Vos écrits
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
-39%
Le deal à ne pas rater :
Pack Home Cinéma Magnat Monitor : Ampli DENON AVR-X2800H, Enceinte ...
1190 € 1950 €
Voir le deal

Guide ou guidon?

4 participants

Aller en bas

Guide ou guidon? Empty Guide ou guidon?

Message  Ekhleesse Mer 3 Mar 2010 - 14:51

Merci à tous ceux qui ont bien voulu lire et commenter la première nouvelle que jai posté sur ce forum : La Malédiction.

Je vous en propose une autre, une histoire de vélo, écrite par une passionnée de son vélo (oh que oui!).

Qu'en pensez-vous? Les critiques sont les bienvenues pour me permettre de m'améliorer...

 Guide ou guidon?              
 
 
            Un bruit familier glisse dans mon oreille. Je suis émue, je tremble presque. Mon cœur vibre. C'est le subtil contact du frein sur la roue. C'est une musique grinçante, un rythme régulier, métallique, mécanique. Je suis statique, complètement immobile et je capte son tracé sonore. Il zigzague entre les moteurs toussifs, il s'infiltre dans la ville.
 
            Un coup d'épaule : on me bouscule.
            Des rangées de pieds et de talons martèlent le sol. Dans les airs divaguent des mots fugitifs, d'intrigantes et mystérieuses bribes de phrases, des dialogues en confettis.
 
            Et la ville se réveille, sous les rayons glacés du soleil. Des passants courent, le poing serré sur leur sac, de fines fumées s'envolent de leur bouche. Leur regard est rivé sur un proche horizon et parfois dévié, au hasard d'un croisement.
 
            On croirait entendre la cadence hypnotique d'une poupée en acier mais c'est peut-être le balancement martial d'un petit soldat de plomb un peu rouillé, un peu abîmé par le temps.
 
            Et soudain la mélodie s'interrompt.
            La foule s'écarte, le bus démarre. Le vide s'ouvre face à moi et jusqu'à lui.
            Je le vois, mon vélo, impassible sur son boulevard. Je le fixe aussi intensément que possible.
 
            Voilà cette petite architecture de métal, labyrinthe de fils qui s'entremêlent, mélange symétrique de vis et de boulons, nœuds et soudures. Par endroits, sa peinture s'écaille, elle est clairement saupoudrée d'éclats de boue séchée. Je reconnais sa pédale gauche au revêtement décollé. Quant à ses pneus, ils doivent encore être incrustés de petits cailloux récoltés sur les bords des chemins. La selle, elle ondule vers le guidon et ce dernier, fièrement élancé vers la route, me jette de profil un regard de dédain teinté d'indifférence.
 
            Il y a moins d'un an, nous étions encore si proches...
 
            Tout avait commencé dans un bus, en pleine nuit...
            Autour de la rue, les immeubles cossus découpaient le halo lunaire en milles lames féeriques. Sur un siège, recroquevillée, je contemplais les étoiles par la grosse fenêtre sale et rayée. A côté, un vieillard tenait dans sa main grise une horloge dorée dont la trotteuse claquait bruyamment. Dans ce silence étroit, dans ce bus vide, la pesanteur nocturne et ce son entêtant me terrorisaient un peu plus chaque seconde. Le volant tournait, tournait, tournait, il tournait mais je ne voyais plus le conducteur. Il n'y avait plus que moi et le vieil homme aux iris blancs. Il approcha sournoisement son horloge de mon visage. Il était minuit. Le bus filait à toute allure. Soudain le vieil homme explosa d'un rire hystérique. Emporté par sa folie, il jeta son objet par la vitre qui se brisa, avant de se jeter lui même sur le sol pour s'y rouler tout en criant. Un vent frais s'infiltra dans le véhicule. Je glissai la tête par la fenêtre et je vis sur la tour le reflet du bus et le reflet de mon propre visage marqué par la peur.
 
            Je ne devais plus et j'en faisais le serment, mettre à nouveau un pied dans un transport en commun quel qu'il soit!
 
            Le lendemain, je l'achetais, mon vélo, ce pimpant deux roues synonyme de liberté : adieu contraintes horaires, adieu contraintes spatiales! Un temps nouveau s'annonçait.
 
            Mains au guidon, pieds aux pédales, j'ai parcouru les quatre saisons. Au printemps, il avalait les pétales pour les coller sur ses pédales, il ramassait les bourgeons et en écrasait sur son guidon. En été, ravi du soleil, ravi de la chaleur, il détendait ses nerfs de caoutchouc, s'abreuvait de virages sans la moindre frayeur. Venait l'automne : il pulvérisait des parterres de feuilles et je me couvrais les doigts. L'hiver, la glace me collait au corps, le froid me brûlait les tempes, j'inspirais à moitié et lui commençait à grincer.
 
            Chaque jour où j'allais travailler, je faisais tourner sa chaîne sur des kilomètres que nous dévorions comme deux gloutons affamés de ruelles, d'avenues et de parvis.
            Au petit matin, l'astre solaire se levait au-dessus de mon crâne, il remplissait mes yeux d'un éblouissant torrent de lumière : je n'y voyais plus rien.
            Quand, à midi, la pleine journée nous dévoilait un paysage sans ombres ni obscurité, nous allions innocents et naïfs. Mais la nuit revenait tôt avec ses hordes de fantômes et jamais nous n'allions aussi vite en slalomant entre les cannettes et les éclats de verres. Je jetais mon repas dans son panier, mes jambes n'osaient s'arrêter et m'accoudant sans prudence sur son guidon, je mangeais. La nourriture me volait au visage, elle se collait sur mes mains, tombait dans les airs. Je glissais un bras dans le panier comme dans la gueule d'un ogre horrible et je mâchais les trésors alimentaires dénichés entre ses canines.
 
            Ma mémoire s'agite.
 
            Je me souviens de ses défaillances.
            Son siège instable, un peu dévissé.
            Sa dynamo chancelante, clignotant au gré des virages puis toujours éteinte au point qu'il mérita que je lui greffe un œil de lumière artificiel.
            Les oiseaux qui pincent dans leur bec des mélodies aiguës et stridentes me rappellent ce son qu'il faisait parfois. Cela semblait amuser le jeune aveugle que nous croisions souvent. Un marginal qui tâtait les trottoirs de sa canne et avançait guidé par son ouïe avec un inaltérable sourire mesquin au coin des lèvres. Ses paupières closes aux longs cils noirs le rendaient effrayant.
 
            Mon vélo décuplait mes sensations : tout soudain s'accélérait. Les visages des passants se diluaient dans l'espace. Les couleurs se distendaient, se mélangeaient, elles tourbillonnaient à toute allure.
 
            Nous avions un trajet assez précis, les routes que nous empruntions n'avaient plus aucun secret pour nous. Leur dénivelé et leur revêtement devenaient familiers comme une peau commune. Je savais qu'à tel endroit il y avait un creux dans le goudron, par ici un bourrelet, là une boursouflure plus foncée et plus loin un petit trou un peu traître que j'oubliais toujours d'éviter.
 
            J'appréciais ces excitantes descentes, j'adorais glisser sur ces rubans, emportée par l'attraction terrestre avant de ramper sur la pénible pente qui se dressait face à nous. Mes muscles se crispaient alors sur mes os, mon souffle s'accélérait, je transpirais, je poussais sur mes jambes : de minuscules gouttes salées mouillaient mes mains qui serraient férocement le guidon.
 
            Plusieurs fois il m'est arrivé de frôler la limite quand la pluie battait la ville de trombes d'eau au point qu'elle s'insinuait sous ma peau. Par dessus, le vent glacé s'engouffrait sous mes cheveux trempés et la montée semblait ne jamais finir. Je touchais la limite dans ces instants : mes membres devenaient durs comme du métal, je me mordais la lèvre, terrassée par l'effort, je voulais éclater en sanglots.
 
            D'autres fois, je sentais le danger. Je ne m'imaginais plus comme une étincelle transperçant l'atmosphère urbaine mais comme un être vulnérable. Un être traqué poursuivi par des automobiles monstrueuses me crachant leur souffle putride à la figure. Elles nous écrasaient de leur bruit, de leur masse, elles menaçaient de m'accrocher au passage. Par instants, un bus surgissait, sans prévenir. Tel un dragon, il serpentait sur notre voie et nous repoussait le long d'un vieux caniveau cabossé. J'en venais à craindre que l'une de ces créatures me saisisse dans sa gueule en amont d'un boulevard au nom macabre pour me déchiqueter sous les yeux de pauvres humains.
            J'ai heurté des obstacles, j'ai cogné des rétroviseurs, il a coincé ses roues contre des trottoirs. Fréquemment l'urgence a sifflé dans ma tête : j'ai freiné, j'ai esquivé et nous avons évité de chuter tragiquement dans un nuage de boulons et d'os cassés.
 
            Accrochés l'un à l'autre, on en a traversé des parvis. J'ai aimé cet air accéléré dans mes narines, le goût de l'oxygène qui se précipitait sur mes lèvres. Ma peau s'est usée sur mes mains, elle a blanchi par endroits jusqu'à mourir un peu.
           
            Quand on roulait sur les bords de la sphère urbaine, en boucle, en bons complices, j'ai adoré recevoir mes cheveux dans ma bouche en chantant ou plaquer mes doigts sur mon coeur en riant.
 
            Se souvient-il qu'il a tenté de renverser bien des gens en galopant, effronté, vers leurs chevilles ou en s'écroulant de tout son poids métallique sur ces passants?
 
            Cependant, tout ne fut pas rose entre nous.
            Il essayait de m'échapper.
            J'y songeais souvent quand je le retrouvais penché au dessus du vide, cherchant à briser ce misérable antivol qui lui enserrait la selle comme une menotte de condamné.
            Je l'ai détesté ce soir où il m'abandonna à mi chemin. Son âme d'acier s'était envolée et son pneu à plat aspirait le sol tel une ventouse. Je me trouvais plus seule que jamais, obligée de traverser une nuit noire, une nuit infernale pour rentrer chez moi.
 
            Dans les ruelles hantées de jeunes corps agonisants, je marchais, me souhaitant invisible, inodore, indétectable. Leurs pupilles tremblaient, prises dans les secousses de l'ivresse.
            Je croisai le jeune aveugle. Son sourire me fit frissonner, je me mis à courir.
           
            Tout était sombre et déguisé par l'obscurité. Ne ressortait du monde que sa crasse et sa tristesse. Je m'accrochai au guidon de toutes mes forces. Je tentai de rouler malgré la roue crevée mais il n'avançait plus. Je craignais de l'anéantir davantage alors je me résignai totalement à rentrer à pied tout en le traînant à mes côtés. Nous avancions un peu plus dans la pénombre au milieu de la foule nocturne et dérangeante. Angoissée, je préférai une petite rue déserte. Mais, très vite, une vieille sorcière habillée de chats squelettiques posa quelques phalanges jaunies sur mon épaule. Sans prononcer la moindre parole, elle désigna mon vélo. Elle fit alors des gestes de possédée : elle semblait vouloir m'avertir, m'informer d'une chose assez horrible pour l'agiter aussi violemment.
            Je m'étais enfuie avant de comprendre. Chez moi, j'avais enfermé le vélo dans un local. Il y était resté près d'un mois. Quelque chose s'était brisé cette nuit-là.
 
            Je le réparai mais il demeura enfermé.
            J'imaginais que dans cette cave infecte il devait nourrir à mon égard une profonde rancune... Les premiers jours loin de lui, il me manqua au point que je me sentais incomplète, privée d'un membre vital. Sur le siège du bus, accoudée à la fenêtre, j'observais ces cyclistes et je les enviais. Je savais tout à fait quelles étaient leurs sensations physiques et cela en devenait frustrant d'être dans ce bus chauffé et douillet, coupée des éléments naturels, de ne plus avoir ce vent, cette pluie au visage.
 
            Je me jugeais ingrate.
            Combien de fois m'avait-il réconforté en séchant mes larmes au moyen d'une légère brise?
            Combien de fois m'avait-il ramené à bon port, saine et sauve alors que la fatigue m'empêchait de distinguer les verticales des horizontales?
 
            Quelque chose me gênait.
            Il était trop autoritaire, trop responsable, peut être un peu trop autonome pour un vélo.
            N'étais-je pour lui qu'une force à exploiter, une énergie physique pour lui permettre d'aller où bon lui semble?
            Il était parvenu à me faire croire que j'étais le guide et lui le guidon.
            Parce que l'illusion s'envolait je décidai de l'abandonner, sans attache, près d'un grand portail vert dans une avenue fréquentée. J'avais pris soin de régler sa roue de façon à le reconnaître par son empreinte sonore quand, au hasard d'un jour parmi tant d'autres, je le croiserais. C'est ainsi que je l'ai identifié.
 
            Je le fixe intensément.
            Il m'ignore.
 
            Le feu passe au vert, les voitures démarrent.
            Un pied se pose sur la pédale et lance le vélo dans une nouvelle course.
            C'est le jeune aveugle marginal qui s'en va sur mon vélo, cheveux au vent, sourire aux lèvres.
 
 
 
Ekhleesse
Ekhleesse

Nombre de messages : 5
Age : 37
Date d'inscription : 28/02/2010

Revenir en haut Aller en bas

Guide ou guidon? Empty Re: Guide ou guidon?

Message  Modération Mer 3 Mar 2010 - 17:43

.
< Bonjour Ehkleesse,
Avant toute chose, nous vous remercions par avance de bien vouloir tenir compte des remarques de la Modération concernant vos propres réponses aux commentaires sur vos textes.
Il est demandé d'y répondre dans le fil dédié à cette fin.
D'autre part, il est bien précisé sur notre page d'accueil que VOS ECRITS n'est pas qu'une simple VITRINE où diffuser ses textes pour en recevoir des commentaires, mais qu'il est suggéré de PARTICIPER un minimum à la vie du site, en fonction de son temps disponible, par exemple en lisant les autres et en leur proposant vos propres commentaires.
VE se veut un espace d'écriture permettant à chacun de progresser et/ou de faire progresser les autres.
Merci.
La Modération >

.

Modération

Nombre de messages : 1362
Age : 18
Date d'inscription : 08/11/2008

Revenir en haut Aller en bas

Guide ou guidon? Empty Re: Guide ou guidon?

Message  Lucy Jeu 4 Mar 2010 - 4:02

Beaucoup d'images dans ce texte, comme dans l'autre que j'ai pu lire de toi. On prend place dans un univers aux frontières du rêve et du monde réel ; c'est là l'atout majeur de l'écriture. Très agréable !
Lucy
Lucy

Nombre de messages : 3411
Age : 46
Date d'inscription : 31/03/2008

Revenir en haut Aller en bas

Guide ou guidon? Empty Re: Guide ou guidon?

Message  Zenati Jeu 4 Mar 2010 - 7:06

Comme Lucy, je trouve beaucoup d'images dans ce texte si agréable… Je ne sais pas pourquoi en lisant cet écrit j’ai pensé au film italien de Vittorio De Sica, le Voleur de bicyclette…
Zenati
Zenati

Nombre de messages : 43
Age : 80
Localisation : Oujda Maoc
Date d'inscription : 22/12/2009

http://membres.multimania.fr/zenatilepeintre/

Revenir en haut Aller en bas

Guide ou guidon? Empty Re: Guide ou guidon?

Message  Contenu sponsorisé


Contenu sponsorisé


Revenir en haut Aller en bas

Revenir en haut

- Sujets similaires

 
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum