Complainte

[Calvin]

J’ai ces dents de chiens
Cet appétit funèbre, assoiffé de chair, prêt a mordre. Je couche mes mains sur ma barbe de béton
Et j’y sens gémir la vie salie. Ah je le connais bien, ce peuple de l'ombre. Peuple infâme. Peuple de chèvres,
qui ne connaissent pas le cri du coq au matin.
J’ai ces dents de chiens,
Le sang de la veuve me coule entres les veines. Retournés par la nuit, creusés jusqu’au joues
Je vois sur vos visages se refléter leur appétit de loup.

Les glaces sans teints sont le reflet de votre peau ;
Tout un peuple pâle dans les maisons pour les fous.
Que l’on s’agite, que l’on enrage, que l’on se démène,
Viens mystique, viens misère, viens ma tendresse
Viens te frotter a ma chair comme l’étincelle au silex
Embrase ma tôle dans un craquement jaloux.

Sous les draps la mer enfin prend sa forme ;
Le désert aphone brûle sous le fouet
D’une chaleur de midi où le ciel s'assied
Et le plie jusqu'à en fendre la raison.
Je voudrais voir ma tête gravée au fronton
Des gibets ; et mes dents ornant les serrures
Des prisons ; et que l’on noue ma chevelure
Comme une liane pour étrangler les pendus.

L’alphabet est encore chaud, sous les coups de la forge. Il vomit des mots pour de nouveaux orages ;
a trop parler on a épuisé tout le jour
Et nos mots de rosée déplaisent aux pâtres et leurs mages.
Sur mon cou, sans matin et sans haine, sur mon cou, parle, agit
Etl vomit des rimes d’arbres foudroyés
Vomit des stances où le ciel chavire
Vomit la terre jusqu’au fond de ton rire
Des vérités de poussière dans les éclats de tes dents.
Si l’aube est venue, si l’univers se tient calme, et l’ouragan
Disperse les nuages cousus de mensonges
Alors on pourra
lever les yeux sur le monde.

[Invité]

Un sujet déjà lu maintes fois, certes, mais bien décliné, je trouve... un texte prenant, j'ai aimé.

Mes remarques :
« creusés jusqu’aux joues »
« Les glaces sans tain »
« Viens te frotter à ma chair »
« à trop parler on a épuisé »
« Et (non « Etl ») vomit des rimes »

[Sahkti]

J'apprécie le côté brut des élément, leur apparente bestialité qui dégage beaucoup plus de finesse qu'il n'y paraît.

Par ailleurs, si je suis habituellement peu réceptive aux textes en JE, je trouve qu'ici, ce procédé a son utilité et son importance, car il fait bien ressortir l'opposition entre JE et VOUS, entre ce ton qui assène, accusateur et cet autre, insaisissable.

Il y a une belle puissance dans ce texte, même si de ci de là, je pense qu'il y a parfois excès dans la démonstration mais cela fait partie de l'emphase contenue dans le poème, pas démonstrative et c'est tant mieux.

[Jano]

Un texte fort, pessimiste malgré l'espoir du dernier vers, qui ne laisse pas indifférent.

[Ba]

"J’ai ces dents de chiens
Cet appétit funèbre, assoiffé de chair, prêt a mordre. Je couche mes mains sur ma barbe de béton
Et j’y sens gémir la vie salie. Ah je le connais bien, ce peuple de l'ombre. Peuple infâme. Peuple de chèvres,"

Au petit matin quelques mots pour rappeler le rien.
J'aime bien.

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