Entre ses doigts
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Entre ses doigts
Entre ses doigts
Elle me roule délicatement entre ses doigts, me porte à sa bouche, tantôt pour me lécher distraitement, tantôt pour me mordiller délicieusement, me tient en suspens, la mine en l’air, indécise un instant encore. Moments adorables où je suis tout à elle. Je crois qu’elle aime le contact de ma gaine de cèdre, ma belle robe jaune évocatrice de l’Orient et mon odeur légèrement boisée. J’éveille ainsi son inspiration parfois jusqu’à l’excitation.
Quand le désir lui vient, me prenant entre ses doigts, elle me presse légèrement et fait glisser ma pointe en un mouvement continu, de lentement d’abord devenant plus hâtif, mais toujours prenant soin de ne pas la casser. Je suis sa chose, je suis son prolongement.
Entre ses doigts je ne suis qu’une petite baguette à la taille fine et à la mine tendre. Trop tendre sans doute car je m’émousse trop vite l’obligeant à arrêter là une phrase ou même un mot pour, en trois ou quatre coupes précises et précautionneuses me redonner une fraîche apparence de jeunesse. Elle affine ensuite avec gourmandise ma mine à s’en piquer parfois l’index.
Une fois, une seule, elle a tenté de m’enfourner dans cet horrible petit cube qui m’a arraché le bois et broyé le graphite. Sans doute dépitée de mon allure, elle n’a jamais recommencé. Ce bourreau doit traîner dans quelque fond de tiroir car il n’est même plus dans le plumier. De temps en temps, elle fait également la toilette de la petite gomme qui me coiffe afin que par un bout j’efface proprement ce que l’autre vient de commettre. Emotion de l’esquisse de ce qui aurait pu être et ne sera plus.
Oh ! Je sais bien qu’elle ne m’est pas totalement fidèle et je vois bien le stylo s’absenter de temps en temps. Je sais- il s’en vante assez- que je n’ai pas la couleur et la fluidité de son encre, mais moi, je ne fais jamais de taches sur une feuille ni ne coule dans une poche. Et puis, je vois bien aussi le stylomine encore dans son étui, cette espèce de machin plastifié ! Il parait que sa mine ressort automatiquement et perpétuellement, qu’il est là pour me remplacer le jour où- le jour où elle me jettera dans la corbeille. Mais il est froid, passe-partout, gris, sans âme. Elle me regrettera bien, allez ! Moi seul sais lui renvoyer ce contact sensuel et un peu moelleux de la feuille de papier quand elle me transmet la chaleur de sa peau que mon bois conservera précieusement quelques temps encore. Je suis son objet, sa chose, son crayon de luxe. Avec moi elle écrit, corrige, affûte, griffonne, esquisse, ébauche. Peu m’importe que ma trace soit provisoire, c’est avec moi qu’elle donne vie à ses textes, par moi qu’elle enfante. Entre cette belle main et moi c’est une histoire d’amour.
On nous appelle tantôt crayons gris, tantôt crayons bois, tantôt crayons papier ou encore crayons mine, mais nous sommes une même espèce qui porte en elle irrévocablement cette double fragilité d’avoir pour lointain ancêtre un roseau taillé et d’être née dans sa modernité de l’invention d’un fabricant de porcelaine ! Alors voilà, moi je sais que je ne suis pas éternel et je me vois bien rapetisser peu à peu à n’être bientôt qu’un bout de crayon que la main ne pourra plus tenir. Mais tant pis que me tailler soit me faire mourir un peu, parce le bonheur du présent ignore la fin. Tant qu’elle m’aime, je suis en vie, et j’aime cette main de l’écriture.
Pierrot
Elle me roule délicatement entre ses doigts, me porte à sa bouche, tantôt pour me lécher distraitement, tantôt pour me mordiller délicieusement, me tient en suspens, la mine en l’air, indécise un instant encore. Moments adorables où je suis tout à elle. Je crois qu’elle aime le contact de ma gaine de cèdre, ma belle robe jaune évocatrice de l’Orient et mon odeur légèrement boisée. J’éveille ainsi son inspiration parfois jusqu’à l’excitation.
Quand le désir lui vient, me prenant entre ses doigts, elle me presse légèrement et fait glisser ma pointe en un mouvement continu, de lentement d’abord devenant plus hâtif, mais toujours prenant soin de ne pas la casser. Je suis sa chose, je suis son prolongement.
Entre ses doigts je ne suis qu’une petite baguette à la taille fine et à la mine tendre. Trop tendre sans doute car je m’émousse trop vite l’obligeant à arrêter là une phrase ou même un mot pour, en trois ou quatre coupes précises et précautionneuses me redonner une fraîche apparence de jeunesse. Elle affine ensuite avec gourmandise ma mine à s’en piquer parfois l’index.
Une fois, une seule, elle a tenté de m’enfourner dans cet horrible petit cube qui m’a arraché le bois et broyé le graphite. Sans doute dépitée de mon allure, elle n’a jamais recommencé. Ce bourreau doit traîner dans quelque fond de tiroir car il n’est même plus dans le plumier. De temps en temps, elle fait également la toilette de la petite gomme qui me coiffe afin que par un bout j’efface proprement ce que l’autre vient de commettre. Emotion de l’esquisse de ce qui aurait pu être et ne sera plus.
Oh ! Je sais bien qu’elle ne m’est pas totalement fidèle et je vois bien le stylo s’absenter de temps en temps. Je sais- il s’en vante assez- que je n’ai pas la couleur et la fluidité de son encre, mais moi, je ne fais jamais de taches sur une feuille ni ne coule dans une poche. Et puis, je vois bien aussi le stylomine encore dans son étui, cette espèce de machin plastifié ! Il parait que sa mine ressort automatiquement et perpétuellement, qu’il est là pour me remplacer le jour où- le jour où elle me jettera dans la corbeille. Mais il est froid, passe-partout, gris, sans âme. Elle me regrettera bien, allez ! Moi seul sais lui renvoyer ce contact sensuel et un peu moelleux de la feuille de papier quand elle me transmet la chaleur de sa peau que mon bois conservera précieusement quelques temps encore. Je suis son objet, sa chose, son crayon de luxe. Avec moi elle écrit, corrige, affûte, griffonne, esquisse, ébauche. Peu m’importe que ma trace soit provisoire, c’est avec moi qu’elle donne vie à ses textes, par moi qu’elle enfante. Entre cette belle main et moi c’est une histoire d’amour.
On nous appelle tantôt crayons gris, tantôt crayons bois, tantôt crayons papier ou encore crayons mine, mais nous sommes une même espèce qui porte en elle irrévocablement cette double fragilité d’avoir pour lointain ancêtre un roseau taillé et d’être née dans sa modernité de l’invention d’un fabricant de porcelaine ! Alors voilà, moi je sais que je ne suis pas éternel et je me vois bien rapetisser peu à peu à n’être bientôt qu’un bout de crayon que la main ne pourra plus tenir. Mais tant pis que me tailler soit me faire mourir un peu, parce le bonheur du présent ignore la fin. Tant qu’elle m’aime, je suis en vie, et j’aime cette main de l’écriture.
Pierrot
Re: Entre ses doigts
Il est indéniable que c'est vraiment très bien écrit, rien à redire là-dessus. Je ne suis cependant pas conquise, le sujet ne m'emballe pas, j'aurais aimé une histoire autour de ce crayon, plutôt que ce joli texte qui reste vague. Et puis, de façon générale, question de goût personnel, je n'aime pas que les objets ou les animaux parlent, cela leur confère une mièvrerie qui a tendance à me rebuter.
Invité- Invité
Re: Entre ses doigts
Je ne peux qu'approuver Easter, c'est vraiment bien écrit je trouve, sur un sujet casse-gueule qui plus est. Et comme j'aime bien ce changement de point de vue (se mettre à la place d'un crayon), ô combien adapté à ce forum dans une espèce de mise en abime, je trouve l'exercice très réussi. A la rigueur, je dirai juste qu'au début je pensais que c'était une cigarette qui parlait... mais on apprend rapidement de quoi il en retourne, alors...
Mais... maintenant, il conviendrait de rendre justice à la feuille de papier, non ?
Mais... maintenant, il conviendrait de rendre justice à la feuille de papier, non ?
Lonely- Nombre de messages : 140
Age : 47
Localisation : Perpilliéraine et montpignanaise.
Date d'inscription : 14/01/2009
Re: Entre ses doigts
Oui, voilà, je voulais inverser la sensation de sensualité que l'on peut ressentir au contact du crayon et m'amuser à faire croire à un texte "chaud" avec des pistes..au moins un paragraphe. Cette écriture a été pour moi un jeu (et un peu une récré après la "mer des tempetes").
J'avais pensé aussi à faire un dialogue entre le crayon, le stylo, le feutre... Mais maintenant j'imagine que quelqu'un de ce forum pourrait effectivement faire la suite de la feuille de papier par exemple !lol
J'avais pensé aussi à faire un dialogue entre le crayon, le stylo, le feutre... Mais maintenant j'imagine que quelqu'un de ce forum pourrait effectivement faire la suite de la feuille de papier par exemple !lol
Re: Entre ses doigts
Alors là... j'aimerai bien savoir à quoi ressemblerait un échange entre ces différents objets... :-) ... et tant qu'à faire parler un style ou un feutre, le pas à franchir vers la très féminine feuille me semble couler de source.
Par contre, le sujet était "cap des tempêtes" et non mer des tempêtes (oui, je sais, on ne peut pas éditer son message... sic)
Par contre, le sujet était "cap des tempêtes" et non mer des tempêtes (oui, je sais, on ne peut pas éditer son message... sic)
Lonely- Nombre de messages : 140
Age : 47
Localisation : Perpilliéraine et montpignanaise.
Date d'inscription : 14/01/2009
Re: Entre ses doigts
Sic... je confirme : je voulais dire "un stylO et un feutre", et non un "style et un feutre"... mea culpa
Lonely- Nombre de messages : 140
Age : 47
Localisation : Perpilliéraine et montpignanaise.
Date d'inscription : 14/01/2009
Re: Entre ses doigts
pierrot a écrit:Oui, voilà, je voulais inverser la sensation de sensualité que l'on peut ressentir au contact du crayon et m'amuser à faire croire à un texte "chaud" avec des pistes..au moins un paragraphe.
En ce sens, c'est très réussi, je confirme. Je suis partie complètement sur une fausse piste au début.
Invité- Invité
Re: Entre ses doigts
Oui la fausse piste était bie entendu le jeu, et je ne vous demande pas laquelle ! OH! vraiment?
Re: Entre ses doigts
On dirait un modèle de rédaction pour les petits élèves du siècle dernier.
Reste plus qu'à dessiner des jolies courbes pour les majuscules, en respectant bien les lignes de son cahier.
Anecdotique / gnangnan.
Reste plus qu'à dessiner des jolies courbes pour les majuscules, en respectant bien les lignes de son cahier.
Anecdotique / gnangnan.
Re: Entre ses doigts
J'ai bien aimé, pour moi c'est un texte sympa, sans prétention, agréable...
Une réserve sur la phrase :
"Moi seul sais lui renvoyer ce contact sensuel et un peu moelleux de la feuille de papier quand elle me transmet la chaleur de sa peau que mon bois conservera précieusement quelques temps encore."
que je trouve lourde, décalée par rapport au ton du texte.
Une réserve sur la phrase :
"Moi seul sais lui renvoyer ce contact sensuel et un peu moelleux de la feuille de papier quand elle me transmet la chaleur de sa peau que mon bois conservera précieusement quelques temps encore."
que je trouve lourde, décalée par rapport au ton du texte.
Invité- Invité
Re: Entre ses doigts
oui, merci. Bien vu. Faut que je l'allège, sans doute en 2 phrases. L'une pour le moelleux du papier et l'autre pour la chaleur conservée (dans laquelle je veux évoquer la tiédeur du crayon entre les doigts après un temps de travail !) C'est ça mon plaisir de l'écriture: elle se travaille.
Re: Entre ses doigts
Moi j'aime beaucoup. J'ai deviné tout de suite que c'était un crayon et c'est justement cela qui a fait tout le sel car en lisant les fausses pistes jetées au long des phrases, j'en savourais chaque trouvaille.
Dans mon enfance on l'appelait aussi "crayon noir" mais je me rends compte que ce n'est pas si courant car quand je l'appelle ainsi, on me regarde souvent avec des yeux interrogatifs !
Je n'ai pas trouvé cela mièvre du tout. J'aime que l'on puisse écrire sur des choses très anodines en y mettant toute la nostalgie que nous évoque un objet usuel. C'est un peu le coup du "je me souviens".
C'est un beau texte.
Dans mon enfance on l'appelait aussi "crayon noir" mais je me rends compte que ce n'est pas si courant car quand je l'appelle ainsi, on me regarde souvent avec des yeux interrogatifs !
Je n'ai pas trouvé cela mièvre du tout. J'aime que l'on puisse écrire sur des choses très anodines en y mettant toute la nostalgie que nous évoque un objet usuel. C'est un peu le coup du "je me souviens".
C'est un beau texte.
Re: Entre ses doigts
oui "le crayon noir" je me souviens aussi. Sans doute par rapport aux crayons de culeur, tout simplement. Pour tenir compte de certaines remarques (car sinon pourquoi les solliciter?),j'ai modifié un peu la fin qui devient:"Cet effeuillage me consume à petits copeaux mais le bonheur du présent ignore la fin. Tant qu’elle m’aime je suis en vie et j’aime cette main de l’écriture. " plutot que le "tant pis que de me tailler soit me faire mourir..." qui était un peu lourd. Et puis j' ajoute ainsi un petit streap tease qui boucle avec le clin d'oeil du début. Voilà pourquoi j'aime le principe du forum (quand les critiques y sont prudentes et constructives lol)
Re: Entre ses doigts
Je suis partagée. Pour une fois (et c'est bien vu), ce genre de texte ne joue pas sur la chute finale, le mystère est rapidement défloré. Ce qui fait que sans doute, par la suite, j'attendais autre chose, une idée moins insistante, je ne sais pas trop… C'est bien écrit et agréable à lire mais quelque chose me manque pour pleinement apprécier les descriptions. Peut-être un peu plus d'impertinence ou d'ironie et moins de propos généraux sur la vie d'un crayon. Plus facile à dire qu'à faire, je sais ; - )
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
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