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Loiseau se lâche pour courir

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laconis
Louis
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Gobu
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Loiseau se lâche pour courir Empty Loiseau se lâche pour courir

Message  Gobu Jeu 10 Jan 2013 - 23:20

LOISEAU SE LACHE POUR COURIR



- Alors beau blond, on cherche l’âme sœur ?

Malgré l’éclairage crépusculaire, on remarquait sans peine que la dadame avait plus d’heures de vol au compteur qu’une catastrophe aérienne. Et qu’elle était passée au travers seulement par miracle. Non sans séquelles.

- Non M’dame. Je cherche sa petite-fille.
- Pédé !

Ce qui était pour le moins injuste. Mais Loiseau n’est pas un volatile rancunier.

- En l’attendant, je peux quand même vous offrir un verre.
- Si tu me prends par les sentiments, beau blond…Double scotch, pour moi, Tony.

Le Tony en question avait déjà dégainé le pur malt de 15 ans d’âge. Y a pas de petits profits, surtout à trente Euros la mesure. Deux par année de fût, bonjour l’inflation. Mais bon, quand c’est la crise, c’est la crise. Heureusement, le nouveau client de notre Loiseau de proie ne semblait pas homme à chipoter sur les notes de frais. Sur le reste non plus, d’ailleurs, à en juger par le velouté du cachemire de son manteau et le tonnage de sa Piaget en platine.

Il avait fait irruption au domicile du détective à neuf plombes du mat’, une heure où ce dernier n’avait même pas fini le litre de robusta et le fagot de Chesterfield qui lui tenaient lieu de breakfast. Mais ç’était le genre de type devant qui les portes s’ouvrent toutes seules. Il avait l’air pressé, de mauvais poil et sûr de lui. Riche, quoi. Ca n’était pas pour déplaire à Loiseau. En fait, y avait un bail qu’un pigeon de cet acabit ne s’était pas posé dans sa volière. Celui-là, fallait se le mijoter aux petits oignons.

- Une bonne tasse de café, monsieur…euh…
- Muraine…avec un « a » et un « i », s’il vous plaît, Marcel Muraine, des Chantiers Muraine, et non j’en veux pas de votre goudron. Par contre si vous aviez quelque chose de plus raide, ce serait pas de refus.
- Ben, il doit me rester un fond de calva. C’est pas du hors d’âge, mais il vient directement de chez mon cousin producteur de pommes à cidre dans le Pays de Caux. Traçabilité garantie.
- Faites péter la pomme et me faites pas perdre mon temps. Marcel Muraine n’a PAS le temps. C’est sa devise.

Loiseau avait à peine apporté la bouteille que le type l’avait cramponnée pour la vider dans son verre, qu’il lampa cul sec.

- Pas mauvais, votre tord-boyaux. Ca ferait des trous dans mon meilleur béton, mais Marcel Muraine a le gosier ignifugé. Bon, venons en au fait. Faut que vous me retrouviez cette poulette.

Il avait balancé sur la table une photo grand format représentant une mignonne en blouson de cuir bien rempli, au regard vert plus salace qu’un congrès de babouins.

- Votre fille, Monsieur Muraine ? Ou votre jeune épouse ?
- Dites pas de conneries, Loiseau. Voyez bien qu’elle est trop jeune pour être ma fille et trop canon pour être ma femme. Chez les Muraine, on épouse du pognon, et c’est rare qu’il ait des yeux comme ça. Et je vous cause pas du reste !

Un charmant garçon. Mais au-delà d’un certain nombre de millions, Loiseau aurait trouvé du charme à une feuille d’impôts. A condition que ça soit pas la sienne, naturellement.

- Une heu…amie, alors ?
- Ma gonzesse, oui ! J’abrège. Elle est sortie de chez elle avant-hier soir pour boire un verre, personne l’a revue depuis. Et son portable est aux abonnés absents.
- Vous avez averti la police ?
- Foutez de moi, Loiseau ? Et pourquoi pas les médias, tant que vous y êtes ? Voulez que tout le monde apprenne avec qui Muraine trompe le pognon de sa femme ?
- Votre femme n’était pas au courant ?
- Ma femme, elle s’en tamponne comme de sa première blenno, de mes coucheries. A condition que ça reste entre nous. Sinon, divorce et adios pesetas. De toutes façons, la môme est majeure. De justesse, mais majeure. Alors les flics, ils me répondraient que dans un an et un jour, elle appartiendra à celui qui l’a trouvée. Non, Loiseau, faut que vous preniez ça en main et que vous retrouviez sa trace fissa…
- Et si elle veut pas revenir ?
- Ca c’est mon problème. Retrouvez-là et je me charge du reste. Si j’ai fait appel à vous, c’est parce qu’on m’a dit que vous étiez pas spécialement futé, mais plus tenace qu’un bouledogue. Dans le bâtiment on apprécie les gars qui lâchent pas l’affaire. Contactez-moi dès que vous aurez du neuf, je vous ai laissé mon numéro perso.

Avant de repartir encore plus vite qu’il était entré, il avait jeté sur la table un dossier et une grosse enveloppe. Elle contenait une liasse de billets de cent Euros à peine moins dodue qu’un annuaire. Visiblement, c’était pas la crise pour tout le monde. M. Muraine semblait prêt à mettre le paquet pour la récupérer, sa fugueuse. Les affaires reprenaient.

- A quoi tu penses, beau blond ?
- Je pense pas. Je me repose les neurones. Ca fait un bien fou.
- Ben t’es pas très causant, chéri. Enfin tant que tu payes ta chute…Allez remets-moi ça, Tony, Monsieur cause pas, mais y rince.

Loiseau ne pensait pas, mais il n’en restait pas moins sur le qui-vive. Ce qu’une jeunesse aussi bien gaulée pouvait venir maquiller dans ce rade lugubre, il n’en avait pas la moindre idée, mais le dossier du promoteur avait été formel. La dernière personne à l’avoir vue affirmait qu’elle fréquentait régulièrement l’endroit. Le Gypsy Bar se trouvait dans une rue étroite derrière la Place Blanche, mais ce n’était pas un bar à entraîneuses, comme la plupart des établissements du quartier. Plutôt un point de chute pour fleurs du pavé ayant largement dépassé la date de préemption, venues faire une pause entre deux sessions de trottoir. A part la rombière scotchomane du comptoir, il n’y avait au fond de la salle que deux types aussi mutiques que renfrognés, et un couple de touristes japonais sans doute en quête de sensations fortes, à qui le Tony du comptoir fourguait sans vergogne tournées sur tournées de mousseux de bazar au prix du Dom Pérignon. Ca leur ferait des souvenirs émus à se raconter sur le futon, entre deux tsunamis. Loiseau n’espérait pas tomber sur la fille à sa première visite, on ne voit ça que dans les polars de série Z, mais il n’avait pas d’autre piste. Pour le reste, l'existence de la môme était la transparence même. Avant de se mettre à la colle avec Muraine, elle vivait tout simplement chez ses parents et se préparait avec sérénité à rater son bac pour la deuxième fois. Ils avaient fait connaissance aux sports d’hiver, à Courchevel où l’homme de la pierre taillée avait conservé pour lui la plus belle caverne d’un luxueux complexe résidentiel bâti par son entreprise. Comment le vieux requin avait-il coincé la jeune ablette entre ses mâchoires, mystère. Le dossier restait pudiquement muet sur ce sujet. Toujours est-il qu’à peine un mois après, elle abandonnait le domicile familial pour poser ses pénates et son derrière que Loiseau supposait digne du devant dans un charmant pied-à-terre du quartier de l’Opéra, aux frais de la princesse naturellement. Depuis, son amant remplissait le frigo, payait l’essence du cabriolet qu’il lui avait offert, la couvrait de babioles tendance, la régalait à de bonnes tables discrètes et se remboursait en nature sur la bête aussi souvent qu’il lui en prenait l’envie. Bien sûr, le dossier n’était pas aussi explicite sur ce dernier point, mais Loiseau n’était pas un poussin de la dernière couvée. Une histoire tout ce qu’il y a de plus classique, au fond, sauf que le coupe-gorge sordide où il se trouvait ne cadrait pas du tout dans le tableau.

- Bon c’est pas le tout, mais faut que je retourne à la mine, moi. Salut, beau blond, ç’a été un plaisir de babiller avec toi. Si tu repasses dans le quartier, hésite pas à demander après moi. Mon vrai blaze, c’est Germaine, mais tout le monde m’appelle Rita la Sulfatée. Ciao la compagnie.

A peine fut-elle sortie que Loiseau fit de même. Après tout, elle avait peut-être quelques tuyaux à lui refiler. Il n’avait aucune envie de se griller dès le premier soir en fourrant son nez tous azimuts, mais celle-ci, en y mettant le prix, saurait sans doute la boucler. Lorsqu’il parvint sur le trottoir, deux lascars en pardessus voyants traversèrent la rue pour se poster face à lui, tandis que le barman et les deux sympas du fond surgissaient dans son dos pour fermer le cercle de l’amitié.

- Dites, monsieur, c’est pas bien de s’en aller sans payer ses consommations.

Loiseau était certain d’avoir largement réglé sa douloureuse, mais faire cracher le cochon de payant au bassinet deux fois devait faire partie des usages commerciaux de la maison. C’est la crise, on ne le répétera jamais assez. Il n’aimait guère se laisser plumer sans rechigner, mais ils étaient cinq, et son nouvel employeur ne lui accorderait certainement pas quinze jours de congés dommages corporels. Il se retourna vers le barman, la main dans la poche de l’imper pour y pêcher son larfeuille. Après tout, Muraine n’était pas à ça près.

- C’est toi qui dis que j’ai pas payé ?
- Ah mais j’ai rien dit, moi !

Et sans demander son reste, il fila à l’intérieur. La main toujours dans la poche, Loiseau promena un regard circulaire sur le restant de la troupe, mais tout le monde semblait avoir oublié qu’il était un mauvais payeur et suivit le même chemin que le barman. Il valait mieux filer avant qu’ils reprennent leurs esprits et se rappliquent avec l’artillerie lourde. Il remonta la rue d’une traite jusqu’à la Place Blanche, bien décidé à choper le premier tacot venu, quand une voix le héla.

- Alors, beau blond, on a le feu aux miches ?
- Non, M’dame. C’est mon médecin qui me recommande de faire un petit jogging tous les soirs avant de me zoner.
- C’est égal, j’ai tout vu. T’es pas très bavard, mais t’as pas laissé tes balloches au vestiaire. Ces mecs-là sont pas des rigolos. Enfin c’est sûr qu’avec la pogne sur le calibre, on peut se permettre de causer haut.

Si elle aussi le croyait enfouraillé, autant ne pas la détromper.

- Dans ce quartier, vaut mieux sortir couvert.
- A qui le dis-tu, beau blond ! Je me tue à le dire à mes clients.
- A propos de client, j’aimerais bien vous acheter une petite heure de votre temps.
- Ben dis donc, tu caches bien ton jeu, toi ! Suffit de demander : c’est 100 Euros pour le touriste, 50 pour le miché local, mais pour un brave comme toi, je suis prête à descendre à 30. A moins, avec les frais, j’y suis de ma poche.
- Pas question de vous flanquer dans le rouge, M’dame. Voilà déjà 100. Et y en aura 100 de plus si je sors satisfait.
- Ca, mon loulou, à ce tarif-là, t’auras droit au grand jeu.
- On verra ça. Bon, on va à l’hôtel, ou quoi ?
- Tu rigoles ! L’hôtel, ça te bouffe toute la marge, et en plus, à moins d’aller au Ritz, t’as plus de chance de trouver une compagnie de cafards dans ton pieu qu’un prince charmant. Suis-moi dans mon petit nid d’amour, tu seras pas déçu du voyage.

Docilement, Loiseau lui emboîta le pas. Le nid d’amour de Rita perchait au dernier étage d’un vieil immeuble de la Rue Lepic dont le rez-de-chaussée était occupé par un marchand de primeurs. Généralement, ces habitations avaient été ravalées, remaquillées à grands frais, et fourguées à prix d’or à des bobos en quête de pittoresque, mais là, le porche et l’escalier sentaient encore bon le vieux Paris canaille d’avant-guerre. Il n’y manquait pas même le fumet du miroton émanant de la loge de la concierge. L’ascenseur, un authentique Roux & Combaluzier Haute Epoque, ahanait comme il se doit avec des grincements peu rassurants.

- Vous êtes sûre qu’elle va pas nous lâcher en cours d’ascension, cette antiquité ?
- T’inquiètes, beau blond. Il est comme moi, cet ascenseur. Pas mal de bornes au compteur, mais la mécanique tourne pile-poil.

Le nid d’amour se révéla un charmant deux pièces décoré avec une touchante bonne volonté. Ce n’étaient que poufs en peau de zèbre synthétique, chromos montmartrois et peluches jetées au hasard sur le canapé ou les meubles. Quant à la chambre à coucher, à part un grand lit recouvert d’une fausse fourrure de tigre, elle ne présentait que des posters de vedettes des années 60.

- Qu’est-ce tu veux, beau blond, on se remet jamais de ses amours de jeunesse.
- Dites donc, M’dame, ça doit vous manger tout le bénéfice, ce palace, au prix où sont les loyers dans le secteur.
- T’y es pas, blondinet. Rita la Sulfateuse crèche pas chez les autres. Ce truc-là, c’est p’être pas Versailles, mais c’est à moi. Je l’ai acheté dans les années 70, quand j’étais jeune et belle et les prix abordables. Alors pour me déloger, faudra les forceps. Bon c’est pas le tout, mais le compteur tourne. On prend un drink pour commencer ou on se met tout de suite au turbin ?

Curieusement, à la lumière tamisée de l’appartement, elle paraissait moins vieille et plus avenante que dans la pénombre blafarde du bar. Dans sa jeunesse, ç’avait dû être un sacré morceau, et ses jambes gainées de soie crème avaient conservé tout leur galbe.

- Servez-moi quelque chose. On est pas pressé, non ?
- Je vais te dire, beau blond, tu commences à me plaire. Tu sais quoi ? Je vais faire péter une roteuse. Après tout, au diable l’avarice !

Une kitchenette occupait le coin du living. Tout était rangé tip-top et respirait la propreté. La dadame avait beau être une traînée, c’était loin d’être une souillon. Et le champagne qu’elle tira du frigo ne venait certainement pas de la supérette du coin.

- Mazette, du Laurent Perrier Cuvée Grand siècle. Madame a la papille princière.
- J’en propose pas à tous mes clients, tu penses !

Après qu’elle eût rempli les flûtes – en cristal de Murano, s’il vous plaît – ils trinquèrent sans façon. Toujours ça de pris, crise ou pas crise.

- Ca vous dérangerait, pour le même prix, naturellement, si on discutait au lieu de s’allonger ?
- Ca dépend de quoi, beau blond…dis donc dis donc, tu serais pas de la maison poulaga, des fois ? C’est bien ma veine, tiens ! Pour une fois que je tombe sur un miché qui me botte, faut que ça soye un lardu. Là je te préviens tout de suite, beau blond, Rita la Sulfatée, elle est réglo sur toute la ligne. Pas de came, pas de maladies, pas d’embrouilles, et je verse ma cotisation tous les mois aux bonnes œuvres du commissariat du quartier. Alors si t’as l’intention de me faire pousser le grand air du III, tu repasseras.
- No stress, M’dame. Je suis pas flic. Et je n’ai aucune intention de vous faire chanter. J’ai juste besoin de quelques tuyaux.
- T’es quoi, si t’es pas flic ? Journaleux ?
- Non M’dame. J’sus Privé. Comme Sherlock Holmes. Ou Nestor Burma, si ça vous dit quelque chose.
- Tu me prends pour une demeurée ? Léo Malet, il a créché juste au-dessus de chez mes vieux, rue Gabriel Péri, dans le 14ème, et mon dabe connaissait tous ses bouquins par cœur ! Bon, t’aboules tes questions et après tu gicles. Et t’oublies pas mon petit cadeau… chéri.

La lune de miel venait brusquement de tourner vinaigre. C’est pas tous les jours facile de faire le privé, surtout quand on trimballe un cœur de midinette, même sous un plumage de vautour. Mais bon, le boulot, c’est le boulot.

- C’est pas compliqué, M’dame. Je recherche une nana qu’a disparu de la circulation. Paraît qu’elle fréquente le charmant salon de thé où on s’est rencontrés.
- T’as une photo ?
- Loiseau connaît son métier.
- Ah pasqu’en plus tu t’appelles Loiseau ! On est pas aidés ! Fais montrer la photo.

Avant de la regarder, elle chaussa d’énormes lunettes à monture d’écaille aux verres plus épais que des hublots.

- Ben ouais, j’ai besoin de lunettes pour y voir de près. Je les mets pas au taf because la pute à besicles c’est pas mon emploi, mais dans le privé, je vais pas me gêner. Affirmatif. Je l’ai déjà vue, ta môme. Elle passait toujours vers la même heure, entre cinq et six heures de l’aprème.
- Tous les jours ?
- Ca je peux pas te dire. Le Gypsy c’est quand même pas ma résidence secondaire. J’y vais de temps à autre pour recharger les accus entre deux passes, point à la ligne. Et puis j’aime pas trop les habitués. Tony, le barman, ça va encore, mais les autres, les minables que t’as rembarrés, c’est vermine et compagnie.
- Des malfrats ?
- Tu rigoles ? Des demi-sels, oui. Des sales petits macs qui passent leurs journées à picoler et jouer la comptée de leurs gagneuses au pok et qui les dérouillent la nuit pour se venger d’avoir perdu.
- Qu’est-ce qu’elle venait fiche dans ce petit paradis ?
- Ah ça j’en sais rien ! Au début, j’ai cru que c’était pour la came. Tony, c’est un gars charitable, y laisserait pas un pauvre junkie en manque. S’il a des ronds, évidemment. Mais c’était pas ça. Je les ai jamais vu magouiller. Et puis elle avait vraiment pas l’air d’une camée. Elle pétait la santé, cette môme. Nan j’crois qu’elle cherchait quelqu’un. Qui ça, mystère et boule de gomme arabique !
- Quand même, elle avait pas froid aux yeux, pour se pointer toute seule dans ce trou à rats.
- Qui t’a dit qu’elle était seule ?

A suivre au prochain épisode...

Gobu

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Message  Polixène Jeu 10 Jan 2013 - 23:45

Du nanan gratos, cool.
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Message  Invité Ven 11 Jan 2013 - 9:29

Ah yes yes yes !
Tu es le roi de la comparaison ("la dadame avait plus d’heures de vol au compteur qu’une catastrophe aérienne", "au regard vert plus salace qu’un congrès de babouins.") et de la gouaille à tous les étages, j'adore !


Remarques :
-pas besoin de majuscule à euro(s)
-T’inquiètes, beau blond. Il est comme moi, cet ascenseur. (impératif)
-Après qu’elle eût (eut) rempli les flûtes (indicatif après "après que")

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Message  Janis Dim 13 Jan 2013 - 12:13



super !
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Message  abstract Dim 13 Jan 2013 - 16:38

Ah c’est du bon ça, du savoureux. Je suis heureuse de retrouver ce cher Loiseau. Juste une grosse déception de devoir attendre la suite.
J’ai souvent un problème avec l’argot, ce n’est pas le cas ici, il est parfaitement distillé et le contexte est suffisamment détaillé pour comprendre.
Et le petit appartement de la dame, on le visualise très bien.




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Message  Louis Lun 14 Jan 2013 - 18:36

Bien aimé ce début de polar, et le personnage du privé goguenard. Un personnage à la Léo Malet ; un drôle d’oiseau qui préfère courir plutôt que voler, mais qui, sans doute, n’hésitera pas à voler dans les plumes de ceux qui feront obstacle à ses enquêtes.
Hâte de lire la suite.

Louis

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Message  Gobu Jeu 24 Jan 2013 - 22:16


.../...

- Avec qui elle était ?
- Ca, mon p’tit Loiseau de malheur, c’est la question à mille balles. Le tarif promo, c’était juste pour que le tapis pleure pas, mais pour voir le jeu, va falloir augmenter la mise.

Un sifflement de déception fusa du bec de Loiseau. Décidément sa cote ne valait plus un kopeck. Avec les maîtres-chanteurs, une seule tactique qui vaille : le mépris. Il se leva en silence, ceintura son trench-coat et jeta un autre billet de cent euros sur la table basse.

- Tenez, M’dame, comme convenu. Je suis un Loiseau de parole, mais ne comptez pas sur moi pour la roucoulade. No souci, je me débrouillerai tout seul. Pas la peine de me raccompagner, je connais le chemin.
- Eeeeeh attends, c’était pour le fun ! On peut toujours essayer, non ?
- Qui c’était, le type avec la môme ?
- C’était pas un type, c’était une gonzesse.
- Et vous savez qui c’est ?
- Ca se pourrait bien. Tu vois que t’as encore besoin de Rita, beau blond. Alors pète un bon coup pour décompresser, rassied-toi et reprend une flûte de champ’. On va pas se quitter sans finir la boutanche, non ?

Finalement, ils se quittèrent, sinon bons amis, tout au moins rabibochés. Dans l’ascenseur, il repensait à ce qu’elle lui avait confié. La fille avec qui la maîtresse de l’entrepreneur s’était pointée au bar était beaucoup plus jeune que Rita. Une russe, prénommée Tatiana. Lorsqu’il lui avait demandé si c’était aussi une pute, elle avait grimacé « Une pute, j’en sais rien, mais une garce, ça sûrement ! » La solidarité féminine n’est plus ce qu’elle était. D’un autre côté, Loiseau comprenait son point de vue. L’arrivée massive sur le marché de la fesse des grandes blondes de l’Est tankées façon Miss Univers avait fait une rude concurrence à l’honnête main d’œuvre autochtone. Non seulement elles cassaient les prix – dans un premier temps – mais elles étaient généralement drivées par des chaperons à côté desquels les terreurs du Gypsy faisaient figure de petits chanteurs à la croix de bois.

- On va où, mon frère ?
- A l’Aigle Impérial, un resto russe. Paraît que c’est derrière l’Etoile.
- Ci tout juste là où t’y dis. Dis donc, mon frère, t’y as les moyens, toi, hamdullilah !
- C’est pas une raison pour me faire banquer le tarif spécial américain.
- Li zaméricains, ci plus ça, mon frère. Maintenant ci li ruskoffs et li chinetoques qu’y z’ont le flouss.
- Ouais, ben moi je suis ni russe ni chinois. J’sus parigot.
- Comme moi, mon frère.
- Exactement, comme toi.

Ca faisait un bail que les taxis parisiens n’étaient plus pilotés par des princes moscovites en rupture de goulag. Le russe new look, désormais, rachetait plutôt des palaces ou des clubs de foot, sifflait les plus grands crus par magnums et agrémentait les trottoirs de poules de luxe. Le détective, qui se tenait régulièrement au parfum de l’actualité gastronomique, avait entendu parler de la nouvelle cantine russe ultra chic qui avait ouvert récemment ses portes au cœur de ce Carré d’Or où se coudoient les plus prestigieuses adresses parisiennes. Comme l’avait écrit avec son lyrisme coutumier Périclès Legros, l’illustre et truculent chroniqueur culinaire de Marie-Jeanne, l’hebdo d’extrême-centre : « L’Aigle Impérial est l’endroit idéal pour casser sa tirelire afin de grignoter le meilleur caviar de Paris – donc du monde – se colmater la soute avec un koulibiac d’anthologie et faire glisser le tout à l’aide d’une vodka à faire sangloter d’émotion un hetman cosaque. Avec modération, cela va sans dire » Hourra ! Loiseau avait cassé sa tirelire depuis longtemps, mais on pouvait toujours casser celle de Muraine, c’était pour la bonne cause, pas vrai ?

Un escalier tapissé de velours pourpre menait à l’entrée de l’hôtel particulier XVIIIème où s’était posé l’Aigle, abrité sous un dais aux armes de la famille impériale. C’était sans doute le hetman cosaque de l’article, de deux mètres de haut, qui s’y tenait, figé dans une posture hiératique, en caftan de soie noire à brandebourgs dorés, calé dans de hautes bottes lustrées comme des miroirs, le chef coiffé d’un shako d’astrakan et la moustache pogromiste. On ne mégotait pas sur la couleur locale.

- Monsieur êtrrre membrrre ?

L’endroit était tellement huppé qu’il fallait montrer patte blanche pour y poser la semelle. Mais Loiseau connaissait la musique tzigane.

- Bien entendu, mon ami, et voici ma carte, rétorqua-t-il en exhibant une forte coupure que le cosaque fit disparaître dans la manche de son vêtement avec une dextérité de magicien, accompagnant son geste d’une courbette de courtisan chevronné.
- Son Excellence êtrrre la bienvenue.

Avec un billet encore plus joufflu, on lui aurait sans doute baillé de l’Altesse. Le hall ne déparait pas l’entrée. Ce n’étaient que gerbes d’orchidées jaillissant de grands pots de cristal ciselé, colonnades de porphyre à godrons, guéridons de bois précieux marqueté, sans oublier une galerie complète de portraits encadrés d’or des derniers Romanoff, qui, comme on sait, avaient assez mal fini. La clientèle, en revanche, avait l’air nettement plus en forme. L’endroit était plein comme un œuf fécondé. Y dénicher une table libre semblait utopique. Tant pis, se dit Loiseau, il pourrait toujours se rabattre sur l’immense comptoir d’acajou face auquel la foule était plus clairsemée. Mais c’était compter sans le sens commercial de la maison. Le russe a un don inné pour les affaires, surtout quand elles sont juteuses. Après qu’une rousse toute en jambes dénudées par une jupette rase-motte l’ait débarrassé de son imperméable, un vieux gentleman en costume croisé à fines rayures, monocle vissé sous un sourcil plus neigeux que la steppe en hiver, vint prendre le relais, dissimulant avec diplomatie sa réprobation envers le veston de tweed à carreaux, le chandail à col roulé et les chaussures en nubuck à triple semelle du détective. Après tout, l’habit ne fait pas toujours le millionnaire.

- A quel nom Monsieur a-t-il réservé ?
- Je crains fort de n’avoir pas pris cette précaution.

Le monocle scintilla de réprobation

- Ah…c’est bien regrettable. Que Monsieur ne se fasse pas de souci. Il n’y a pas de problème qui n’ait sa solution.

Il navigua entre les tables avec noblesse vers un colosse coiffé à la Kojak ou plutôt à la Yul Brinner, vu l’endroit, en smoking et chemise blanche à col rond, qui semblait être le responsable de salle. Celui-ci lui glissa quelques mots et il revint en arborant le sourire radieux de qui s’apprête à vous enfiler sans vaseline.

- Il semblerait qu’une réservation ait été annulée à la dernière minute. Si Monsieur veut bien se donner la peine de me suivre

La table qu’on lui avait attribuée se nichait dans un recoin sombre, entre une petite forêt en pot et la porte par laquelle passaient les plats. On la réservait sans doute au client surnuméraire et d’apparence miteuse. Ce n’était pas pour déranger Loiseau. D’une part il pouvait à loisir observer la salle sans être trop remarqué, d’autre part la gamelle n’y serait pas moins savoureuse. Ni moins onéreuse, constata-t-il en parcourant la carte. Au diable la varice comme le disait si pertinemment la Sulfatée, ce soir c’est le BTP qui régale.

- Monsieur prendra du caviar, pour commencer ?
- Volontiers, mon prince. Le meilleur, et en portion de grande personne.
- Il en sera fait selon les désirs de Monsieur. Et pour la suite, nous prendrons ?
- Je me suis laissé dire le plus grand bien de votre koulibiac de saumon.
- A juste titre, Monsieur. Notre chef a officié plus de trois ans au Kremlin. On dit que le Président Poutine raffolait de sa kasha. Sous le manteau, naturellement. Le Président n’apprécierait pas trop qu’on le traite de mangeur de bouillie.
- On en a fusillé pour moins que ça.
- Je ne le fais pas dire à Monsieur. Dois-je faire mander le sommelier ou Monsieur a-t-il fait son choix ?
- Vodka, naturellement.
- Nous en proposons plus de trente étiquettes, Monsieur.
- Krepkaya strong. La seule qui vaille.
- Monsieur a la chance de posséder un palais de cosaque. Elle titre 56 degrés.
- On s’en contentera.
- Je n’en doute pas, Monsieur. Verre ou bouteille ?
- Bouteille, je ne voudrais pas faire faire trop d’allers-retours au personnel.
- Monsieur a la fibre sociale. C’est de moins en moins tendance.
- Ne vous inquiétez pas, je me soigne.
- Monsieur me rassure.

Il prit congé d’une légère inclinaison du buste. La maison savait choisir son personnel, en tous cas. D’après le critique gastronomique précité, jamais en rade de précisions divertissantes, sous la livrée du distingué maître d’hôtel se dissimulerait un authentique aristocrate russe, descendant d’émigrés de l’époque révolutionnaire. Peut-être son aïeul avait-il même piloté un taxi parisien. En attendant ses œufs de poisson et sa gnôle, Loiseau scrutait la salle. Le service était assuré par de jeunes demoiselles vêtues de façon aussi décontractée que la préposée au vestiaire, l’une plus époustouflante que l’autre. On se serait plutôt cru dans un bobinard de la Belle Epoque que dans un restaurant gastronomique, même si l’un n’empêchait pas l’autre, tout bien réfléchi. A en croire les tuyaux de son informatrice, Tatiana travaillait ici. Le hic, c’est qu’au moins une bonne demi-douzaine de bombasses blondes répondant à l’appellation de sacrée poulette – comme l’avait dépeinte la Sulfatée – s’entrecroisaient entre les tables, les bras empêtrés de plateaux lourdement lestés, en un ballet qui lui collait le tournis autant que la gaule. Il voyait de plus en plus mal quel rapport il pouvait y avoir entre le coupe-gorge fréquenté par la disparue et ce palais des Mille et une Nuits cosaques. Il devait pourtant y en avoir un, sinon pourquoi Mona – c’est ainsi que se prénommait la copine de Muraine – s’y serait-elle fait accompagner par la mystérieuse Tatiana ? Loiseau se frotta les mains : une enquête sans mystère ne vaut pas mieux qu’une cerise sans gâteau.

Il se les frotta derechef lorsque l’une des bombasses les plus affriolantes du lot vint déposer souplement sa commande. Le produit-phare de la maison était présenté dans une coupelle de cristal posée sur la glace pilée, une cloche d’argent dissimulait une pile de blinis brûlants, et, dans deux bols de porcelaine, on proposait oignons finement émincés et crème fraîche épaisse. A vue de nez, on lui avait servi au moins une demi-livre de caviar.

- Le bélouga de Monsieur est servi. Bonne dégustation.

En dépit de ses rentrées en dents de scie – le métier de détective privé ne nourrit pas toujours son homme – Loiseau était loin d’être un néophyte en matière de caviar, principalement grâce à la munificence de sa chérie Wanda, laquelle, cartomancienne et devineresse surbookée, soutirait un max à sa riche clientèle soucieuse de l’avenir des petits de ses millions. Elle raffolait des œufs d’esturgeon, comme d’ailleurs de la truffe, de la langouste, et surtout des huîtres, mets dont le prix constitue en soi un excitant puissant, en plus des propriétés aphrodisiaques qu’on leur prête. Le bélouga qu’on servait à l’Aigle Impérial appartenait incontestablement au nec plus ultra de ceux qu’il avait goûtés, spacibo, gospodine Muraine, et na zdarovié, conclut-il en basculant une lampée de Krepkaya glacée.

C’était bien joli de s’enfiler du caviar premier choix et du koulibiac d’anthologie en dorlotant sa cirrhose au vitriol, mais il était quand même en service commandé. Son employeur fermerait sans doute les yeux sur ses dépassements d’honoraires, à condition qu’il ramène du concret dans sa besace. Il n’avait pas l’air homme à balancer son fric pour du vent et en guise de concret, Fred Loiseau n’avait rien d’autre à se mettre sous le râtelier que cette énigmatique Tatiana qu’il n’avait même pas encore identifiée. Pourtant, son instinct de chasseur lui murmurait qu’il était sur la bonne voie. Pour l’instant il ne tenait que l’extrémité du fil, mais il sentait qu’en tirant dessus avec doigté, la pelote finirait par se dévider. C’était comme un puzzle dont il n’aurait encore que les deux premières pièces, mais qui s’emboîtaient à merveille.

Quand il eut fini de manger, il commanda une pleine cafetière de café fort. Lorsqu’il empruntait ainsi le sentier de la chasse, il ignorait où la traque allait le mener, et jusqu’à quelle heure. Il était décidé à ne pas quitter l’endroit avant d’avoir découvert un indice révélateur. Tandis qu’il sirotait son arabica, les lumières baissèrent brusquement, et au centre de la salle, une plateforme circulaire s’éleva du sol, seulement éclairée par un spot accroché au plafond. Sur la scène se tenait une petite formation composée de trois tziganes en costume folklorique brodé et d’une jeune femme simplement vêtue d’un pantalon noir et d’un chandail bleu électrique. Pourtant à côté d’elle, les taupes modèles de service faisaient figure d’épouvantails fagotés chez Emmaüs. Kojak s’empara du micro pour présenter les artistes.

- Et maintenant, Mesdames et Messieurs, voici enfin clou de la soirrrée. Je vous demande fairre accueil trrriomphal à Trrrio Gorbukov et à merrrveilleuse, incomparrrable perrrle de Kazan, j’ai nommé la sublime Tatiana Alexéiovna.

Une mitraillade d’applaudissements et un immense hourra jailli d’une centaine de gosiers salua l’entrée en scène du clou de la soirée. Mince de clou, songeait Loiseau, s’il s’agit de la Tatiana du Gypsy, alors Madame Rita était odieusement en dessous de la vérité lorsqu’elle avait parlé d’une sacrée poulette. Celle-ci n’avait strictement rien à voir avec les lionnes bodybuildées à la crinière décolorée de la salle. Elle était menue, fine, presque gracile, et ses cheveux dont une frange balayait son haut front blanc étaient d’un blond très chaud qui évoquait le caramel plutôt que l’eau oxygénée. De minuscules taches de rousseur pointillaient son petit nez retroussé, sa bouche d’un rose nacré parlait mille langues et dans l’eau d’aigue-marine de ses yeux immenses on aurait voulu s’immerger jusqu’à l’extase de la noyade. Elle se mouvait avec la grâce ondoyante d’une sirène sans écaille, sans nageoire et sans queue, mais pas sans courbes, par Saint Wladimir ! Et pas sans voix non plus.

Avant qu’ils ne commencent à jouer, Loiseau craignait le pire, le méchant déferlement de tzigâneries façon kazatchok, ponctué de claquements de talons assourdissants, d’envolées de violon grotesquement acrobatiques et de roucoulements dégoulinant de guimauve. Mais dès qu’elle se mit à chanter, un frisson électrisa son échine, et se hérissèrent tous les poils de son corps et se nouèrent ses tripes et s’embuèrent ses prunelles, tant son timbre rauque, comme éraillé d’une autoroute de cigarettes, cassé par dix siècles de bagne, érodé par un océan de peines de cœur, semblait jailli du plus profond de cette âme slave dont nul tyrannie, nulle défaite, nulle misère ne paraît capable de venir à bout. Et point elle ne chantait l’éculé répertoire des orchestres de genre cachetonnant avec ennui pour un public ignare et somnolent, niet niet trois fois niet, mais Vissotsky le magnifique ses larmes de rire ses sanglots d’amour ses jubilatoires colères ses ravissements d’écorché et ses orages de lucidité ruisselants de vodka. « J’ai fais un rêve idiot, il dit que j’ai chanté le chant de la Terre, traversé le miroir enfumé, lâché la Russie, que j’ai dansé sur la corde raide, entonné la chanson de la Russie, fredonné la ballade de l’enfance, braillé à plein poumons la ballade de l’Amour, et bien que je n’aie jamais cru aux mirages, que je me suis élevé vers les cimes en un ultime vol arrêté. Marina Marina Marinotchka pourquoi m’as-tu laissé tout seul m’envoler ? » Et cette procession de titres du beau Vlad formait à elle seule une chanson. Et l’accordéon de donner le souffle à la musique, la guitare de lui imprimer son timbre, le violon de lui faire pousser des ailes. Ces gars-là auraient fait swinger un dortoir de grabataires et sangloter un conseil d’administration. Et chanter juste une chorale de dîneurs attablés. Ca chantait, dans la salle, ça reprenait les refrains, ça tapait dans les mains quand il fallait et sur le tempo qu’il fallait, le russe chante, et du russe, y en avait plein la moitié de la salle, et le russe connaît toujours Vissotsky. Même le détective, pourtant pas un Loiseau chanteur, se surprenait à fredonner à mi-voix – ce qui ne faisait pas grand-chose – des phrases dont il n’entravait pas un fichtre mot, parce que ces mélodies et ces mots étaient irrésistibles, même en VO non sous-titrée. Gary gary, brûle brûle s’achevait le show, seule chanson traditionnelle du programme que Vissotsky, sans l’avoir écrite, n’en avait pas moins chanté jusqu’à la brûlure.

Les applaudissements et les hourras ayant cessé, la Perle de Kazan et son band passèrent de table en table hypnotisée récolter leur moisson de compliments, d’hommages et naturellement de gratifications matérielles. C’est la crise même pour les musiciens. On les en consolait en leur tapant fraternellement dans le dos. On embrassait volontiers la Sublime sur les deux joues – le russe embrasse son pote de comptoir sur la bouche mais une demoiselle sur la joue – même les tablées de non-russes s’associaient à l’enthousiasme général, propice aux pourboires princiers et aux orgies de champagne millésimé. Le personnel se frottait les mains. Loiseau voyait avec appréhension la caravane se rapprocher de sa table. Il se croyait à l’abri derrière sa jungle en pot, mais on finit par le débusquer. Le musicien ne lâche jamais sa proie.

- Vous avez apprécié le spectacle, Monsieur ?

De près, la môme Tatiana, danger. Alerte rouge avec tous les voyants qui clignotent. Son timbre de goudron. Gaffe Loiseau, professionnalisme et retenue. Sa démarche de chat. Règle number one : ne jamais se laisser séduire par le protagoniste d’une enquête. Le ciel de ses prunelles. Règle number two : ne jamais oublier que Wanda prévoit tout, voit tout, sait tout et ne pardonne pas grand-chose.

- Oui, mademoiselle. Très émouvante interprétation de Vissotsky. Vous êtes aussi superbe que votre voix.
- Comme c’est charmant ! Il y a donc encore des français qui savent tourner un compliment ?
- Une vieille manie dont j’ai peine à me défaire. Permettez-moi de contribuer à vos Œuvres.

Il tendit un billet de 100 euros à chaque musicien, et s’apprêtait à en donner un à la Perle de Kazan qui l’arrêta d’une pression sur son avant-bras.

- Tatiana Alexéiovna ne chante pas pour l’argent, elle ne chante même pas pour la gloire, elle chante pour son plaisir.
- Je crains que vous ne soyez bien au-dessus de mes moyens.
- Vous n’avez même pas idée. Au revoir. Je suis sûre que nous nous reverrons. J’ai un sixième sens.
- C’est comme ma fiancée Wanda. Mais elle, elle gagne sa croûte avec.
- Il faudra absolument l’inviter à dîner ici. J’adore les sorcières. Vous ferez ça, pour moi ?
- Eh bien je…
- Parfait. Arrangez la réservation avec le maître d’hôtel, il me tiendra au courant. Bonsoir.

Et elle piqua ses lèvres sur la joue déjà râpeuse de Loiseau, suite à quoi elle s’évanouit dans le nuage de particules scintillantes que le bisou avait fait surgir. Règle number three : se faire remarquer le moins possible par la cible. Là c’était gagné. Non seulement on l’avait remarqué, mais en plus on comptait sur lui pour revenir accompagné. Au fond il ne s’agissait sans doute que d’une habile manœuvre commerciale, pour élargir la clientèle. Elle ne savait rien de lui, après tout. L’ennui c’est qu’il ne savait rien d’elle non plus.

- Monsieur a apprécié son souper ?
- Apprécié le souper et dégusté le spectacle.

Retour du boyard de service, de plus en plus zen en dépit du chahut ambiant. La veille école.

- La nuance n’est pas de trop. Mademoiselle Tatiana est la perle de cet écrin qu’est l’Aigle Impérial.
- Comment se fait-il que la Perle de Kazan dédaigne les gros pourboires ?
- Oh, Monsieur, Mademoiselle Tatiana n’a pas besoin de cela. Monsieur n’est pas au courant ?
- Au courant de quoi, de grâce ?
- Personne n’ignore ici que Tatiana Alexéiovna est la fille de Monsieur Alexéiev, le propriétaire du restaurant.
- Ah je vois…la petite sirène fait partie des murs. C’est beau la famille.
- Il n’y a rien de plus beau, Monsieur. Monsieur souhaite-t-il qu’on lui appelle un taxi ?

Il avait soudain le sentiment de n’être plus persona grata. On était en train de le mettre plus poliment du monde à la porte. A tous les coups il avait mis le pied dedans. Mais à quel moment ? Quant il avait badiné avec le monoclé ? Quand il avait bafouillé face à la chanteuse ? Ou alors était-il devenu suspect dès qu’il avait mis le pied dans le restaurant, ou peut-être même lorsqu’il avait poussé la porte du Gypsy Bar ? Etre ou ne pas être repéré, là est la question pour le Privé. Mais Fred Loiseau avait sa technique. Lorsque son enquête pataugeait un peu trop dans le marais, il lançait dedans un pavé qui faisait un gros plouf, éclaboussait le populo et collait la bougeotte aux malfaisants. Là, le pavé, c’était lui. Il espérait ne pas couler à pic dans le marais. Il n’avait plus rien à fiche dans les serres de l’Aigle. On l’avait certainement cadré et si d’aucuns trempaient dans la combine avec Mona, ils allaient organiser dare-dare un pow-wow pour identifier et au besoin neutraliser le fâcheux. Ca s’appelle faire la chèvre. Sauf que dans ce cas, la chèvre et le chasseur cohabitaient sous un même plumage, celui de Fred loiseau. Le chasseur ne rentrait pas bredouille : il avait identifié la fameuse russe du Gypsy et en quittant le restaurant, il avait aperçu, de dos mais le bon détective est physionomiste du dos, une personne qui le confirmait dans son jugement sur l’endroit. Ce Palais des délices fouettait le pas net. Trop de pognon, trop de risettes, trop de majorettes et surtout trop de costauds au crâne poncé pour être orthodoxe, cosaque ou pas. Da zvidania et à une prochaine fois, tovaritchi, Loiseau revient toujours dans le nid des autres…

N'à suivre au prochain n'épisode...
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Message  Invité Ven 25 Jan 2013 - 12:08

à suivre, et comment !
toujours aussi bon, aussi croustillant, l'art du fond et de la forme.
et la forme, tu la tiens, la grande forme même.
j'ai adoré cette ambiance sur fond de truands plus russes que nature.
ci-dessous quelques petits échantillons de ce qui m'a fait sourire et même rire tout haut ; de ces morceaux choisis qui font que Loiseau est bien plus qu'un banal Privé, sous ta plume Loiseau est incontestablement une espèce rare.

elles étaient généralement drivées par des chaperons à côté desquels les terreurs du Gypsy faisaient figure de petits chanteurs à la croix de bois.

- Ouais, ben moi je suis ni russe ni chinois. J’sus parigot.
- Comme moi, mon frère.
- Exactement, comme toi.

Comme l’avait écrit avec son lyrisme coutumier Périclès Legros, l’illustre et truculent chroniqueur culinaire de Marie-Jeanne, l’hebdo d’extrême-centre

en un ballet qui lui collait le tournis autant que la gaule

Ces gars-là auraient fait swinger un dortoir de grabataires et sangloter un conseil d’administration.


quelques bricoles orthographiques :
-rassieds-toi et reprends
-Après qu’une rousse toute en jambes dénudées par une jupette rase-motte l’ait l'eut débarrassé de son imperméable
-cette âme slave dont nulle tyrannie,
« J’ai fais fait un rêve idiot,
-le russe chante, et du russe, y en avait plein la moitié de la salle, et le russe connaît toujours Vissotsky ("Russe" ; idem plus loin pour "Français", majuscule pour substantif)
-On était en train de le mettre le plus poliment du monde à la porte

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Message  Gobu Mar 19 Fév 2013 - 15:14

...A peine de retour dans le sien, rue du Chat qui pêche, rush sur les clopes pour en carboniser quelques-unes toutes affaires cessantes. Depuis qu’on avait strictement prohibé l’usage de l’herbe à Nicot dans les lieux publics, les fumeurs comme lui se retrouvaient en manque dès qu’ils mettaient le pied en dehors de chez eux. On était plus prévenant avec les accros à la shooteuse : au moins on leur aménageait des centres – agréés par la santé publique, if you please – pour s’adonner en paix à leur petit vice favori. Après avoir tété sa dose de survie de nicotine et de goudrons lourds, il se désapa à sa manière habituelle, à savoir en balançant ses fringues en vrac sur son lit – il rangeait toujours ses effets juste avant de se coucher – pour filer sous la douche histoire de combattre l’effet soporifique de la vodka à 56 degrés. Heureusement, la cafetière de pur arabica premier choix du restau commençait à agir. Il avait besoin de toute sa lucidité pour se livrer à quelques investigations sur la Toile. Enveloppé dans son peignoir blanc favori – cadeau de Wanda qui l’avait chipé pour lui dans quelque palace exotique – il se posa à l’aveugle dans le siège ergonomique de son bureau, dont il rebondit aussi sec en hurlant de surprise et de douleur après avoir déclenché une tornade de miaulements et de coups de griffe. Son chat avait une sorte de sixième sens pour aller se dissimuler à l’endroit précis où il s’apprêtait à poser les fesses. Il fallait vraiment que la sulfureuse Tatiana lui ait chamboulé le mental pour lui faire commettre cette erreur de débutant.

- Perfide, putain de bordel de greffier de ta race, je vais te transformer en descente de lit !

Mais l’irascible bestiole s’était déjà perchée sur le dessus de la bibliothèque, d’où elle le fixait de ses grands yeux jaunes luisants d’aménité, dos arqué, poil hérissé, soufflant comme un climatiseur en activité. Pour le déloger de là, il aurait fallu faire appel aux Forces Spéciales. Au moins. Renonçant momentanément à ses projets tapissiers, Loiseau examina les dégâts. Heureusement, le tissu éponge du peignoir était suffisamment épais pour lui avoir épargné l’émasculation, mais le dos du vêtement avait sévèrement morflé, et de longues guirlandes effilochées lui conféraient désormais un look grunge que le créateur n’avait sans doute pas prévu à l’origine. Il songea un moment à se venger en privant le monstre de breakfast au réveil, mais ce n’était pas vraiment une bonne solution. Affamé, il devenait franchement ingérable.

Le fessier endolori, il s’assit en gémissant pour sa petite partie de surf numérique. Après deux bonnes heure de clics et de claques, il s’installa – avec des prudences de sioux sur le sentier de la castagne, cette fois-ci – dans son fauteuil Chippendale au cuir craquelé, une liasse de feuillets sur les genoux et un ballon de vénérable armagnac des frères Darroze à portée de main. Après la sauvage agression dont il venait d’être victime, un petit cordial n’aurait su nuire.

« Grigori Arkadiévitch Alexéiev. Homme d’affaires russe né le 6 mai 1954 à Kazan, (République du Tatarstan) Après une jeunesse quelque peu agitée, il s’achète une conduite et s’oriente vers le commerce, la création et l’acquisition d’entreprises. A la chute du régime communiste en 1991, il est considéré comme un des soutiens les plus actifs du président Mintimer Chaïmiev, qui œuvra pour un rapprochement entre le Tatarstan, lequel avait proclamé sa souveraineté lors de la dissolution de l’URSS par le président Eltsine, et la Fédération de Russie, dont il est une des républiques allogènes. Suite à cela, M. Alexéiev prend des parts importantes dans plusieurs secteurs de l’économie locale, fort dynamique, dans des activités-clés telles que la pétrochimie, l’industrie lourde et l’électronique. Mais c’est surtout depuis l’arrivée au pouvoir en 2000 de Vladimir Poutine, avec qui il entretient d’excellentes relations, que ses affaires ont pris un caractère résolument international, avec entre autres, la création de G.A. Financials S.A., un holding intervenant aussi bien dans l’import-export que la fusion-acquisition d’entreprises et le financement de projets immobiliers. Depuis 2005, le holding dispose d’un siège parisien, situé dans l’hôtel particulier de l’avenue Marceau que son dirigeant a acquis. Enfin, en mars 2011, M. Aléxéiev acquiert une autre demeure de prestige à proximité de l’Arc de Triomphe, dont il fait rapidement le plus chic et le plus couru des restaurants russes de la capitale. »

Fermez le ban. A priori le parcours classique de l’oligarque russe ayant profité de ses relations politiques pour s’approprier une juteuse part du gâteau après que le régime communiste se soit fait hara-kiri. Mais d’autres articles éclairaient le personnage d’une lueur différente de celle de la notice bio de Wikipédia, visiblement inspirée par le sujet lui-même, ou à tout le moins par son staff de communicants. On pouvait par exemple, lire dans le Monde Diplomatique, sous la plume d’Eliane Carrière d’Encaustique, la célèbre spécialiste des questions russes :

« …Grigori Arkadiévitch est loin d’être un oligarque classique comme sa réussite actuelle pourrait le laisser croire. Alors que la plupart d’entre eux sont originaires du sérail communiste, en tant que membres influents de la Nomenklatura, non seulement il n’a jamais été membre du P.C.U.S., mais il était considéré jusqu’à la chute du régime soviétique comme un « ennemi du peuple » privé de ses droits civiques, suite à plusieurs condamnations judiciaires dans des affaires criminelles, dont une à dix ans de camp à régime sévère (en 1978) pour homicide. Même s’il est sorti du Goulag en 1986 à la faveur de la Perestroïka et des mesures d’amnistie de Mikhaïl Gorbatchev, il lui aura fallu attendre 1992 et l’oukase du président tatar Chaïmiev, contresigné par Boris Eltsine en personne, pour recouvrer l’intégralité de ses droits civiques et récupérer son passeport russe. Il est intéressant de noter qu’avant même l’accession au pouvoir de Chaïmiev, il disposait déjà de moyens et d’une influence considérables à Kazan, qu’il a mis à la disposition du futur homme fort du Tatarstan pour favoriser son élection dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a pas été un modèle de démocratie et de transparence. S’agissant d’un homme qui était officiellement jusque là un hors-la-loi, on est au minimum en droit de se demander comment il a pu devenir si riche et puissant en un délai d’à peine cinq ans… »

Mais il y avait plus croustillant encore. En surfant avec souplesse entre les sites internet, il était tombé sur un article fort édifiant intitulé « Le cas Alexéiev » paru dans la très confidentielle et très bien informée revue « International Security » dont l’auteur, présenté comme un haut responsable policier, dissimulait son identité sous le pseudonyme aussi hermétique que littéraire de Minos.

« …En conclusion, M. Alexéiev est loin d’être seulement un de ces « Nouveaux Russes » arrogants et cupides qu’a dépeint Lounguine avec talent dans son film homonyme. L’irrésistible ascension de ce monsieur trouve sa source dans les bas-fonds de Kazan, où il apprit très jeune à en découdre avec les bandes bien organisées de tatars et d’ouzbeks qui y tiennent le haut du pavé, puis dans les prisons et surtout dans le camp à régime spécial N° 28 du district d’Irkoutsk où il se tailla une réputation de dur à cuire et de chef à poigne. C’est fort de cette réputation que, dès sa libération, il s’imposa rapidement comme le parrain de la pègre russe locale, s’emparant avec la plus extrême brutalité de tous les trafics qu’elle contrôlait, puis étendant son emprise à de nombreux secteurs officiels de l’économie, toujours avec les méthodes éprouvées de cette organisation, à savoir corruption, chantage et violence physique. Depuis, il semble avoir orienté son savoir-faire vers des affaires entièrement légales, mais ce n’est là que l’arbre rassurant derrière lequel se cache une sombre forêt d’activités délictueuses, sinon criminelles. Et la bienveillance occulte dont il semble jouir de la part des nouveaux maîtres du Kremlin et de leurs services de sécurité ne fait qu’ajouter à son pouvoir et son impunité. Ne nous y trompons pas : M. Alexéiev, en dépit de ses manières avenantes et sa façade respectable, est sans aucun doute le plus intelligent et le plus redoutable représentant de cette mafia russe qui a fait irruption avec fracas ces deux dernières décennies dans le paysage international du crime organisé. »

Il y avait de quoi faire dresser les tifs sur le caillou. Pas étonnant que l’auteur de ce portrait au vitriol ait préféré se planquer derrière un pseudo ! Loiseau commençait à se demander dans quel guêpier il s’apprêtait à mettre le pied. S’il ne l’y avait pas déjà enfoncé jusqu’aux aisselles ; bref un deuxième armagnac ne serait pas de trop. Au moment où il s’apprêtait à faire glouglouter le nectar ambré dans le ballon de cristal, un violent bruit provenant de la fenêtre du living le fit sursauter au point qu’une large rasade du précieux breuvage se répandit sur le devant de son peignoir, achevant de le transformer en œuvre d’art contemporaine.

- Alors, mon Loiseau de nuit, pas encore couché ? On fait des heures sup’ ?
- Putain…C’est toi, Wanda ?
- Ah pasque t’attends une pouf en plein milieu de la nuit ?
- Nom de Dieu, tu m’as fichu une de ces trouilles ! Un de ces quatre tu vas me provoquer une attaque ou alors te faire truffer de plomb si j’ai mon gun à portée de main. On a pas idée d’entrer chez les gens par la fenêtre à trois heures du matin !

Wanda ne détestait pas en effet s’introduire chez son chéri en escaladant la façade lorsque la fenêtre était ouverte, un étage de grimpette ne présentant guère de difficultés pour une fille aussi sportive et casse-cou qu’elle.

- T’as qu’à pas la laisser ouverte, ta fenêtre, eh banane ! Ah il me fait marrer l’expert, ça deale de la sécurité et ça a même pas un échantillon en vitrine. Bon, tu m’embrasses ou te me flingues tout de suite ?

Bisou à l’armagnac millésimé. Y a pire. Ou meilleur, mais c’est encore plus cher.

- S’cuse, Wanda, mais je suis sur un coup plutôt vicelard.
- Tchin tchin, les affaires reprennent ! Ca s’arrose, mon Loisillon tout apeuré. Envoie donc une rincette de ton bain de bouche, j’ai bu que de l’eau minérale aujourd’hui. Pas comme toi, à ce que je renifle : on dirait que t’as passé la soirée dans un alambic.
- Obligations professionnelles, ma douce.
- Ton nouveau client te paye pour t’arsouiller la gueule ?
- Y a un peu de ça…
- Raconte.

Et Loiseau raconta. Tout, et même le reste. Muraine le satyre du béton et sa nymphette égarée, le Gypsy Bar et sa faune peu ragoûtante, Rita la Sulfatée distillant au champagne ses confidences quelque peu mercenaires, l’Aigle Impérial avec son maître d’hôtel plus stylé qu’un majordome de tsar, son bélouga à un R.S.A. la portion et sa vodka à faire de la dentelle dans le parquet marqueté, sans oublier Tatiana, sa voix jaillie du fond de la steppe, sa démarche de fauve et son regard de banquise azurée. Ne jamais mentir à Wanda, même par omission : ce qu’elle ne sait pas encore, ses cartes le lui révèlent. Et puis enfin le résultat de ses recherches à propos du taulier de l’endroit.

- Ben mon p’tit Loiseau perdu, on dirait que t’as fait mumuse dans la cour des grands méchants loups de la taïga. Et d’abord, au fond, qu’est-ce t’en sais, que ces mafieux russes, ils ont quelque chose à voir avec la disparition de la poule du promoteur ?
- C’est bien avec Tatiana que la Sulfatée l’a vue au Gypsy, non ? Et puis il y a autre chose.
- Quoi donc ?
- Juste au moment de sortir du restau, j’ai aperçu dans la salle quelqu’un que je ne m’attendais pas à trouver là.
- Tu me dis qui ou faut que je vas consulter ma boule de cristal ?
- Muraine. Je l’ai vu que de dos, mais ça fait pas un pli, c’était lui.

Wanda se renversa en arrière sur l’oreiller. Elle avait ôté le blouson de rockeuse qu’elle enfilait après ses séances de divination où elle ne portait que de stricts tailleurs noirs, et ses seins manquèrent faire éclater le tee-shirt trois tailles trop petit qu’elle portait en dessous. Tatiana ou pas, Wanda, c’était quelqu’un.

- Alors ils auraient partie liée ?
- J’en sais rien, Wanda. C’est peut-être juste un hasard. Après tout, avec la thune qu’il a, c’est pas étonnant que Muraine fréquente les bonnes cantines.
- Moi je crois pas au hasard, c’est le nom que les ignorants donnent au Destin. Et le Destin, c’est pour ainsi dire mon fond de commerce. Je vais te faire une confidence, Fred, et pourtant je devrais pas, parce que dans mon métier, le secret professionnel, c’est sacré.

Quand elle se mettait à l’appeler par son prénom plutôt que de l’affubler de noms de Loiseau, c’est que l’heure était grave ou bien à la bagatelle, l’un n’empêchant d’ailleurs pas l’autre.

- T’es pas obligée, tu sais…
- Je peux pas te laisser t’embarquer dans cette galère sans biscuits de mer. Ton Muraine, je vais te dire, c’est un de mes clients. Un des plus réguliers. C’est tout juste s’il va pisser sans m’avoir fait tirer les cartes. Me regarde pas avec ces gobilles de chouette en détresse, tu peux même pas imaginer le nombre de cadors qui viennent me consulter. C’est bien simple, je refuse des ministres et des princes régnants. Plus ils sont puissants, plus ils angoissent pour leur avenir. Et l’avenir, c’est le rayon de Wanda.
- Y a une certaine logique là-dedans. Au plus t’en as au plus t’as peur de le perdre.
- Y en a, dans ta petite tête de Loiseau. Bref, ton Muraine, il a fallu que je le reçoive en urgence avant-hier. Il m’a déballé la même histoire qu’à toi, mais moi je lui ai fait remballer son dossier. La Grande Wanda travaille sans filet, pas avec des petites fiches.
- Et tu lui as prédit quoi ?
- Ca, je peux pas te le dire. Ce que les cartes annoncent doit rester entre le client et moi. Sinon j’ai plus qu’à fermer boutique. Par contre, avant qu’il s’en aille, je lui ai dit que je faisais pas bureau des objets perdus mais que je connaissais quelqu’un qui ferait parfaitement l’affaire.
- Alors c’est toi qui me l’as envoyé ?
- Faut bien que je contribue un peu aux frais du ménage, non ? Et puis ça me faisait pitié de te voir désœuvré ou d’en être réduit à filocher des épouses volages pour le compte d’un cornard jaloux.
- Tu sais bien que l’œil du bidet, c’est pas le genre de la maison Loiseau. On a sa fierté, tout de même !
- Ouais. N’empêche qu’un client du calibre de Muraine, ça aide à mettre du beurre dans les épinards. Et sous le caviar, si je t’ai bien suivi. Bon ce que je voulais te dire, c’est que ce type, je le sens pas. La divination, c’est un tiers de savoir-faire, un tiers de mise en scène et un tiers de fluide. Plus un gros tiers de psychologie.
- Ca fait quatre tiers, si je compte bien non ?
- Quand on aime on compte pas, espèce de Loiseau de mauvais augure. Ma psychologie à moi, elle me faisait retentir une sirène d’alarme sur l’air des trois devises de l’Auvergnat.
- Qui sont ?
- Méfiance, méfiance, méfiance...

A suivre...
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Message  Invité Mar 19 Fév 2013 - 21:22

Un peu long le passage avec les diverses versions de la bio de Alexéiev.
Très bien le petit récapitulatif à l’intention de Wanda (et du lecteur).
Et le suspense continue avec le petit rebondissement de la fin.
Ça rigole moins cette fois mais ça suit avec grand plaisir parce que toujours aussi bon.

Deux remarques :

-"Mais l’irascible bestiole s’était déjà perchée sur le dessus de la bibliothèque, d’où elle le fixait de ses grands yeux jaunes luisants d’aménité" ("inimitié", je pense ici)
-"après que le régime communiste se soit fait hara-kiri." ("s'est fait", indicatif après "après que")



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Message  laconis Jeu 21 Fév 2013 - 11:20

très bon, intéressant et original ! Beaucoup d'humour qui me plait. Votre humour me fait penser à celui d'Anthony Horowitz dans ses polars pour enfants mais en version "adulte"
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Message  Lucy Jeu 21 Fév 2013 - 19:07

Un gros coup de cœur pour l'entrée en matière ! Et oui, plusieurs wagons de retard.

Je suis et attends, avec impatience, la suite des événements.
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Message  Invité Jeu 21 Fév 2013 - 22:13

Ah, c'est d'la balle !
J'ai failli crever avec " Eliane Carrière d'Encaustique" ! Même que je pense qu'un petit godet d'un bon truc sera pas de trop pour me remettre. Na zdrovié, Gobu, te lire me rend plus réceptive aux bonnes choses !

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Message  Marois Sam 23 Fév 2013 - 11:55

Beaucoup aimé !
Et je trouve aux feuilletons un certain charme. En plus du plaisir de la lecture, il y a celui de l'attente, on savoure chaque épisode et on mesure parfois ce qu'il nous reste à lire...
Tu m'y as mis, dans cette situation !

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Message  Gobu Sam 23 Fév 2013 - 16:16

Marois a écrit:
...Et je trouve aux feuilletons un certain charme. En plus du plaisir de la lecture, il y a celui de l'attente...

Marois, même en tes vertes années tu es un singe euh je veux dire un sage, même s'il n'y a pas nécessairement contradiction (cf l'avatar d'Easter)

Easter, justement : j'avais bien écrit "aménité", pour le fun. Quant à mon erreur récurrente, je pense que ce n'est pas avec "après que " que j'ai un problème, mais avec les modes de conjugaison. Ou alors avec l'attention à la relecture, l'un n'empêchant d'ailleurs pas l'autre .

Tous les autres : merci de votre attention et à bientôt sur la steppe parisienne.

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Message  Invité Sam 23 Fév 2013 - 16:27

Il me semblait bien Gobu, que ce contresens (aménité/inimitié) était trop énorme pour toi, je dois admettre avoir douté (le "je pense" de mon comm' à l'appui).
Mes simiesques excuses donc :-)

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Message  Invité Dim 24 Fév 2013 - 17:31

Parfait. La bio d'Alex un peu longuette, mais le tout passionne et rationne.
Jusqu'au prochain chapitre. Comme l'exo le demande il faudra quelques en-tête de chapitres.
la réplique
- Ma femme, elle s’en tamponne comme de sa première blenno, de mes coucheries
ne me plait pas spécialement.

le mini dialogue du taxi, aussi, ne me semble pas indispensable.


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Message  Invité Lun 25 Fév 2013 - 11:00

Que du bon. Amusant et fidèle au genre bien que, parfois, l’humour soit un peu trop appuyé. Il semple que le volatile soit près à se faire plumer. Ceci étant, cuisiné à la vodka comme il est, ça ne devrait pas être mauvais.

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Message  Invité Lun 25 Fév 2013 - 11:09

Il semble que le volatile soit prêt à se faire plumer (la vodka à jeun, c'est pas top et ça décape les neurones).

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Message  Kilis Lun 25 Fév 2013 - 21:18

Pas encore tout lu. Me reste un épisode que je réserve pour demain... faut pas abuser de ce qui est bon et en être réduit à pleurer quand y'en a plus.

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Message  Kilis Mar 26 Fév 2013 - 17:22

Ah, Gobu franchement , me suis régalée.
C’est tip-top comme tu dis ici :
« Tout était rangé tip-top et respirait la propreté. »

Vraiment ce que j’attendais d’un épisode de Fred Loiseau.
Suis ravie de tous les emplois savoureux que tu fricotes avec son patronyme ( c’est moi au départ qui ai choisi Fred Loiseau, supposant cela porteur. Loupbleu avait ajouté le chat Perfide et Yali, je crois, la fameuse Wanda). Et tu n’as oublié aucun d’ eux.

J’aime beaucoup comme tu mets en place cette histoire, certes à coups de clichés du genre, mais clichés somptueux, sublimés par ce souffle narratif qui t’es propre et qui donne au lecteur l’impression d’ouvrir les tiroirs secrets d’un coffre à bijoux.

Tes descriptions de lieux sont très réussies et celles du palace russe m’ont particulièrement réjouies avec « ses gerbes d’orchidées » et surtout ses « colonnades de porphyre à godrons ».

J’ai bien apprécié le dialogue Loiseau/maître d’hôtel ainsi que le monologue d’avertissement que Loiseau s’admoneste suite à sa rencontre avec l'affriolante môme Tatiana.

Je relève aussi cette phrase qui m’a ravit :
« Et elle piqua ses lèvres sur la joue déjà râpeuse de Loiseau, suite à quoi elle s’évanouit dans le nuage de particules scintillantes que le bisou avait fait surgir. »

Et cette repartie-ci qui ne manque pas de piquant :
« - Tu sais bien que l’œil du bidet, c’est pas le genre de la maison Loiseau. On a sa fierté, tout de même ! »

Pour ce qui est de la partie info via Wikipédia sur Alexéiev, sa longueur ne m’a pas gênée, J’ai pensé : Tiens, Gobu s’aligne sur Michel Houellebecq, et pourquoi pas ?


Ben que voilà un long com !
Tu comprendras, cher Gobu, que j’ai aimé ton texte. Et, ce qui est chouette, c’est qu’il est « à suivre… »
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Message  Kilis Jeu 28 Fév 2013 - 16:25

Kilis, l'orthographe !

Tes descriptions de lieux sont très réussies et celles du palace russe m’ont particulièrement réjoui ( ou rejouie): Easter, Help !

Je relève aussi cette phrase qui m’a ravi :
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Message  Invité Jeu 28 Fév 2013 - 16:40

réjouie et ravie :-)

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Message  Kilis Jeu 28 Fév 2013 - 17:10

Easter(Island) a écrit:réjouie et ravie :-)

Et merci ici aussi ;-)
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Message  Gobu Lun 19 Aoû 2013 - 14:17

- Il est vraiment chiant, tu dis, ce mec, Hassan ?
- S’il est chiant ? Plus chiant que le boléro de Ravel, mon z’ami ! Si y a une Star Ac’ des chieurs, comment y te marave grave l’Audimat !
- C’est marrant, Hassan. On dirait que tu te mets à causer djeune.
- Qu’est-ce-tu veux, c’est la faute à mes kids…euh je veux dire mes mouflets…Y reviennent au douar avec des expressions à défriser les poils du cul. J’y ai beau être un fidèle lecteur de Tahar Ben Jelloun, Jean d’Ormesson et San-Antonio, y z’arrivent à me contaminer. Bientôt, tu verras, je jacterai en texto. Tu parles d’un espéranto.

A peine levé et présentable, Loiseau avait tracé jusque chez Hassan, au Trompe L’œil. Pas spécialement qu’il ait eu envie de se mettre minable dès dix plombes, mais le dernier bistrot de quartier à faire de la résistance à un kilomètre à la ronde lui tenait pour ainsi dire à la fois de quartier général et de divan de psy. Ou de confessionnal, même si Hassan ne ressemble que de très loin à un révérend père.

- Bon on causera linguistique une autre fois. Revenons à ton chieur. Faut que je t’explique. Tu m’as dit que ce type était un cador dans sa partie, mais qu’il était chiant comme une vache morte. Moi, justement, ce dont j’ai besoin c’est d’un mec chiant. Mais alors très chiant.
- Tu trouves qu’on en croise pas assez comme ça ? Pourquoi y t’faut du rab ?
- Pour ce que j’ai à lui faire faire, au plus y sera chiant au plus y sera efficace. Les mecs chiants, c’est comme les morbaques : pas moyen de les décrocher.
- Avec çui-là, t’as pas de mouron à te faire, y lâche jamais sa proie.

Ayant dit, il se remit à l’astiquage de sa verrerie. Le taulier n’a jamais le temps de perdre le sien. Loiseau se plongea dans la lecture du magazine « Expansion » qu’Hassan avait abandonné sur le zinc pour l’information boursière de sa pratique. On n’est jamais trop prévenant avec les économies ses clients. Dans les pages réservées à l’actualité immobilière, il eut la surprise de tomber sur une photo de Muraine en ciré jaune et casque de chantier, trinquant avec un homme à la mise irréprochable, à l’élégante chevelure argentée et aux yeux métalliques. Voilà donc à quoi ressemblait l’énigmatique propriétaire de l’Aigle Impérial, le caïd russe, le père de Tatiana. L’homme qui faisait tchin-tchin avec le promoteur n’était autre qu’Alexéiev. On les exhibait sabrant le champagne histoire d’arroser la signature d’un contrat immobilier représentant un montant absolument indécent de millions d’euros. Ainsi, son client et le premier de ses suspects dans l’évaporation de Mona étaient en affaires. Et quelles affaires ! Le genre dans lesquelles les coups bas volent bas. On a sa dignité, quoi ! Après tout, Muraine avait le droit de faire du business avec qui ça lui chantait, même avec un parrain de la pègre de Kazan recyclant ses sous dans la pierre. L’article était formel. L’entreprise de Muraine, le tsar du béton, se chargeait du chantier et Alexéiev, le tsar du pognon furtif, amenait les capitaux. Que du bonheur. Mais que venait faire Mona dans ce scénario en oseillecolor ? Que maquillait-elle avec la Perle de Kazan ? Pourquoi fréquentaient-elles le Gypsy ? Rita avait été catégorique. Elles avaient l’air copines comme cochonnes, ces deux salopes-là. L’une plus garce que l’autre. Elles faisaient bien la paire, tiens. Même en faisant la part de la solidarité féminine de la Sulfatée et de l’outrance lyrique, il semblait bien que les deux fifilles étaient de mèche. Pour mettre le feu à quoi ? Peut-être celui qu’il attendait pourrait l’aider à y voir plus clair.

- C’est vous Loiseau, le Privé ?
- Affirmatif.
- Alors M. Loiseau j’aime autant vous prévenir tout de suite. Je peux pas piffer les privés. C’est rien que fouille-merde et compagnie et ça vendrait sa petite sœur à prix cassé pour un tuyau. Rien de personnel, M. Loiseau, hein, vous pensez, mais c’est mon opinion et je la respecte.
- C’est tout à fait respectable. Vous êtes sans doute M. Da Costa.
- Vous avez deviné comment ?
- Hassan m’a dressé un portrait-robot très ressemblant.
- Y vous a dit que j’étais très chiant ?
- Et c’est vrai ?
- Vous avez pas idée à quel point je peux être chiant.

Le type qui se tenait devant lui semblait sorti tout droit d’un scénario d’Audiard ou d’un récit de Boudard. Un petit bonhomme en parka aux cheveux clairsemés, qui s’appuyait d’une main sur une canne en tenant sa casquette de l’autre. Mais son regard ténébreux était vif et sa voix au timbre gouailleur assurée.

- Faites pas gaffe à ma patte folle. La faute à un bourrin vicelard juste avant la grande rivière d’Auteuil. Ces canassons de course, c’est des pervers comme on peut pas imaginer. Ca a stoppé net ma carrière de jockey. Mais si c’est ça qui vous inquiète, je vous rassure. J’ai aussi été champion poids coq d’Ile-de-France, vingt-cinq combats pros, vingt-cinq victoires par KO  et m’interrompez pas je sais que suis chiant vous étiez prévenu, alors même si le jeu de jambes c’est plus ça, je peux vous dire que Mario da Costa il a rien perdu de son punch.
- C’est pas votre punch qui m’intéresse, même si ça peut servir. Ce dont j’ai besoin, mon petit Mario, c’est de tes talents spéciaux. Ce dont j’ai besoin c’est d’un gars dégourdi, pas chocottard et pas trop regardant sur le juridique pour me filer un coup de main sur une enquête délicate. J’ai besoin d’un guide de haute truanderie, et tu m’as l’air d’être pile-poil le gars qu’il me faut.
- On s’tutoie, maintenant ? Dis, ma gueule, puisque nous v’là camarades, faut que je te précise que les conneries, c’est plus pour moi. La cabane, j’ai déjà donné, tu penses. Alors Mario y file droit et il sort plus des clous.
- Là c’est pour la bonne cause, Mario. On a le Droit et la Morale pour nous. Et si ça dérape, je te couvre. Je jure la main sur le cœur que t’étais en service commandé au nom de la Justice, des intérêts du client et de la volonté du patron..
- Dans ce cas mon prince je suis votre homme. On a pas causé finances.
- T’auras cent pions par jour plus les frais. Fais pas la grimace c’est le tarif syndical. Et je te glisse mille d’avance. Loiseau ne mégote pas avec le pognon des autres.
- On commence quand, chef ?

Loiseau l’avait chargé de deux missions de confiance. La première était bien précise. Il devait s’infiltrer au Gypsy, et en devenir un client familier. Bien sûr, si Mona ou Tatiana pointaient leur joli museau, il devait en avertir le détective toutes affaires cessantes, mais il avait aussi pour consigne d’observer discrètement la clientèle et ses allées et venues. Cela faisait partie du plan « pavé dans le marigot ». L’autre mission était plus générale. Il devait ratisser le maximum d’informations sur Alexéiev et ses rapports avec la pègre autochtone. Loiseau voulait vérifier tout de suite si le Russe trempait même en France dans des combines relevant du Code Pénal. D’après ce que lui avait dit Hassan, Da Costa connaissait un tas de gens et  avait les oreilles qui traînaient partout où ils bavardaient. Surtout dans le milieu des courses de chevaux et des compétitions de boxe. La plus belle conquête de et le noble art, une combinaison explosive et qui fait frétiller aussi bien les hommes d’affaires que les truands, quand il ne s’agit pas des mêmes individus. Après tout, peut-être ce nabab russe investissait-il dans le canasson Formule 1. Les russes passent pour aimer le jeu, voir Dostoïevski, Pouchkine et compagnie, et le tiercé est un jeu qui peut rapporter gros, surtout quand on a des idées sur le gagnant. Sosthène, le clochard philosophe attitré de la maison, le tira de ses spéculations hippiques d’une vigoureuse tape dans le dos.

- Tu planes, Loiseau. Soit t’as pris l’apéro un peu tôt, soit y t’en faut un dare-dare pour retrouver le plancher des vaches. Dans un cas comme dans l’autre, faut qu’on boive un coup. Tire pas cette tronche, c’est sur mes gants.
- T’as touché le pacson au Loto, Sosthène ?
- Y a de ça : je me suis dégotté un mécène.
- Je savais pas que tu bricolais dans l’artistique, Sosthène.
- Non seulement tu sais pas de quoi tu causes, Loiseau sans cervelle, mais tu causes de ce que tu sais pas, ce qui est encore plus ballot.
- Nous pousse pas le grand air de la calomnie, vieux cabot, tout le monde le sait, que t’as une pelure d’agrégé de philo.  T’as retrouvé une gâche dans le scolaire ? Après vingt piges de congé clochardesque ?
- Tu rigoles, j’espère ! Moi, me retrouver de nouveau à faire le guignol au milieu de trente abrutis qui ne pensent qu’à leur prochaine rave-party ? Plutôt crever dans le caniveau ! Non, c’est bien mieux que ça : j’ai trouvé un éditeur pour mes mémoires de clodo.
- Sans déconner ? Il t’a fait signer un contrat ?
- Et comment ! Il m’a même versé une avance. Cinq mille points, tu te rends compte, Loiseau ?
- Ca va paraître sous quel titre, ton best-seller de la zone ?
- « Sosthène, ou la philo de la rue, par Sosthène » Mon éditeur aurait souhaité une accroche plus groovy, comme il disait dans son volapük d’éditeur, mais je me suis cramponné à mon idée. C’était ça ou je fourguais la came à un concurrent. On a sa fierté, dans la rue, non mais des fois.
- A propos de rue…tu vas y rester, maintenant que te v’là riche ?
- C’est là qu’y a comme un lézard. Mon éditeur il est à fond pour que je change rien à mes petites habitudes, au moins jusqu’à la mise sur orbite du bouquin. Il dit que ça la ficherait mal de faire chialer le lecteur sur les misères d’un prof de philo qui a choisi la clochardise par mépris pour les règles de la Société et qu’on découvre qu’en réalité, il ronfle toutes les nuits bien au chaud dans une piaule. Tu connais les pirates de la presse de caniveau, Loiseau, ils sont capables de te titaniquer le plan carrière pour moins que ça. Je voudrais pas que mon éditeur se retrouve avec tous ces invendus sur les bras. Alors moi, clochard je publie, clochard je reste. Tu vois, Loiseau, je veux sortir de la rue par le haut. Pas par le bas ou par des petites rues latérales. Le jour où les gens s’arracheront mon bouquin sur les rayons, alors personne ne reprochera à Sosthène de s’offrir du standingue, c’est pour ainsi dire la marque du succès. En attendant je reste le clodo philosophe du Trompe l’Œil et je vis dans la rue. Naturliche, j’ai optimisé l’intendance. J’ai un coursier qui va au ravito pour moi chez le traiteur ; au lieu de pâté sous blister et de canasson en lasagne, à moi le foie gras mi-cuit en terrine et le suprême de poularde en barquette, et j’ai troqué le gros qui tache pour un petit saint-amour je te dis que ça, mais que je fais embouteiller dans des litrons cinq étoiles pour pas saloper mon image de marque. Kif-kif pour la nuit. Je dors toujours enroulé dans ma veille couvrante de l’armée, mais en dessous je suis emmitouflé dans un duvet polaire chauffant que tu pourrais te prélasser dedans à la belle étoile en Alaska.
- Et pour tes heures de bureau, tu changes rien non plus : tu les effectue au Trompe l’œil, si j’ai bien compris.
- Tu serais pas un peu philosophe, toi aussi, Loiseau ?
- J’ai lâché la philo en même temps que la dope et les nuits blanches en boîte. J’ai remplacé tout ça par le boulot, le bon vin et Wanda.
- C’est bien ce que je disais. Au fond t’es un sage.
- C’est vrai, mais le répète surtout pas. Ma réputation ne s’en remettrait pas. Santé, Monsieur le Professeur, au succès de votre bébé.
- Santé, Loiseau. A propos, c’est pas seulement pour t’annoncer mes triomphes littéraires que je suis venu trinquer avec toi. Je voulais te causer du mec avec qui t’étais y a cinq minutes.
- Da Costa ?
- Ouais. Mario Da Costa. Le beau Mario, comme on l’appelait y a déjà un bon bout de temps de ça.
- Tu le connais ?
- On peut dire ça comme ça. On s’est rencontrés au placard.
- T’as fait de la taule, Sosthène ?
- Tu finis toujours par plonger, quand t’es à la strasse. En hiver, quand ça caille vraiment mortel, y a beaucoup de clodos qui se font vite fait alpaguer pour un petit délit histoire d’au moins passer la mauvaise saison avec un toit sur la tête, un lit et une gamelle pleine tous les jours. La liberté, y a que ça de vrai, tous les philosophes s’accordent sur ce point, mais nécessité fait loi. Bref j’ai connu Mario au cours d’un de mes petits séjours de Santé. Un petit gars dégourdi qui boîtait bas parce qu’en taule pas question que tu te promènes avec une canne, même avec une patte folle.
- Un clodo en hivernage, aussi ?
- Pas du tout. Avant son accident, il était jockey. Spécialiste des courses d’obstacles, un vrai cador. Et puis la sale tuile. La chute vacharde. Un jockey avec une patte folle, ça vaut plus un kopeck à l’argus. Du jour au lendemain, il s’est retrouvé sans job, sans carbure et bientôt sans sa femme ni ses potes. Du temps de ses succès, il mettait pas une piécette de côté. Il flambait tout avec sa bande de parasites et sa femme à la cuisse légère et aux goûts de poule de luxe. Tu parles que dès qu’il a eu claqué ses dernières rentrées, toute la bande de charognards a transhumé vers d’autres alpages voir si l’herbe y était pas des fois plus tendre et abondante.
- Il s’est retrouvé au fond, quoi. Il a fait des conneries et on l’a embastillé, quelque chose comme ça, non ?
- Les choses sont toujours plus compliquées qu’elles en ont l’air, ou plus simples, mais jamais telles qu’on croit.
- Bravo, Aristote. Tu la craches ton histoire ? Et puis ça donne soif, de t’écouter, refais donc péter une tournée, et demande à Hassan de nous trancher une assiette de saucisse sèche, cet excellent muscadet appelle la charcutaille..
- Pas d’objections, Votre Honneur. Hassan a entendu, je le vois déjà affûter le couteau. Il a l’air plutôt féroce, avec cet instrument tranchant entre les mains, je voudrais pas le croiser par une nuit sans lune sur un trottoir désert.

Derrière le bar, le dos tourné aux persifleurs, Hassan haussa les épaules avec mansuétude ; il avait l’habitude des sarcasmes de comptoir et n’avait pas non plus sa langue dans sa djellaba.


- Moi c’est le contraire, Môssieur Sosthène, sur la vie de ma mère j’en rêve, moi, de te croiser par une nuit sans lune sur ce trottoir sans témoins, rétorqua-t-il en faisant mine de se passer l’instrument tranchant sous la gorge.

Ainsi va le monde au Trompe l’Œil, sans frénésie aucune mais non sans esprit de repartie. Dès qu’ils furent servis, Sosthène reprit son récit.

- En fait il a refait surface en se mettant au service de son ancien patron. Un type plein aux as ; Mario avait remporté pas mal de courses sous la casaque de son écurie. Quand il a perdu sa place de jockey, il s’était juré de plus jamais lui adresser la parole, mais arrivé au bout du rouleau, il a fait un nœud à sa fierté, l’a fourrée dans sa poche et s’en est allé sonner à la grille de la propriété patronale. Je t’abrège l’histoire, mais le type et sa femme l’ont embauché comme homme à tout faire. Mario, faut que je te dise, il a de l’or dans les doigts. Plomberie, électricité, mécanique, décoration, cuisine, même, il touche sa bille tous azimuts. Bref il est rapidement devenu indispensable, et au bout de quelques années, il faisait pour ainsi dire partie du mobilier.
- Mais pas de la famille.
- C’est là qu’y a eu confusion des genres, malheureusement. Il était tellement rentré dans le paysage qu’ils avaient même pris l’habitude de lui confier la garde de leur petite gamine quand ils sortaient faire la bamboula. Ca évite d’entretenir une jeune fille au pair, y a pas de petits profits. La p’tiote, elle est devenue super copine avec lui. Tant qu’elle était toute jeunette, ça posait aucun problème, Mario c’était comme un très grand frère pour elle, ou une sorte de tonton gâteau qui lui cuisinait des petits plats, la faisait sauter sur ses genoux et la bordait dans son pieu en lui racontant des histoires pour qu’elle s’endorme.
- Un vrai conte de fées, quoi.
- Ca a dérapé. La petite fée aux petites couettes en short fluo s’est métamorphosée un beau jour en craquante jeunesse équipée full-options. L’ennui c’est qu’elle n’avait  pas renoncé à grimper sur ses genoux. Ni au short fluo.
- Aïe.
- Je te le fais pas dire, Loiseau. Attention, c’est pas un pervers, Mario. Le grand manteau qu’on ouvre sur l’objet du délit à la sortie des collèges, c’est pas du tout sa tasse de thé. Tu penses qu’il a vu venir l’embrouille. Il a même été voir les vieux pour leur dire qu’il voulait plus faire la baby-sitter pour leur fille. Cà n’aurait plus été convenable, maintenant qu’elle allait sur ses quinze ans, il disait.
- L’avait pas tort.
- Il aurait mieux fait de s’y tenir. Mais la gamine a rien voulu entendre. Elle avait du caractère, faut croire. C’est les vieux qui ont supplié Mario de continuer à garder leur fifille chérie le soir. Paraît qu’il y allait de sa santé.
- Moi j’ai plutôt le sentiment que la petite elle l’avait, la santé. Elle devait avoir en tête de l’allumer chaud.
- Au lance-flamme, mon pote. Elle lui a mis la tronche à l’envers. Mario, il a beau être bien élevé, il n’en a pas moins le sang chaud. Portugais, tu penses !
- Bref il a couché avec la donzelle.
- Même pas. Il a pas eu le temps. Un soir, elle l’avait tellement chauffé qu’ils se sont retrouvés à moitié à poil sur le canapé du salon. Ils avaient à peine commencé de bien faire que les parents ont débaroulé à l’improviste. Ils avaient annulé leur soirée théâtre et n’avaient pas jugé bon d’avertir le petit personnel. Tu parles d’un coup de théâtre.
- On dirait du Feydeau.
- Peut-être, mais ça s’est vite mis à ressembler à du Kafka. Les vieux, ils ont pas du tout mais alors pas du tout apprécié que leur protégé tripote l’héritière dans les coins. Lèse-majesté, ça s’appelle. On en a écartelé pour moins que ça. Y avait plus de copain, là. Comment il a fait vinaigre pour rameuter la garde, le proprio de canassons ! La police judiciaire, le parquet, les tests médicaux, la totale, comme si on avait affaire au maniaque du siècle. Je te passe les détails, au final, ils ont pas pu l’inculper de viol, puisqu’il ne l’avait pas sautée et qu’elle ait déclaré être entièrement consentante. L’ont quand même inculpé d’attouchements sur mineure de quinze ans. Il a morflé trois piges fermes. Le juge, une relation mondaine du père, je te précise, n’aimait pas le mélange des genres en matière de sexe. En fait, si les parents avaient surpris la fille dans les bras d’une de leurs connaissances, un adulte du même monde qu’eux, comment qu’ils l’auraient jouée plus discrète ! Ah ça mon vicomte, vous-z-avec ma fille ! Palsambleu, vous m’en donnerez réparation ! Ah vohot’ sehervice, mohon baharon, je vous z’enverrai mes témoins par prochain retour de courrier ! Enfin entre gentlemânes, quoi.
- Au lieu que là, c’est un peu le vilain qui vient poser ses sales pattes pleines de doigts crasseux sur la Princesse.
- Je vous l’envoie pas dire, mon prince. Bref on s’est rencontrés en taule et on a sympathisé tout de suite. Tu peux pas savoir à quel point ce type est démerdard. Tout ce que t’avais besoin, il te le procurait en deux coups les gros. Même si c’était interdit et que t’avais pas de sous. Quand les matons se sont aperçus qu’on devenait inséparables, ils nous ont collés ensemble dans une cellule biplace. Autant dire une suite, vu la surpopulation de l’endroit.
- Les autres l’emmerdaient pas ? Je me suis me suis laissé dire que le détenu lambda n’était pas coulant avec les violeurs ou assimilés.
- Oh y a bien eu un ou deux tarés bas de plafond pour lui chercher des poux dans la tête, mais ils sont tombés sur son crochet du gauche. Celui qui avait envoyé le fameux Kid la Guêpe au tapis dès la troisième reprise. Malgré sa patte folle, il a encore l’art et la manière d’effeuiller un râtelier en souplesse. Et c’est une sacrée tête de lard, quand il veut. De toute façons tout le monde connaissait son histoire. En fait on le plaignait plutôt qu’autre chose, bien que ce soit pas le genre de type à se lamenter sur son sort.
- Et la fille, elle est devenue quoi ?
- Durant toute sa détention, pas la moindre nouvelle, pas de visite, bien sûr, tu penses, il aurait plus manqué que ça, mais pas la moindre bafouille non plus. Le black-out total. La seule fois où il l’a revue, ça été à la huitième Chambre Correctionnelle de Versailles où elle est venue répéter son témoignage à la barre. Je dois reconnaître qu’elle l’a soufflé, la nénette. Elle a tout pris sur elle et nié farouchement que Mario ait fait quoi que ce soit pour la draguer. En présence de ses parents, faut du cran, moi je dis chapeau !
- Brave petite, faut reconnaître.
- Tu sais pas encore à quel point. Comme j’en avais pris pour six mois pas longtemps avant sa fin de peine, on a été libérés en même temps. Quand tu te tires de prison, on te fait signer ta feuille de levée d’écrou, on te compte ton pécule de libération et on te remet tes objets personnels conservés au greffe. Y a toujours du courrier retenu par le juge ou la prison qui traîne. Là il a eu le choc de sa vie, le Mario. Plus de soixante bafouilles de la donzelle qui l’attendaient ! Ses vieux l’avaient collé à pétaouchnoc, dans une sorte de goulag pour jeunes filles rétives, histoire de lui apprendre les bonnes manières. Goulag doré, naturellement, vu les moyens de la famille, mais goulag quand même. Ca a pas du être du gâteau pour elle d’envoyer en loucedé ce courrier de ministre, tu parles qu’on devait la serrer de près ! Quand il a vu ça, Mario, il s’est signé, il a bafouillé Merci mon Dieu en portugais et il s’est mis à chialer. Tu connais les tos, y cognent dur mais ils gardent toujours le kleenex à portée de main.
- Ca s’est fini comment, ce Roméo et Juliette version correctionnelle ?
- Mais par un mariage, pardi. Le portos épouse. Il trompe, à l’occasion, nul n’est infaillible, mais il épouse. Dès que la petite a été majeure, elle a mis les adjas de son Alcatraz de luxe et a filé retrouver son vieux pote.
- Et ils se sont mariés ? Mais ils ont quoi comme différence d’âge ?
- Dis donc, Loiseau, tu causes comme ses parents, là. Pas mal d’années, et qu’est-ce que ça peut foutre puisqu’y s’aiment ? Elle est pas belle la vie ?
- Comme un roman, Sosthène, quand c’est toi qui fournit le script. Et d’ailleurs pourquoi tu me racontes tout ça ? En général, t’es moins loquace et plus saignant.

Sosthène mira un instant son verre, avant de l’assécher d’une lampée tsunamesque. Si le clodo philosophe était un jour invité sur les plateaux télé, faudrait pas louper l’événement. Ca promettait un remake en HD du passage mémorable du vieux Buk chez Pivot.

- Tu vois, Loiseau, je vais te dire un truc. Ce type c’est kif-kif mon frère. Alors maintenant qu’il va bosser pour toi, prends soin de lui. C’est tout ce que je te demande.
- Te fais pas de bile, Sosthène, l’entreprise Loiseau dorlote son personnel. J’ai la fibre sociale, on me le reproche assez.
- Je rigole pas, Fred, merde. Je veux pas qu’il lui arrive des bricoles. Il a assez morflé dans la vie. Bon…sur ces belles paroles, faut que je retourne à mon point de manche. Si mon éditeur débarque à la sauvage avec des journaleux pour l’avant-promo du book, faut quand même qu’y me trouvent dans mon jus. A la revoyure et oublie pas ce que je t’ai dit à propos de Mario.
- No souci, Sosthène. Je lui tiendrai la bride courte…
- Ca, ça va pas être du nanan. Tu connais pas le lascar.

Toujours z'à suivre...
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Message  Polixène Mar 20 Aoû 2013 - 8:34

Toujours un régal, surtout que ça se corse, alors...merci pour la tournée générale, je reste!
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Message  Invité Mar 20 Aoû 2013 - 8:41

Ce qui m'épate, comme la fois précédente, c'est la facilité avec laquelle on raccroche les wagons après des semaines (mois ?) sans.
Faut dire que tu as l'art du résumé qui n'en a pas l'air : "Dans les pages réservées à l’actualité immobilière, il eut la surprise de tomber sur une photo de Muraine en ciré jaune et casque de chantier, trinquant avec un homme à la mise irréprochable, à l’élégante chevelure argentée et aux yeux métalliques." etc.
Bien joué !

Deux petites remarques (eh oui, je ne fais pas que lire et apprécier, je garde l'esprit critique, enfin j'essaie, pas simple ici).
Tout d'abord :
"D’après ce que lui avait dit Hassan, Da Costa connaissait un tas de gens et avait les oreilles qui traînaient partout où ils bavardaient. Surtout dans le milieu des courses de chevaux et des compétitions de boxe. La plus belle conquête de et le noble art, une combinaison explosive et qui fait frétiller aussi bien les hommes d’affaires que les truands, quand il ne s’agit pas des mêmes individus. " me semble mal placé, je l'aurais mis avant la rencontre avec Mario, puisque à ce stade de l'histoire, Mario a déjà expliqué en direct à Loiseau ses connexions avec le monde des courses.

Ensuite, je trouve étrange que Sosthène, dont on apprend qu'il connaît bien Mario - et ayant vu ce dernier en conversation avec Loiseau -, ne soit pas venu au minimum le saluer pendant leur échange.

Des détails sans vraie importance cela dit, qui surtout n'entachent pas le plaisir de lecture.
Bien aimé les clins d'oeil ici et là, notamment au clochard en passe de devenir le "all the rage " littéraire et doit à son lectorat comme à son éditeur de ne pas trahir son humble style de vie.
Et puis des perles de langage ici et là, celle- ci, par exemple : "ils sont capables de te titaniquer le plan carrière pour moins que ça."




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Loiseau se lâche pour courir Empty Du nanan que j'vous dis ma bonne dame!

Message  Marchevêque Mar 20 Aoû 2013 - 14:13

Bonjour,

Du Dard matiné Audiard...
Je viens de lire le premier paragraphe, un régal...Pourtant pas ma tasse de thé, mais quelle classe
Marchevèque fan
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