Noir et Blanc

[MisterPlan]

Enfin. C’est mon tour, c’est à moi d’entrer, c’est la porte qui s’ouvre, et c’est sur l’angoisse qu’elle débouche.
Une belle salle, à vrai dire. Grande, lumineuse, un «je-ne-sais-quoi» de simplicité, mais surtout, parfaite. Pas de courants d’air, pas de bruit, pas d’odeur, pas d’ombres, juste assez chaude, juste assez remplie. Au premier rang, cinq personnes regardent le piano. Seulement cinq. la centaine d’autres sièges dans leur dos sont vides.

Ils ne se tournent pas. Ils ne me disent pas bonjour. Ils se fichent royalement de savoir qui je suis. Ils veulent avant tout savoir ce que je suis. En ce qui me concerne, j’ai un léger aperçu de ce qui m’attend. Un homme relativement jeune, malgré ses cheveux blancs. Mal coiffé, mauvais choix de couleurs dans son habillement, des lunettes qui ne sont plus à la mode depuis... dix ans ? Un artiste, c’est sûr. Lui il se fiche de savoir que mes chaussures sont bien cirées, il ne remarquera même pas que la boucle de ma ceinture est assortie à la couleur de ma cravate. Lui, il veut m’entendre, et seulement m’entendre, il ne va pas écouter le petit concert d’hypocrisie que joue ma tenue.
Ce n’est certainement pas le cas de l’homme sur sa gauche. Carré, tant dans sa morphologie que dans son apparence. Lui, je l’ai déjà convaincu. Lui, il a remarqué avant tous les autres que j’avais des boutons de manchette.
La femme âgée sur sa gauche aiguise un crayon qui n’en est pas à son premier combat. Une redoutable feuille lui sert de bouclier, et elle n’est certainement pas du genre à être impressionnée par un jeu technique. Chaque petit défaut sera noté, voilà ce que veut dire ce visage fermé.
À côté d’elle, un homme noire. Un chapeau marron sur la tête, il ne lui manque qu’un beau cigare et nous aurions pu le confondre avec Scott Joplin... «Désolé mon frère, pas de jazz pour aujourd’hui.»
Ultime rempart avant le vide de la salle, une femme. Frêle, à l’apparence malade. Au regard qu’elle me lance, je comprend que j’ai affaire à une écorchée vif. Dans ce regard, toutes les souffrances affective qu’une âme peut ressentir dans une vie. Dans ce regard, un encouragement à être persuasif.
Face à eux, en face de moi, une personne. Non, un meuble, peut-être ? Insulte. Une sorte de machine de guerre qui sait faire ressurgir du plus profond de l’abîme de votre âme une foule de sentiment que l’on n’aime pourtant pas exprimer en public, une caisse noire qui cache un trésor dorée, une boîte qui saura crier tout ce que l’on ne sait pas dire. Un piano.
Je m’installe. Inutile de dire bonjour, inutile de me présenter, cela n’intéresse personne ici.

Un accord. L’expression même de toute la misère humaine. Une vague de force venant percuter le clavier, qui n’a d’autres choix que de débuter par un cri de désespoir, le mineur à son état le plus pur. Avec ce son, c’est tout mon être qui disparaît. Je n’ai plus de problèmes, plus de stress, seulement un objectif : être.
Une lueur d’espoir au fond de mon âme, mes doigts s’élèvent légèrement vers des endroits plus lumineux, mais non... Aucune espoir pour cette humanité qui doit retourner dans son lisier infâme.
Deuxième accord. Différent du premier. Celui-ci avait besoin de quelque chose qui le précède. Il a besoin d’un héritier. Voilà toute une famille de tourmente qui arrive. C’est Œdipe, qui voit débarquer ses filles et son tyran, ce sont mes doigts qui se lancent dans une danse implacable, avec la force du destin. Chaque fois que je laisse entrevoir un brin d’espoir, je prend le soin de le détruire pour revenir sans cesse à ce même endroit : un accord, un début, une mesquinerie, une torture une fin ?
Enfin. Après une introduction suicidaire, une graine tombe dans la tourmente. Une petite note toute fragile qui vient déranger cette belle cacophonie ignoble. Mais elle s’accroche, elle persiste. Chacun de mes doigts la ponctionnent tour à tour, et elle finit par ressortir clairement, comme un cristal emplie d’une lumière pure au beau milieu de la nuit la plus noire. La petite graine a pris racine. C’est un germe que l’on voit maintenant apparaître, et c’est finalement tout le tableau qui se métamorphose. Une goute d’eau, une petite pointe de couleur a fait basculer cet océan de tristesse en un léger ruisseau rieur.
Le majeur s’est imposé. Ma main droite explore habilement le clavier pendant que ma gauche tente de la raisonner, frappant chaque temps et chaque mesure pour avoir été trop joyeux... D’arpèges en ornements, plus personne ne pense à ce qui avait précédé. Et personne n’imagine qu’une mélodie aussi pure, aussi parfaite, puisse un jour prendre fin. Nous voici tous les six perdus dans une contemplation sans sortie, et moi-même, acteur d’un jeu que je ne contrôle plus, aspiré dans un torrent d’une magnifique simplicité, hypnotisé par mes propres doigts qui se plient et s’écartent dans des positions sans cesse plus expertes. «Tout ça pour ça ?», voilà ce à quoi nous avons tous pensé à cet instant. Tant de technicité pour une mélodie aussi simple ? Lesquels de nos yeux ou de nos oreilles nous jouent des tours ?
Stop. Une note vient nous déranger. Stop. Elle se répète, mais, non, pas maintenant... Encore un peu de rêve, oublions cette petite note, ce n’est qu’une erreur de ma part. Elle n’a pas sa place ici... Vraiment, ne l’écoutez pas. Mais pourquoi ces même arpèges sonnent-ils maintenant différent. Où est passée cette magie ?

STOP. Le compositeur n’en peut plus. Cette beauté là lui donne envie de vomir. Lui qui est déjà mort depuis bien longtemps arrive encore à nous arracher à nos rêves, à nous rappeler que sa réalité n’est pas ici.
Un accord, sombre, coléreux, fou. Une lueur d’espoir, quelques petites notes qui font espérer ma main droite, mais je sais très bien que sur ces feuilles que j’ai apprise par coeur, une petite annotation suit cette espoir. M.S. Main Sinistre, la main gauche, qui vient happer cette lueur. Nouvel accord. Celui-ci n’a besoin de personne, il flotte dans l’atmosphère. Rien.
Je m’entends respirer pour la première fois. Une respiration aussi sereine que celle d’une bête pourchassée.
Une caresse, un adieu, mes doigts effleurent le clavier avec regret, toutes ces choses que nous ne nous sommes pas dites...
Et au moment où tout semblait terminer, un accord, un dernier, violent. Mes dernières portions d’humanités sont emportées avec lui. L’atmosphère est suspendu, mes doigts refusent de quitter ce beau clavier, quelques sons persistent encore et toujours. Mais c’est trop tard, car déjà, plus rien. Le vide a repris sa place.
Mes problèmes reviennent et je me souviens que je suis en concours. Une boule au ventre se fait de nouveau sentir. Je suis épuisé.
Inutile de saluer, je pense qu’ils comprendront qu’un sourire n’est pas d’à-propos.

< Bonjour,
Un petit passage, même court, par ICI serait de bon aloi.
Bienvenue sur VOS ECRITS
La Modération >
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[Invité]

Dommage que les fautes viennent gâcher cette prose très vivante et imagée.
J'avoue qu'à un moment la description du jeu devient un peu longuette, mais à peine parce que c'est une façon de faire partager au lecteur l'enthousiasme du pianiste, de l'entraîner, de l'immerger dans son univers, où il oublie ce qui l'entoure.
Maintenant, j'ai quand même préféré le début, j'ai cru justement, à travers la description des personnages, me retrouver dans La Pianiste, plus encore avec : "Ultime rempart avant le vide de la salle, une femme. Frêle, à l’apparence malade. Au regard qu’elle me lance, je comprend que j’ai affaire à une écorchée vif. Dans ce regard, toutes les souffrances affective qu’une âme peut ressentir dans une vie. Dans ce regard, un encouragement à être persuasif. "
Et bravo pour "Lui, il veut m’entendre, et seulement m’entendre, il ne va pas écouter le petit concert d’hypocrisie que joue ma tenue. "

[Invité]

Un beau texte, qui nous entraîne dans les méandres de ce que ressent le narrateur avec beaucoup d'acuité, même si comme Easter, j'ai trouvé un tout petit peu long le développement du jeu.
Bienvenue ici !

[Invité]

J'ai oublié : le titre est très bien trouvé !

[MisterPlan]

Merci pour vos commentaires constructifs ! Je suis impardonnable pour les fautes ! J'ai la manie de ne pas me relire...
Quelques precisions... J'avais en effet legerement en tete limage du pianiste sur la description de la salle, et pour la femme, l'episode de la shoa trottait aussi dans ma tete ( je pensais a la description d'Antigone dans la reecriture de Jean Anouihl)... Elle correspond dans la realité a Anne Quéfélec, tres grande artiste, s'il en est.
Quant a lhomme que tu as remarquer et qui est loin detre dupe, cest aussi une vraie personne : mon prof de piano. jespere quil ne lira pas ca, il pourrait ne pas apprécier la description de ses lunettes !

En tous cas, merci de vos commentaires !

[MisterPlan]

Deuxieme petite precision : c vrai que le texte est un peu long. je me suis forcé a developper un peu plus et jaurais du me calmer ! Au moment ou je trouvais ca vraiment trop long, jai utilisé le STOP, qui venait a la fois du pianiste, du narrateur, du compositeur et de lauteur. Inutile aussi de se compliquer la tache avec un salut sur lequel on pourrait ecrire tout un roman !

Pour le titre, plusieurs degres, comme je les aime ! 1) touches noires et blanches. 2) la noire rythmique et la blanche ( 2tps). 3) Cette chanson contre le racisme dont jai zappé le nom mais qui dit " pour Debussy, il faut deux noires pour faire une blanche".

Encore une fois, merci pour vos commentaires !

[MisterPlan]

Désolé pour les fautes et langages SMS, j'écrivais depuis mon mobile...


< MisterPlan, il est d'usage ici d'attendre plus d'un ou deux commentaires avant de réagir. Ceci afin d'éviter de faire remonter ou maintenir votre texte en haut de page au détriment des textes des autres auteurs.
Prière donc de regrouper vos réponses ou bien intervenir quand vous le voulez ICI en mentionnant le titre du texte en question.
Merci de votre compréhension.
La Modération >
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[midnightrambler]

Bonsoir,

Un texte très intéressant, j'ai beaucoup aimé l'utilisation d'un vocabulaire ordinaire et simple pour décrire un monde de sentiments qui m'a été rendu abordable bien qu'il me soit tout à fait étranger.
La forme mérite d'être un peu plus soignée ... évite le langage SMS, même dans les réponses ou les commentaires !

Amicalement,
midnightrambler

[Carmen P.]

Le STOP est venu à point nommé !

J'aime ce genre de description... ce regard objectif sur cette "mise en scène" nécessaire... et l'absorption par la musique jusqu'à "la" note, celle qui ramène à la conscience de la situation et où l'on voit que dès ce retour du contrôle, le lâcher prise n'est plus possible.

Une belle écriture, dont j'apprécie la limpidité.

[Invité]

La partie description du jeu ... c'est celle qui m'a le plus retenue. Sûrement la relirai-je. Ces accords, ces notes qui s'envolent, ces hésitations... ces aveux sur soi par ce jeu qui parle et dévoile. Mon enthousiasme vient peut-être du fait que je joue du piano. J'ai souri, j'ai souffert quand la partition se corsait. Pour un peu, j'aurais cherché de quel morceau il s'agissait. Ces deux accords au début ...

Les différentes personnalités du jury... très bien.

Petits écueils à la lecture : quelques fautes.

ps : alex est-il absent ? occupé ailleurs ?



Alex est présentement occupé par ses études.
Il reprendra ses fonctions de correcteur bénévole dès que possible.
Voir ICI.
La Modération
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[Invité]

Bonjour. J'ai trouvé ça assez intéressant. J'ai aimé ce contraste entre le formalisme, l'anonymat du début, écrite de manière très simple, faussement neutre, et très efficace - avec une très belle phrase sur la dernière femme- et l'excès d'émotion, de sentiment du reste. Je n'ai pas du tout trouvé ça long, par contre, j'ai trouvé que ça tournait court. J'aurais aimé que tout cela nous mène quelque part, une histoire, ou à défaut, une chute.

[Invité]

J'ai trouvé ce texte très beau, intéressant et d'une juste longueur.
Beau style, écriture imagée, mais les fautes d'orthographe gâchent beaucoup le plaisir de lecture. Que c'est dommage !
La chanson dont tu as zappé le nom s'appelle LILY et elle est de mon ami Pierrot ( Pierre Perret )
A te relire avec plaisir.

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