Ecrivain ou maçon

[Ba]

Le grand Grégoire décida un matin de printemps poussiéreux de devenir écrivain. Sa mère le lui avait formellement défendu avant de mourir.
Il avait juré sur la tombe des vivants qu’il suivrait sa route personnelle.
Il la suivit.
Ce jour-là, bien avant de planter sa plume dans le cul des idées, il s’en alla chercher les adéquats éléments pour devenir ‘crivain.
Celui lui coûta la peau en velin de la Pléiade.
Ruiné il fut en trois achats plastifiés.
Rempli devint son studio mouchoir de moche.
Il y en avait partout, et, au bout du compte, nulle part.
Rien ne lui fut utile.
Les dictionnaires trop lourds finirent au tri sélectif.
Les conseils d’illustres littérateurs et trices, sommités des Alpes et autres Fouillis Amas, se perdirent dans les entonnoirs.
Les méthodes diverses, variées, contre versées et contrevenantes gardèrent leur utilité pour elles, il ne put jamais aligner plus de deux mots :
« Je suis ».
Sa compagne, qui un instant d’électrique songe, s’était prise pour la Béatrice, dut redescendre de l’échelle.
Elle le quitta quand la raison lui revint.
Elle s’appelait Organdine et ne présentait aucun trait commun avec l’Autre.

Il était encore loin de s’appeler quelque chose de connu.
Pourtant il se sentait un talent, les fourmillements dans la tête, les palpitations dans les veines du front, tout semblait lui murmurer « vas-y mon grand, tu seras Château ou rien ».
Comme le « château » était pris…
Il acheta plumes carrées, rondes, ovales, à bille, encre ; stylos, crayons ; papier, carnets, blocs, spirales, reliure en zébu, rayures tigrées.
Rien n’éructait de ce,

« Je suis ».

Que faire de ce misérable dépôt au fond du vers ?
Les murs sourds comme des pots, les mers mortes, les routes creusées sans paupières, les êtres de vents qu’il chercha, trouva, laissa, personne ne répondait, chacun roulait ses frontières sans s’arrêter, pourquoi faire d’ailleurs ?

Un matin d’automne liquide, alors que le premier étourneau atterrissait sous ses fenêtres, le grand Grégoire prit une gomme et s’effaça sans une miette sur la feuille blanche.
Il aurait pu devenir maçon me direz-vous fort judicieusement.
Oui, il aurait pu.

[Invité]

J'adore ! Du début à la fin. De l'humour, de la finesse, ça fait du bien. Une jolie façon de dire des choses qui dérangent. Je l'aime bien ton Grégoire, tu as su le rendre attachant. Merci Ba.

[Adekwatt]

C'est une façon trés particulière d'écrire mais qui ne manque pas de charme et de talent !

[CROISIC]

J'aime. merci

[Invité]

Moi j'ai décroché très vite. Rien à faire. Ce sont les inversions
"Ruiné il fut en trois achats plastifiés.
Rempli devint son studio (...)" qui m'ont rebutée, je les ai trouvées affectées.

[Invité]

Me suis régalée, comme d'habitude avec toi, Ba ! Ou même un peu plus !
A la légère exception des inversions signalées par socque ( surtout la 2e)
Mais broutille, eu égard à la jubilation procurée par le reste !

[Rebecca]

Un univers original, un peu déconcertant mais comme j'aime bien.

[boc21fr]

Toujours votre univers où on se sent un peu perdu mais toujours charmé.
Par contre ce passage :

"Les murs sourds comme des pots, les mers mortes, les routes creusées sans paupières, les êtres de vents qu’il chercha, trouva, laissa, personne ne répondait, chacun roulait ses frontières sans s’arrêter, pourquoi faire d’ailleurs ?

Un matin d’automne liquide, alors que le premier étourneau atterrissait sous ses fenêtres, le grand Grégoire prit une gomme et s’effaça sans une miette sur la feuille blanche."

Alors là chapeau Ba !

[bertrand-môgendre]

Sa mère le lui avait formellement défendu avant de mourir. Pourquoi ne pas le placer avant sa mère ?
...devenir...devenir...devint... devenir... des répétitions trop visibles.
velin ou vélin ?
Avant de classer le texte comme une fin de non recevoir, mon regard se pose ici : le grand Grégoire prit une gomme et s’effaça sans une miette sur la feuille blanche.
Finalement, après relecture, je prends goût du tout.

[silene82]

J'ai mis du temps à apprécier cette manière de conter, je ne suis pas sûr de toujours tout décrypter de ce que la narratrice a voulu poser -si tant est qu'elle le sache elle-même-, mais ce flot atypique et ces images incongrues ont beaucoup de charme, et j'y prends beaucoup de plaisir.

[Plotine]

"Il était encore loin de s’appeler quelque chose de connu".

Je suis pliée !
Et dire que je n'ai certainement pas tout compris. A relire, donc !

[Peter Pan]

Bonjour Ba,

j'ai bien aimé la référence Dantesque, je crois que c'est ça qui m'a le plus interpellé dans ce texte...

[Sahkti]

vas-y mon grand, tu seras Château ou rien. Excellent !

Un matin d’automne liquide, alors que le premier étourneau atterrissait sous ses fenêtres, le grand Grégoire prit une gomme et s’effaça sans une miette sur la feuille blanche.
Il aurait pu devenir maçon me direz-vous fort judicieusement.
Oui, il aurait pu.
Ceci est également très bon !

Encore un grand sourire grâce à toi Ba, dans ce texte doux-amer, plus sombre qu'il n'y paraît sous ses allures décalées. Ce destin qui se sculpte par le Verbe est réussi, humain et touchant, tout en étant drôle et contemplé de l'extérieur, comme au cinéma.

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