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La disparition

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Message  Raoulraoul Lun 4 Nov 2013 - 16:10

La disparition

Il est parti,
mais il est encore là.


On rentre chez soi, il est dans le couloir, sur le fauteuil, derrière une porte. On l’appelle, mais il ne vient pas. Pourtant il apparaît quand on s’y attend le moins. C’est à force d’habitude. L’habitude en nous qui nous le fait surgir. Celle de ses repas, celle de ces moments où rien d’autre ne se passait que le mystère d’une présence. Au petit matin, le soir, dans la journée il était là pour nous alléger du poids de l’angoisse et de l’ennui. Il dressait son ombre, sa forme, son déplacement dans tous les endroits qui étaient les siens comme les nôtres. Parfois il se tenait dans les coins, sur des hauteurs, les bordures les plus étroites pour se protéger de nous, ou respirer l’odeur de la pluie, ou regarder notre énervement, avec un sourire dans sa moustache. Il aimait faire ce que nous lui interdisions.

Il nous a quitté,
sans cesse il revient.

Nous l’entendons sans pouvoir le toucher. Il nous parle sans qu’on puisse lui répondre. Maintenant nous parlons de lui comme jamais nous ne l’avons fait. C’est pareil avec tous les humains. On attend qu’ils partent pour comprendre soudain en eux ce qu’ils étaient. On leur découvre des regards, des expressions, des défauts qui deviennent vertus. C’est même ce qui nous agaçait le plus en eux qu’on chante maintenant le plus fort.
Ces défauts faisaient sa singularité. Et c’est ce singulier que l’absence n’arrive jamais à recréer. Ce qui nous mettait en rage, nous le regrettons, nous le pleurons. Nous le déplorons, mais maintenant il est trop tard pour réparer notre mauvaise humeur, les embrassements manquées, la tendresse non exprimée, tout ce dont nous avions envie pour lui. Par endormissement et habitude, nous restions inertes et de bois avec en nous des tombereaux d’amour en jachère.
Aujourd’hui nos mains enlacent du vide tandis que nos pensées sont toutes peuplées de lui. Il y a des reflexes que nous craignons ; aller sur la terrasse, manger devant lui ce qu’il préférait, allumer des engins qui l’effrayaient, s’asseoir sur tel fauteuil parce que c’était sur celui-là qu’il aimait venir, même nous coucher et ne pas se lever car dans le lit il occupait une place qu’il n’aurait jamais cédée à personne. Nous sommes paralysés dans notre existence, il se promène partout dans chacun de nos pas.
Alors nos nuits remplissent le jour. Nul repos pour les remords tandis que lui repose quelque part pour toujours. Ce quelque part où est-il ? Dans le ciel, sous nos pieds, sur les vieilles photos.

Il a disparu,
mais il se montre.

Justement nous ne voulons plus ouvrir nos albums. Toute image de lui n’est que douleur. Comment effacer les traces de ce qui nous est inséparable ? On voyage alors plus loin. Dans des régions qui lui étaient inconnues. Des espaces fouettés de vent, des forêts impénétrables, des horizons qui nous éblouissent. Mais nous ne pouvons empêcher que c’est nous-mêmes qu’il faut divertir. C’est nous-mêmes qu’il faut fuir, puisqu’en nous-mêmes continue la vie avec lui. On doit taire cette pensée. Mais la pensée parle trop. A propos de rien on se souvient tout de lui. Et le temps qui revient dans le creux de sa disparition.
D’abord c’est les premières semaines, avec le jour de son départ. Puis c’est le mois. Puis chaque mois qui répète la date anniversaire. Tous les calendriers sont une excision de plus dans la plaie qu’on ne referme pas. Un remède s’impose. Faut-il laisser le quotidien recouvrir ce qui n’est plus, avec l’indifférence feinte d’un Arlequin qui se joue de tout, ou à voix haute, ouvertement, exprimer le poème constant de la mémoire ?
« Tu te rappelles comme il aimait les plantes vertes, tu te rappelles quand il sautait dans la maison comme un gamin qui aurait besoin de se dégourdir les jambes ? Tu te rappelles quand il nous fixait inlassablement, quand il courait, quand il ne bougeait plus soudain, abandonné dans le rayon tiède du soleil, il s’étirait, sa longueur était incommensurable. Et nos conversations qu’il écoutait. Il aimait que nous soyons réunis. »
Mais celui qui part aussi peut faire des heureux parmi ceux qui le redoutaient. Une foule de petits rampants, trottant, ou d’autres dans l’air zigzaguant avec insouciance, ignorant le danger qui pouvait les happer. Sont-ils soulagés ceux-là maintenant qu’il est parti, lui ? Respirent-ils mieux dans ce nouveau territoire libre, qui est toujours le nôtre, mais dont chaque recoin nous capture par son passé.
Tout ce qui disparaît laisse un message. Le passage brutal entre le chaud désirable et le froid du vide. Entre lui et puis soudain plus rien.
Tout ce qui est présent, vivons-le enfin comme une prochaine absence. Car ce qui n’est pas donné dans cet instant nous poursuivra, nous projettera dans une course sans fin, vouée à l’échec et à la peine. Ce que nous croyons étreindre est toujours une ombre.
Voilà, aujourd’hui on marche sans lui, nos pieds foulant les feuilles de l’automne qui craquent comme des ossements.
Si on regarde les nuages, la fumée de lui peut encore les noircir.
On dit que les disparus ne partent pas, ils nous observent avec tranquillité dans notre désolation.

**
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Message  Invité Mar 5 Nov 2013 - 6:29

"Tout ce qui disparaît laisse un message. Le passage brutal entre le chaud désirable et le froid du vide. Entre lui et puis soudain plus rien."

émouvant ce beau texte, Raoulraoul.
le deuil décliné sous ses formes sensitives, l'impalpable qui prend vie.
il y a comme un souffle...

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Message  Invité Mar 5 Nov 2013 - 7:26

Ou encore : Il est passé par ici, il repassera par là....

Un chouïa long et insistant pour moi et surtout ... évident.
Je ne pense pas avoir rien trouvé qui dise un angle autre que l'angle commun à nous tous.
Et si je le regrette (parce que j'aime, justement, qu'on me donne l'occasion d'une nouvelle position, un nouveau point de vue...), je comprends bien que le texte se fasse le porte-parole du sentiment, des réactions qui nous traversent tous dans de telles circonstances.
Belle écriture sobre et maîtrisée, sans effusion.


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Message  Raoulraoul Dim 10 Nov 2013 - 17:29

Si je devais retenir 2 phrases de ce textes, ce serait ;
"Tout ce qui est présent, vivons-le comme une prochaine absence. Ce que nous croyons étreindre est toujours une ombre".
En effet aucune originalité voulue. Simplement tenter de traduire un phénomène essentiel, simple et profond. Il m'est impossible sur un tel sujet d'être original, novateur, formaliste...
Qu'as-tu voulu dire, Easter, par "Il est passé par ici, il repassera par là..." ? Merci.
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Message  Invité Dim 10 Nov 2013 - 21:20

Mettre des mots justes sur un ressenti commun, ce n'est  pas  rien...

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Message  Invité Lun 11 Nov 2013 - 16:24

Je suis désolé (en deuil) d'avoir à dire ça. Mais ça me fait penser à l'hilarante scène de la Jument Verte (le film) ou le facteur (Zavata) rentre dans une ferme pour avaler son dixième ballon de rouge de la matinée et où il parle du grand père disparu. Il raconte une histoire totalement plate sur le défunt grand'père qui se termine par “…il avait oublié son parapluie !“. Et toute la famille éclate en sanglot ; et la salle de rire.

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