La Poésie c'est dans les tripes

[mitsouko]

Des rimes fauchées à la morgue des mots
A des poètes exsangues embaumés d’alexandrins
Tout a été dit
Alors sans vergogne pillons les morts
Les pieds trop douloureux pour gravir la Montagne Magique
A chacun de mes pas Charleville s’éloigne
La césure tranche net la veine jugulaire du ver
La règle se repaît du sang rouge des mots
« Le style c’est la phrase que l’on sort de ses gonds »
Comme éructait Céline
Effroyable bigarrure des images que l’on jette en pâture
A ces fauves repus encagés dans leurs têtes
Nos idées sont lestées du plomb des certitudes immuables
Nos plumes engluées du goudron de ces tricheurs de vie
Qui misent uniquement sur la reconnaissance des initiés
Fuyant ces hiérophantes sous leurs coupoles rondes
La poésie est là, nichée entre le cerveau et le sexe
Au fond des tripes comme une pieuvre immense
Qui ventouse le monde
Passion tentaculaire qui ravage les vies et incendie les âmes
Bourlingueuse comme Cendrars
Implosée comme les prêches hallucinatoires d’Artaud
Syphilitique et alcoolisée comme Verlaine
Elle s’écrit avec le sang des martyrs de Grenade
Se deale sous le manteau au temps de Vyssotsky
A chaque ligne on plante un piton acéré
Dans le granit des maux
Courte échelle céleste pour atteindre le ciel
L’alchimie du verbe qui transmute la phrase en visions sidérales
A déserté les dictionnaires de rimes
Je slame mon vague à l’âme, je met de la musique sur mes vers
Comme un linceul sur le visage des morts
Pour faire croire qu’ils chantent
LA POESIE C’EST AUTRE CHOSE
Ce texte appris par cœur dans l’hiver d’un goulag
Caprice d’un kapo refusant que j’écrive
Ce sont ces lignes d’amour écrites dans l’urgence au fond d’un train de nuit
Quand on amène en terre un gamin de vingt berges
Ce chant des partisans qui résonne au Vercors
Quand la mort vient chercher sa pitance macabre

C’est ton visage d’ange et ton ventre de lune
Lourd du fruit d’une passion tardive
C’est cet homme vieilli sur le pas de ta porte
Revenant de ces lieux que la mémoire fuit
Et qui te dit je t’aime avec les mains tremblantes
Ce sont ces yeux d’enfant à l’aube lumineuse
Qui découvre la mer pour la première fois
Irradiant de lumière pour la beauté des femmes
Elle ne défile pas épinglée de médailles
Croulant sous les honneurs attribués par les princes
Dérisoire exutoire des damnés de la terre
N’a que faire des morts
Momifiés dans la gloire et bouffés par les vers
LA POESIE C’EST DANS LES TRIPES

[mentor]

J'ai parcouru vite fait tes 3 textes, et en effet, ça mérite mieux que, déjà, les archives ! ;-)

[pierre-henri]

J'ai du mal... en dépit d'une sympathie (à mes propres yeux mystérieuse) que je ressens à la lecture de tes textes.
J'ai du mal, déjà, je crois, parce que je m'inscris en faux: non, pour moi, la poésie n'est pas affaire de tripes... Nous, "qui ciselons les vers, émus très froidement".
Les tripes, ça nous renvoie au moi-je, la poésie, je crois, je le crois, ça noue des liens vers l'autre, ça dessine du sens, ça prête, ça offre, ça donne, ça ne saurait se complaire dans le tripal.
Bon, c'est ce que je crois.
Toi non.
Y'a de la place, pas vrai ?

[Invité]

la tripe, c'est un substitut de cordon ombilical, en ça peut-être le lien à l'autre, PH ?

[Arielle]

Un poème où je sens beaucoup de qualités mais que je trouve un peu alourdi par trop de références. C'est quand il s'en détache qu'il me touche le plus :

C’est ton visage d’ange et ton ventre de lune
Lourd du fruit d’une passion tardive
C’est cet homme vieilli sur le pas de ta porte
Revenant de ces lieux que la mémoire fuit
Et qui te dit je t’aime avec les mains tremblantes
Ce sont ces yeux d’enfant à l’aube lumineuse
Qui découvre la mer pour la première fois
Irradiant de lumière pour la beauté des femmes

[mitsouko]

J'ai du mal... en dépit d'une sympathie (à mes propres yeux mystérieuse) que je ressens à la lecture de tes textes.
J'ai du mal, déjà, je crois, parce que je m'inscris en faux: non, pour moi, la poésie n'est pas affaire de tripes... Nous, "qui ciselons les vers, émus très froidement".
Les tripes, ça nous renvoie au moi-je, la poésie, je crois, je le crois, ça noue des liens vers l'autre, ça dessine du sens, ça prête, ça offre, ça donne, ça ne saurait se complaire dans le tripal.
Bon, c'est ce que je crois.
Toi non.
Y'a de la place, pas vrai ?

PH merci pour ton com et ta vision de la poésie;

je résumerai ainsi ma pensée :
au départ il y a l'émotion pure, sans émotion puisée au coeur de la vie le poème reste sans âme
mais ceci constitue la matière brute, comme le bloc de marbre pour le sculpteur
arrive ensuite la lente maturation le travail, la phrase forgée ciselée, le mot juste et le rythme, le rythme de la phrase primordial pour moi (la lecture à haute voix est le juge suprême)

venir des tripes ne veut pas dire brut de fonderie, mais une simple élucubration intellectuelle détachée des fils de la vie, ne pourra que rarement suscité les vibrations de l'âme

[mitsouko]

Un poème où je sens beaucoup de qualités mais que je trouve un peu alourdi par trop de références. C'est quand il s'en détache qu'il me touche le plus :

C’est ton visage d’ange et ton ventre de lune
Lourd du fruit d’une passion tardive
C’est cet homme vieilli sur le pas de ta porte
Revenant de ces lieux que la mémoire fuit
Et qui te dit je t’aime avec les mains tremblantes
Ce sont ces yeux d’enfant à l’aube lumineuse
Qui découvre la mer pour la première fois
Irradiant de lumière pour la beauté des femmes

réflexion intéressante, la référence littéraire peut en effet "momifier la force du texte"
citer des exemples, sans tomber dans la liste pédante
ta remarque me fera sans doute aboder diférement certains textes
merci

[pierre-henri]

la tripe, c'est un substitut de cordon ombilical, en ça peut-être le lien à l'autre, PH ?

Je ne crois pas, non.
Sans mise à distance, même toute relative, pas de partage.
Mais ce n'est pas le lieu pour en discuter.

[Invité]

Comment dire... un peu comme PH, je ressens une sympathie, une attirance mystérieuse pour cette poésie trop dense pour moi (je l'ai dit précédemment). Je crois qu'une des raisons pour cette sympathie c'est le travail que je devine derrière ces vers, le travail de celui qui connaît la poésie, qui sait de quoi il parle, qui ne s'imagine pas avoir la poésie infuse, et ça c'est digne de considération.
Je vais lire les deux autres poèmes que tu as laissés aujourd'hui, mais je voulais conclure en allant dans le sens du commentaire d'Arielle : la dernière strophe de ce poème me touche, bien plus que le reste, ta poésie en liberté voyage mieux vers les tripes d'autrui.

[Sahkti]

La poésie c'est autre chose est le titre d'un sympathique et intéressant livre publié chez Arfuyen, dont j'ai récemment parlé à Arielle, qui propose des visions de la poésie par différents auteurs, sortes de définitions personnalisées. Pas mal pour contempler le regard que les autres portent sur cet art qu'ils vivent de l'intérieur.

[Sahkti]

Ton poème propose de jolies références, clin d'oeil à la poésie éternelle mais aussi au pillage dont elle est victime. J'apprécie cette manière de dénoncer et d'affirmer certaines dérives. Toutefois, cette subtilité dans e propos a tendance à être dénaturée par la longuer du texte qui finit par le desservir. On sent que tu as beaucoup à dire sur le sujet, que ça te sort justement des tripes, et au final, cela donne quelque chose d'un brin trop touffu pour être vraiment percutant. Dommage, parce que tout avait pourtant très bien commencé.

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