Le Mesnil

[Plotine]

Chaque année, aux grandes vacances, nous allions passer une partie de l'été dans la maison de campagne de ma grand'mère.
Nous arrivions en général au petit matin, mon père préférant conduire la nuit. A peine descendue de voiture, je laissais ma mère et mes soeurs se débrouiller avec les valises et je me dirigeais vers ce qu'on appelait pompeusement "la grange" et qui n'était qu'une modeste remise. Ma grand-mère y entassait tout ce qui est utile à une maison de campagne digne de ce nom : brouette, outils divers, tuyaux d'arrosage, échelle et surtout... des sabots.
C'étaient de vrais sabots de bois mais on avait rajouté une bande de cuir sur le dessus.

Je les adorais. Ils étaient bien sûr trop grands mais, de ce fait, m'offraient l'avantage de ne pas avoir à ôter mes chaussures. Ils me donnaient une démarche pesante, comme après une rude journée de labeur et ils étaient indispensables à la réalisation de mon scénario.
Une fois les sabots aux pieds, j'étais une autre. Du haut de mes 8 ans, je me transformais en solide paysanne. Je me saisissais alors de deux seaux en fer galvanisé et je partais traire mes vaches en train de paître à l'autre bout du champ...
J'avançais courageusement dans le petit sentier que bordaient, d'un côté, le potager et d'un autre, une haie vive constituée de toutes sortes d'arbustes : troène, fusain commun, érable champêtre, aubépine, églantier, charme, qui me ravissait par la variété de leur feuillage et de leurs fruits. Les seaux étaient lourds, je peinais, mais c'était le sort des paysannes et je devais m'acquitter de ma tâche coûte que coûte. Pour me donner du courage, j'imaginais le lait giclant dans le seau et moussant pendant que mon front reposant sur le flanc de la vache, je pourrais humer son odeur rassurante.

Et à ce moment-là, dans ce petit chemin au bout duquel, évidemment, nulle vache ne m'attendait, j'étais envahie d'une joie indicible que je n'ai jamais retrouvée depuis.

[Invité]

Un texte simple, évocateur, qui pour moi a goût de trop peu ; je le verrais bien dans un ensemble qui, vu globalement, donnerait à voir un tableau complet de peintre pointilliste.
Vous vous étonnerez peut-être, Plotine, de mon avis positif alors que celui sur votre texte précédent de souvenir d'enfance avait été plutôt cinglant. La raison, je crois, est que le texte précédent, déjà par son titre, se présentait comme une révélation d'insolite, d'étrange, et que pour moi il n'en avait rien été. J'avais ressenti la chose comme une espèce de tromperie sur la marchandise. Le texte montrait les différents protagonistes saisis d'une terreur presque sacrés devant une paysanne munie d'un baume maison fort efficace. Je ne parviens pas à distinguer quoi que ce soit de surnaturel là-dedans.
Ici, en revanche, pas d'esbroufe, pas d'effet de manches, un souvenir simple et frais servi par une écriture du même tonneau.

Une remarque :
"mes sœurs" : le caractère "œ", je ne me lasserai pas de le dire, fait partie intégrante de la graphie du mot
"Pour me donner du courage, j'imaginais le lait giclant dans le seau et moussant pendant que (je pense qu'ici, pour la clarté de la construction, il serait préférable d'insérer une virgule) mon front reposant sur le flanc de la vache, je pourrais humer son odeur rassurante."

[Invité]

Ouille ! "une terreur presque sacrée"

[Ba]

Quelques phrases pour porter des souvenirs au bout du chemin. J'ai cru sentir le noisetier frais, la rivière mince et jeune, les petites filles en campagne ont se semblable promenade au tout d'elles-mêmes.
Tiens, je vais cueillir la pâquerette là, au pied de la Grison.

[silene82]

Je suis un peu déçu; c'est propret, gentillet, campagnard -encore que je tique un peu sur l'érable et le charme rangés dans les arbustes: c'est au Sahel? Et dans ce cas, pourquoi les sabots? Si sabot ya, eau ya aussi: donc arbrrre très grrrand magnifique. Je m'égare, c'est la faute à Kountiss Sigour.
Personnellement, je ne trouve pas mon compte dans ce genre de choses; rien de saillant, un souvenir d'enfance qui doit avoir grand prix pour celle qui l'a conservé, mais qu'elle ne m'a pas transmis, en tout cas pas l'intensité de la bouffée de joie.

[Arielle]

Rafraîchissante aquarelle, ce souvenir lumineux.
Tant qu'à décrire la haie et toutes ses essences mêlées, vu que vous arriviez le matin (voyage nocturne) j'aurais parlé des éclats de la rosée dans le feuillage, des sabots qui se mouillent dans l'herbe du chemin et d'autres détails de ce genre. Non pas pour diluer l'image mais pour laisser au lecteur le temps d'y entrer ...

[Invité]

Là où certaines s'affublaient des chaussures à talons de maman, d'autres préféraient se rêver en petite paysanne. En cela le texte me plaît parce qu'il va à contre-courant d'idées reçues.
J'aime aussi la simplicité, l'authenticité (ouh, le vilain mot !) de l'écriture. Dommage que ce soit si court. J'imagine bien comment ce qui pourrait passer aux yeux de la famille pour une lubie à vouloir s'accoutrer de la sorte pourrait donner lieu à une suite, un incident peut-être...

[Peter Pan]

Bonjour Plotine,

c'est sympa ces rares petits moments de l'enfance qui, va savoir pourquoi, nous marquent plus que tous les autres ; une odeur, un lieu, une image qui restent pour toujours ancrés dans nos mémoires mais dont nous ne pourrons plus jamais revivre les sensations ressenties à cet instant présent...

Ton texte est simple et raconte une sympathique histoire sans chercher à impressionner, il est pour cette raison réussi pour moi...

[conselia]

Bonsoir,
Pourquoi retenir la plume quand elle a tant à donner ?
"Et à ce moment-là, dans ce petit chemin au bout duquel, évidemment, nulle vache ne m'attendait, j'étais envahie d'une joie indicible que je n'ai jamais retrouvée depuis."
Comme j'aurais aimé savoir, avant de le lire, que cette joie dépassait ce qu'avait connu la narratrice et combien me manque l'amorce d'une évocation des raisons pour lesquelles elle ne la connaîtra jamais plus.
Je vais de ce pas voir plus loin si un autre de vos textes n'offre pas l'ampleur que mérite votre style.

[bertrand-môgendre]

Hum ! Ça sent bon la vache.
Mais alors, mais alors ? Où va-t-elle cette petite fille.
L'écriture est bien travaillée pour nous servir ce côté frais.
Pas facile de faire simple, non ?

[Sahkti]

Pas mal écrit du tout mais je me suis demandée où tout ceci nous menait. Trop court, trop esquissé pour arriver à faire passer la réminiscence de l'enfance, la nostalgie de cette époque faite de sabots et de vaches dans les prés. Il me manque donc quelque chose d'important qui m'empêche de profiter du texte; celui-ci se termine au moment où j'allais peut-être enfin réussir à ressentir les choses, dommage.

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