasard des courants d'air, n’arrivèrent pas à destination d'un éventuel sauveur qui passerait par là. Les bulles s’échouèrent l'une après l'autre avec le bruit d'une petite explosion étouffée puis formaient sur le sol une tache insignifiante parsemée de terreur. Le mioche sourit alors, du moins c'est ce qu'Abir crut. Il plongea alors son regard perçant dans les yeux de sa proie, ceux-ci virèrent à la stupéfaction et la douleur quand l'enfant comprit, avant de devenir totalement blancs pour se fermer enfin dans un évanouissement salvateur.

Abir dégagea le sac à dos rapidement, car inutile, mais en faisant cela dans la confusion une bretelle s'était entortillée avec le bras gauche du gamin. Comme il se méfiait toujours de ce qui arrivait de sa gauche, avec l’expérience qu'il avait de sa propre main gauche, il ne se fendit pas de précautions. Assis de tout son poids sur le corps qui était devenu mou, il tira de toutes ses forces et le bras s'en suivit, tout naturellement. En entier. Sriiiitch ! Quelle camelote ! Il devait faire vite, la ruelle ne serait pas longtemps déserte. Dans le sac à dos, il entassa le membre désarticulé et la langue, comme une grosse limace écrasée. Il prit le môme comme un paquet, par-dessous sa tunique et s'enfuit.

À cet instant il revenait à l'actualité de son univers plus immédiat et s'extirpait de son réconfortant souvenir, le commentateur télé reprenait ses explications sur un autre fait divers non moins glorieux de la cité.

― HA ! S'exclama Abir. Cette fois, c'est de moi qu'il s'agit ! C'est de mon ange déchu !

Il n'en était rien après un long moment d'énumérations banales de la vie ordinaire où il n'était question que de bombes et d'attaques des Américains auxquelles Abir ne comprenait rien. Le commentateur terminait par la rubrique des personnes disparues et recherchées devant laquelle Abir restait songeur :

― L'homme d'une quarantaine d'années du nom d'Abir Soufifr est sollicité pour rejoindre rapidement ses compagnons. Termina enfin le journaliste.

― Mais c'est de moi qu'il s'agit ! C'est MOI Abir Soufifr ! Pourquoi ne parle-t-il pas du petit blondinet ? Quel mécréant ! Même à la télévision d’État !

Abir sentait son esprit las et épuisé subitement.

― Mes compagnons.... ? Songea-t-il.

Un instant passait, il se rassit sur le bord du matelas. Le souvenir furtif de personnages au pas lent dans des couloirs rectilignes revenait de façon floue et éphémère dans l'esprit d'Abir. Il y avait aussi des pièces calfeutrées, des infirmiers. Oui, c'était ça, le tout paraissait vaguement prendre la forme d'un hôpital dans son âme désordonnée. Il commençait à sentir sa tête vaciller. Mais ce n'étaient pas ses compagnons ! Et puis, il se portait comme un charme. Que faire dans un hôpital ? Seul son crâne lui jouait des tours de temps à autre, comme cette histoire du mollah apparu dans le téléviseur, qu'il mettait sur le compte de ses rêves. Mais les meurtres !? Ils ne pouvaient être que le fruit de son imaginaire ?

Ses vrais compagnons ne seraient alors pas ses exécutés ?

Abir tremblait et doutait, sa tête était maintenant douloureuse. Son regard se tournait à nouveau vers le poste avec une moue dubitative, et l'air contrit d'un enfant que l'on aurait pris la main dans le sac.

Une fois la liste des disparus-recherchés énumérée, le commentateur insistait plus particulièrement sur le cas d'Abir. Il passa l'antenne à un reporter qui se trouvait à proximité du souk où l'hôtel se situait. Au milieu de la foule, une dame d'un certain âge était devant l'objectif d'une caméra, micro tremblant dans sa main marquée par le henné. Dans un brouhaha nocturne de passants et de gamins qui faisaient les pitres en arrière-plan.

― Mon chéri. Abir. C'est ta maman. Je sais que tu n'as rien fait de mal, mais bientôt, comme d'habitude, tu vas encore faire une de tes mauvaises blagues qui fait peur à tout le monde à Bagdad. Tout le monde te connait ici mon fils, mais ce n'est pas le moment en cette période difficile. Tout le monde sait que tu n'es pas méchant et que tu ne tuerais pas une mouche. Mais tu n'as pas tes médicaments avec toi. Souviens-toi, fais un effort mon fils. Reviens vite à la maison, sinon la police va encore venir te chercher et je vais encore devoir payer.

C'était bien sa mère qui s'exprimait dans le récepteur, ça, il en était certain, il l'avait déjà vu ! Un visage terni par l'inquiétude et la crainte. La pâleur de ses traits accentuait le vieillissement buriné de la face. La lourdeur des yeux indiquait une femme fatiguée. Elle était à bout d'Abir. Mais qu'elle dise qu'il ne ferait pas de mal à un insecte le choquait beaucoup. Elle allait voir !

Ce qu'il ne comprenait pas, était pourquoi elle parlait de la police. Elle était déjà passée ici même ! Et pour l'intérêt qu'elle lui avait montré, il trouvait l'argument de sa mère idiot. Mais c'était toujours le cas.

De nouveau, des coups forts et secs résonnèrent à la porte de la chambre d'Abir. Il sursautait. C'était eux ! La porte s'ouvrait sans qu'il l'eût autorisé. Abir se précipitait immédiatement dans le sens opposé, en direction de la fenêtre.

Au dessus du souk surpeuplé de Bagdad à cette heure de relative tiédeur nocturne, les volets d'une fenêtre située au troisième étage s’étaient ouverts subitement. Campé sur son rebord, un kamikaze tout de noir vêtu prit son élan du bâtiment qui surplombait la place bondée. Dans un vol plané majestueux, il se projeta au-dessus de la masse des innocents venus se ravitailler en scandant ALLLLAAAAHHH AKBBBBB… qu’il n’eut pas le temps de terminer alors qu’il atteignait le sol et qu'allait avoir lieu l'explosion. Du moins, c’est ce que tout le monde croyait dans un affolement général ou chacun fuyait à toute jambe la détonation redoutée, vociférant des incantations aléatoires.

Rien ne se produisait. Mais la frayeur causée par cet énorme oiseau noir dans sa djellaba flottante dans les airs mis un moment à s’apaiser. Une sorte de pressentiment calmait toutefois les plus âgés. Il se confortait rapidement tandis qu'il n'y eut aucune déflagration. C'était Abir. Abir le demeuré ! L’ensemble des chalands et de leurs acheteurs était figé sur place, momifiée, hébété… tant il y avait de ridicule perçu dans cette situation, trop souvent redoutée par ceux qui en étaient ressortis dans d'autres circonstances plus cruelles. Les anciens, en connaisseurs, calmèrent vite les passants. Abir n'était pas méchant, mais fatiguait tout le monde à Bagdad avec ses conneries !

Il avait atterri dans une charrette à ciel ouvert qui contenait essentiellement de beaux légumes charnus. La tête la première plantée dans les aubergines, il remuait bras et pieds et secouait son visage barbu décoré de couleurs violacées, comme un cheval s’ébroue.

C'est aussi la scène que virent en direct tous les téléspectateurs, malgré les pâles lueurs du soir, tandis que la mère d'Abir continuait à être interviewée.

Un rire gigantesque et délirant échappait de la face hilare d'Abir, accompagné d'un pet tout aussi sonore.





Rappel des contraintes :


Format : +ou- 25 000 signes, espaces comprises.
Sujet : il est seul dans une chambre d’hôtel. Dehors la nuit tombe dans une chaleur étouffante. Il songe à un moment heureux de sa vie tandis qu’une émission télévisuelle relate un fait divers.
Contraintes :
• Texte à l’imparfait
• Narration à la troisième personne du singulier
• Une phrase doit être un poncif, ou lieu commun ou un cliché d’une rare banalité.
• Présence de dialogues obligatoire
• Le texte fini sur une note positive

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Message  Invité Jeu 1 Sep 2011 - 8:21

T'es encore sous le coup de l'Aïd, toi !

J'attends la suite pour commenter globalement.

Juste un détail : t'as des problèmes avec le possessif ses que tu transformes en démonstratif : ces

Invité
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Message  Eugène Bricot Jeu 1 Sep 2011 - 8:25

C'est parce que je suis....possédé !! Souvent cela m'arrive, comme il y aura d'autres coquilles, surtout quand je change une partie de la phrase... et oublie de vérifier le reste. Piètre excuse.
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Message  bertrand-môgendre Jeu 1 Sep 2011 - 11:59

Un récit hors du commun. Mi-figue, mi-raisin, je reste sur ma faim, sans discerner le pourquoi du comment.
Voilà un homme bien conscient des réalités de la vie décrites au début du récit, chambre d'hôtel, moustiques écrasés (excellente description des moustiques écrasés contre les murs), capable d'attribuer des signes de qualité aux chambres d'hôtel et qui tout à coup décide de sauter de la fenêtre du troisième étage, tête la première dans une charrette de légumes. Je souligne, bien maladroitement, le sens du réalisme et de l'idiotie pur jus de ton personnage.
Je crois comprendre le rapprochement voulu entre les "bombes humaines" et l'individu malade, mais la scène des deux policiers me laisse perplexe.

Ce que je retiens c'est : ...Il vérifiait aussitôt la présence éventuelle d'un stock ancien. Ces trois insectes lui paraissaient des alpinistes en position délicate de bivouac forcé sur la face verticale d'un sommet inconnu.
et puis ça : ... Mais, comme sur toutes les bulles, les mots perdaient leur sens en glissant par dessus les étals. Les caractères déformés, dérapaient, se mélangeaient. Ils tournaient et les mots de la victime se confondaient aux pensées de l'assassin....
Par contre le bras arraché est difficile à croire, car il faut tout de même être d'une force exceptionnelle pour réaliser l'opération. Or ton bonhomme se présente ainsi : ...Les bras étaient aussi frêles que les jambes étaient cagneuses,.

L'exercice imposé est vraiment bien réalisé puisque tu as respecté les consignes demandées. De ce côté là, bravo.
Tu parviens à planter un décor incroyablement vivant, contenant à la fois la chaleur, la couleur et l'accent du pays. C'est bon ça.
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Message  Charles Jeu 1 Sep 2011 - 13:15

J'aime le style, la manière de raconter. Tu as un vrai talent pour faire visualiser les scènes au lecteur.

Après, sur l'histoire elle-même, je suis comme Bertrand, perplexe également.

pas vraiment vu où tu voulais en venir ...
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Message  Invité Jeu 1 Sep 2011 - 16:17

C'est vivant, oui, même si c'est mort.

deux choses :

1)
Mon chéri. Abir. C'est ta maman. Je sais que tu n'as rien fait de mal, mais bientôt, comme d'habitude, tu vas encore faire une de tes mauvaises blagues qui fait peur à tout le monde à Bagdad.
qui font peur, je ne sais pas pourquoi, mais c'est politiquement plus correct.

2) Je m'associe au réserves des camarades. J'accuse. J'accuse la mère de tenir la clef et de s'en servir comme brosse à dent alors que c'est une clef. Je ne pense pas qu'une mère musulmane puisse couvrir les crimes de son rejeton en les appelant des blagues pour ensuite le faire libérer au bakshish. Y'a un caillou dans le halwa, sauf le respect, que je vous dois.

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Message  Eugène Bricot Jeu 1 Sep 2011 - 18:20

Merci de vos réactions.

Je vais un peu "lacher" mon écran pour quelques jours (ça repose les yeux après ces derniers jours non stop) et pour un exam en anglais que je dois passer fissa ! youpi !
Je lirai vos textes à mon retour et surtout les imprimer, car je préfère. J'en peux plus de mon écran. Je vous ferai part de mon avis.
Seulement 3 participants à "l'éxo de l'été"... ! Plus personne n'aime les devoirs de vacances ??

Tssss, tssss.
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Message  Jean Lê Mer 7 Sep 2011 - 8:18

Notes : il nageait ; entrejambe ; ses meurtres de mécréant (plutôt au singulier) ; qu'elle avait été ouverte ; il ne pouvait être le seul à le croire ; redoutée par ceux qui s'en étaient ressortis dans d'autres circonstances plus cruelles (lourd à simplifier).
Eugène, on se laisse prendre à ce texte qui mêle habilement une observation réaliste d'entomologiste (les moustiques) au délire gore de ce schizophrène d'Abir échappé de l'asile sans ses médocs. Politiquement incorrect, ça va sans dire. Bien aimé.
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Message  Eugène Bricot Jeu 8 Sep 2011 - 8:18

pandaworks a écrit:C'est vivant, oui, même si c'est mort.

Si tu repasses par là Pandaworks, est-ce que tu peux préciser ??
Moi, pas compris.
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Message  Invité Lun 12 Sep 2011 - 15:04

je ne sais plus désolé, je work beaucoup et pandate pas beaucoup en ce moment.
Parlais-je de la situation en Irak ? probablement.

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Message  Eugène Bricot Mar 27 Sep 2011 - 7:49

Jean Lê a écrit: au délire gore de ce schizophrène d'Abir échappé de l'asile sans ses médocs.

Bien vu Jean Lê ! Il semble en effet que parfois la forme ait perturbé le fond de l'histoire, pourtant bien simple.
Principalement en cause, la consigne de l'imparfait ne peut être respectée partout. Elle alourdie certains passages qui ne peuvent être qu'au passé simple. J'ai donc refait une nouvelle version en corrigeant, de plus, les coquilles. Merci à toi.
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