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L'état sauvage

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Message  Mikérinos Jeu 18 Déc 2008 - 16:22

L’état sauvage

Elle avait pris la décision de nombreuses années auparavant, quand elle n’était encore peut-être qu’à la moitié de sa vie, et lors d’un “passage” difficile, comme on dit ; cela lui était tombé dessus comme quelque chose de longuement mûri, mais en réalité si c’était le cas c’est bien inconsciemment que ce murissement s’était opéré. Non, la chose était apparue, dans le chemin où tout en marchant elle remplissait ses poches de châtaignes – la chose s’était subitement formulée dans sa tête comme une évidence.

A partir de cet instant et même elle peut le dater avec précision de l’apparition de trois petits frères châtaignes qui montraient leurs crânes chauves auburn lisses et brillants serrés dans la bogue qu’elle avait dû démolir en la roulant sous le pied , alors elle s’était mise à réfléchir à toute vitesse pour rattraper le temps perdu, pour tout calculer, tout prévoir, et surtout ne rien laisser au hasard.

Car qui aujourd’hui songe à ordonner sa vie en fonction de la fin, qui d’autre a déjà pensé sa vie comme ce cheminement non trop pressé mais précautionneux et “juste” dans l’ampleur de chaque pas, en direction d’un but indicible ; qui a dans le passé jamais imaginé un tel but, avec une aussi sublime finitude, avec la joie espérée de la belle ouvrage de la fin sans fin ?

Le chemin serait long, ce retour vers un état qui pourtant n’avait jamais existé qu’en rêve, le retour à l’Etat Sauvage.

Il faudrait bien sûr attendre qu’ils n’aient plus besoin d’elle, eux, les autres, les dépendants ; laisser des indices pour les habituer, pour que le jour venu ils puissent se dire, rassurés, « je l’ai toujours su », et la laisser en paix, ne pas tenter de la retenir.

Et puis elle pourrait, en guise d’une transition nécessaire, pour aider le passage, d’abord tout relire jusqu’à la perte de la vue, jusqu’à pouvoir un jour sans honte se chauffer d’un feu de livres tirés au hasard – laissant peut-être pour la fin le rayon poésie.

Combien de temps cela prendrait-il de consumer les souvenirs : des deux trois hommes croisés depuis le vrai âge adulte – âge où on sait enfin de façon sûre distinguer la suprême affinité de soi à l’autre – ceux-là pour qui elle eût tout donné (donné quoi ?) et qui eux – enfin l’un après l’autre – n’avaient pas voulu le voir, le savoir.

Et puis le temps de dire adieu à celui qui sans doute avec un peu de chance ou malchance aurait une vie plus courte que la sienne, sa vie à lui encore accrochée à la civilisation – ne serait-ce que par ses effets les plus dévastateurs.

Il faudra régler les détails, tout donner aux enfants, quitter administrativement ce monde – car quoi de plus ridicule que de devoir revenir et renoncer parce qu’on aurait oublié une obligation envers la société, comme une facture impayée dont le souvenir vous retiendrait comme une chaîne.

Aujourd’hui elle y est arrivée ; oh bien sûr il reste encore des traces mais celles-ci disparaîtront avec le temps. Les attaches sont dissoutes, plus personne ne passe par là ; les arbres ont poussé à travers ce qui était la maison où elle ne dort plus depuis déjà des années.

Elle gîte, un peu plus loin cachée au milieu de la châtaigneraie dans une sorte de repli sous un ressaut de terre, car il fallait bien se rendre invisible aux hommes du pays jusqu’à ce que presque plus personne ne se souvienne d’elle.

La chèvre blessée recueillie – volée à quelque mauvais maître à trois vallées de là – et longuement apprivoisée, dort contre elle ; la chatte aussi y dort qui est trop vieille pour quitter le gîte : celle-ci aurait dû être morte depuis longtemps mais même ce calcul du temps elle ne le sait plus ; est-ce pour cela que la chatte ne meurt pas ? Parce qu’il n’y a plus personne pour y penser et savoir le temps que vivent les chats ?

Elle a ramené des cailloux du ruisseau et des racines de ronces pour dessiner et assembler des formes et pouvoir les lire avec les mains car grâce aux livres lus puis brûlés, le jour même au soleil brillant ne traverse plus ses paupières.
Elle écoute sans fin : le dégouttement d’eau sur les feuilles, le retour des oiseaux, des insectes, le grattement de la taupe toute proche.

Quand un visage s’approche trop proche à l’affleurement sensible de sa pensée, et que cela va faire encore si mal, elle se tord dans le gîte et prend l’attitude de souffrance de la bête blessée, geint comme le chevreuil jusqu’à ce que ça passe, que le visage tant aimé autrefois s’éloigne ; elle embrasse les bogues de châtaignes plus douces que les lèvres qui s’étaient alors refusées.

Elle a trouvé l’état sauvage mais pas le bonheur qui fuit. Elle a trouvé l’état de souffrance permanente et de renoncement permanent. Elle a trouvé l’abnégation totale, la mort de la mort, mais est-ce cela l’état sauvage ? Est-ce le « bon » état sauvage ou bien s’est-elle trompée quelque part ? Comment savoir ? Où va-t-elle ?

Ses cheveux sont semblables à un nid, un oreiller où la chatte dort après avoir compulsé de ses griffes cette étoupe maternelle qu’elle lui abandonne. Ses mains et ses avant-bras sont griffés des ronces, soignés fidèlement par la langue de la chatte, à son tour maternelle. Ses yeux ne voient plus, mais la beauté du paysage, saison après saison, s’est imprimée dans leur clarté pastelle.

Survivre, est-ce là la clef du Retour ? Où est l’Etat Sauvage ?

Ne pas voir ce qu’on a quitté ; chasser jusqu’à la courbe tendre du menton de son fils, des cheveux fous et des yeux espérant de sa fille. Oublier les dessins des lèvres. Oublier les voix qui comme dit l’autre “disaient les mots des pauvres gens”. Oublier que le propre de la nature humaine est d’aimer désespérément, de s’abrutir de cet amour, de se dissoudre dans le regard de l’autre, de n’être plus qu’un informe tas de matière première humaine retenue non par son enveloppe de peau mais par sa capacité de don et de souffrance.

Quand on a opéré tout cela, n’a-t’on pas droit à cette paix du Retour ? Où est parti l’Etat Sauvage ? Y a-t-il un “je” nouveau et surgissant de nulle part qui puisse exister dans ce désir du non-être ?

Si l’on remet en question le grand départ ou Retour, ça voudrait dire que le non dit sur la folie des proches, sur tout ça du – des – passés, les multiples non-dits, il faudrait y revenir ? Non, elle avait voulu fuir définitivement tous ces mal-êtres obscurs, les passés, les romans.

Guettant à travers les feuilles, il arrive qu’un être humain s’approche ; c’est cet homme là, une espèce de géant immense et massif, qui autrefois quand elle le côtoyait s’en souvient-elle connaissait chaque arbre, chaque feuille. Il est bon et lui, connait le monde sauvage. Un brin d’herbe couché lui fait signe, alors qu’il porte un tronc d’arbre à mains nues ; il continue de veiller sur le pays, et sur elle, bien qu’elle ait tout fait pour cesser d’exister, pour lui comme pour tous les autres. La chaleur de ce corps fui, elle la sent, car au jour le jour il la cherche à travers les broussailles : il a mis du temps à comprendre, mais désormais il la piste comme un chien de chasse, sans jamais pour autant l’approcher.

Pourquoi n’était-il pas venu au bon temps ? Elle aurait dormi près de lui sous cette souche d’arbre pénétrée de mousse et de feuilles, elle aurait tout donné : pourquoi la cherche t-il aujourd’hui qu’elle a tout abandonné, qu’elle ne peut plus le voir et qu’elle est enfin devenue ce qu’elle a longtemps travaillé souhaité et désiré, une bête sauvage et cachée ?

Il est l’un de ces quelques humains dont elle a travaillé à consumer le souvenir. Il est l’un de ceux qu’à un certain moment de sa vie lucide elle aurait suivi pour une aventure illimitée ; il reste le seul qui guette et pense qu’elle vit toujours quelque part sous les broussailles, et elle devine qu’il a dû lui aussi perdre beaucoup d’attaches et qu’il se ressouvient d’elle. Mais de quelle elle ? Reconnaitrait-il la personne qu’il aimait – mais alors c’était interdit – dans cette ombre habillée d’une couche d’argile mêlée de feuilles de châtaigniers, maigre, nourrie au jour le jour de quelques petites feuilles, fruits aigres des arbres, herbes péniblement identifiées ? Retrouverait-il l’amour ? Si il en avait la moindre chance ça vaudrait peut-être le coup de se montrer. Mais c’est une folie : il la cherche depuis des années, et ces années l’ont transformée au-delà de toute reconnaissance.

Et les autres, oh les autres. Eux n’ont rien compris. Tous les messages, toutes les tendresses sont tombées dans le puits sans fond de leur “ne pas vouloir voir”. Le poème qui dit « ô toi que j’eusse aimé, ô toi qui le savais ! » eh bien ces ignorants ne l’ont jamais lu ce poème, et quand bien même ils l’auraient lu, ils n’auraient jamais compris que peut-être c’est aussi à eux qu’il s’adressait.

Vois comme c’est difficile de tout brûler même après tant d’années. C’est aussi difficile que de mourir.
Il est reparti s’occuper de ses bêtes, là haut sur le plateau. Il ne reviendra pas de plusieurs jours.

Peut-être lui le dernier, peut-être pourrait-il venir avec son fusil, et achever ce travail impossible, accomplir pour elle cet ultime retour à la vie sauvage par une mort sauvage, celle où le civilisé, l’humain, vise et tire. Cela fait plusieurs années qu’il n’est plus allé chasser ; autrefois du temps de sa vie vivante à elle, il chassait une ou deux fois l’an avec d’autres hommes des hameaux alentours et le bruit de leurs chiens agitait alors la vallée. Il passait ensuite s’excuser et la rassurer : le sanglier s’était échappé, les chevreuils n’étaient plus là car sans doute ils avaient nuitamment passé la colline et s’étaient momentanément installés dans la vallée d’après.

Lui faire comprendre qu’il lui offre cette dernière chasse.

Mikérinos

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Message  Invité Jeu 18 Déc 2008 - 16:32

Une très belle idée je trouve, mais parfois engoncée dans une écriture trop raide, inutilement complexe, qui a parfois du mal à dire ce qu'elle veut dire.

Par exemple :
"Car qui aujourd’hui songe à ordonner sa vie en fonction de la fin, qui d’autre a déjà pensé sa vie comme ce cheminement non trop pressé mais précautionneux et “juste” dans l’ampleur de chaque pas, en direction d’un but indicible ; qui a dans le passé jamais imaginé un tel but, avec une aussi sublime finitude, avec la joie espérée de la belle ouvrage de la fin sans fin ?"
me paraît non seulement trop solennel, proche du pompeux, mais le sens m'en semble peu clair.

Sinon, j'ai beaucoup aimé la description de la vie sauvage, les interrogations sur une nouvelle identité qui pourrait ou non se forger, et la présence du chasseur.

Bienvenue sur Vos Ecrits !

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Message  mentor Ven 19 Déc 2008 - 15:50

Un beau texte, qui commence un peu emberlificoté de phrases trop longues et brumeuses mais qui prend de l'ampleur, du sens et de la force au fil de la lecture
une belle idée, un sujet original et bien traité

je me souviens de la chaleur lourde et sèche au plus profond de cette petite pyramide :-))
bravo et, oui, bienvenue ici !

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Message  Invité Ven 19 Déc 2008 - 23:37

Une grande originalité dans ce thème à plusieurs étages ( c'est ce qu'il me semble) un texte qui gagnerait en force à être élagué, à s'offrir des ellipses ; mais de belles expressions, des moments intenses, j'ai beaucoup aimé. Est-ce un fragment d'un texte plus long ?

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Message  Invité Sam 20 Déc 2008 - 12:49

Mikérinos, ton texte me touche beaucoup, sur un thème qui me tient particulièrement à coeur. Sûr qu'il pourrait être retouché, élagué, mais tel quel il est déjà très parlant, fort. Je te remercie de nous l'avoir donné à lire.

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Message  Invité Sam 20 Déc 2008 - 23:48

J'ai relu et re-aimé. Mais je m'interroge sur la dernière phrase : Lui faire comprendre qu’il lui offre cette dernière chasse. Il me semble qu'il y a quelque chose de "boiteux" dans cette formulation.

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Message  Mikérinos Lun 22 Déc 2008 - 15:12

oui, je voulais faire un espèce de crescendo, que ça commence effectivement emberlificoté, mais léger dans l'esprit, et se termine presque sans vraie phrase, mais lourd sur le sens. Ce n'est pas une partie d'un texte qui serait plus long, mais la quatrième phase d'une tentative d'écrire des nouvelles qui auraient une suite logique entre elles.

Mikérinos

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Message  Sahkti Mer 7 Jan 2009 - 10:13

Le coeur de ton récit me fait penser au parcours de l'écrivain Françoise Lefèvre, à son histoire quand elle raconte l'âge qui avance, le départ des enfants, le besoin de trouver de nouveaux repères et de se construire une nouvelle vie. Va savoir pourquoi mais voilà les premières images qu'ont de suite éveillées en moi ton texte.

J'aime ce que tu évoques, mais je déplore que de temps à autre, tu t'appesantisses trop, tu détailles, tu expliques, tu effectues des retours qui ne me paraissent pas à chaque fois indispensables. C'est comme si tu tournais autour de quelque chose sans trop savoir où te poser.
Alléger, élaguer, raccourcir... tout cela permettrait à ton texte de mettre en avant les beaux passages qu'il contient.
Sahkti
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