Fantasmes

Un poème qui date du printemps.



Fantasmes


Lorsque la conscience sous l'encre de la plume
Tisse sur les feuillets quelques vers d'horizon
Quelques voiles furtifs aux canevas profonds
Aux teintes du soir et aux mauves des brumes

Lorsque l'imaginaire et les phrases gorgées
De l'Ailleurs qui scintille sur le velours d'un ciel
Dont les bleus se mêlent dans le lin du pinceau
Sont projetés enfin des mains du forcené

Lorsque les mots s'ouvrent et libèrent la vie
Qui palpite tout au fond de l'artiste endormi
Par les nuits alanguies dans le lit de l'Ennui
Et dont l'écho puissant s'éparpillent en vains bris

Lorsque ces mots s'ouvrent et accouchent d'orgies
Trop longtemps retenues par des lèvres pincées
Qui ne trouvent aux plaisirs que les tons de la suie
Et qui n'ont de la vie que le miroir brisé

Lorsque les fins tableaux de pays esquissés
Entre les doigts tâchés d'un peintre émerveillé
Par l'œuvre qui éclot au sein de sa pensée
Se chargent de détails et d'éclats irisés

Lorsque les nuances lentement se déploient
Jusqu'en Arizona ou en Massachusetts
Et que naissent sous moi les envies du poète
Puis qu'aux couleurs vives se mêlent mon émoi

Je glace mes paupières dans leur fuite immobile
J'emprisonne en moi l'instant doux de la trêve
Je referme mes doigts sur la toile tranquille
Et je m'envole au loin sous le glacis du rêve.

Si tu as vraiment 16 ans, je te tire mon chapeau, tu maîtrises parfaitement les mots ! Bon s'il fallait chipoter un peu, je dirais que c'est un peu parnassien mais ça ne va pas durer tu verras. Je suis étonné, vraiment, encore bravo !

Marine, j'ai pas le temps, là, mais j'ai plein de choses à te dire !

Rimbaudelaire : Merci de ton commentaire ; et oui, j'ai vraiment seize ans. J'ai pas mal travaillé ce poème, et pour cela, personnellement, je n'arrive pas à l'aimer, car je trouve que j'ai perdu dans le travail des mots leur spontanéité ; je préfère, à la limite, d'autres poèmes, qui font plus "mots les uns à la suite des autres" mais dans lesquels j'ai mis plus de vie, plus de ma propre vérité ; je n'arrive pas encore à faire un compromis entre mettre un minimum de retouche, de travail et de correction dans mes écrits par respect pour le lecteur, par volonté d'être plus compréhensible, et le désir de garder toute la vérité de mes premiers mots, de ceux qui sont apparus en premier, et qui me semblent, du coup, plus proches de la réalité. C'est ce qui me trouble dans le travail de l'écriture et notamment en poésie : je me dis que tous les grands auteurs qu'on lit en poésie ont dû retravailler leurs écrits, mais je conçois d'une d'autre part comme une frustration de ne pouvoir laisser le premier jet, qui est pourtant le seul à exprimer réellement ce que l'on voulait exprimer au départ ; ici, par exemple, j'ai travaillé le poème pour que le rythme soit plus agréable, pour mieux respecter la métrique (même si certains vers ne sont pas véritables alexandrins), mais j'ai perdu, du coup, la justesse de mes mots premiers ; je me demandais ce que tu pensais, j'aurais besoin d'avis, à ce sujet, de poètes plus expérimentés, confrontés eux aussi à ce problème, pour savoir quoi en penser.

Coline : Ah ? Hâte de savoir quoi, dans ce cas, quand tu auras le temps ! (même si ce sont des critiques négatives !)

Je te commenterai plus tard en prose, où je trouve que tu écris vraiment bien et qu'il y a déjà chez toi un sens de la formulation, des images, du dosage, de la narration etc etc, bref plein de qualités.

Par contre ici, je ne suis pas très convaincue, j'aime assez les deux vers qui mèlent "orgies" et "lèvres pincées...", je trouve ça visuel, et assez proche de l'idée de mots qui sortent type logorrhée, de l'ordre de la nausée, qu'on ne peut retenir.

En fait ce qui me dérange surtout dans ce texte ce sont les nombreux lieux communs, les échos, la nuit, l'horizon, les lits, l'Ailleurs, alanguis, la vie libérée du fond de l'artiste endormi, le peintre émerveillé, la toile, les rêves etc...
Et tous ces termes assez convenus sont encore en plus prisonniers d'une forme régulière et de la rime, qui fait qu'on reste dans quelque chose de très lisse du début à la fin.

Et je ne sais pas, des termes comme "l'imaginaire" ici, ça me semble étrange, parce que c'est un mot fourre-tout, et ça me fait l'effet d'expliquer un processus, type comment fonctionne un artiste quand il crée, au lieu de l'évoquer, je ne sais pas, par un détail, quelque chose de plus personnel, un ensemble de sensations. Qui ne seront pas juste nommées mais plutôt données à ressentir...
Je ne sais pas si je suis très claire !

En fait je suis toujours un peu sceptique vis à vis de la création qui parle de la création, l'art de l'art, etc, je trouve très dur de s'en sortir sur ce terrain là. C'est possible je crois, de façon plus implicite et subtile, mais ici ça ne me parait pas la bonne manière.

Bon je me permets de pinailler pas mal, quand je vois tes qualités d'écriture en prose et juste le potentiel dingue que tu as à ton âge, je me dis que je peux être exigeante aussi en poésie :0)

Je commente négativement le poème, car le procédé "Lorsque" suivi d'une chute 6 fois attendue (six strophes) me semble trop convenu. De plus "lorsque" est un mot qui a pour mon oreille une très vilaine sonorité. Toutefois, a 16 ans, tu fais déjà ton effet ! C'est scolaire, mais il y a du potentiel, comme disent les marchands de biens (rire).

Marine a écrit:j'ai vraiment seize ans.

A 16 ans, tu fais déjà ton effet !

Marine a écrit:J'ai pas mal travaillé ce poème, et pour cela, personnellement, je n'arrive pas à l'aimer, car je trouve que j'ai perdu dans le travail des mots leur spontanéité

C'est la bonne question. Sans être un maître expérimenté es poésie (loin de là !), je peux te faire part d'une mienne réflexion qui pourrait peut-être t'aider. Écrire de la poésie n'est pas si loin —à mon avis— de la pratique d'un instrument de musique. Il y a le travail d'une part, et l'expression de l'autre. Sur ce sujet—qui oppose si fort les partisans de la musique classique et ceux des musiques improvisées—je te citerai seulement un mot d'un virtuose fantastique du jazz, Birelli Lagrenne, qui affirme sans plaisanter : "je n'ai pas le temps de travailler, je joue sans arrêt". Je ne sais pas si je t'aide en disant ça, mais au moins j'essaye.

Marine a écrit:par respect pour le lecteur

L'irrespect est une bien meilleure école. C'est dans cette cour que jouent les grands.

(Ah mais j'aime beaucoup ta réponse Narbah!)

Merci beaucoup Lyra ; je ne peux qu'approuver tout ce que tu as dis ; j'essaierai de poster, un jour, ici, un poème où l'expression est moins bridée, les sentiments plus expressifs ; celui-ci, en fait, manque de vie, il est "scolaire" ;
Merci Narbah ; ta citation, sans totalement m'éclairer, car je crois que le sujet est en fait assez intime, issu de ressentis personnels, m'aide à un peu mieux comprendre ce compromis à faire

ça se boit comme du petit lait....J'ai beaucoup aimé le style de ton écriture, et le "flux" des mots! J'ai trouvé ça sensuel, imagé et entraînant...Bref chapeau mamzelle

elodie

Marine a écrit:Rimbaudelaire : Merci de ton commentaire ; et oui, j'ai vraiment seize ans. J'ai pas mal travaillé ce poème, et pour cela, personnellement, je n'arrive pas à l'aimer, car je trouve que j'ai perdu dans le travail des mots leur spontanéité ; je préfère, à la limite, d'autres poèmes, qui font plus "mots les uns à la suite des autres" mais dans lesquels j'ai mis plus de vie, plus de ma propre vérité ; je n'arrive pas encore à faire un compromis entre mettre un minimum de retouche, de travail et de correction dans mes écrits par respect pour le lecteur, par volonté d'être plus compréhensible, et le désir de garder toute la vérité de mes premiers mots, de ceux qui sont apparus en premier, et qui me semblent, du coup, plus proches de la réalité. C'est ce qui me trouble dans le travail de l'écriture et notamment en poésie : je me dis que tous les grands auteurs qu'on lit en poésie ont dû retravailler leurs écrits, mais je conçois d'une d'autre part comme une frustration de ne pouvoir laisser le premier jet, qui est pourtant le seul à exprimer réellement ce que l'on voulait exprimer au départ ; ici, par exemple, j'ai travaillé le poème pour que le rythme soit plus agréable, pour mieux respecter la métrique (même si certains vers ne sont pas véritables alexandrins), mais j'ai perdu, du coup, la justesse de mes mots premiers ; je me demandais ce que tu pensais, j'aurais besoin d'avis, à ce sujet, de poètes plus expérimentés, confrontés eux aussi à ce problème, pour savoir quoi en penser.

Alors moi si ça peut te rassurer, le 1er jet je ne connais pas ; je travaille et retravaille mes poèmes jusqu'à la rupture d'anévrisme. Je ne sais pas faire autrement, c'est comme un toc. Mais bon, 1er jet ou dernier jet, je pars toujours avec cette idée précise : éviter les lieux communs. J'ai toujours cette phrase en tête de Gainsbourg : "Je prends les chemins vicinaux. Je n’irais jamais sur les routes nationales. On n’y rencontre que des platanes."

Et pour te citer, "Jusqu'en Arizona ou en Massachusetts", C'est quand mieux que : "Jusqu'en Auvergne ou en Bretagne"

Pour moi c'est un joli vers qui contraste avec le reste de ton poème un peu trop lolitesque. Mais ta maîtrise des mots me persuade que te laisser te noyer dans l'eau de rose serait de la non-assistance à personne en danger ! Déchaîne-toi, sois originale, deviens folle, mets au pilori les mots comme "alangui", " émerveillé", "émoi", etc ... en un mot : INVENTE.

Sinon Marine, je ne suis pas experte non plus mais,
Je crois que ça dépend des textes. Parfois il y a un premier jet spontané et on se dit "ah oui, c'est ça !". Il se suffit à lui même ainsi, dans cette simplicité du premier moment, si je le retravaille ça va devenir artificiel. L'ennui c'est que la plupart du temps on ne le sent pas sur le moment, on ne sait pas si c'est suffisant/insuffisant comme ça.

(Parfois au contraire, j'ai tendance à fonctionner comme Rimbaudelaire, jusqu'à ce que mort s'en suive :0))

Pour l'instant, une des solutions que j'ai trouvé pour y voir plus clair, pour ce type de textes entre-deux spontanéité vs travail, c'est d'écrire un, deux cinq textes par exemple sur une courte période. De les laisser au stade premier jet. De les laisse dormir deux trois mois dans le tiroir (ou même six...), puis je réouvre le tiroir (enfin word). Je relis et en général les choses qui ne vont pas du tout sautent aux yeux, vu qu'entre la première version et maintenant tu as vécu, vu des choses, lu, écrit d'autres trucs, et donc assimilé des choses, alors avec le recul tu vois bien plus vite ce qui cloche. Là tu peux les reprendre ou au contraire te dire "ah non, ça, ça va, si aujourd'hui il me semble que ça fonctionne encore, c'est que sans doute il ne vaut mieux pas y toucher."

Bon, après il faut trouver une solution qui te convienne. Tu peux aussi proposer les deux versions dans le même fil, ça te/nous permet de les comparer, voir où la spontanéité te va mieux, ou au contraire où elle te dessert et te fais tomber dans les lieux communs etc...

En fait on peut retravailler des mois et des mois les détails d'un même texte, ce qui est difficile, c'est de faire en sorte que ça ne donne pas une impression de "labeur", mais une apparente facilité, spontanéité, que ça se lise comme une évidence.

Bravo à toi, tout d'abord, pour t'être lancée dans de l'Alexandrin, et même... rien que compter les pieds, à 16 ans, peu de poètes le font !
Le poème est assez agréable à lire, mais c'est vrai qu'on sent que justement cette métrique te... bloque un peu.
Peut-être que je me trompe, mais par exemple, dans le vers : "Qui palpite tout au fond de l'artiste endormi", On a l'impression qu'il te... manquait un pied et que tu as rajouté le "tout", pour "combler les trous".
Ce n'est pas une reproche, je l'ai beaucoup fait aussi, je te rassure

Si je peux essayer de te donner un conseil...
Lis le poème de Verlaine "Art poétique", comprends le, et suis ses indications si tu préfères la spontanéité.
Je pense aussi que l'alexandrin n'est pas forcément le format idéal. On se retrouve bien vite pris au piège de ces phrases qui n'en finissent plus, à toujours vouloir retomber sur nos pas, etc. Il laisse peu de place à la musique, et au rythme.
Mon conseil pour toi : Essaye d'écrire plus court, et en impair. Des vers de 7 pieds, voir même 5, si tu veux faire quelque chose de percutant, de rythmique, de plus détaché.
Tu pourras peut-être laisser plus libre court à ton imagination, et avoir moins de remords quand à la taille de tes phrases, et à quand les couper ou non.
Mais ce n'est que mon avis, de très jeune poète, et certainement peu expérimenté .
Continue en tout cas, tu as du talent !