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Juillet ensoleillé remplit caves et greniers (Roman "médiéval")

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Message  Marco Jeu 6 Oct 2011 - 10:34

Bonjour, voici le 1er chapitre de mon roman intitulé Juillet ensoleillé remplit caves et greniers. L'intrigue se déroule au XIIIème siècle. Pour en discuter.


Chapitre I

En ouvrant l’œil ce matin-là, les habitants de la bonne ville de R… ne se doutaient pas qu’ils allaient bientôt se dresser contre ce qu’ils respectaient le plus au monde.
Les premiers rayons de soleil de la journée réchauffaient déjà la grande salle. Sire Gaspard, gros homme jovial et commerçant roué, engloutissait un bouillon de chair salée, arrosé d’un pichet de clairet, quand sa fille Aurore apparut devant lui.
– Père, je dois vous parler !
– Et de quoi, ma tourterelle ?
Elle l’embrassa sur le front : « N’avez-vous point trop chaud, ainsi vêtu ? »
– Pourquoi dites-vous cela, mon rossignol ?
Le bougre portait deux cottes de laine rouge garance, et sur la tête un chaperon de la même étoffe, malgré juillet qui soufflait son haleine brûlante sur la ville.
– Je sais, père, que vous devez tenir votre rang. Il n’empêche, je vais vous confectionner dès aujourd’hui des vêtements de saison.
– Bah ! Réjouissons-nous de ce beau temps. Ne dit-on pas « Juillet ensoleillé remplit garces et palefreniers » ?
– N’est-ce point plutôt « Juillet ensoleillé remplit caves et greniers » ? Aurore s’était agenouillée devant le portrait de sa mère, morte en couches. Le bonjour, Nestor ! lança-t-elle gaiement.
Nestor lui fit un sourire attendri. Le vieux domestique vouté ne servait plus à grand-chose depuis belle lurette – en fait, depuis la mort de sa femme, étouffée par un os de poulet. Gaspard le gardait par charité.
– A présent, ma fille, me direz-vous ce qui vous tourmente ?
– Un sujet fort grave.
– Allons bon ! Que peut-il y avoir de grave à seize ans ?
Sire Gaspard adorait sa fille. Souventes fois il se retenait de la mettre en garde contre des émotions qu’il jugeait excessives. « Père, il me faut un mari ! » déclara-t-elle tout de go, au moment où il avalait une grande lampée de bouillon. Pour le coup, il faillit s’étrangler. Nestor, qui connaissait le danger, accourut.
– Laisse, Nestor, il y a plus de peur que de mal. Ma colombe, vous avez raison, il est temps de vous trouver un beau parti.
– Oui-da ! Toutes mes amies sont déjà promises !
– C’est que je ne veux point du premier chien coiffé pour gendre.
– Moi non plus ! Je le veux grand et beau ; et fort !
– Cela tombe bien ! J’ai connoissance de quelques jeunes gaillards de bonne famille qui seraient honorés de telles épousailles. A condition de vous doter convenablement, cela va de soi.
La requête matinale d’Aurore ne prenait pas Gaspard au dépourvu. En fait, le bonhomme songeait depuis longtemps à marier avantageusement sa fille unique. Les nobliaux qu’il avait remarqués menaient la vie de leur milieu et de leur rang : ils chassaient tout le jour et le soir venu se saoulaient avec des filles.
– Il devra aussi se montrer homme de cœur, reprit Aurore. Est-ce le cas de vos prétendants ?
– Bien entendu. La noblesse de leur âme n’a d’égale que celle de leur nom.
– Sont-ils joliment faits ?
– Certes oui ! La taille bien prise, le port altier, le regard ferme des hommes bien nés… Vous serez séduite au premier coup d’œil.
Gaspard oubliait la petite vérole qui marquait le visage de la plupart d’entre eux.
– Savent-ils le latin ? Jouer de la viole ?
– Ha ha ha ! Ce sont des gentilshommes, ma fille, non des apothicaires ; encore moins de ces ménestrels jacassant et parfumés qui vous tourmentent l’ouïe, à la longue.
Aurore battit des mains.
– Des gentilshommes ? Vous me promettez donc un riche mariage ?
– Diantre ! Le plus beau qui soit !
– Ah ! Vous êtes bien le plus gentil des pères ! Ce jour sera l’occasion d’offrir un festin à tous les pauvres de la ville.
Sire Gaspard redevint marchand en un clin d’œil.
– Quelle intention généreuse, ma douce. Certains vous en seront reconnaissants. Mais d’autres, sachez-le, penseront que vous doutez de leur foi. Car la parole de Dieu est nourriture pour celui qui croit. Tous ces pauvres, malgré leur dénuement – ou à cause d’ailleurs, je ne sais plus –, sont souvent fort dévots.
– Ciel ! Vous dites le vrai, mon cher père. Je n’avais point songé à ce malentendement. Dans ce cas, une tranche de lard suffira.
Cette fois, Gaspard évita l’étouffement de justesse : « Du lard ? Palsambleu ! Ignorez-vous que l’excès de gras provoque un dérèglement d’humeur ? Il éclusa son bouillon à grands traits. N’accablez pas ces malchanceux déjà perclus de tous les maux de la Terre. »
– Tout de même, c’est l’usage de faire l’aumône aux plus démunis.
La demoiselle fit une mimique implorante devant laquelle son père fondit comme beurre au soleil.
– Allez, va, tu as gagné. Je ne voudrais point passer pour un fesse-mathieu. Du reste, j’ai bien assez de lard dessus la ceinture pour en bailler aux mendiants. Il pinça son tour de taille avec un feint dépit. Voilà ce qu’il en coûte de trop faire ribote !
Cela faisait beau temps que Gaspard le rondouillard n’avait pas vu sa pendeloche en allant pisser, mais comme ses bras étaient toujours assez longs pour l’attraper et la secouer, il s’en contentait.
– Je vous regracie, père. Vous êtes si bon. Même mariée, je ne me séparerai jamais de vous. Vous finirez vos jours près de moi.
– La grand merci ! Dieu fasse que ce soit le plus tard possible !
Ceux qui le connaissaient savaient que sous ses airs d’angelot obèse, Gaspard de Maurepas aurait été capable d’affronter une meute de loups à mains nues pour défendre sa maison, sa fille ou ses biens. Cette pugnacité cachée dans le gras expliquait beaucoup de sa réussite.
– Ah ! Qu’il me tarde de vous présenter un de ces braves garçons !
– Puis-je savoir les noms de ces jeunes seigneurs si vertueux ? s’enquit Aurore, frémissante.
– Point encore, ma colombe. Il est trop tôt. Un mariage est chose importante. Nous devons d’abord en marchander, en deviser veux-je dire, entre adultes. En bon négociant, Gaspard considérait d’ores et déjà ces épousailles comme une nouvelle affaire, dont il espérait tirer profit. J’ai le souci de vous doter largement ; mais nous devrons également discuter de la part du marié.
– Et de ses sentiments à mon égard ! Comptez-vous lui montrer ce portrait pour lequel j’ai dû rester immobile pendant des heures ?
– Bien entendu. Gageons qu’il voudra à toutes forces rencontrer le modèle en chair et en os.
– Allons, père, vous me faites rougir !
Le père et la fille s’enlacèrent en riant. Nestor, qui se mêlait de tout, surtout de ce qui ne le regardait pas, rompit cet enchantement :
– Que choisirez-vous pour le repas de noces, messire ?
Gaspard fit un geste agacé : « Nous n’en sommes pas encore là, mon bon ! »
– Je vous déconseille la volaille. Le poulet, surtout. Les os de ce volatile…
– Il suffit ! Rapporte-moi un autre pichet, faquin ; celui-ci est presque vide.
Le vieux serviteur hésita.
– C’est que le sol n’est qu’à moitié balayé, messire. Je n’aime guère interrompre un travail, comme vous savez.
On s’était rendu compte, petit à petit, que l’épouse de Nestor avait emporté dans la tombe une partie de la raison de son homme, qui n’en avait déjà pas de trop… Aurore s’offrit à aller quérir un pichet en cuisine.
En attendant, sire Gaspard mouilla une épaisse tranche de pain blanc avec le reste du bouillon.
L’habile marchand de draps parcourut d’un regard satisfait la vaste pièce au sol dallé, les lourdes tentures, qu’il trouvait parfaitement inutiles et fort laides, les meubles de prix, les hautes fenêtres, tout ce qui prouvait la réussite de ses quarante-cinq premières années.
De la rue lui parvenaient les clameurs des artisans, des boutiquiers et des marchands ambulants. Gaspard de Maurepas aimait le brouhaha de ces lève-tôt forts en gueule ; par goût autant que par intérêt, jamais il n’avait voulu quitter ce quartier des Tisserands qui l’avait vu naître et prospérer.
A le voir ainsi se remplir la panse, pétant de santé comme un cheval, nul n’aurait pu deviner qu’il allait mourir bientôt.
– J’aurais tant plaisir à embrasser mes petits-enfants, dit-il quand Aurore posa le pichet devant lui.
– Vous serez un adorable grand-père.
– Je le crois. Mais avant tout, il importe que votre compagnon puisse vous bailler ce que les hommes sont faits pour bailler – et les femmes pour recevoir.
Aurore s’assit en ouvrant des yeux ronds.
– Que c’est que vous dites, père ? Je n’entends rien à vos paroles. Parlez-vous déjà d’héritage ? Je ne puis tout de même pas marier un barbon !
– Non, non, je parlais de, enfin, ma fille, vous savez bien, maintenant, à votre âge…
– Vous semblez fort agité, tout soudain !
En effet Gaspard gigotait sur son banc, louchant vers le portrait de son épouse comme pour lui demander conseil.
– Que votre compagnon vous fasse de beaux enfants, voilà ! lâcha-t-il en évitant le regard de sa fille. C’est là le vrai pour ne point se mesmarier.
Aurore pouffa gracieusement, la main devant la bouche – elle exécutait les gestes les plus délicats avec une aisance parfaite, innée.
– Quels tourments pour si peu de chose, mon cher père. N’ayez nulle inquiétude. Vous savez bien que l’épousée est grosse de par le sacrement du mariage.
Une nouvelle fois, Gaspard avala de travers. Il devint écarlate, éructa, se tapota la poitrine, pendant que Nestor lui tambourinait le dos.
– Cesse donc, Nestor ! Me prends-tu pour du blé à moudre ? Allez, va ! Quant à vous, ma perle – il toussota dans son poing potelé –, est-ce là ce que ce bon frère Etienne vous a enseigné ?
– Oui-da. Etes-vous fâché ?
– Non point, non point…
– Tant mieux. Je suis grande assez, maintenant, pour savoir ces choses-là.
Gaspard poussa un long soupir (la pièce se mit aussitôt à sentir très fort la charcuterie). Il regarda sa fille unique, la personne qu’il aimait le plus au monde. Comme elle avait grandie ! Comme elle était jolie ! Mais comme elle était ignorante !
Il se sentit un peu responsable. Aurore n’avait pas eu de mère ; lui-même, désemparé devant l’éducation d’une jeune garce, avait fait confiance aux nourrices et à l’austère frère Etienne ; bien sûr, le moine vieillissant – et très probablement puceau – n’avait pu remplacer les conseils maternels.
La preuve : malgré l’éclat rayonnant de ses seize ans, malgré son blanc visage, ses longs yeux noisette, ses lèvres rouges et pleines, Aurore s’habillait comme une nonne, d’une simple cotte de lin bleu, quand ses amies ne devaient jurer que par le brocard, le velours et la soie.
Elle ne s’autorisait, comme seule coquetterie, qu’une aumônière brodée attachée à sa ceinture ; encore cela relevait-il davantage de la dévotion, car ce bijou lui venait de sa mère.
Ainsi donc, la tête d’Aurore était farcie des patenôtres de frère Etienne et des superstitions de ses nourrices… Avec un pincement au cœur, Gaspard songea aux cruelles désillusions qui l’attendaient dans sa vie de femme.
Elle allait bientôt le quitter, lui son père, pour tomber entre les mains d’un rustre sans cervelle qui l’enfermera chez lui, l’engrossera, puis l’oubliera pour galoper derrière des cerfs, des chevreuils et des puterelles !
Quelle tristesse ! Mais que faire ? C’était dans l’ordre des choses. « Dieu fasse qu’elle ne meure pas en couches comme sa pauvre mère ! »
Par prudence, Gaspard renonça au signe de croix qui lui vint comme par réflexe. Mieux valait ne pas abuser d’une miséricorde divine qui n’était peut-être pas aussi infinie qu’on le prétendait.
– Quels pensements vous occupent, père ?
– Aucun, sinon que l’heure est venue d’aller gagner la cliquaille qui payera ce mariage princier. Nestor fit glisser devant lui un bol d’eau claire et un carré de tissu propre. Allez-vous visiter quelques pauvres, aujourd’hui, ma mie ?
– Certes oui. Les malheureux ont besoin de réconfort autant que de pain.
– Ma fille est une sainte ! s’esclaffa Gaspard avec un bon gros rire.
Il se lava les mains et rota discrètement. Décidément, l’avenir se présentait sous les meilleurs auspices en cette belle matinée de juillet.
Comme il reposait son torchon sur la table, on toqua à l’huis. Brutalement. Le rire mourut dans la gorge du maître de maison pour se changer en un grognement courroucé. Peu de gens pouvaient se permettre de cogner ainsi à la porte de messire Gaspard de Maurepas, un des notables du bourg.
Les coups redoublèrent. Gaspard s’était redressé, la main sur la cuisse, prêt à recevoir sèchement le malotru.
– Va ouvrir, mon bon Nestor. Je suis curieux de savoir quel est le ruffian qui se croit ici comme dans un bouge.
Un silence inhabituel régnait dans la rue. Nestor tendit une main tremblante – et reçut la porte en pleine figure ! Il tomba sur le derrière, le nez rouge de sang, sous les yeux de Gaspard et d’Aurore stupéfaits.
Le personnage qui apparut sur le seuil glaça toute la maisonnée.

(copyright éditions Le Manuscrit, Paris)

Marco

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Message  Invité Sam 8 Oct 2011 - 7:48

Voilà un bien alléchant premier chapitre !

J'ai adoré être témoin de cette scène savoureuse entre une jeune damoiselle et son père aimant et néanmoins rusé, ne se départissant pas de sa mentalité de marchand.
"Nous avons d'abord à en marchander - en deviser veux-je dire"

Le titre sous forme de dicton me plaisait déjà, mais la version du père :" Juillet ensoleillé remplit garces et palefreniers" m'a bien fait rire.

J'ai aimé le vocabulaire adapté à l'époque. "souventes fois". J'ai été étonnée par "se mesmarier". Je ne savais pas que ce verbe existait (?). J'aurais vu mésallier.

Je vais me permettre ce que je n'ose pas faire d'habitude : émettre quelques critiques (pas bien méchantes !)
Commerçant roué. J'aurais mis roué commerçant. ( pour l'oreille)
voûté. Avec un accent circonflexe.
Au final, j'ai peu de critiques à faire !

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Juillet ensoleillé remplit caves et greniers (Roman "médiéval") Empty Bien vu

Message  Marco Lun 10 Oct 2011 - 15:31

Critiques que je prends avec intérêt. Moi je préfère "commerçant roué", mais l'oubli de l'accent circonflexe sur "voûté" est impardonnable. Je trouve toujours des fautes de ce genre, même après avoir relu le texte 50 fois ! Je ne sais pas pourquoi. Manque de concentration sans doute.
Merci beaucoup de vos commentaires.



< Prière de bien vouloir répondre de manière groupée après plusieurs commentaires plutôt que systématiquement après chacun. Cela évitera de faire remonter vous-même votre texte en haut de page à chaque intervention, au détriiment des textes des autres auteurs.
Merci de votre compréhension.
La Modération >

.

Marco

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Juillet ensoleillé remplit caves et greniers (Roman "médiéval") Empty Juillet ensoleillé remplit caves et greniers - chapitre 2

Message  Marco Mar 18 Oct 2011 - 12:16

Voici le 2ème chapitre de ce roman "médiéval". Où le malheur frappe Aurore et son père.


Le nouveau venu portait la robe blanche et la capuche noire des Dominicains. Il avait la taille d’un enfant, mais la gueule d’un vieillard contrefait : une bouche sans lèvres, comme une raie culière dans l’autre sens ; des yeux noirs pareils à deux étrons de lapin ; deux oreilles petites et velues comme des musaraignes ; le front cabossé d’une vieille rosse têtue ; le haut du crâne surmonté de trois pauvres peils de hibou.
Son nez, crochu telle une potence, supportait une verrue de la taille d’un œuf de pigeon ; une vilaine bosse pointue déformait son dos… À coup sûr, la mère d’un tel monstre avait forniqué avec un bouc, avant de se donner la mort en découvrant ce que son ventre avait vomi.
Aurore, Gaspard et Nestor se serrèrent les coudes. Le moine entra sans dire un mot. Six hommes d’escorte, précédés de leur capitaine, s’engouffrèrent à sa suite dans un grand fracas de ferraille. Ils bousculaient des tabourets, des chaises, cognaient les meubles. Tous portaient le même gambison rugueux maintes fois reprisé ; tous se protégeaient la tête avec le même casque en forme d’écuelle renversée ; tous dégageaient la même odeur musquée de sueur et de cuir.
Un jeune consolateur Dominicain se faufila au premier rang. Sa peau n’avait pas encore connu le rasoir mais il prenait déjà son rôle très au sérieux.
- Sire de Maurepas, dit-il, voici le Père Bernard Heyderich. (La vue d’Aurore, tremblante au fond de la pièce mais éclatante de beauté, arracha au moinillon une moue dédaigneuse.) Comme vous le savez sans doute, le Père Heyderich occupe la charge de Grand Inquisiteur du diocèse.
Gaspard s’inclina profondément. Pour une mauvaise surprise, c’était une mauvaise surprise… Bernard Heyderich était l’inquisiteur le plus craint de la région. Des dizaines de rumeurs couraient sur son compte, toutes de nature à faire blanchir les cheveux sur la tête. Un tel homme pouvait vous envoyer à la mort d’un seul mot.
– Soyez le bienvenu, Père Heyderich. J’ai ouï-dire votre venue, en effet. Votre réputation de grand protecteur de la foi vous a devancé.
L’inquisiteur répondit d’un ton cauteleux qu’il s’efforçait de faire respecter la parole du Christ avec ses faibles moyens.
– Puis-je savoir, mon Père, ce qui me vaut l’honneur de votre visite ? Avec tout le respect que je vous dois, il ne me semble pas que le temps de grâce soit révolu.
Un mauvais sourire tordit la bouche sans lèvres. Il faut savoir qu’un tel rictus, sur une telle face, tenait à la fois de l’ultime injure et de la suprême revanche.
On croyait le Père Heyderich nain et bossu, mais c’était une forteresse. Avec un autre habit, il aurait été miséreux ; avec cette robe, il était tout-puissant. La Nature l’avait fait objet de raillerie ; l’Eglise le faisait sujet de crainte. Lui-même savait tout cela. Ce rictus ne signifiait pas autre chose.
–Messire de Maurepas, on me rapporte parfois des soupçons d’hérésie particulièrement graves. Je me vois dès lors contraint de malementer un peu la procédure inquisitoire chère à sa Sainteté Innocent III.
Gaspard se raidit. Heyderich s’était rendu célèbre en faisant déterrer les cadavres de deux hérétiques, avant de les envoyer au bûcher.
– Ces soupçons ne sauraient concerner ma famille, mon Père. Nul ici n’a jamais renié l’ordre de l’Eglise.
– Dans ce cas, la miséricorde de Dieu vous est acquise.
Le vivant babillage de la ruelle s’était tu, étouffé sous un couvercle de plomb ; les appels amicaux entre voisins, les énergiques harangues des commerçants, les potinages des commères, tout cela avait disparu ; on n’entendait plus que l’entrechoquement des épées contre les boucliers de cuir et de bois.
Pourtant, malgré cet attirail viril, ce n’était point là une escouade de fiers guerriers ; non, plutôt des chevaux de retour, des frustes, plus prompts à frapper les faibles, les vieillards et les trotte-menu que les brigands et les tire-laine !
Certains, pour tromper l’ennui, admiraient les tableaux, les tentures, la vaisselle rutilante. Le petit moine à la peau de fille leur jetait de fréquentes œillades à travers ses longs cils.
– Vous dites le vrai, mon fils, reprit Heyderich sur le ton de la conversation, mon arrivée dans ce diocèse est toute récente. Toutefois, des faits inquiétants sont déjà parvenus à mes oreilles.
Gaspard, qui n’était pas né de la dernière pluie, se méfia de cette bonhomie ; il devina que la partie se jouait à cet instant.
– On m’a ainsi rapporté, messire, que des propos impies auraient été tenus par l’un des habitants de cette demeure.
– Des propos impies ! Mais c’est chose impossible, mon Père ! Nul ici n’en serait capable !
– Pourtant, quelqu’un l’a fait !
– Et qui donc ?
Heyderich se tourna tout d’une pièce vers Aurore. La jeune fille recula. Il avança vers elle de sa démarche de pélican.
– Aurore ! s’écria Gaspard.
– Père ! fit Aurore.
– N’ayez crainte, mon enfant ! assura Heyderich. Je ne vous veux aucun mal. Ses dents, comme le reste, se chevauchaient affreusement. Il pointa vers Gaspard son nez tortueux. Votre fille, n’est-ce pas, messire ?
Aurore, dont les joues avaient un peu rosies, se crut obligée d’exécuter une brève révérence. Gaspard posa sur les épaules de sa fille des mains larges comme des battoirs.
– Aurore est mon unique enfant, Père. Elle vient d’avoir seize ans. Sa mère, Dieu ait son âme, est morte en la mettant au monde.
– Vous l’avez donc élevé seul ? Mes compliments !
– Nenni, mon Père. L’éducation d’Aurore a été confiée à un moine Franciscain, aujourd’hui décédé. Ce saint homme lui a enseigné le latin, la poésie, et quelques rudiments de philosophie.
– C’est grand dommage, coupa Heyderich. L’Eglise n’apprécie guère les garces trop instruites. Cela est contraire à l’ordre divin.
– Ma fille évoquait justement son désir d’oublier jusqu’à la dernière bribe de ce savoir oiseux, répliqua Gaspard en pinçant les épaules d’Aurore. Elle ne songe à présent qu’à fonder une famille chrétienne. Nous discutions d’ailleurs de son prochain mariage.
Cette pirouette parut combler d’aise le Grand Inquisiteur. Il vrilla ses yeux en forme de crottes de lapin dans ceux, longs et fins, d’Aurore.
– Cela tombe à pic ! Que savez-vous du mariage, ma fille ? Nous aimerions en bavarder itou.
Aurore balbutia quelques mots : « Il me semble, mon Père, que les fiançailles commencent avec l’échange d’une alliance ? »
– Bien. Et ensuite ?
– Quarante jours après leur promesse solennelle, si nulle opposition n’a été faite, les fiancés reçoivent la bénédiction de l’Eglise. Est-ce bien cela ?
Nouveau hochement de tête.
– Cela s’appelle le sacrement du mariage, ma fille.
– Oui, mon Père.
– Cela est bien. Comment justifiez-vous l’acte de chair, ma damoiselle ? demanda subitement Heyderich.
– L’acte de chair ? Eh ! Discourez-vous de cuisine ou d’épousailles ?
L’inquisiteur sursauta comme sous l’effet d’une pique.
– C’est dit sans malice, mon Père ! s’excusa Gaspard.
– Dieu a rappelé mon épouse à cause d’un morceau de chair, déclara Nestor à brûle-pourpoint.
– Il suffit ! Taisez-vous !
– Aurore n’a que seize ans, mon Père. Elle est jeune et naïve. Des mots mal compris l’ont abusée.
Heyderich se retourna. Sa petite taille et sa gibbosité l’obligeaient à regarder par en-dessous. Il feignit un air étonné, dardant les sourcils.
–Pourquoi m’interrompez-vous, messire ? Vous sentez-vous morveux ? Je commence à croire que l’on ne m’a point menti… !
Gaspard voulut riposter. Les gardes le repoussèrent contre le mur. Heyderich poursuivit, avec des frémissements dramatiques dans la voix.
– Cet acte de chair, l’Eglise ne le conçoit que dans un seul but ! Savez-vous lequel ?
Aurore fit oui de la tête, puis non… A l’évidence, cet interrogatoire commençait à l’ennuyer. Sa crainte d’Heyderich avait cédé la place à un profond dégoût, qu’elle ne cherchait même plus à dissimuler.
– Vous ne savez pas, jeune fille ? Eh bien je vais vous le dire ! L’acte de chair doit être accompli dans une seule perspective, la seule louable, la seule qui puisse acquitter cette geste bestiale : la procréation ! »
– La procréation ? Sainte Vierge ! Mon père s’inquiétait tantôt à ce sujet. Je lui ai dit la vérité.
Sire Gaspard essayait de forcer le barrage des deux soldats, qui devaient s’arc-bouter contre lui pour l’empêcher ; il les dépassait d’au moins une tête et leur rendait une bonne quarantaine de livres.
– Mon Père ! Ma fille ignore tout de la procréation !
– Comment pouvez-vous dire cela, très cher père ? L’épousée devient grosse dès le sacrement du mariage, voilà tout ! Cessez donc de vous tourmenter.
– Seigneur mon Dieu ! Confondre le sacrement du mariage, qui est un saint sacrement de l’Eglise, avec l’acte de chair, immonde pantomime animale, est une hérésie, et l’un des pires crimes !
Les mains de l’inquisiteur, qu’ils gardaient jusque-là cachées dans ses manches, à la manière habituelle des moines, s’agitaient au-dessus de sa tête, mimant une damnation divine inéluctable – on vit qu’elles étaient couvertes de fleurs de cimetière.
Gaspard bataillait toujours avec ses deux argousins, qui suaient sang et eau pour le tenir à l’écart.
– Pardonnez à ma fille, Père Heyderich. C’est par ignorance qu’elle croit que l’épousée devient grosse dès le…
– Taisez-vous, messire !
– Mais enfin, cela est vrai, insista Aurore. L’épousée devient grosse dès le…
– Taisez-vous, par Dieu Tout-Puissant ! Heyderich pointa un index noueux vers Aurore. Il jubilait. Ignorante, messire ? Vous l’avez dite vous-même bien instruite !
– Pour le latin, la poésie, certes ! Mais elle a été élevée sans mère ; voilà la raison de son innocence et de sa maladresse. Ma fille est d’une piété sans tache, mon Père. Vous commettez une grave erreur.
– L’Inquisition ne fait jamais d’erreur !
– Ma fille est pure et crédule ! Je le jure devant Dieu !
Un soldat à cheveux roux fit taire Gaspard d’un coup de poing sur le nez. Le sang jaillit. Aurore poussa un cri. Nestor resta muet d’indignation.
– Capitaine Messanges ! commanda Heyderich en prenant une pose grandiloquente. Nous en savons bien assez. Vous et vos hommes êtes le bras séculier de l’Eglise – son épée. Adonc, veuillez emmener ces trois personnes !
Le dit capitaine, court de bras et de jambes, gros de ventre, plat de face, se mit au garde-à-vous.
– A vos ordres, mon Père. Où devons-nous les emmener ?
L’inquisiteur serra les dents pour ne pas éclater de rage devant une telle bêtise ; les veines de son cou se gravèrent sous la peau.
– A la prison, capitaine ! Et pressément !
Messanges s’adressa à ses soldats dans au moins quatre patois différents. Il parlait en langue d’oïl champenois, en oc limousin, en provençal, et même en picard pour deux abrutis qui dormaient debout.
Chaque phrase fut répétée plusieurs fois. Ceux qui avaient déjà compris et qui, à force de cohabitation, connaissaient quelques miettes du patois des autres, expliquaient en même temps. Une interminable et bruyante cacophonie s’ensuivit.
Gaspard se débattait, tentant de ramener Heyderich à la raison. En vain, bien entendu ; ce genre de rouspétances, fréquentes pendant les arrestations, n’émouvait plus personne.
Cette pagaille mit l’inquisiteur hors de lui. Il leva au ciel ses avant-bras tortueux, d’une maigreur effrayante. D’ailleurs, ce n’étaient pas des bras, c’étaient les pattes d’une araignée, les dernières branches d’un arbre mort. Le sang les avait depuis longtemps désertés.
– La volonté de Dieu ne saurait attendre ! Que n’avez-vous choisi des soldats qui entendent la même langue, capitaine ? Ils devraient connaître leur affaire !
La face servile du capitaine s’aplatit un peu plus.
– Ce sont de simples villageois, mon Père. Ils doivent participer à tour de rôle à la défense de la ville mais ne sont guère rompus à la discipline militaire. Leur équipement leur a déjà coûté beaucoup.
Gaspard toisa ses sentinelles avec dédain. Les deux clampins l’entraînèrent sans ménagement. Ceux qui encadraient le vieux Nestor firent de même.
Et ceux qui enserraient Aurore se retrouvèrent avec de l’air entre les bras ! Vive comme une anguille, la drôlesse avait filé par l’huis, que personne n’avait songé à garder.
– La voilà qui s’enfuit ! glapit Heyderich. Qu’attendez-vous pour la rattraper ?
Le capitaine se mit à pivoter sur ses courtes cuisses, distribuant des ordres à tous ses hommes à la fois.
– Vous, attrapez-la ! Vous, courez-lui après !
Un jeune blanc-bec à cheveux roux s’élança.
– A vos ordres, mon capitaine !
Gaspard avança discrètement le pied… Le soldat s’effondra de tout son long. Il se releva en grommelant, l’épée à demi sortie du fourreau.
– Allons, s’interposa Messanges, ne perdez point de temps ! Rattrapez cette garce !
– Quatre hommes restent ici pour garder les prisonniers ! ordonna Heyderich.
– Comme vous voudrez, mon Père. Vous, restez ici ! Et vous, filez !
Déconcertés par ces ordres contradictoires, les soldats n’osaient plus faire un geste ; le capitaine s’adressa en fin de compte aux deux balourds qui entouraient Aurore – et qui n’avaient pas bougé !
– Allez-y ! Sus à cette traîtresse ! Et vite !
Les deux hommes bondirent en avant ; trop pressés, trop gros, engoncés dans leurs gambisons et leur graisse, ils se coincèrent l’un l’autre dans la porte !
Heyderich enrageait devant le spectacle de ces deux maladroits empêchés ventre contre ventre, têtes tournées de côté pour ne point se regarder, ou se cogner le nez, ou, pire, se retrouver bouche contre bouche…
Gaspard ne put s’empêcher de pouffer. Nestor riait à gorge déployée. Messanges, conscient que l’incurie de ses soldats lui porterait préjudice tôt ou tard, les exhortait en trépignant : « Hâtez-vous ! Vous, rentrez ! Et vous, sortez ! »
Il vociférait du haut de sa petite taille, poussait, tirait sur les manches… Enfin, les deux ballots réussirent à s’extirper, avec force grognements gênés. Un moment ahuris, ils décampèrent sans demander leur reste.
Le Père Heyderich sortit sur le pas de la porte.
– Seigneur mon Dieu ! Ces idiots sont partis dans l’autre sens ! De ma vie je n’ai vu une telle paire d’abrutis. Je les ferais embastardir.
Sa verrue nasale et les trois malheureux poils de hiboux sur son crâne demeuraient à peu près blancs, mais le reste de son visage avait viré au gris ; quand il se retourna vers Gaspard, plus rien ne subsistait de sa politesse doucereuse :
– La fuite de votre fille est un aveu formel, messire de Maurepas. Voilà bien le résultat de l’éducation que vous lui avez donnée. Des rudiments de philosophie ? Ce sont vos propres termes ? Vous aurez l’occasion de les méditer. Quand nous arrêterons cette traîtresse, ce sera pour l’emmener tout droit au bûcher, comme hérétique et déviante. Elle sera brûlée vive ; j’y veillerai. Avant de mourir, vous regarderez le spectacle, car tout cela est de votre faute. Capitaine ! Vous vous lancerez plus tard à la poursuite de cette criminelle. Pour l’heure, le plus urgent est de s’assurer des deux autres.
Un chat noir, sans doute effrayé par le tapage, bondit de sous un meuble, émit un feulement rageur et déguerpit en quelques sauts.
– Cette fois la coupe est pleine ! Que vois-je dès mon arrivée ? Un de ces animaux pestiférés !
– C’est le chat de la maison, mon Père. Il est là depuis toujours.
Devant le Grand Inquisiteur, toute parole pouvait se retourner contre soi. Gaspard comprit qu’il venait de commettre une erreur ; il baissa la tête pour passer la porte et suivit les soldats.
La petite troupe prit le chemin de la prison. A son approche, les volets claquaient et les rares passants faisaient le signe de croix avant de s’esbigner.
Heyderich marchait en tête, sur le haut du pavé, loin des ordures qui croupissaient devant chaque maison. La blancheur de sa robe, disait-il souvent, était l’exact reflet de son amour pour le Christ.
Gaspard se hâtait fièrement, ne voulant pas donner aux gardes qui cheminaient devant et derrière lui – car il était si gros, et la ruelle si étroite, qu’on ne pouvait le côtoyer – le plaisir de le rudoyer ou de tirer sur ses chaînes.
Le jeune moine aux longs cils suivait en sautillant. Nestor fermait la marche. Le vieux maniaque se plaignait sans arrêt de ses liens, faits selon lui en dépit du bon sens : « Mon Dieu, ces militaires sont des malpropres ! Quel travail bâclé ! Oh ! Comme j’ai honte ! »
La soldatesque cheminait profil bas. Faire buisson creux à cause d’une drôlesse de seize ans leur serrait le ventre. Au détour d’une ruelle, Messanges montra du doigt un coq noir de belle taille :
– Voyez, mon Père ! Après le chat noir, le coq ! J’y vois un terrible avertissement !
Désireux de racheter la piètre performance de ses hommes, il sortit son épée et décapita l’animal à bras raccourcis. L’arme alla cogner contre le pavé. Du nuage de plumes noires émergea une dépouille sans tête, agitée de soubresauts.
Le capitaine brandit fièrement le morceau de chair sanguinolent.
– Voyez, mon Père, nous avons bel et bien occis ce suppôt de Satan. Puisse la gloire en rejaillir sur vous.
Il s’arrêta net, le bras chancelant, la lèvre molle… Heyderich le fixait avec des yeux pleins de mépris. Car la tête du coq n’avait pas tout à fait disparue. Elle était retombée entre les pieds du Grand Inquisiteur, maculant le bas de sa robe d’une multitude de petites taches écarlates, qui s’égouttaient en longues trainées poisseuses.

(Copyright Editions Le Manucrit, Paris)

Marco

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Juillet ensoleillé remplit caves et greniers (Roman "médiéval") Empty Re: Juillet ensoleillé remplit caves et greniers (Roman "médiéval")

Message  Invité Mar 18 Oct 2011 - 16:57

marrant, en lisant, je me rappelle mes inombrables lecture de Johan et Pirlouis, une Bd sans prétention de ma jeunesse. marrant aussi, la ritournelle des nul; nul; nenni. ,marrant aussi, ces errances de style qui font dire autre chose aux phrases telles "prochain mariage" ou "il sortit son épée et décapita l’animal à bras raccourcis" .

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Juillet ensoleillé remplit caves et greniers (Roman "médiéval") Empty Re: Juillet ensoleillé remplit caves et greniers (Roman "médiéval")

Message  Modération Mer 19 Oct 2011 - 18:42

Deux remarques :
- prière de poster ici à la suite les chapitres de ce roman. C'est nécessaire par rapport à l'encodage dans le catalogue de VOS ECRITS.
- s'il s'agit d'un roman abouti, terminé (comme le laisse supposer le Copyright par rapport à un éditeur "Le Manuscrit"), sachez ou rappelez-vous que VOS ECRITS n'est pas une simple vitrine pour montrer ses oeuvres, mais avant tout un ATELIER où l'on prose ses textes dans le but de progresser grâce aux commentaires.
Merci de votre compréhension.
La Modération.

.

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