Projet d'édition 1 - Le Morceau de bravoure
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Projet d'édition 1 - Le Morceau de bravoure
Le Morceau de bravoure
......Ne riposte point, je connais ton amour,
......Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour.
Qu’est-ce qu’il était beau. Enfoiré. Pas d’erreur, il avait eu le bon rôle, celui qui fait trembler, celui qui pâme, qui se met dans tous ses états, déchiré entre vaines chimères et juste courroux.
......Je ne dis plus rien. Venge-toi, venge-moi ;
......Montre-toi digne fils d’un père tel que moi.
Corneille résonnait dans le théâtre, emplissant l’espace d’une forêt de sons. Va, cours, vole, sa voix. Sa voix. Celle de Simon, pas la mienne. Talentueux Simon, ingénieux Simon, merveilleux Simon, et gna gna gna, et moi, humble Rodrigue, je compte pour du beurre.
Pas dans la pièce, non, Rodrigue, « El Cid », quand même, ça n’est pas rien : fils d’aristo, héros de guerre, vengeur de père, épouseur de Chimène, le tout en vingt-quatre heures chrono, c’est rudement balèze, tout de même !
Mais sur scène, là, pour nos auditions de fin d’année, la part belle avait été donnée au paternel.
L’an dernier, Simon avait été félicité en Peer Gynt. Même chose l’année précédente, en Scapin cette fois-ci. Et ce soir, à nouveau, le jury succomberait à son Don Diègue. Et pour moi, les miettes, comme toujours.
J’étais un faire-valoir. Au début, je ne m’en plaignais pas, j’apprenais de son jeu, tout bleu que j’étais. Et aujourd’hui, moi aussi j’en rêvais, des feux de la rampe, des yeux du public, je voulais monter Godot, je voulais jouer Zucco. Mais il n’y en avait que pour Simon et sa passion des classiques.
La scène était sur le point de s’achever, il fallait faire une sortie.
On avait prévu la simplicité, départ sans chichi côté cour. Et les applaudissements, pour lui.
Je lorgnai mon parapluie avec indifférence. Telle était l’épée de Rodrigue : un parapluie. Le summum de la classe, la quintessence de l’élégance, tranchante alliée des hommes puissants : un parapluie. Paye ta mise en valeur. Eh ben ils allaient voir.
......Va, cours, vole et nous venge.
Enfin, il l’a dite, la célèbre formule. Je me suis emparé du parapluie et, approuvant la sentence, l’ai pointé vers le ciel tel un paratonnerre. Ça, c’était prévu. En revanche, que le parapluie s’ouvrît, voilà qui ne l’était pas. Et moi d’improviser trois pas de claquettes, totalement impromptus. Je ne sais pas ce qui m’a pris.
Le déclic.
Je me suis mis à sauter, à sauter, comme un félin, comme un danseur classique. Pas de bourrée, saut de chat, pirouette, et le parapluie valsait au dessus de ma tête. J’achevai l’arabesque, montai sur demi-pointes et, m’immobilisant tout à coup, glissai fondu vers une pose jazz. Puis de repartir. Le parapluie devenait une canne, tournoyant, frappant le sol, brandie à bouts de bras puis passée derrière la tête, et les pieds qui suivaient, un tempo imaginaire. Cours, ma Durendal de toile ; vole, mon Excalibur à baleines.
Il me revint en tête une comptine allemande, apprise sur les bancs d’école.
......Grün, grün, grün sind alle meine Kleider,
Ah-ah ! « Grün », le vert, la couleur interdite des hommes de théâtre, celle qui a vu mourir Molière ! Ça te la coupe, hein, Simon ?
......Grün, grün, grün ist alles, was ich hab.
Je chante à tue-tête, cordes vocales fortissimo, et je danse toujours, mêlant un funk surréaliste à ces paroles d’enfants, répondant à Corneille, aux mouvements de parapluie.
......Darum liebe ich alles, was so grün ist,
L’exploration gestuelle devient une quasi-transe, mes bonds montent de plus en plus hauts, mes bras dessinent des arcs-en-ciel, le parapluie devient vivant.
Me croirez-vous ? Il lui a poussé des ailes !
Je me suis envolé. Je suis allé crever le plafond. Par ici les étoiles, par ici la lune. « Plus loin, plus haut, des ailes, des ailes ! » Tel le clown de Banville, nouvel Icare, j’irais rejoindre Cyrano dans les lointains empires sélénites.
......Weil mein Schatz ein Jäger, Jäger ist.
« Jäger », le jardinier. Ah oui, c’est vrai, je devais sortir côté cour. J’en suis déjà loin lorsque je lâche les dernières paroles.
C’est heureux, d’ailleurs, le reste de la troupe m’aurait incendié. Pour l’heure, le metteur en scène devait s’évanouir en coulisses, et Simon faire dans son froc.
Qu’à cela ne tienne.
Loin de la scène, loin d’eux, je poursuivais ma chanson, accompagné de grands oiseaux blanc. Les nuages semblaient proches, si proches, et mon parapluie volait toujours.
Je l’avais eue, mon heure de gloire.
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......Ne riposte point, je connais ton amour,
......Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour.
Qu’est-ce qu’il était beau. Enfoiré. Pas d’erreur, il avait eu le bon rôle, celui qui fait trembler, celui qui pâme, qui se met dans tous ses états, déchiré entre vaines chimères et juste courroux.
......Je ne dis plus rien. Venge-toi, venge-moi ;
......Montre-toi digne fils d’un père tel que moi.
Corneille résonnait dans le théâtre, emplissant l’espace d’une forêt de sons. Va, cours, vole, sa voix. Sa voix. Celle de Simon, pas la mienne. Talentueux Simon, ingénieux Simon, merveilleux Simon, et gna gna gna, et moi, humble Rodrigue, je compte pour du beurre.
Pas dans la pièce, non, Rodrigue, « El Cid », quand même, ça n’est pas rien : fils d’aristo, héros de guerre, vengeur de père, épouseur de Chimène, le tout en vingt-quatre heures chrono, c’est rudement balèze, tout de même !
Mais sur scène, là, pour nos auditions de fin d’année, la part belle avait été donnée au paternel.
L’an dernier, Simon avait été félicité en Peer Gynt. Même chose l’année précédente, en Scapin cette fois-ci. Et ce soir, à nouveau, le jury succomberait à son Don Diègue. Et pour moi, les miettes, comme toujours.
J’étais un faire-valoir. Au début, je ne m’en plaignais pas, j’apprenais de son jeu, tout bleu que j’étais. Et aujourd’hui, moi aussi j’en rêvais, des feux de la rampe, des yeux du public, je voulais monter Godot, je voulais jouer Zucco. Mais il n’y en avait que pour Simon et sa passion des classiques.
La scène était sur le point de s’achever, il fallait faire une sortie.
On avait prévu la simplicité, départ sans chichi côté cour. Et les applaudissements, pour lui.
Je lorgnai mon parapluie avec indifférence. Telle était l’épée de Rodrigue : un parapluie. Le summum de la classe, la quintessence de l’élégance, tranchante alliée des hommes puissants : un parapluie. Paye ta mise en valeur. Eh ben ils allaient voir.
......Va, cours, vole et nous venge.
Enfin, il l’a dite, la célèbre formule. Je me suis emparé du parapluie et, approuvant la sentence, l’ai pointé vers le ciel tel un paratonnerre. Ça, c’était prévu. En revanche, que le parapluie s’ouvrît, voilà qui ne l’était pas. Et moi d’improviser trois pas de claquettes, totalement impromptus. Je ne sais pas ce qui m’a pris.
Le déclic.
Je me suis mis à sauter, à sauter, comme un félin, comme un danseur classique. Pas de bourrée, saut de chat, pirouette, et le parapluie valsait au dessus de ma tête. J’achevai l’arabesque, montai sur demi-pointes et, m’immobilisant tout à coup, glissai fondu vers une pose jazz. Puis de repartir. Le parapluie devenait une canne, tournoyant, frappant le sol, brandie à bouts de bras puis passée derrière la tête, et les pieds qui suivaient, un tempo imaginaire. Cours, ma Durendal de toile ; vole, mon Excalibur à baleines.
Il me revint en tête une comptine allemande, apprise sur les bancs d’école.
......Grün, grün, grün sind alle meine Kleider,
Ah-ah ! « Grün », le vert, la couleur interdite des hommes de théâtre, celle qui a vu mourir Molière ! Ça te la coupe, hein, Simon ?
......Grün, grün, grün ist alles, was ich hab.
Je chante à tue-tête, cordes vocales fortissimo, et je danse toujours, mêlant un funk surréaliste à ces paroles d’enfants, répondant à Corneille, aux mouvements de parapluie.
......Darum liebe ich alles, was so grün ist,
L’exploration gestuelle devient une quasi-transe, mes bonds montent de plus en plus hauts, mes bras dessinent des arcs-en-ciel, le parapluie devient vivant.
Me croirez-vous ? Il lui a poussé des ailes !
Je me suis envolé. Je suis allé crever le plafond. Par ici les étoiles, par ici la lune. « Plus loin, plus haut, des ailes, des ailes ! » Tel le clown de Banville, nouvel Icare, j’irais rejoindre Cyrano dans les lointains empires sélénites.
......Weil mein Schatz ein Jäger, Jäger ist.
« Jäger », le jardinier. Ah oui, c’est vrai, je devais sortir côté cour. J’en suis déjà loin lorsque je lâche les dernières paroles.
C’est heureux, d’ailleurs, le reste de la troupe m’aurait incendié. Pour l’heure, le metteur en scène devait s’évanouir en coulisses, et Simon faire dans son froc.
Qu’à cela ne tienne.
Loin de la scène, loin d’eux, je poursuivais ma chanson, accompagné de grands oiseaux blanc. Les nuages semblaient proches, si proches, et mon parapluie volait toujours.
Je l’avais eue, mon heure de gloire.
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Chako Noir- Nombre de messages : 5442
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Date d'inscription : 08/04/2008
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