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La cible jeune

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Raoulraoul
seyne
Gobu
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Message  Gobu Dim 29 Juin 2014 - 19:51

La cible jeune



Le romancier d’aujourd’hui doit écrire pour le jeune. Il paraît –  les experts sont catégoriques – qu’il constitue la cible la plus intéressante. Pourtant le jeune pète de santé ; il court sans arrêt, il s’agite en tous sens, on dirait d’une particule animée d’un mouvement brownien. Ca n’est pas facile de prendre pour cible un électron libre. Un vieillard grabataire, cloué sur sa couche de douleur, incapable d’arracher à ses pauvres vieux muscles atrophiés le déhanchement salvateur, est tout de même plus facile à ajuster. Surtout si l’on peint deux trois cercles concentriques au mercurochrome sur le plastron de son pyjama. Il faudrait être bien piètre tireur pour manquer une telle cible.

Le romancier doit s’y faire. Son éditeur est formel : il lui faut écrire jeune, s’habiller jeune, manger jeune, penser jeune. Pour un peu il exigerait de lui qu’il meure jeune. Au delà d’un certain âge, la mission est délicate. L’éditeur n’en a cure, son siège est fait, il faut partir à l’assaut du lectorat jeune. Ce n’est point chose aussi aisée qu’il y paraît : le jeune n’est pas né de la dernière pluie, si je puis dire. Ce n’est pas à lui qu’on apprendra comment esquiver un coup de boule, faire démarrer l’automobile du voisin sans la clé de contact, mettre le feu à la poubelle du bâtiment, que sais-je, battre à la course à pied des représentants de l’ordre pourtant entraînés.

Le romancier doit apprendre à parler jeune. C’est une tâche rebutante, le jeune ne se laisse pas apprendre comme ça. C’est un idiome en perpétuelle mutation, une langue évolutive, un peu comme ces dialectes exotiques dans lequel les mots changent de sens et de prononciation au gré des heures du jour, du temps qu’il fait ou de l’humeur dans laquelle s’est réveillé le griot du village. Le romancier, tel le prédateur guettant son déjeuner à l’aube brumeuse du marigot où vont s’abreuver les gras herbivores, doit suivre la piste du jeune, nez au vent, oreille à l’affût. L’aventure n’est pas sans danger. C’est un spectacle étonnant que de voir tous ces hommes de lettres respectables, la barbe rentrée dans le col du tricot et la calvitie dissimulée sous la capuche du survêtement, rôder le joint au bec autour des écoles avec des précautions de pédophiles en quête de chair fraîche, ou bien glisser pièce sur pièce, en se trémoussant de façon grotesque, dans la fente gloutonne du billard électrique du café du coin, à seule fin de grappiller au passage quelque tic de langage à glisser dans leur prochain opus.

Leur manège passe rarement inaperçu ; le principal du collège, alerté par leurs manières furtives, téléphone au poste de police du quartier, le véhicule de patrouille arrive sirène hurlante, on embarque sans ménagement le pauvre bougre. Si son éditeur est absent de son bureau, si son avocat manque d’entregent, s’il ne cousine pas avec le sous-préfet, son compte est bon, l’affaire finit devant les tribunaux. On ne badine pas avec ces choses-là. Ou alors, c’est sa proie qui le repère. Il aura beau dire, tenter de s’expliquer, invoquer les mânes de Rimbaud,  Jean Genet ou Jack Kérouac, il y a peu de chance qu’il se sorte de ce mauvais pas sans au moins y laisser sa montre en or, ses baskets de marque et son téléphone portable. Encore heureux s’il s’en tire sans dommages corporels. Le jeune est une cible qui sait se défendre.

Le plus surprenant de l’affaire, c’est que le même éditeur qui entend cibler le jeune avec l’acharnement qu’a mis tel président américain à vouloir ajouter tel tyran moustachu à son tableau de chasse est le premier à déplorer que le jeune ne lise plus. On le comprend un peu : il y a mille occupations plus exaltantes quand on n’a pas vingt ans. Et même après. Mais enfin le bon sens commande de s’interroger sur l’intérêt de vouloir vendre des livres à des gens qui ne lisent pas. On subodore quelque supercherie. On répondra que l’essentiel n’est pas qu’ils les lisent, mais qu’ils les achètent. Il est vrai que bon nombre de bibliothèques sont pleines de livres qu’on n’ouvre jamais. Mais aussi ne les a-t-on pas achetés pour cela. Ils ne servent que pour le décorum. Le jeune n’a que faire du décorum ; c’est une marotte de patriarche. Ou tout au moins de père de famille.

En réalité, ces livres écrits en jeune pour les jeunes sont surtout lus – quand on les lit – par leurs parents. Quand ce n’est par leurs grands-parents. Il n’y a qu’un vieux pour vouloir rester jeune. Et pour avoir le temps de lire. A quinze ans on voudrait conduire une voiture, coucher avec sa voisine de palier, mettre un bulletin blanc dans l’urne, avoir le droit de dormir en prison, bref on n’aspire qu’à prendre de l’âge. Voilà la triste vérité : le jeune n’existe pas, il n’est qu’un vieux qui n’a pas eu le temps de faire ses classes.

Alors, nous dira-t-on, pourquoi déployer tant d’effort pour écrire dans sa langue ? Surtout qu’elle se métamorphose sans arrêt. On dirait d’un caméléon posé sur un kaléidoscope. Pour faire plaisir à l’éditeur, voyons ! D’ailleurs pourquoi écrit-on ? Pour changer le monde ? Il faudrait être bien présomptueux. Au demeurant il change bien assez vite sans que l’écrivain s’en mêle. Pour délivrer un message ? Le SMS y pourvoit à merveille. Pour distraire le lecteur ? Encore faut-il être lu ! Pour gagner de l’argent ? Sans doute, mais enfin il y a mille moyens plus sûrs – et moins fatigants – pour ça. Le jeune l’a bien compris, lui.

A cinquante ans, l’Homme arrive au mitan de sa vie. Enfin à condition qu’il vive centenaire. Malgré les incessants progrès de la gériatrie, ça n’est pas encore donné à tout le monde. De cette ligne médiane, l’Homme regarde en arrière, et que voit-il ? Rien. Ou presque : le temps écoulé n’est qu’une ombre qui s’enfuit. Regarde-t-il en avant ? Même constat : le temps à venir n’est qu’un mirage sans consistance. On n’est ni jeune ni vieux, on se contente de cheminer en funambule sur le fil d’un rasoir, entre le néant du passé et la vacuité du futur. Peut-être est-ce pour cela qu’on écrit : pour maintenir le rasoir affûté.

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Message  seyne Lun 30 Juin 2014 - 8:35

Est-ce que tu parles de ce genre qu'on appelle "littérature jeunesse" ? (dans ce cas je trouve qu'il y a quelque chose d'assez juste dans ce que tu dis, même si en même temps...l'effort de s'approcher de sa cible peut se comprendre). Si tu parles de l'édition romanesque ordinaire, je vois surtout des livres de trentenaires (ou qui voudraient le rester) pour des trentenaires.
Ton éditeur a-t-il exigé de toi la métamorphose que tu dénonces ? Et si c'est le cas, dans quel café as-tu trouvé encore des billards électriques ?
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Message  Raoulraoul Lun 30 Juin 2014 - 15:52

Texte à chicanes. Comment l'interpréter ? D'abord j'ai cru que tu faisais de l'anti-jeune. Mais non. Les jeunes aussi sont victimes. Ton style se veut pamphlet, essai... il tourne aussi au billet d'humeur. Tu termines un peu philosophe... On sent que dans ce texte tu décharges une colère, souhaite une dénonciation... tu balances entre vouloir comprendre et la pulsion du malaise qui chahute l'entendement. Pourquoi pas. C'est pour cela que tu as écris ce texte sans doute... Rechercher un équilibre impossible entre tous les tenants que l'on imaginera.
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Message  Polixène Lun 30 Juin 2014 - 22:37

Gobu a écrit:
La cible jeune

...
le jeune n’existe pas, il n’est qu’un vieux qui n’a pas eu le temps de faire ses classes.
...
On n’est ni jeune ni vieux, on se contente de cheminer en funambule sur le fil d’un rasoir, entre le néant du passé et la vacuité du futur. Peut-être est-ce pour cela qu’on écrit : pour maintenir le rasoir affûté.

GOBU

Voilà, c'est dit. Humour (celui-là même qui est l'élégance du désespoir, disait Vian), légèreté. Pour du lourd quand même.
On va se mettre au macramé, donc.
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Message  Sahkti Mer 3 Sep 2014 - 7:42

Pas mal de bon sens et de vérités vraies dans ce texte. J'apprécie tout particulièrement le ton froid adopté pour énoncé tout cela, la pointe de cynisme qui émerge de ci de là et cette manière de contempler le monde qui évolue ainsi. Le jeune n'est pas la cible unique du propos, c'est toute la société qui est ici encapsulée.
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Message  hi wen Mer 3 Sep 2014 - 22:27

c'est con et décidé, un jeune; ça n'a rien de brownien. c'est meme à ça qu'on le reconnait, il fonce dans le mur.

"On n’est ni jeune ni vieux, on se contente de cheminer en funambule sur le fil d’un rasoir, entre le néant du passé et la vacuité du futur"
bof. pourquoi néant du passé, pourquoi vacuité du futur? que nous vaut l'honneur de ces formules lapidaires à l'emporte-pièce.

"Peut-être est-ce pour cela qu’on écrit : pour maintenir le rasoir affûté."
vous voulez sans doute dire quelque chose, mais vous le dites à demi mots, je comprends pas . je ne trouve pas que l'image se suffit à elle meme. ca veut dire quoi, maintenir le rasoir affuté? pour qui, pour quoi, à quelle fin? élan vital ou morbide? pas clair.

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Message  Gobu Jeu 4 Sep 2014 - 8:47

hi wen a écrit:c'est con et décidé, un jeune; ça n'a rien de brownien. c'est meme à ça qu'on le reconnait, il fonce dans le mur.

"On n’est ni jeune ni vieux, on se contente de cheminer en funambule sur le fil d’un rasoir, entre le néant du passé et la vacuité du futur"
bof. pourquoi néant du passé, pourquoi vacuité du futur? que nous vaut l'honneur de ces formules lapidaires à l'emporte-pièce.

"Peut-être est-ce pour cela qu’on écrit : pour maintenir le rasoir affûté."
vous voulez sans doute dire quelque chose, mais vous le dites à demi mots, je comprends pas . je ne trouve pas que l'image se suffit à elle meme. ca veut dire quoi, maintenir le rasoir affuté? pour qui, pour quoi, à quelle fin? élan vital ou morbide? pas clair.

Tous les jeunes ne sont pas cons et y en a qui sont pas très décidés. Ca les empêche pas de s'agiter en tous sens. Les hormones.

Par définition le passé est ce qui n'est plus, le futur ce qui n'est pas encore. La fragile et fugace barrière qui les sépare se nomme le présent, et seul lui a une existence réelle. Maintenir le rasoir affûté, ça veut dire vivre au présent. Qu'on ait dix-sept ou soixante ans.

Pour Seyne :

Je ne parle pas de la "littérature jeunesse", qui est un marché spécifique. Je veux dire que tout éditeur rêve de publier un best-seller qui puisse conquérir la tranche 17-25. C'est à cet âge là qu'on lit avec le plus d'avidité. Quand on lit. C'est ce qui explique le nombre et le succès des polars bien trash, des autobiographies romancées pleines de cul et des sagas fantastiques ou futuristes pleines de rebondissements. Ecrire "jeune", ça n'est pas tant adopter les tics de langage de la jeunesse - ils changent tout le temps et varient d'une banlieue à l'autre de l'Hexagone - mais plutôt cibler leurs centres d'intérêt et leur vendre des histoires qui les excitent dans une langue de préférence simple et directe. Quant à mon texte, c'est plutôt un billet d'humour et d'humeur qu'une analyse sociologique.

Merci pour vos comms.

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Message  So-Back Jeu 4 Sep 2014 - 9:46

dans les cases

la cible jeune
la ménagère de moins de 50 ans
les seniors
ect

ainsi la vie passe et le commerce se frotte les mains

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