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Le temple

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Lucy
ubikmagic
silene82
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Message  silene82 Lun 1 Mar 2010 - 5:45

Le break stationné devant l'entrée noble commence à se remplir : une vieille dame, de provenance inconnue mais vivant dans le voisinage, et surtout protestante, vient prendre place. Elle s'installe confortablement, comme on peut imaginer que s'installaient les dames à crinolines dans une diligence. Elle est pourvue d'abondance de manteaux : elle sait que le temple est glacial.
Jonathan, excité comme à l'accoutumée, et qui a sauté comme un cabri les marches du perron, à plusieurs reprises, ouvert le hayon du break, révélant l'espace où il s'installera avec ses sœurs, les places réputées confortables étant réservées,sans même que cela ait besoin de se discuter, de plein droit aux personnes adultes, et à plus forte raison âgées.
Jonathan, ainsi que ses sœurs, trouve cela parfaitement naturel.
La vieille dame est causante, esseulée d'une autre région, froide quant au climat, mais chaleureuse cependant : c'est ce qui transparaît de son discours. Être venue réchauffer ses vieux os au soleil du midi l'a privée du tissu affectif immatériel dont elle ressent le manque.
Elle aime aller au temple. Elle trouve que les baptistes ont une vraie chaleur, et qu'ils manifestent un intérêt sincère. Le pasteur et son épouse la visitent fréquemment, et avec beaucoup de gentillesse. Des frères de l'assemblée l'invitent à tour de rôle, et, comprenant son sentiment d'exil, essaient de l'entourer au mieux.
Survient une autre dame âgée, juive russe réfugiée depuis la guerre, et qui s'est convertie par la force du témoignage reçu. Elle a été cachée par divers membres de l'assemblée, qui n'y voyaient rien que de très naturel. Jonathan aime l'écouter parler cet étrange français chantant. La sachant russe, il s'extasie sur la beauté de cette langue qu'il a entendue parler par un pasteur ami de la maison, colonel de la Garde du Tzar avant la Révolution. La dame russe, et juive de surcroît, se récrie et signale qu'elle aussi parle un trrès beau riousse. Jonathan ne saisit pas en quoi elle a pu se sentir offensée.
La patache s'ébranle ; monseigneur cornaque le petit groupe, et conduit. La régente se sacrifie, comme il se doit, et veille aux destinées de l'entreprise. Elle sera présente par la pensée, et peut-être même en esprit. Saint.
Une place demeure auprès du conducteur, qui permet de charger, en cours de route, une longue vieille fille à habits surannés, exhalant une odeur douceâtre de naphtaline et de camphre. Jonathan s'en réjouit, car la demoiselle, de soixante-dix printemps, ce qui n'a rien de rare dans l'assemblée, a un esprit très vif et fréquemment fort drôle. Elle polémique très volontiers avec monseigneur, qu'elle contredit sans la moindre vergogne, et qui se tient coi. D'autant qu'elle illustre son propos avec beaucoup de pertinence et d'humour.
Jonathan observe.
Le temple a une odeur curieuse : sont-ce les portes battantes, formant sas, capitonnées d'un espèce de skaï ? Le marbre des marches qui filent vers l'étage ? Si l'on entrait en plein culte, ce qui ne peut arriver, on s'efforcerait de les retenir pour qu'elles ne troublent pas l'assemblée. Mais là, on est en avance, et c'est voulu, et c'est très bon.
Jonathan a tout loisir de déambuler dans le superbe édifice, dénudé quoique pourvu d'une coupole, sur le tambour de laquelle des versets admirables sont inscrits dans un beau caractère, parfaitement lisible. Des versets d'espérance, d'amour, mais aussi de mise en garde. Les insensés se font un jeu du péché. Jonathan encaisse, inquiet.
Rejoignant le dépouillement shaker, dont les écoles modernes, depuis Arts and Crafts, ont célébré la modernité et la perfection, le temple est nu et fort beau cependant. Les bancs de pitchpin sombre et massif s'élèvent de l'espace central, où se tiendra la Cène, dite sainte, vers les portes à battant. Le sol est revêtu de parquet, admirablement ciré par diverses dames du voisinage, pour qui c'est rendre un culte au Seigneur.
Une atmosphère joyeuse fait circuler les uns et les autres dans le temple, car on voudrait saluer tout le monde. C'est une petite communauté, qui a plaisir à se retrouver, unie dans une espérance commune.
Beaucoup de chaleur, beaucoup de personnes âgées, voire très. Elles se réjouissent de voir de jeunes pousses régénérer les arbres vieillissants.
Jonathan aime beaucoup une paire de vieilles filles, l'une professeur d'anglais, l'autre de gymnastique, rieuses comme des collégiennes, lors qu'elles sont retraitées, et de longtemps. Elles pétillent littéralement, et c'est un véritable plaisir que de parler avec elles.
Le pasteur l'appelle mon fils. C'est un monsieur d'allure sévère, aux yeux pleins de bonté. Il était militaire, auparavant, d'une rigidité juste. Dixit monseigneur.
Sa moustache, coupée ras, ce qui abonderait dans la thèse de la persistance d'une esthétique sobre, pique désagréablement. Mais il parle gentiment et a l'air intéressé par les réponses qu'il recueille.
Jonathan connaît tout le monde : monseigneur est un des notables spirituels de l'assemblée, fréquemment substitut du pasteur quand celui-ci s'absente, comme il en est un dans le siècle.
Si Jonathan tombe bien, les cantiques sont chantés à capella, et de très honorables voix sont aptes à tenir diverses parties : un entraînement hebdomadaire a permis de mémoriser la ligne mélodique, pour ceux qui ne peuvent lire la musique, dans l'épais volume des Ailes de la Foi. Un Alsacien jovial, à moustache de phoque, dont l'accent provoque les quintes de rire contenu que Jonathan et ses sœurs étouffent comme ils peuvent, tient une basse superbe, sonore, qui donne une assise harmonique puissante et mélodique. Un Russe dégingandé, qui n'est pas celui de Nicolas, renforce d' inflexions slaves le grondement alsacien. Un Africain, immense, aux beaux yeux paisibles, suit à l'oreille, et ajoute de précieuses harmoniques. Brode par dessus le soprano des dames, qui s'attachent à prononcer le plus distinctement qu'il se peut : évidente divergence du point de vue papiste, par rapport à la doctrine évangélique, quand Brassens informe de ce que sans le latin, la messe nous emmerde, les parpaillots, tenant à la Bible parfois plus qu'à leur vie, attachent le plus grand prix à la qualité du texte, en français absolument, qui peut broder à l'infini sur des thèmes fort nombreux, voire paraphraser en les versifiant les inépuisables psaumes du berger devenu roi, après avoir engrossé force donzelles et fait tuer celui dont il avait pris la femme.
Quelques ténors, dont monseigneur, ponctuent et enjolivent le cantique en cours, et il arrive assez communément que le brouet soit acceptable. A capella.
Les choses s'envinaigrent avec l'arrivée, pas systématique, Dieu n'étant pas si dur, des préposées à l'accompagnement. Orchestre : harmonium et violon.
L'harmonium est un fort honnête instrument, pour peu que la vélocité des gambettes du pédaleur lui donne assez de souffle pour alimenter la voracité des tuyaux : l'admirable Kappelmeister Bach, en son Leipzig septentrional, jouissait du concours de robustes saxons qui actionnaient avec puissance et entrain les soufflets alimentant son orgue. Eût-il fait mieux que la dame russe déjudaïsée, qui, de professeur de français et de piano à Moscou, se retrouvait préposée à l'harmonium antique d'un temple férocement glacial ? Ce qui, malgré les mitaines, ne pouvait que porter préjudice à l'exécution du morceau : la vieille dame eût-elle compris que la vigueur du pédalage atténuerait peut-être sensiblement la froidure qu'elle se fût peut-être escrimée, joignant l'efficace à l'utile. Or elle moulinait poussivement de longues plaintes qui s'étiraient longtemps, et constituaient certes une espèce de fond sonore, pâteux et gras, mais sans mesure.
Jonathan, toujours pénétré de respect devant qui sait, s'interroge fréquemment sur les raisons qui peuvent expliquer les étranges ralentissements de madame Kahn. La thèse la plus probable, en est-il venu à conclure, est qu'elle soit un peu sourde : il a relevé depuis longtemps qu'elle ne dialogue pas, mais énonce, puis se tait.
Mais tout cela n'est rien.
Une forme noire, assez grande, se dresse généralement après le premier cantique, exécuté, et jamais le mot n'a été aussi vrai, à l'harmonium solo.
Un son d'une stridence déconcertante monte par dessus les dégoulinades de l'harmonium mal tempéré : le violon démoniaque est entré en danse. Jonathan, qui a fondu en larmes en entendant une version de Jésus que ma joie demeure en quatuor, ne comprend plus rien : outre qu'il joue à contretemps, l'instrument couine et grince horriblement, et l'admirable acoustique du temple en décuple l'abomination. Jonathan, accablé et prospectif, songe qu'il y a au moins trois points qui expliquent, sans la justifier, la cacophonie.
La violoneuse, une adorable vieille dame, dynamique et gentille, qui le laisse toucher son violon après les cultes, est arthritique. Il le sait puisqu'elle le lui a expliqué, en lui confiant, avec un sourire lointain, que jouer lui permet de tenir le mal à distance. Voire.
De surcroît, elle y voit mal, et comme elle est -enfin, était, ceci expliquant cela -, professeur de violon, elle a besoin de lire. Or, il est peu probable que ses lorgnons lui permettent de suivre sur le petit format du recueil. Et elle ne joue évidemment pas d'oreille, n'en ayant aucune pratique.
Enfin, songe Jonathan, elle est manifestement un peu sourde, puisqu'elle lui demande toujours de lui parler du côté de sa bonne oreille. Or il est établi que madame Kahn, elle, est indiscutablement faible de la feuille. Si l'on y rajoute la soliste affligée elle aussi du même handicap, la situation devient ubuesque.
D'autant que les cantiques sont très fréquemment remarquablement écrits, tant livret que partition : texte classique, parfois pompeux, mais on y apprend de jolis mots. Jonathan, souriceau quand il y a du texte à lire, triche fréquemment, et s'octroie de bonnes lampées d'autres textes que celui en cours de célébration. La musique, elle, emprunte très couramment aux plus grands, Haydn, Telemann, Bach, bien sûr, Grieg, Schubert, Mendelsohn. Il va sans dire que la complexité technique de morceaux émanant de telles pointures désarçonnent invariablement les braves dames, et amène une cacophonie attristante. D'autant que les deux virtuoses, au bas de la chaire, ont un fort haut mur derrière elles qui réverbère les sons : seuls les basses humaines ont pouvoir pour s'opposer à la divagante harmonie qui monte, dans les hurlements de scie du violon emballé. Et, stoïques et concentrés, les frères aux voix profondes opposent le rempart de leur coffre pour sauver le cantique.
Et parviennent parfois à infléchir le cours inexorable de l'assassinat du saint chant : la puissance des basses agit, semble-t-il, comme un électrochoc sur l'organiste, qui ne se cramponne plus, soudainement, à son livre, s'abandonne, et modère ses modulations en s'efforçant de coller aux voix. Ce qui va mieux.
Le violon, lui aussi, s'émeut parfois, et Jonathan se demande comment il se fait qu'on puisse à la fois jouer bien et mal.
Le culte se poursuit. Les actions de grâce montent, exprimant une ferveur communicative ; certaines traînent en longueur.
La prédication est complexe, très fréquemment puisée dans l'Ancien Testament, éclairé par le Nouveau. Elle demande une habitude des textes ; la langue est belle, chacun lit dans la version qui le contente, le pasteur aime la Synodale, d'un français très pur. Jonathan, suivant dans la Darby, qui colle au texte original, se régale de bénéficier, en stéréo, de versions multiples, car il lit en même temps, du coin de l'œil, sur celle de monseigneur, qui penche pour Segond.
L'univers du temple est un espèce d'enclos, de pré carré ; l'on n'y évoque que des thèmes spirituels, exclusivement. La Bible ne dit d'ailleurs pas grand chose des difficultés sociales ; certes l'exil en Égypte des fils d'Israël ressemble furieusement à une migration économique, pour raison de disette. Mais dans le lieu mis à part, les seuls sujets abordés évoquent le salut, qui est la quête heureuse, car le dogme baptiste en garantit la certitude sur des bases scripturaires indiscutables.
Tout le reste n'est que vent, et paille.
Ces protestants actifs sont commerçants, artisans, professeurs. Il est fréquent que de vieilles filles, qui vivaient une austère simplicité, dans des maisonnettes glaciales, faiblement réchauffées d'un pauvre poêle à bois, lèguent des sommes considérables, pour que la Bible soit distribuée, et pour que le temple puisse continuer à être entretenu, car c'est un édifice d'un autre siècle, qui coûte fort cher à une petite congrégation.
Jonathan aime la simplicité de rapports qui a cours dans l'assemblée ; il est d'ailleurs persuadé qu'il en est ainsi dans la vie réelle, et s'en trouve fréquemment déconfit.
Formaté depuis sa plus tendre enfance dans le canon le plus pur des dogmes baptistes, il a été instruit scrupuleusement dans la loi de l'Éternel, qui l'impressionne beaucoup, notamment par les monceaux de cadavres dont Il jonche les champs de bataille. Jésus, pour sa part, est tellement bon qu'on voudrait que tout le monde soit comme lui. Quoique Jonathan fasse observer qu'il dise à ces disciples qu'ils sont des fils du diable et des races de vipères, ce qui, malgré le côté imagé bien connu propre à l'araméen, donne à penser que les exigences divines puissent être considérablement plus élevées que ce que l'humain ordinaire peut offrir.
Jonathan a lu intégralement la Bible a plusieurs reprises, sautant les indigestes généalogies qui parsèment avec une abondance qui nuit à la fluidité du texte, les livres de l'Ancien Testament. C'est de la lecture. Quelques bons plans, Gédéon et ses trouvailles guerrières, Samson le surhomme, qui flanque des tripotées sanglantes à des hordes de guerriers redoutables, et, en guise d'apothéose, disloque les colonnes du temple sous lequel il périt enseveli. Jonathan se rêve, héroïque, poussant d'un sublime effort.
Pas de quête ; de simple troncs, aux deux entrées, assortis d'une recommandation biblique, enjoignant en substance à chacun de donner selon ce qu'il a projeté, ce qui semble exclure la superbe, et avec joie, ce qui devrait éloigner l'avarice. Jonathan aime la sagesse de ces conseils. D'ailleurs, il aime tout, en ce lieu.
La fin de culte arrive, et chacun s'ébroue. Les embrassades reprennent, et Jonathan, pressé d'aller approcher d'autres humains, qui plus est de son âge, mais respectueux et bien élevé, répond sans faillir aux multiples questions sur la prédication, dont on voudrait savoir ce qu'il en a tiré. C'est selon : soit il a suivi, car l'orateur a réussi à l'embarquer, soit il a lu un de ces prophètes qui demandent beaucoup d'attention, tant la langue en est archaïque et hérissée de chausse-trappes. Auquel cas il peut adroitement orienter la conversation, et les questions spirituelles, sur ce qu'il vient d'absorber.
Jonathan est une éponge. Un petit perroquet. Un cerveau vierge où tout s'engouffre. Il stocke tout, sans limite. Sa mémoire est immense, il lit d'un trait et mémorise tout. Il lit n'importe quoi, de l'exécrable à l'excellent, sans discernement, dans une boulimie continue ; il a des piles de livres au pied de son lit, il lit à la bougie depuis que la régente s'est émue de sa lampe de chevet tard dans la nuit.
Les Écritures, pour saintes qu'on les disent, n'offrent pas grand ragoût ; soit elles énoncent des évidences, d'un ton sentencieux, et Jonathan, ondoyé depuis le sortir-au-jour de biblisme et de paraboles, ne se rend pas compte qu'il réentend ce qu'il sait déjà, soit elles s'engluent dans des obscures histoires de doctrine, qui illustrent brillamment la réputation d'infinis disputeurs des Juifs.
Pour ce qui est de la Bonne Nouvelle.
Jonathan a l'occasion, lorsqu'enfin relaxé des questions spirituelles, de côtoyer une demoiselle, jolie comme une fille. Quand on n'en voit guère. A part ses sœurs, qui ne comptent pas. Elle s'attarde dans l'arrière-cour, où siège le figuier centenaire, à l'énorme tronc tortueux. Elle a une jolie robe et un sac. Des socquettes blanches dans des souliers noirs, vernis. Un petit nœud dans les cheveux, modeste.
Jonathan la trouve admirable. En gage d'amour, lorsqu'il était petit, il cachait des piécettes de monnaie soustraites à la régente, dans son porte-monnaie, s'émerveillant d'imaginer sa joie lors de la découverte. Comme elle ne lui en parla jamais, il en conclut que les filles sont frivoles, et ne savent jamais où elles en sont.
Il n'en demeure pas moins que pouvoir l'approcher, l'embrasser – elle sent la lavande, et c'est bon – ne se barguigne pas. D'autant que dans la cour, il peut y avoir de la distraction. Les enfants d'un vague missionnaire, américains élevés en France, sont d'une fourberie onctueuse qui épouvante Jonathan, puis l'intéresse. Il réalise évidemment qu'ils considèrent les petits frenchies comme ce qu'ils sont, des natives, incapables de s'exprimer dans une langue autre que la leur. Mais ils savent quantité de choses, ont voyagé bougrement, et connaissent Albert de Monaco.
Les jeux sont d'une indigence à pleurer, et consistent principalement en courses, dans un espace assez exigu de surcroît ; mais c'est une occasion d'investir son corps, en l'activant autrement que par ses connexions neuronales. Jonathan court et joue comme un possédé, comme si c'était la dernière fois. Tant d'enfants ensemble, qui tournoient...
De petits groupes sortent sporadiquement, renouvellent leurs souhaits, réembrassent de bon cœur. Ils grimpent en voiture. Monseigneur arrive, escorté des passagères. Embarquement.
La régente hoche la tête avec onction et gratitude à l'audition du menu du culte. Jonathan apporte tantôt une précision, tantôt une pensée, qui le fait prendre en considération.
Si seulement il n'agissait pas d'un manière si terriblement opposé à tout le richesse spirituelle qu'il a cumulé, n'est-ce pas ?
La régente ne connaît pas le mot cumuler, elle a voulu dire accumuler. Quand elle est animée, ou fatiguée, c'est selon, elle peine dans la difficile différenciation du genre en français, qui ne s'apprend que par la pratique.
Quand ses copains disent que sa mère a un drôle d'accent, Jonathan se fâche tout rouge. Il ne voit pas en quoi.
A l'école, tout le monde a été baptisé. Et va faire sa communion. Sauf lui.
Cela n'a pas d'incidence particulière.
Jonathan raffole des histoires de justice, dans lesquelles la sagesse éclairée, bien entendu, par la voix de Dieu, rend son droit au pauvre, ou au malade. Voire en fait davantage, comme la barre placée plus haut par le galiléen fou d'amour, qui non content de charger l'homme agressé sur son âne, et de le soigner sommairement avec ce qu'il a, le laisse aux bons soins d'un aubergiste, à ses frais.
Jonathan ne s'enquiert pas encore, sans y toucher, de savoir s'il ne s'en serait pas débarrassé plutôt.
Jonathan prend l'évangile comme bon pain. Il ne disconvient pas qu'on y trouve d'excellentes choses. Mais il préfèrerait expérimenter, et découvrir.
Jonathan, porteur d'une charge transgénérationnelle, finira-t-il hérétique, ou renégat, ce qui ne vaut guère mieux ?
Jonathan lit des livres pernicieux, et tout est possible.
Il a toujours aimé jouer avec le feu, jusqu'à se brûler.
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Message  ubikmagic Lun 1 Mar 2010 - 8:20

Hello,

Toujours cette précision chirurgicale, ce ton doux-amer, plein de bonhomie mais prêt en un instant à devenir cruel, cette distance ironique et légèrement condescendante. Et cette langue riche, complexe, fascinante, qui donne l'impression qu'ici tu fais tes gammes, que tu trottes à petites foulées, alors que le galop est à ta portée. A quand le pavé, dis ?

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Message  Invité Lun 1 Mar 2010 - 9:17

Il y a du pédagogue en toi, tu ne fais pas qu'écrire, tu informes, tu enseignes.
Mais tu ne fais pas que cela, tu décris, tu excelles à décrire et là je dois dire que je me suis régalée de ces portraits divers, à tel point que j'ai regretté qu'on bifurque un peu à mi-chemin.

Ah ! Jonathan l'(im)pertinent a bon dos, qui voit tout, qui sait tout...


Je te laisse ceci :

Quoique Jonathan fasse observer qu'il dise à ces disciples qu'ils sont des fils du diable et des races de vipères, ce qui,

Si seulement il n'agissait pas d'une manière si terriblement opposée à toute la richesse spirituelle qu'il a cumulée, n'est-ce pas ?

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Message  Lucy Mar 2 Mar 2010 - 2:18

Un plaisir toujours renouvelé de retrouver ce petit Jonathan. Et cela ne fait que la troisième fois, pour ma part. Une lecture amusante, la chorale comme je ne l'avais jamais vue : du grand art ! Je n'ai pas joué le jeu des relevés, car il y en aurait eu beaucoup trop, si ce n'est pour cela :

L'harmonium est un fort honnête instrument, pour peu que la vélocité des gambettes du pédaleur lui donne assez de souffle pour alimenter la voracité des tuyaux : l'admirable Kappelmeister Bach, en son Leipzig septentrional, jouissait du concours de robustes saxons qui actionnaient avec puissance et entrain les soufflets alimentant son orgue.

L'image trotte encore dans un coin de ma tête.
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Message  demi-lune Mar 2 Mar 2010 - 9:33

Le texte est cette fois très soigné et riche, dense et resserré à l'image des rapports de cette micro-société eux-aussi étroits comme l'espace où s'ébattent les enfants.
- Même remarque qu'Easter à propos des relatives imbriquées "Quoique Jonathan fasse observer..."
elle s'attarde dans l'arrière-cour, où siège le figuier centenaire, à l'énorme tronc tortueux
virgule peut-être pas utile après centenaire (c'est un détail mais bon...)
Jonathan ne s'enquiert pas encore, sans y toucher, de savoir s'il ne s'en serait pas débarrassé plutôt.
"s'enquérir de savoir" me paraît contenir une certaine redondance.
- "Tsar" plutôt que "tzar"

Si je devais relever un passage parmi ceux que j'ai bien aimés je citerais :
les inépuisables psaumes du berger devenu roi, après avoir engrossé force donzelles et fait tuer celui dont il avait pris la femme.
qui résume bien le terrible et le monstrueux qu'on peut trouver chanté comme tout naturel dans la bible !
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Message  outretemps Mar 2 Mar 2010 - 10:12

qu'ici tu fais tes gammes, que tu trottes à petites foulées, alors que le galop est à ta portée. [quote]
Tout à fait d'accord avec Ubik et déja dit.
Tu as dans tes textes tous les instruments. Pour peu que t'affutes, tu as l'opéra, et c'est moi qui verdis!
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Message  CROISIC Mar 2 Mar 2010 - 10:18

c'est si bon, ces petits riens qui font tout.....c'est si bon....une demoiselle jolie comme une fille.....des socquettes blanches dans des souliers noirs vernis, et puis, et puis, je m'essouffle, continue !
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Message  Louis Ven 5 Mar 2010 - 22:59

Silène,
je n’ai pas encore eu l’occasion de commenter l’un de tes textes. Non pas par désintérêt, mais par manque de temps. Pour répondre à ta demande, je commente celui-ci, non pas sur la forme, mais sur le fond. Je le commente tel que je le perçois et le ressens. Je sais très bien qu’un texte peut se prêter, surtout quand il est riche, à plusieurs lectures. Je propose donc ici la mienne, n’ignorant pas que d’autres sont possibles.


Mais qui est donc Jonathan ?

A la lecture de ce récit, il est d’abord celui qui ouvre un espace. Il ouvre le texte sur le visible, sur la scène où vient prendre place tout un monde, le microcosme d’une communauté protestante. Qu’il se précipite, au début du texte, pour ouvrir la portière du véhicule, est significatif. C’est la première fonction de Jonathan : ouvrir l’espace, et ainsi faire voir. En ouvrant le hayon du break, il révèle un lieu où lui et ses sœurs vont s’installer, mais surtout les mœurs du microcosme, les rapports instaurés entre enfants et adultes.
Ce premier espace ouvert, restreint, celui du véhicule, est celui d’un rassemblement : des vieilles dames d’origines diverses s’y concentrent. Elles portent avec elles les signes de leur provenance lointaine, mais indiquent par leur présence leur intégration dans la communauté ; exilées, elles trouvent une chaleur, une humanité dans le monde qui les a intégrées. L’univers ouvert par Jonathan n’est pas un monde entièrement clôt. Il sait s’ouvrir, comme l’indique le personnage de la dame russe, réfugiée d’origine juive, pour se refermer ensuite.
Jonathan est ce point de vue, le regard par lequel s’ouvre et se voit tout le champ visuel vers lequel pointe le texte.
« Jonathan observe » ainsi s’ouvre cet autre espace vers lequel tout le petit monde rassemblé est transporté. Ce lieu nouveau qui nous est donné à voir est un lieu central. Nous sommes au centre de la communauté, dans un espace sacré, le temple, l’espace dans lequel, et autour duquel, toute la communauté s’assemble et s’unit.
Jonathan nous ouvre les portes du temple, dans une ouverture élargie à d’autres dimensions du sensible : olfactive, et surtout auditive : musique et chant. Ouverture sur un sensible, lui-même ouvert sur une dimension de transcendance, un ciel invisible.
Le temple, ouvert à nos sens, est aussi le lieu de l’écrit. Le lieu de l’écriture sacrée. Sur le tambour de la coupole « des versets admirables sont inscrits dans un beau caractère, parfaitement lisible. » Le temple est le lieu du livre, celui de la lecture et de la bonne parole.
Jonathan est le nom écrit de l’ouvert sur l’écriture, la lecture, la parole, tout le sensible, l’ouverture sur autrui, les autres, leur vie, leur communauté, leurs histoires.
Jonathan n’est pas seulement un dehors. Il est aussi une intériorité. Avec l’écriture pour substance, l’écrit pour essence. De nature textuelle, il est lui-même le résultat d’une histoire. « Il stocke tout, sans limite. Sa mémoire est immense, il lit d'un trait et mémorise tout. »
De nature écrite, oui, et ouvert sur tous textes, pas seulement sur ceux qui sont sacrés. « Il lit n'importe quoi, de l'exécrable à l'excellent, sans discernement, dans une boulimie continue »
IL est alors un écart, une ouverture dangereuse qui pourrait l’écarter tout à fait de la communauté qu’il ouvre mais qui, elle, tend à l’enfermer en son sein, et se fermer sur elle-même. Jonathan ouvre sur ce qui voudrait l’enfermer, ouvre ce qui tend à l’enclore, à l’enserrer dans son milieu.
Jonathan ou l’ouverture.

Louis

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