Quand t'as le blues
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Quand t'as le blues
Quand t’as le blues
C’est dur d’écrire son blues. Quand t’as le blues, t’as pas envie d’écrire. Forcément, t’as envie de rien. Faut beaucoup de gaieté pour parler de la tristesse, énormément de courage pour dire la lâcheté et tout la bonté du monde pour décrire la malveillance. Le blues c’est comme la vérole, tu l’as ou tu l’as pas, mais tu l’as pas à moitié. Ca fait pas dans la demi-mesure, le blues, ça t’habille au petit point.
Quand t’as le blues, un rien te désespère. Un lave-linge qui fuit, un chien qui fait le mur, une mère en train de s’éteindre. Tu cherches un sens aux mots ; ils n’en n’ont plus, ils ne sont plus que des mots. De pauvres mots. Tu voudrais mille choses extravagantes, que le monde change, que la voisine baisse sa sono, gagner la cagnotte au loto, bref que la pluie s’arrête. Tu vérifies : le monde n’a pas l’air d’avoir changé, la voisine continue à distiller du décibel au kilomètre, la cagnotte t’es passée sous le nez et la pluie redouble. Elle flagelle une grue incongrue érigée au détour d’un pré où grelottent des bovidés détrempés. Elle se dresse comme le squelette fossile d’un reptile volant géant, derrière le passage à niveau. On dirait un épouvantail pour automobilistes imprudents. Sur la chaussée luisante, tu évites le cadavre écrasé de quelque pauvre animal, blanc, noir et laineux ; de plus près, c’est une poupée de tissu, aux boucles noires, au corps de coton grisâtre. A la réflexion, ça ne vaut guère mieux. Les cadavres de poupée n’ont rien qui puisse réchauffer le cœur.
Quand t’as le blues, tu l’emmènes se changer les idées au bistrot du coin. S’il est ouvert. Le monde reste immuablement lui-même – il en faut plus pour l’émouvoir – la sono de la voisine rythme ta fugue, une bourrasque disperse le billet de loto déchiré, en un mot la pluie te cingle le visage. Elle colle au blues comme un maillot mouillé à une paire de seins. Le bistrot du coin est fermé. La pluie a dissous les clients. La patronne a eu un coup de blues aussi ; elle est retournée chez elle le dissoudre dans la potée au choux et à la saucisse de campagne. On dit le remède infaillible. J’ai des doutes : quand le blues te met le grappin dessus, t’as pas vraiment envie de manger de la potée. Même avec de la saucisse de campagne. C’est un mets de gens heureux, ou en tous cas joviaux et pleins d’appétit.
Quant t’as le blues, tu broies du bleu. Il est plus sombre que le noir. C’est pourquoi Armstrong et ses frères en swing n’étaient pas noirs, mais bleus. Bleus nuit, on ne peut mieux dire. Tu cherches un sens aux couleurs ; elles n’en n’ont pas plus que les mots. Elles ne sont que des couleurs. La réalité est transparente, la décrire la rend opaque. La chanter plus encore. Le blues est la ballade du brouillard. Même lorsqu’il est rageur, il émerge d’une brume indigo, parfois zébrée d’éclairs. Comprenne qui pourra. Tu rentres penaud chez toi. Peut-être le chien est-il revenu. Tu décapsuleras une canette de bière forte. Voire même plusieurs. L’épicerie était encore ouverte. On ne peut pas perdre à tous les coups. Le chien a fini par revenir. Ca s’arrose. Le voisin s’est couché ou est parti faire du foin ailleurs. Ca s’arrose aussi. Peut-être sortiras-tu ta guitare de son étui,
Si t’as vraiment le blues…
Gobu
C’est dur d’écrire son blues. Quand t’as le blues, t’as pas envie d’écrire. Forcément, t’as envie de rien. Faut beaucoup de gaieté pour parler de la tristesse, énormément de courage pour dire la lâcheté et tout la bonté du monde pour décrire la malveillance. Le blues c’est comme la vérole, tu l’as ou tu l’as pas, mais tu l’as pas à moitié. Ca fait pas dans la demi-mesure, le blues, ça t’habille au petit point.
Quand t’as le blues, un rien te désespère. Un lave-linge qui fuit, un chien qui fait le mur, une mère en train de s’éteindre. Tu cherches un sens aux mots ; ils n’en n’ont plus, ils ne sont plus que des mots. De pauvres mots. Tu voudrais mille choses extravagantes, que le monde change, que la voisine baisse sa sono, gagner la cagnotte au loto, bref que la pluie s’arrête. Tu vérifies : le monde n’a pas l’air d’avoir changé, la voisine continue à distiller du décibel au kilomètre, la cagnotte t’es passée sous le nez et la pluie redouble. Elle flagelle une grue incongrue érigée au détour d’un pré où grelottent des bovidés détrempés. Elle se dresse comme le squelette fossile d’un reptile volant géant, derrière le passage à niveau. On dirait un épouvantail pour automobilistes imprudents. Sur la chaussée luisante, tu évites le cadavre écrasé de quelque pauvre animal, blanc, noir et laineux ; de plus près, c’est une poupée de tissu, aux boucles noires, au corps de coton grisâtre. A la réflexion, ça ne vaut guère mieux. Les cadavres de poupée n’ont rien qui puisse réchauffer le cœur.
Quand t’as le blues, tu l’emmènes se changer les idées au bistrot du coin. S’il est ouvert. Le monde reste immuablement lui-même – il en faut plus pour l’émouvoir – la sono de la voisine rythme ta fugue, une bourrasque disperse le billet de loto déchiré, en un mot la pluie te cingle le visage. Elle colle au blues comme un maillot mouillé à une paire de seins. Le bistrot du coin est fermé. La pluie a dissous les clients. La patronne a eu un coup de blues aussi ; elle est retournée chez elle le dissoudre dans la potée au choux et à la saucisse de campagne. On dit le remède infaillible. J’ai des doutes : quand le blues te met le grappin dessus, t’as pas vraiment envie de manger de la potée. Même avec de la saucisse de campagne. C’est un mets de gens heureux, ou en tous cas joviaux et pleins d’appétit.
Quant t’as le blues, tu broies du bleu. Il est plus sombre que le noir. C’est pourquoi Armstrong et ses frères en swing n’étaient pas noirs, mais bleus. Bleus nuit, on ne peut mieux dire. Tu cherches un sens aux couleurs ; elles n’en n’ont pas plus que les mots. Elles ne sont que des couleurs. La réalité est transparente, la décrire la rend opaque. La chanter plus encore. Le blues est la ballade du brouillard. Même lorsqu’il est rageur, il émerge d’une brume indigo, parfois zébrée d’éclairs. Comprenne qui pourra. Tu rentres penaud chez toi. Peut-être le chien est-il revenu. Tu décapsuleras une canette de bière forte. Voire même plusieurs. L’épicerie était encore ouverte. On ne peut pas perdre à tous les coups. Le chien a fini par revenir. Ca s’arrose. Le voisin s’est couché ou est parti faire du foin ailleurs. Ca s’arrose aussi. Peut-être sortiras-tu ta guitare de son étui,
Si t’as vraiment le blues…
Gobu
Gobu- Nombre de messages : 2400
Age : 69
Date d'inscription : 18/06/2007
Re: Quand t'as le blues
Quand t'as vraiment le blues, t'éparpilles des mots, le vent se charge de les acheminer , ils tombent dans la boue, une voisine passe sans les voir, une autre en recueille un, merde, c'est pas le bon, et puis l'ordinateur, et là : magie !
T'as en face ou ailleurs une copine inconnue qu'a le coeur perméable, qui reçoit cinq sur cinq, qui trouve que c'est beau, et qui te le dit.
Avec le ton et le tempo. Elle en joue aussi.
T'as en face ou ailleurs une copine inconnue qu'a le coeur perméable, qui reçoit cinq sur cinq, qui trouve que c'est beau, et qui te le dit.
Avec le ton et le tempo. Elle en joue aussi.
Invité- Invité
Re: Quand t'as le blues
Heureuse de vous relire, Gobu ! Ça faisait du temps... Je trouve que votre texte restitue bien une impression de désabusement, qu'il est expressif. Le sujet ne me passionne pas, cela dit. Pour moi, le dernier paragraphe est moins réussi que les autres, ses phrases courtes, selon moi, brisent quelque chose, sont trop "punchy".
Mes remarques :
« toute la bonté du monde pour décrire la malveillance »
« Ça fait pas dans la demi-mesure »
« ils n’en ont (et non « n’ont ») plus »
« la cagnotte t’est passée sous le nez »
« elles n’en ont (et non « n’ont ») pas plus que les mots »
« Ça s’arrose »
« Le voisin s’est couché ou est parti faire du foin ailleurs. Ça s’arrose aussi » : c’était pas la voisine, plus haut ?
Mes remarques :
« toute la bonté du monde pour décrire la malveillance »
« Ça fait pas dans la demi-mesure »
« ils n’en ont (et non « n’ont ») plus »
« la cagnotte t’est passée sous le nez »
« elles n’en ont (et non « n’ont ») pas plus que les mots »
« Ça s’arrose »
« Le voisin s’est couché ou est parti faire du foin ailleurs. Ça s’arrose aussi » : c’était pas la voisine, plus haut ?
Invité- Invité
Re: Quand t'as le blues
P'tet deux copines inconnues...
Moi je suis pas musicienne pour deux sous mais je reconnais le blues
et ton texte tout bluesy il me le files pas le blues il me fait sourire même
et pourtant j'me sens pas blousée
Moi je suis pas musicienne pour deux sous mais je reconnais le blues
et ton texte tout bluesy il me le files pas le blues il me fait sourire même
et pourtant j'me sens pas blousée
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Quand t'as le blues
Le blues est la ballade du brouillard. Même lorsqu’il est rageur, il émerge d’une brume indigo, parfois zébrée d’éclairs.
Gobu en bleu ! On boit sans soif, jusqu'à la lie, pour le plaisir de retrouver ta petite musique qui nous manquait.
Re: Quand t'as le blues
Chouette, revoilà Gobu !
Période bleue.
Ça fait du bien de te lire à nouveau.
Faudrait créer un exo live pour fêter ça.
Période bleue.
Ça fait du bien de te lire à nouveau.
Faudrait créer un exo live pour fêter ça.
Kilis- Nombre de messages : 6085
Age : 78
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Quand t'as le blues
A l'inverse de socque, c'est le dernier paragraphe qui m'a vraiment fait apprécier ce texte que je trouvais un peu trop convenu (dans les images) jusque là.
Quand la musique rejoint les mots et se fait couleur....c'est un réel bonheur à la lecture.
Quand la musique rejoint les mots et se fait couleur....c'est un réel bonheur à la lecture.
Zou- Nombre de messages : 5470
Age : 62
Localisation : Poupée nageuse n°165, Bergamini, Italie, 1950-1960
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Quand t'as le blues
Bon, plus personne n'a le blues à présent, c'est ça ?Pili a écrit:Faudrait créer un exo live pour fêter ça.
Comme quoi, trois accords de guitare que tout le monde connaît plus ou moins, ça réchauffe comme si la pluie prenait feu. Mais une douce chaleur, de feu de bois.
C'est surtout le dernier paragraphe qui m'a plu, les précédents étaient un peu trop convenus à mon goût.
Je laisse ça ici, la découverte en vaut la peine : https://www.youtube.com/watch?v=wMObO7TFLOY
Chako Noir- Nombre de messages : 5442
Age : 33
Localisation : Neverland
Date d'inscription : 08/04/2008
Re: Quand t'as le blues
La guitare est sortie de son étui, elle brille dans la lumière artificielle, mais faudrait plus d'accords sous mes doigts pour rendre justice à ton blues.
Paradoxalement, j'ai souri ( et même ri ) plus d'une fois en te lisant : c'est ça le blues, aussi. Tu as tout bien rendu et je vais ouvrir une bouteille à la santé de Gobu et à son retour.
Pili, voilà une idée qu'elle est bonne ! ^^
Et ça commence fort :
Paradoxalement, j'ai souri ( et même ri ) plus d'une fois en te lisant : c'est ça le blues, aussi. Tu as tout bien rendu et je vais ouvrir une bouteille à la santé de Gobu et à son retour.
Pili, voilà une idée qu'elle est bonne ! ^^
Et ça commence fort :
C’est dur d’écrire son blues. Quand t’as le blues, t’as pas envie d’écrire. Forcément, t’as envie de rien.
Tu cherches un sens aux couleurs ; elles n’en n’ont pas plus que les mots. Elles ne sont que des couleurs. La réalité est transparente, la décrire la rend opaque. La chanter plus encore.
Campaï !Ca s’arrose. Le voisin s’est couché ou est parti faire du foin ailleurs. Ca s’arrose aussi. Peut-être sortiras-tu ta guitare de son étui,
Si t’as vraiment le blues…
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 46
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: Quand t'as le blues
aimé sans réserve.
surtout le 1er paragraphe tellement vrai ...
pile dans l'humeur du lundi matin:-)
surtout le 1er paragraphe tellement vrai ...
pile dans l'humeur du lundi matin:-)
Charles- Nombre de messages : 6288
Age : 48
Localisation : Hte Savoie - tophiv@hotmail.com
Date d'inscription : 13/12/2005
Re: Quand t'as le blues
du Gobu tristounet mais si bien écrit et si évident!
je préfère l'humour, mais ce registre te va bien aussi
j'apprécie ton retour sur VE
Gobu, je suis également heureux de te voir "postuler" pour l'appel de Consela ;-)
je préfère l'humour, mais ce registre te va bien aussi
j'apprécie ton retour sur VE
Gobu, je suis également heureux de te voir "postuler" pour l'appel de Consela ;-)
Re: Quand t'as le blues
Un texte à double sens, je l'ai compris ainsi,
Le blues de la vie et celui de la musique,
Je suis heureux de te relire ici.
je me reconnais dans ton blues, où je me trouve d'autant plus seul que je suis sans guitare...
Le blues de la vie et celui de la musique,
Je suis heureux de te relire ici.
je me reconnais dans ton blues, où je me trouve d'autant plus seul que je suis sans guitare...
boc21fr- Nombre de messages : 4770
Age : 53
Localisation : Grugeons, ville de culture...de vin rouge et de moutarde
Date d'inscription : 03/01/2008
Re: Quand t'as le blues
Très plaisant, j'ai aimé !
demi-lune- Nombre de messages : 795
Age : 63
Localisation : Tarn
Date d'inscription : 07/11/2009
Re: Quand t'as le blues
Monique qui me parle de blues et voilà que je déniche ce texte de Gobu qui m'était passé entre les doigts... Beaucoup de justesse dans ce que tu évoques, dans le fatalisme qu'on peut parfois ressentir, la lucidité aussi, tout comme la volonté dont on voudrait faire preuve en pareil cas. Tout y est, éparpillé au gré du texte. Mon seul petit bémol sera pour l'aspect de ci de là très académique de la manière de traiter tout cela, ça manque un peu de battements de coeur mais en même temps, ça sonne très véridique.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Miles was here.
Ce qui est étrange avec le blues, c''est qu'il peut se décrire sur un mode majeur, et ne point véhiculer de tristesse apparente. Comme si la tristesse était inhérente à la structure rythmique elle-même, en fait. Alors que non, pas tellement. Elle vient de cette chanson que les esclaves noirs chantaient pour se donner du courage, elle vient donc d'une profondeur insoupçonnée, un peu comme si on tentait de décrypter des hiéroglyphes sans le moindre début de connaissance - mais après tout, Champollion l'a fait, alors... Etrange blues, qui peut paraître presque joyeux, primesautier. Et ce texte est ainsi aussi, il oscille entre mode majeur et mode mineur. Il faut dire qu'il y a des gammes spécifiques au blues, avec des altérations particulières. Ceci explique peut-être cela.
Mood indigo, on entend presque la sourdine de Miles Davis.
Cool...
Ubik.
Mood indigo, on entend presque la sourdine de Miles Davis.
Cool...
Ubik.
Re: Quand t'as le blues
"La réalité est transparente, la décrire la rend opaque. La chanter plus encore. Le blues est la ballade du brouillard."
Je vous le kidnappe, ne vous inquiétez pas pour lui, je prends grands soins de mes otages.
Je vous le kidnappe, ne vous inquiétez pas pour lui, je prends grands soins de mes otages.
Jérémie- Nombre de messages : 412
Age : 46
Localisation : Sixfeetunder
Date d'inscription : 27/03/2010
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