Le théâtre de Ruth

[Nathanaël Zenou]

THEATRE

RUTH LA MOABITE :
Le ciel a, en passant, accroché des étoiles à son vêtement,
Moi je n’ai accroché que quelques brins de paille,
Si le ciel est plus riche en or que l’est le port d’Ophir,
S’il est plus riche en or que le pays d’Havila,
Nul saphir ne pend à mon cou,
Je n’ai pas de bijoux qui pendent à mes oreilles,
Je n’ai pas d’ombre à mes paupières,
Ni de robe de gala.

Aurai-je des perles de nacre dans les yeux,
Et des paillettes d’or,
Je les ôterai devant toi,
Pour n’être presque rien.

J’utilise ma main comme planetée.

BOOZ DE BETHLEEM :
Qui est celle-là qui se tient à mes pieds ?
Est-elle rêve ou réalité ?
Qu’est-ce donc que ce poids que je sens sur ma cuisse,
Et cette femme dont la voix s’immisce
Etrangement jusqu’à mon cœur ?
Au début, j’ai cru que sa chaleur sur ma peau
Etait la lumière du jour.

RUTH LA MOABITE :
Je t’ai trouvé endormi, ivre de fatigue, bercé par le vin,
Quand je suis venue te rejoindre.
Voici je me couche à tes pieds; Booz :
D’une botte de foin je fais mon oreiller.

BOOZ DE BETHLEEM :
Hier encore, j’ai travaillé dur.
Mon front s’est laissé brûler par le soleil,
Et mes mains sont encore troublées par ce lourd labeur,
Encore pleines de ce qu’elles ont tenu.
Vois, mes mains sont blessées
Comme les mains des moissonneurs.

RUTH LA MOABITE :
J’ai parcouru tes champs, en glanant des épis,
J’ai trouvé des épis, et je les ai noués en gerbe,
Mais j’ai trouvé le pur espoir en herbe,
Le bon trésor, dans tes yeux amoureux,
Dans tes yeux où dansent les feux
Que les moissonneurs laissent derrière eux
A la fin de la moisson.

BOOZ DE BETHLEEM :
Suis-je une sorte d’Adam,
Pour qu’il me sorte cette Eve d’une côte, à mon âge ?
En regardant ses yeux, je croirai voir un oasis
Où le malheureux trouve une eau fraîche dans son voyage.

RUTH LA MOABITE :
J’ai bu aux vases d’eau, mais j’ai le cœur en flamme.
J’ai bu, mais sans avoir éteint ma soif de femme.
Mon âme émue se gonfle et crie comme la lame
D’une mer agitée enlevant barque et rames.

BOOZ DE BETHLEEM :
Est-ce que d’un arbre presque mort,
Et qui est près de tomber,
Il peut pousser du fruit ?
La sève peut-elle encore frissonner sous son écorce?
Aux lèvres brûlées par le soleil,
Le sel a-t-il encore des attraits,
A l’homme ivre, le vin, une force ?

RUTH LA MOABITE :
« Quand j’entends dans la nuit le vent secouer la terre,
Je pense à tes bras qui me serrent, et je pleure,
Je me couche à tes pieds, suis nue, j’ai des frissons,
C’est à peine si ma bouche expire des sons,

Et comme je connais mal les mots de ta langue,
Je me sens prise dans une sorte de gangue.
Tu veux mettre à mon doigt l’anneau d’or de l’Epouse,
Moi qui jusqu’à présent faisait brûler la bouse

En bourrant à ras la gueule un grand poêle noir ?
Cette seule pensée ! Je sens mon être choir
Qui penchait par excès d’amour, soudain vertige.

Ma voix est un murmure, et je suis en émoi,
Je peux m’offrir à toi si tu veux bien de moi ;
Je ressemble en cela à l’orge sur la tige. »

BOOZ DE BETHLEEM :
Tu as su lier des gerbes avecqu’un peu de corde...

RUTH LA MOABITE :
Le parfum de tes champs est sur mon vêtement,
Il m’attire à toi plus sûrement qu’un aimant,
Ce parfum enivrant, Boaz, de ta moisson,
L’entêtant rossignol qui chante sa chanson.
J’en respire toujours l’odorant souvenir:
Le sentant j’envisage autrement l’avenir!…

BOOZ DE BETHLEEM :
J’ai beaucoup flâné dans les ruelles de mon village,
Et souvent mes yeux rêvassaient vers le ciel,
Et il me semblait distinguer dans les nuages
Une forme que je prenais pour un visage : Elle.

RUTH LA MOABITE :
Avant toi, ma vie c’était le vin le plus aigre,
Ma joie était nulle, ma récolte était maigre.

BOOZ DE BETHLEEM :
Avant toi, ma vie, c’était les violents orages,

RUTH LA MOABITE :
Le lait et le miel n’étaient que des mirages.

BOOZ DE BETHLEEM :
Un dur et long hiver, c'est tout ce que j'en sus.

RUTH LA MOABITE :
Dans mon cœur a poussé un jardin embaumé,
Où des fleurs apparaissent, puisque c'est leur temps,
Il remplit mon être des emplois du printemps,
Voici enfin venu le renouveau de mai.

J’ai mangé et j’ai été rassasié
J’ai éteint ma gorge en flamme
Dans un bassin où dormait une onde calme
Toi seul m’as fait connaître le vrai repos
Tu as donné à mon âme ses torrents et ses cailloux
Tu m’as rendu semblable à une montagne.

BOOZ DE BETHLEEM :
Mon cœur est comme un bûcher !

RUTH LA MOABITE :
Le mien est comme un rucher,
Les sentiments que j’ai pour toi sont comme des abeilles
Qui s’en vont ça et là bourdonner parmi les treilles et les groseilles.

BOOZ DE BETHLEEM :
Tu remplis mon cœur de joie !

RUTH LA MOABITE :
Toi tu as rempli ma maison de chants,
Et cela depuis que je glane dans tes champs !

Mais j’ai toujours soif,
Même si tu m’as fait boire à tes vases d’eau,
Et les récoltes que j’ai faites,
Même si elles m’ont mis le cœur en fête,
N’ont pas apaisé cette faim que j’ai,
Car la faim et la soif que j’ai sont une soif d’amour,
Et j’ai toujours la gorge en flammes.

Car ce que ma main cherchait pendant la moisson,
C’était l’amour !
Le mot est si simple que j’en ai le vertige !
Je ne suis pas l’ânon qui mange les chardons,
J’ai faim de ton amour !

BOOZ DE BETHLEEM :
Je viens de Bethléem...

Etc....

---

S’amassant dans le ciel, blanc et vaste murmure,
J’entends les faux des travailleurs bruire et une voix dire : « L’époque est mûre. »
Sont-ce des anges ou l’image de mes vœux ?
—L’un d’eux, le plus grand, a les yeux comme les feux des moissonneurs,
Ses mains qui moissonnaient, si tendres, saignent comme des mûres —

Entends, Boaz le vent souffler dans les ramures !

[Marvejols]

.....Beauté formelle et attraction de la poésie à l'ancienne, celle des bardes et autres aèdes. Je travaille moi-même sur une poésie narrative à l'ancienne, mais quelque part j'éprouve un malaise de la possibilité d'un texte enfermé dans l'ethnicité ou qui pourrait vite en arriver à délivrer une sorte de leçon catéchiste, ne serait-ce qu'en nous ramenant vers le religieux (depuis quelques années on en bouffe à pleins râteliers et chacun est sommé d'être religieux...).
....."accroché des étoiles à son vêtement" : c'est volontaire? c'est le firmament ou c'est autre chose? Ce n'était pas dans la première "version" (http://www.vosecrits.com/t7625-ruth-brouillons) qui m'a semblé moins biblique et beaucoup plus fraîche, plus personnelle. Entre les deux le travail est impressionnant mais si j'en avais le droit je vous encouragerai à persévérer plutôt dans le premier style, moderne et moins désincarné.
.....Autre gêne : la condition de la femme (elle brûle, elle est à genoux etc.) n'est pas trop à votre avantage (ni su sien) dans ce texte qui quand même me paraît véhiculer une idéologie féminine des plus classiques.
.....Vous n'écrivez pas que dans ce style et j'avais apprécié vos "poèmes mièvres" (http://www.vosecrits.com/t8379-les-poemes-mievres).

[Invité]

Et qui est près de tomber

prêt à ?

plus tôt, j'ai noté moissonneurs/ moisson d'un effet étrange.

[Invité]

Pas facile de venir après Victor Hugo sur ce thème, il reste quelques fautes (comme oasis, féminin) et certains vers qui ne sont pas agréable à l'oreille comme "Tu as su lier des gerbes avecqu’un peu de corde...". Et est-ce voulu que Booz devienne Boaz en fin de poème ?

La poésie classique et faisant référence à l'histoire ancienne ou la mythologie..etc, n'est pas ce que je préfère en poésie et surtout je ne connais pas assez les références. Cependant intuitivement, ce poème présente pour moi de belles séquences et d'autres bien moins harmonieuses.

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