La nuit

[roro]

De nouveau c'est le soir. Je m'y attendais, je le savais, il allait tomber d'un moment à l'autre, je regadais ma montre avec une inquiétude grandissante... Au fur et à mesure que la lumière déclinait, j'ouvrais mes rideaux pour compenser. Mais cet instant tant redouté a fini par arriver, la lumière a disparu d'un coup, m'obligeant à actionner l'interrupteur de la chambre. Et soudain je t'ai vue.

Tu gisais, Ray, comme un naufragé. Au milieu de la pièce, sur cet immense lit rouge.

Le soir, toujours ce soir, implacable et froid, lourd comme une plaque de marbre. Il revient de manière inlassable, à la même heure, de manière quotidienne, le soir ne se trompe jamais de jour, jamais d'endroit, il retrouve mon coeur et m'accable, où que je sois. Il me souffle des mots, il joue avec les rideaux, un jeu d'ombres, de clair-obscur, mystérieux, impénétrable

Les meubles sont habités par des objets, les meubles craquent dans le silence de la chambre, notre chambre. Le lit est rouge sang, un lit énorme planté au milieu de la pièce, tu y reposes en paix, Ray, tes cheveux bouclent plus que d'habitude, je suis inquiète. Tes cheveux sont mouillés, la sueur les a collés contre ton front, encore une bataille dans le creux de tes méninges. Quels crimes commets-tu, quels châtiments vas-tu encore devoir endurer. Je pose ma main sur ton front ; il est brûlant. Je voudrais aussi déposer des plantes médicinales, je voudrais guérir cette torpeur, je voudrais te réveiller, te porter, t'amener loin de cette chambre, loin de ce rouge, loin de cette tiédeur, loin de cette ville qui se meurt dans l'indifférence la plus totale. Avoir des ailes, faire un miracle, une seule fois dans sa vie, redonner le sourire à ma Ray qui meurt un peu plus chaque jour. Tu émets des sons à présents, tes lèvres remuent, tu crisses des dents. Je dépose un baiser, Ray, pourvu qu'il te sauve. Mes baisers sont tous pour toi, Ray, ils sont d'un nombre infini, ils volent vers toi comme des papillons multicolores. Alors j'allume la lampe, la seule qui me reste de notre vie passée. Je la dépose contre le lit, elle éclaire ton corps, comme une actrice sur scène. Ta peau brune se détache tout d'un coup et tu m'apparais dans toute ta splendeur, sous cette lumière artificielle, toi, si naturelle, si agitée, on dirait un naufrage, ta figure me plaît. Que j'aime te contempler, avec ce qui me reste de toi, je me contente de cela, des morceaux de vie, des membres qui gisent dans un lit. Je l'ai préparé pour toi, j'ai toujours voulu t'avoir rien qu'à moi, j'avais peur des bruits, j'avais peur des autres, de leurs sourires, de leur convoitise, ils te recherchaient, ils t'aimaient, Ray, j'étais l'ombre, j'étais ton ombre, je n'étais rien. J'ai eu peur que tu m'éclipses, j'ai eu peur que quelque chose vienne nous séparer, que tu t'enfuies avec un des acteurs, un des , que sais-je... Je sais. Ma faute. Je la connais, Ray. La lumière ne peut être captée, cloisonnée, les rayons de soleil ne peuvent être confinés. Je t'ai attirée à moi pour te garder. Je n'avais pas compris, Ray, le secret de ta beauté. Je t'ai transformée en statue de sel, ma beauté. Tu es bonne pour les musées à présent que je t'ai tuée. Je suis désolée. Désolée, Ray.

Ce soir nous oubliera. Il faut qu'il nous oublie. Que cet oeil terrible cesse de nous voir, que cette main vengeresse se pose autre part.

Le Styx, Ray, avec toi est une rivière douce. Je te le dis à présent que tu dors, avec un semblant de sourire, les cheveux mouillés de sueur, les yeux éteints d'avoir trop pleuré. Je te vois, les rides commencent à apparaître, avec inquiétude je les observe.

[elea]

Je n’ai pas bien compris, je ne sais pas, au final, de quoi il s’agit. Mais j’ai aimé me laisser emmener dans une atmosphère étrange, dans une sorte de cri ressenti, de la détresse, bien décrite, assez sobrement pour me laisser une place en tant que lectrice, émouvant.

[Invité]

Oui, on ne sait qu'en penser, une ou deux pistes s'offrent timidement. Ce n'est pas désagréable, c'est insaisissable, intrigant, déroutant aussi. Par exemple, Ray est pour moi indubitablement un prénom masculin (Raymond) alors qu'ici il renvoie à un personnage féminin dont on ne sait d'ailleurs pas qui elle est, ni dans quel état elle est vraiment...
Peut-être s'agit-il d'un extrait d'un texte plus long ?
En tout cas, quelque chose d'assez intense, un mystère dérangeant ...

[Titia_____]

J’adore, mais alors vraiment j’adore l’idée, l’idée du secret de la lumière (de la vie) qui animait la femme, qui faisait sa beauté, qu’il a voulu garder rien que pour lui mais qui s’est éteinte avec elle. L’idée de "l’erreur", et du châtiment de l‘assassin amoureux.
C’est ni trop opaque ni trop dévoilé, on se laisse porter et le sens se fait jour peu à peu (on notera mon super jeu de mots ), on comprend alors la peur du noir, l’aversion pour la lumière artificielle etc.
J’aime aussi le style, et le ton. Un ton lyrique mais pas trop, du coup on évite de tomber dans le mélo emphatique et pesant.
Sinon, deux remarques :
« ils volent vers toi comme des papillons multicolores », je trouve ça trop cliché et trop gnian gnian.
La répétition : « Comme un naufragé » et un peu plus loin « on dirait un naufrage ».

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