Rosemary's baby

[Giny]

Mardi 13 février

Peut-être que quelque chose cloche dans son attitude. Sa démarche, ses gestes, tout semble exagérément soigné, choisi minutieusement pour perpétuer l’illusion du quotidien commun et sans intérêt.
Elle va de pièce en pièce pour s’assurer que tout est bien à sa place, bien rangé, propre, en ordre. Pas un grain de poussière qui s’effondre sous le paravent, pas une feuille qui tourbillonne négligemment à travers la fenêtre pour se glisser sournoisement sous les fauteuils et attendre patiemment le passage du balai hebdomadaire et nonchalant.
Ses mains. Le seul bémol. Des ongles rongés, bourrelés d’amas de chairs inégaux, grignotés en attendant la repousse. Des mains qu’elle porte à sa bouche constamment, comme s’ils lui permettaient de mieux respirer en attendant quelque chose qui ne viendrait pas, ou alors dans très longtemps, vu l’état des ongles.

Jeudi 14 février

Elle badigeonne à grosses laques du vernis autour de ses ongles, pour relever encore plus leur absence. Une encre sympathique qui révélerait un message oublié mais encore présent, jusqu’à ce que le citron s’évapore et l’efface avec lui.
La seule vraie chose qui échappe à son contrôle m’a échappée également. Je viens de les remarquer, ses mains, ses précieuses mains . Je devrais peut-être lui dire de ne plus s’en faire. Ca ne sera pas long, un mois, deux tout au plus. Elle devrait d’ailleurs se réjouir du stage que j ‘ai débrouillé à son fils, moi, , un étranger qui vit dans sa maison, maintenant qu’elle est obligée de prendre un locataire pour payer les charges.
L’absence de son fils l’inquiète plus que de raison, pourtant elle sait que je serai là. Toujours là pour prendre soin d’elle.
Elle me sert ma tasse de thé quotidienne, tout près de la fenêtre, pour que je puisse apprécier le bon air de la campagne anglaise. Charmante Rosemary, pleine d’attentions. Je devrais la remercier d’ailleurs de sa sollicitude. C’est tellement rare d’avoir des propriétaires aussi obligeants, de nos jours.

Vendredi 15 février

Charmant matin embrumé qui m’enchante et me glace à la fois. J’entends Rosemary m’appeler pour le déjeuner, je devrais descendre je crois. Raser cette barbe de 2 jours serait peut-être mieux.
J’essuie du mieux que je peux la buée du miroir .
Je dois faire un mauvais rêve. J’ai complètement changé physiquement. Mon visage, mon corps, tout est différent . J’ai devant moi un autre homme, qui me contemple bêtement de ses yeux gris et de son air idiot.
La voix de Rosemary s’intensifie. Elle devient tellement aiguë que je ferme les yeux et me bouche les oreilles . Lorsque j’émerge, elle est devant moi. Avec cet air tellement satisfait et béat.
« Peter, viens manger. Tes œufs vont refroidir »
Une fraction de seconde, j’ai pensé à la corriger sur mon nom mais…non finalement.
Je me laisse faire. C’est tellement bon d’avoir quelqu’un qui pense à vous.





Samedi 16 décembre


Je ne sais pas ce qui est arrivé. Tout ce que je sais c’est que j’étais moi, et le lendemain j’étais lui. Et je le suis toujours. Peter aurait dû revenir en avril, on ne l’a jamais vu. Quand je questionne rosemary à ce sujet, elle ouvre de grands yeux étonnés. En fait, on dirait que pour elle, Peter n’est jamais parti. Il est là, parce que je le remplace. J’imagine comment elle a dû réagir quand son mari l’a quitté, sûrement quand elle était enceinte. Parce que quand Rosemary est arrivé dans le petit village, elle était seule, m’ont expliqué les habitants. Un jour, elle a conduit un petit garçon à l’école. Son fils Peter, elle a dit à la maîtresse d’école. Une sombre histoire de divorce.
Enfin, j’ai autre chose à faire pour l’instant. Je dois préparer mes valises, j’ai trouvé un petit boulot dans une ferme, à une centaine de kilomètres. C’est pas le bout du monde, mais je devrai quitter la maison, la laisser avec le nouveau locataire.
Quelle belle et froide journée de décembre. Rosemary est prévoyante, elle nous a préparé une bonne tasse de thé. Je m’empresse de tenir avec mes mains le petit récipient brûlant et d’avaler à petites lapées le breuvage exquis.
Je devrais dire à Rosemary qu’elle a repris sa mauvais habitude. Elle s’est rongé les ongles aujourd’hui.
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[mentor]

Giny, tu veux être critiquée ou pas ?! :-)))
Allez, je plaisante.
Donc, premier paragraphe calamiteux au niveau vocabulaire je trouve. J’explique : moi je lis à haute voix. D’où ma désapprobation. Que de finales en AN dans une seule phrase ! Et que d’adverbes ! : « sous le paravent, pas une feuille qui tourbillonne négligemment à travers la fenêtre pour se glisser sournoisement sous les fauteuils et attendre patiemment le passage du balai hebdomadaire et nonchalant. »
Et puis aussi : « bien rangé » et « en ordre », une grosse différence, vraiment ? ;-)
A reprendre, à mon sens.
Mais pour l’ensemble quelle atmosphère tu parviens à installer ! C’est magistral. Te connaissant, j’attendais de l’hémoglobine. Ben je te connais pas assez ! :-)))
J’aime toujours bien ces narrations ambiguës où on finit par ne plus savoir qui est qui, qui joue à quoi, et si c’est vraiment un jeu.
Tu aurais pu broder encore plus en ajoutant encore d'autres éléments troubles du passé de cette femme, pour augmenter le malaise du lecteur. Mais c’est ton choix et je respecte.
C’est très bon Giny, depuis le temps que tu ne nous avais plus rien offert… (Vive les vacances !!)

[Mutants Anachroniques]

Deuxième texte que nous lisons après "Lost in transmutation" (par LoupBleu). Chez Rosemary il fait plus frais. C'est ça l'Angleterre. Comme nous l'avons écrit par ailleurs, on ne sait pas trop s'il serait légitime de notre part de jouer les critiques alors que nous n'avons nous-même rien posté (bien sûr vous pouvez toujours visiter notre propre site)... De toutes manières, dans l'ensemble, rien à redire à l'analyse de Mentor: le texte prend du muscle à mesure qu'il avance.

[Nath]

très beau texte avec une belle écriture; j'aime beaucoup ce genre de roman trouble; je me voyais au cinéma en lisant; très visuel; bravo!

[Sahkti]

Je rejoins Mentor dans son analyse, Giny. Tu arrives à dépeindre un atmosphère quasi sinistre, très lente et prenante, et en même temps, tu diminues cette qualité (ce talent, même!) par quelques choix malheureux de vocabulaire ou de tournures alourdies par trop de mots. Comme si tu voulais être sûre de bien te faire comprendre, de créer sous nos yeux la scène que tu décris et qui apparaît si clairement dans ta tête alors que peut-être pas, penses-tu, dans la nôtre.
Des phrases plus courtes, plus légères, rendraient certainement encore plus palpable cette tension que, comme d'habitude, tu racontes bien.

[grieg]

j'aime
j'aime énormement
l'histoire, l'ambiance, le ton, les sonorités, les répétitions...
j'ai pensé en te lisant au Horla, mais aussi à quelque nouvelle de paul bowles (auteur amoureux du Maroc que tu devrais lire)

merci giny, c'était vraiment bon

[Lyra will]

niveau forme, juste cette phrase qui me semble un peu longue...
Pas un grain de poussière qui s’effondre sous le paravent, pas une feuille qui tourbillonne négligemment à travers la fenêtre pour se glisser sournoisement sous les fauteuils et attendre patiemment le passage du balai hebdomadaire et nonchalant.

Sinon, sacrée atmosphère oui. Ça laisse une forte impression, mais en même temps ça reste très flou, je suis curieuse j'aimerais bien en savoir plus !
C'est un bon texte, mais me manque un petit truc pour vraiment adorer, peut-être de la longueur, je ne sais pas !

[Loupbleu]

Je rejoins presque Kill dans l'enthousiasme : j'aime beaucoup !
Je trouve que ton style et ce que tu racontes évolue de façon très intéressante, et j'espère bien que tu nous en redonnera !

Un peu de détail, j'aime quand tu écris :
"Je viens de les remarquer, ses mains" au lieu de :
"Je viens de remarquer ses mains"
et je t'en pardonne (presque) ton goût prononcé pour les adjectifs et les adverbes.
Le trouble de l'histoire est bien mené. J'aurais même bien aimé un peu plus !

Intéressan, et vraiment bien !

[Krystelle]

C'est étrange Giny, parfois ta plume me semble forte et sûre, elle transmet de l'émotion à la douille et d'autres fois, elle se fragilise comme si elle perdait confiance. Et souvent, dans tes textes, tes deux plumes se mélangent, ici notamment.
Je me dis que le jour où tu prendras vraiment de l'assurance ça donnera quelque chose de très très bon.

[Giny]

j'aime
j'aime énormement
l'histoire, l'ambiance, le ton, les sonorités, les répétitions...
j'ai pensé en te lisant au Horla, mais aussi à quelque nouvelle de paul bowles (auteur amoureux du Maroc que tu devrais lire)

merci giny, c'était vraiment bon

tin kill...maupassant est mon auteur préféré et j'ai dû lire la plupart de ses nouvelles.
Justement en écrivant celle-là j'avais en tête mademoiselle fifi, le horla, boule de suif, tous ces trucs que j'adore
sinon, paul bowles ai déjà vu quelques nouvelles, je crois bien qu'il a habité à tanger

[grieg]

je crois bien qu'il a habité à tanger

ouaip
il est même mort là-bas

[Invité]

Bizarre. C'est ce que m'inspire ton texte. Et en fait, je me suis surprise à aimer ce bizarre, cette atmosphère étrange, ces confusions, au point d'en redemander. C'est sordide à souhait et je ne sais pas comment tu dois le prendre mais tu es vraiment la maîtresse de ce genre.

[mya]

Ce texte est excellent!!
plus on comprend et plus on est dérouté par la force des mots!
merci !!! je suis fan!!!

[Jonjon]

ha!
Bien, bien, bien!
Mises à part les quelques faiblesses qu'ont notées mes collègues adorés et qui m'ont un peu dérangé moi aussi, je trouve ton texte très riche, dont la forme relève de l'anecdote ou du journal, avec le légèreté et le ton personnel de ces genres, mais dont le fond est d'une grande profondeur et d'une étrangeté surprenante.

Vraiment, j'ai beaucoup aimé!
Moi aussi je suis un fan! ;-)

[Jonjon]

À noter que ce sont les faiblesses et non les collègues qui m'ont dérangé. ;-P

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