Après vous, Thanatos

[mitsouko]

Madame la Mort débarque sans prévenir, comme une pluie chaude d’été.
Irrévérencieuse comme un article de Pauline Keal dans le New Yorker.

Smoking noir Saint Laurent, cheveux courts et cette démarche des gens confiants dans leur destin. Je m’attendais à un cérémonial moins sophistiqué, une vision parfaitement décalée dans cette campagne angevine au charme suranné.

Dans l’effroyable bigarrure des tôles disloquées, la radio, miraculeusement égrène encore quelques notes de jazz accompagnées par le clapotis des gouttes de pluie pianotant sur la carrosserie. Cela rend plus supportable ma position inconfortable et le spectacle de ma Jaguar XK120 Roadster piteusement retournée comme une tortue sur le dos.

Longtemps ignorés, nos rapports étaient devenus presque naturels, comme une évidence fatale que j’avais jusqu’à lors refusé de provoquer. Non pas que l’idée ne m’ait jamais effleuré, mais le choix ultime me paraissait comme un renoncement coupable, une inélégance existentielle caractérisée.

Votre voix légèrement voilée me rappelait celle d’une ancienne maîtresse, trapéziste, qui un soir d’orage se jeta d’un pont suspendu qui enjambe le Bosphore. Vos yeux évoquaient ceux des chats abyssins que l’on croise parfois dans les bazars du Caire. Ils vous traversent sans vous regarder, comme si vous étiez une substance éthérée, une silhouette fuligineuse.

Votre visage, au gré du mouvement du corps et de l’inflexion de la voix, prenait tour à tour les traits de femmes aimées, croisées au fil de ma vie. Loin de la morne vision des choses figées pour l’éternité, vous étiez multiple, un kaléidoscope des souvenirs anciens, la synthèse inespérée de nos intemporelles.
J’avais remarqué ornant votre cou un pendentif représentant un scarabée doré, étrange retournement de la symbolique égyptienne, ainsi je renaissais à la mort.

Nous étions déjà partis depuis longtemps fêter nos macabres retrouvailles, quand une lumière bleutée et des gens pressés arrivèrent sur le lieu de l’accident. Ce matin là, l’air avait une saveur printanière, et seul le chuintement irréel de Kind of Blue rompait le silence.

« Le plus effrayant des maux, la mort, ne nous est rien, quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes pas »,

marchant à vos côtés j’étais prêt à reconsidérer cette pensée d’Epicure.

[Invité]

Une déclinaison élégante, que j'aurais mieux vue au présent qu'au passé.

[Invité]

Peut-être un peu trop de symboles pour moi, mais un très beau texte quand même qui réussit à imposer une image puissante et séduisante de la mort, l'image que tu en as.

comme une évidence fatale que j’avais jusqu’alors refusé de provoquer.
Ce matin-là (tiret), l’air avait une saveur printanière,

[Invité]

Et j'aime beaucoup le double tranchant du titre.

[Plotine]

Texte très élégant et curieusement revigorant. C'est le premier texte que je lis qui me donne envie de mourir. Il me manque juste la jaguar. J'attendrai donc encore un peu.

[Ba]

La mort façon " Marlène " ne peut déplaire à qui aimera entrer dans les coulisses du vrai cabaret...

[mitsouko]

j'aime bien cette expression "la mort façon Marlène"
c'est vrai l'esprit de ma camarde s'incarnerait bien en elle

[silene82]

Mais pourquoi cette image féminisée ? L'allégorie au squelette a le bassin étroit, sur le Larousse. Et Thanatos est mâle, autant qu'on peut l'être. Peut-être chacun son servant, de sexe opposé.
Texte dense, riche et poétique, ce qui chez toi, ne surprend pas.
Je le trouve superbe.

[Rebecca]

Le genre de rendez-vous pour lequel on ne réserve pas de place dans son calepin. Peut-être dommage, on risque de rencontrer Madame la Mort alors qu'on est encore en pyjama dépenaillé, sans l'ombre d'un bouquet de fleurs à offrir, sans bouteille de champagne à sabrer, sans la musique appropriée.
Madame la Mort, dans son smoking impeccable et délicatement parfumée doit s'en sentir parfois pour ses frais.
Joli texte.

[Aire__Azul]

Plutôt envoûtante, cette camarde-là ! Et quel sens de la phrase, posée, rythmée avec mesure, et qui retombe avec retenue ! Les symboles, même abondants, ne m’ont, pour ma part, pas gênée. Ces retrouvailles font remonter les mythes dans un procédé inéluctable.
Beau texte, en vérité.
Merci

[loic]

curieux que cet écrit, il m'a fallu le relire, en fait le fait de t'avoir rencontré en faussait la perspective, je me suis surpris à sourire, en me disant "mais ce type n'est pas un jazzman cocaïnomane!"

de la dureté puis de la préciosité, du contraste inhabituel chez toi..

[ubikmagic]

Une élégante mise en images de la musique de Miles. Et beaucoup de raffinement d'écriture. Un petit bijou.

Ubik.

[Invité]

La pensée d'Epicure étant une Lapalissade, une évidence irréfutable, j'aurais bien vu cette évocation surréaliste de la mort traitée au futur ou au subjonctif, comme un souhait, une supposition.
Je rejoins mes camarades pour saluer le raffinement, l'élégance de l'écriture. Un régal.

[Aire__Azul]

Tiens, au futur! Fallait y penser. Et réflexion faite, ça donne bien je trouve. Mitsouko, je vous invite à essayer et vous direz ce que vous en pensez.

[CROISIC]

J'ai pensé à Claude Sautet...cette association d'images me fait dire que j'ai aimé votre texte. Mourir avec classe et élégance...au futur bien entendu.

[mitsouko]

J'ai pensé à Claude Sautet...cette association d'images me fait dire que j'ai aimé votre texte. Mourir avec classe et élégance...au futur bien entendu.

bien vu
bien sûr j'ai pensé à Sautet et l'accident de Michel Picoli et puis "au jazz dans le ravin" la chanson de Gainsbourg

[Polixène]

Ah oui, sa démarche "des gens confiants en leur destin" ! trop drôle...

Mais j'aime aussi tout le reste du texte! C'est une réussite .

[Invité]

Une classe folle ! Mais quel mensonge ! Tu es un charmeur, Mitsouko !

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