Oups

[Phoenamandre]

Les voix d’homme se bousculent, les rires, les cris, en folie, la chaleur, l’alcool, le choc des sexes. Je regarde. Je regarde parce que mon verre n’a plus de fond, l’alcool se noie dans mon chagrin, j’en oublie de boire.
J’ai mal à la tête, j’ai dû me cogner.
Là-bas, il y a ces jeunes qui jouent à passer le bon temps, ici les plus vieux, détruits par ce jeu, il me reste ma conscience, il me semble.
Mais où l’ai-je mise ?
Rangée avec le reste : son absence, on s’en accommode et rationnellement on s’en fout, je boirai à la santé de l’abus. À la santé de celui qui a bu, boira encore, celui qui abuse de ce qui lui fait du bien.
J’entends flou, la musique est trop forte. C’est pas grave, je ne connais personne. Les gens se dandinent, se trémoussent, mais les spots crachotent, m’aveuglent, je vois le son, ça me donne le tournis. Au ralenti. Je finis mon verre et on me demande de payer, c’est vraiment cher pour juste un verre !
Alors pour protester, je titube. Ils ont les bras musclés dans les bars. Ça fait mal, je suis dehors mais il fait chaud et froid. Je regarde mes pieds qui avancent depuis des heures, j’ai pas bougé pourtant. J’entends toujours la musique. Je vois toujours les spots. Ils sont bleus cette fois.
« Bonjour monsieur, me dit un type. »
« Non mais, je vais bien, j’habite là. »
Ils me prennent par le bras, m’entraînent avec eux, me demandent de garder le silence.
J’ai jamais été capable de garder quoi que ce soit.
Paraîtrait que j’ai tué ma femme.
J’ai pas tout compris.

[Invité]

Ah, pas mal, ce petit instantané. Efficace, ramassé, lapidaire. La synesthésie a par endroits quelque chose de convenu (j'aime bien « j'entends flou » ; j'aime moins « je vois le son ») mais dans l'ensemble, j'ai été emporté par la vivacité du récit et ses quelques trouvailles, discrètes (« J’ai jamais été capable de garder quoi que ce soit »). Sympa.

[Invité]

Encore une chose :

« Bonjour monsieur, me dit un type. »
« Non mais, je vais bien, j’habite là. »

Plutôt que d'employer ces guillemets, autant user de tirets cadratins (« — », alt 0151). La précision « me dit un type » ne peut pas, par ailleurs, être encadrée par ces signes typo.

[Invité]

Il me semble que ce qui pourrait clocher dans ce texte ce sont les remarques, les commentaires in petto du narrateur, bien trop lucides et rationnels, trop clairement énoncés et formulés en fait, pour quelqu’un à la conscience altérée.
La fin est bien, la dernière réplique aussi (« Non mais, je vais bien, j’habite là. »)

[Lucy]

Bon, ça ne va pas être bien original, mais j'ai apprécié ce petit texte.

[Janis]

J'ai bien apprécié aussi, avec quelques réserves concernant les commentaires in petto, comme dit easter, qui commentent un peu trop, surtout au début.

Là où je préfère (français ?) c'est à partir de j'entends le flou, où je suis embarquée (comme lui !), jusqu'à la fin.
La petite musique de ton écriture est toujours aussi plaisante.

[Rebecca]

Un bon texte avec de vrais petits plaisirs d'expression
"l’alcool se noie dans mon chagrin"
"Ils me prennent par le bras, m’entraînent avec eux, me demandent de garder le silence.
J’ai jamais été capable de garder quoi que ce soit."
Et la chute, impeccable.

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