La genèse du plomb en fusion

[le pilou]

Carstone, 10652 habitants, Jeremy Blackage, 10 ans, remonte l’allée de Birthstreet. Les ouvriers déposent leurs rires chez Wilson, le pub est enfumé et les tabourets craquent sous les fardeaux qui s’abandonnent. Les maisons laissent couler leurs façades rouges. Les jardinets n’en finissent pas de se ressembler et quelques filles vont au travail. Mme Redlick pose sa hanche contre une Bentley hors d’âge. Le rideau d’acier de chaque magasin retombe dans un brouillis métallique. Jeremy se plaît à caresser la herse de l’école qui est aujourd’hui fermée. En prenant son élan, en ralentissant le pas, en faisant varier la pression de sa paume il en ressort des sons magiques. Apaches des Shadows résonne dans un coin de sa tête. Un coin tout au centre, là où commencent et finissent les songes d’enfant. La mélodie intérieure l’entraîne dans une cavalcade insensée ou s’ordonnent un Far-West pour cinémascope, des ruades de mustangs, des promesses d’aventures et le souffle chaud du printemps.

S’autorisant un détour au-delà de la maison familiale, comme pour vérifier qu’il ne manque rien à son décor de fin d’après-midi, Jeremy va scruter la fenêtre de Mr Rivent. Au loin il aperçoit la lumière tamisée indiquant que le vieux musicien éponge ses soupirs sur une guitare péniblement électrifiée. En douze mesures, la voix noire pose ses rires contenus. L’accent presque exotique du noir Américain, étire, rallonge, ramène chaque émotion à sa juste place et rend à Dieu ce qui lui revient. Puis, comme un brouillard, à la façon d’un bombardement annonçant la fin d’une trêve, se rapproche Elton Grim chevauchant l’enfer. La Norton s’ébroue dans une colère vociférante. La machine réclame son admission dans le monde des vivants, prête pour cela à tous les crimes. Elle ne fait que filer dans un instant d’hypertonicité, elle ne fait que défier le climat britannique. Une fois le virage passé, la vitesse éteint les chœurs de basson dans une étrange arythmie. Soprano et Ténor, les saxophones démiurges se taisent sous la lune montante. L’alternance binaire du moteur enroué inscrit ses notes dans le cœur du jeune Jeremy. Il aurait voulu toucher les grandes orgues de la cathédrale itinérante. Puis, la force de l’accélération meurt dans une ultime grimace suraiguë et laisse de nouveau la place au slide gras et cotonneux de Mr Rivent. Quelque chose d’inaccessible pour lui-même né en Jérémy. Quelque chose qui a la consistance du plomb fondu, la cadence d’un Spitfire en approche au dessus de la Manche et la nonchalance d’un vagabond amoureux.

Une éructation orpheline de gaz d’échappement s’étale et se disperse sur l’asphalte tiède. Les buveurs de chez Wilson décochent leurs meilleurs rires. Les fléchettes se plantent vives et droites dans le liège piqueté d’une cible qui a connu tant de parties de killers. Entre deux jurons, le père Unbreath s’écroule, liquide et inanimé sur sa pinte. Des bras vigoureux l’éjectent dans la fraîcheur du soir. Entre Blues tendre et mécanique d’acier, Jeremy Blackage, 10 ans, contemple le chapiteau de l’enfance. Il peut entendre l’avancée lointaine d’une marée montante que rien n’arrêtera. Fermant à demi les yeux, il tente de discerner des visages qui fusionnent tous en un. Le Blitzierk onirique, à la fois menaçant et captivant chavire toute évidence, enveloppe la raison, subjugue et assied l’enfant en haut d’une montagne obscure. Puis un nom est hurlé au loin, scandé, répété jusqu’à l’obsession. « Jeremy - Jeremy - Jeremy Blackage ». La voix se dessine, la tessiture se précise jusqu’à frôler sa nuque. L’enfant tombe à genoux en humant cette exaltation de puissance. Il en emplit ses poumons, gonfle son coffre. Plus rien ne sera pareil et il réclame en silence de renaître éternellement à cette impression. Mr Rivent souffle la bougie, pose son instrument sur le trépied. La nuit commence vraiment.

« Jeremy - Jeremy - Jeremy Blackage, mais que fais-tu dans cette position au milieu de la rue ? » interroge la silhouette féminine qui surplombe le gamin. « Mais que fais-tu, encore dans tes pensées, tu pries au milieu de la rue, mais pourquoi pries-tu, je me suis fait encore fait du souci, tu ignores donc tout de cela, où vis-tu Jeremy, réponds-moi, Jeremy réponds-moi …», la voix féminine fait les questions et réponses, enchaîne des phrases dénuées d’angles, des paroles de mère trop facilement inquiète. Une mère au chignon roux parfait, un chignon défiant toutes les lois de la gravité. L’enfant bouche bée ne peut pas décrire le sensationnel transport qui s’est emparé de lui. Les seuls mots qui lui viennent à la bouche sont « j’implore du plomb fondu pour qu’il pleuve des ovations par milliers ». Ses lèvres sont sèches et sa gorge irritée. La mère lui caresse les cheveux et déplore avec une tendresse vorace « dans quel état tu te mets, tu es si blanc Jeremy, je l’ai toujours dit à ton père, tu es si… différent de tes frères ».


Comme du plomb qui dévore et s’infiltre en tout
Sans répit, c’est une chape écrasant et dissolvant
Un parfait alliage de Wood qui soude les écrous
Sans relâche, quarante doigts édifient un géant

[mentor]

je n'ai pas capté toutes les références (musicales), mais peu importe, ton texte est superbe !
lui aussi a failli passer en deuxième page sans commentaires, c'eût été dommage
tu as un vocabulaire riche et une belle écriture, sans aucun doute
une manière aussi, un style déjà ? peut-être bien
la surprise quant à l'origine ethnique du gamin était au rendez-vous, bien joué
très beau texte, touchant au possible
bravo, merci et à bientôt de te lire encore ;-)

[Jonjon]

Magnifiquement écrit.
Donne peut-être un peu trop l'impression que tu "exposes" ta plume. Mais ça va de soi puisque tu es nouveau ici, on ne te connaît pas.
J'ai repéré une petite erreur d'inattention vers la fin du texte

"je me suis fait encore fait du souci"... petite répétition ici. Rien de bien grave.

[à tchaoum]

[...]Apaches des Shadows [...]

J'avais l'45 tours, mon grand frère avait mis notre nom d'sus pour qu'on s'le fasse pas chourrer au foyer du bahut... j'avais rajouté mon prénom.

[...]La Norton s’ébroue dans une colère vociférante.[...]

500cc, comme il se doit. On a r'gardé brûler la notre, ce frère et moi.

[...] « j’implore du plomb fondu pour qu’il pleuve des ovations par milliers »[...]

Oui, mais j'aurais préféré du mercure, quick silver, vif argent, pour les applaudissements...
Auxquels tu as droit de ma part.

Il y a deux ou trois fautes "graves" (de chez grave) mais j'ai la flemme d'aller les rechercher.

[apoutsiak]

Très belle langue, le poilu, bravo ! et c'est grâce à ton talent que l'on peut digérer toutes les données qui ne font pas partie de sa culture musicale. Un peu d'accord avec Jonjon pour le côté démonstratif de ton écriture, mais on ne vas pas bouder son plaisir.

[le pilou]

Jusqu'à présent je n'avais jamais osé écrire, enfin pour de vrai. J'avais surtout jamais osé présenté mes écrits à quelqu'un et puis un soir je me suis dit "aller hop, be bop".
Je vous remercie énormément. Dites moi où je fais des erreurs, cela me rendrai service. J'aimerai tellement continuer cette histoire et autant vous dire que je n'ai jamais été trés scolaire, d'où un relatif handicap au moment de mettre le coup de kick.

[apoutsiak]

Les erreurs, ci-après, mais je ne reviens pas à ton texte, ce serait pinaillage, à part brouillis : connais le brouilly, hic, mais l'autre, non.


Jusqu'à présent je n'avais jamais osé écrire, enfin pour de vrai. J'avais surtout jamais osé présenté mes écrits à quelqu'un et puis un soir je me suis dit "aller hop, be bop".
Je vous remercie énormément. Dites moi où je fais des erreurs, cela me rendrai service. J'aimerai tellement continuer cette histoire et autant vous dire que je n'ai jamais été trés scolaire, d'où un relatif handicap au moment de mettre le coup de kick.

présenter, Dites-moi, rendrait, j'aimerais, très

[Sahkti]

Extra Le Pilou, j'ai beaucoup aimé! Notamment l'ambiance que tu prends le temps de poser au départ puis cette accélération dans le rythme, avec une écriture soignée du début à la fin. Je me demande juste si il n'y a pas une impression de densité due à la taille du texte et à tout ce qu'il contient, mais en même temps, cette densité correspond plutôt bien aux pensées du héros qui se bousculent, donc c'est impecc.

[claire]

Pareil que tout le monde, ça fait pas un commentaire perso, mais comme je viens de lire tes deux autres textes, je reste dans le(s) même(s) monde(s). Au plaisir de continuer à te lire.

[maniak']

Je répète que t as un énorme potentiel. Mais je n'ai pas lu jusqu'a bout. Je trouve que tu en fais trop et moi, ça fini par me faire perdre le fil.

Mais bon, vus les coms que tu as récoltés, je pense que c'est juste une question de goût.

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