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Petit projet d'incipit

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Message  Jand Ven 27 Aoû 2021 - 11:09

Bonjour tout le monde,

Je me lance dans un petit projet d'écriture au long terme, avec comme premier objectif d'écrire toutes les semaines sur la même trame. Voyons combien de temps cela dure.

Voici pour cette première lancée. Bonne journée à tous !


Le destin s’ouvrait sur un rond-point à l’ombre d’une église de campagne. Là-bas, les maisons furent bâties par des vosgiens obsédés par le temps qui passe. Sur le sol venteux, le crachat des messes crevait de chaud. Ce sont ces petits villages de campagne, ils sont faits comme ça : les briques rouge-pâles, le bois, même la rosée regardent les hommes quand les hommes regardent ailleurs. Les grands bâtisseurs n’ont jamais prévu ce chantage, ils ne s’accordaient pas beaucoup d’importance. En fait, dans ce village que je garde en tête, les alcools séchés sous les graisses, les poils poussiéreux et comme effrayés par la contraction des muscles nous parviennent comme des histoires, on doit y repenser souvent pour les revoir. On dira de ce village que les saisons y habitent, et parmi les hommes, tous ont désespérément agi pour ne pas se retrouver au mauvais endroit. Le mauvais endroit, c’est la mort. Elle se balade ici comme une tragédie dont tout le monde doit se souvenir. On en parle en employant des formules rapides, inachevées, pliées dans l’effroi et dans les voûtes moisies.
Sur un balcon où on se penche pour créer les tous premiers et les tous derniers vertiges de la journée, on siffle le passant qui a un nom qu’on connait. On referme la fenêtre et on supprime son sourire comme on évacue la foule. La nue est un ciel, le zénith est un soleil qui tape, l’horizon est une distance kilométrique, c’est une nouvelle journée. On se sent d’abord malade. On a l’impression que le monde a arrêté de se préoccuper, que le conglomérat d’hommes en charge de répartir la richesse, le succès et la noblesse, est arrivé à la conclusion qu’on était ce qu’on appelle dans le langage des conseillers d’orientation des potentiels gâchés.
J'y passe parfois pour trouver quelques racines, pour y trouver l'ancrage de ma grande vie blessée.

Jand

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Message  Jand Lun 30 Aoû 2021 - 12:07


Le destin s’ouvre sur un rond-point à l’ombre d’une église de campagne. Entouré de maisons vosgiennes, sur le sol venteux, le crachat des messes crève de froid. Les briques rouge-pâles, le bois, même la rosée regardent les hommes quand les hommes regardent ailleurs. Il n’y a pas d’endroit ici où on s’accorde beaucoup d’importance. J’y pense parfois parce que je me suis inculqué le goût des racines. Je vois les alcools séchés sous les graisses, les poils poussiéreux et comme effrayés par la contraction des muscles mis au travail. Je me force à y penser pour les revoir un jour. Les inquiétudes passantes sur le mur qui s’affaisse, le clocher déréglé, et l’invasion de plantes folles me suivent à des centaines de kilomètres d’ici, au milieu du monde. Il y a ceux qui admirent la longanimité du maire pour les affaires qui concernent le théâtre et ceux qui regrettent qu’il ne se bouge pas plus. On en parle en employant des formules sèches, inachevées, pliées dans le quotidien et dans les voûtes moisies. Dans ces grandes vitesses sociales, le ciel est un soleil qui tape, l’horizon est une distance kilométrique. J’y suis revenu pour trouver un ancrage, dans ce qui ressemble toujours à une vie blessée, un potentiel qui s’est endormi après les coups. J’y retournerai encore et encore.

Le premier abord, c’était de grandes toiles de rideaux dressées sous un plafond très haut. Je m’y glissais et par transparence, une série de pensées vives me plotaient les organes. Dans une maison gigantesque, avec des remparts, des rampes pour glisser, au milieu de de symboles au service de grandeurs familiales. Lorsque ma mère entrait dans ma chambre, je me demande si elle apercevait sur son chemin cette enveloppe de tissus fins, si elle voulait m’en détacher pour me pousser au milieu de la chambre, comme par l’injection d’une lumière d’adulte, pour me tenir prêt pour la suite. J’y étais bien, ce voile était une chose inerte qui répond quand on la touche dans la mesure exacte de notre liberté.
A cette époque, j’imaginais que les autres, depuis leur conseil lointain, avaient créé et organisé cet espace incompréhensible et gigantesque. Dans un but mystique, mon existence conduisait à employer tous les moyens divins pour me tromper, pour ne pas révéler la vérité cachée dans le nerf de leurs dents, derrière les sourires. J’étais un peu taré.



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Message  seyne Lun 30 Aoû 2021 - 14:01

bonjour Jand,
j'ai lu les deux textes, je te donne mes impressions rapides, pas très élaborées. Le thème du retour au pays, à l'enfance, tu le traites avec beaucoup de prudence et de retenue, d'intensité et d'ambivalence aussi. Du coup, je ressens avec force cette étrange émotion qui nous creuse lorsque nous nous retournons en arrière. C'est aussi le portrait d'un pays que je ne connais pas, on sent la force et la beauté d'une identité.
Je me suis demandé si tu ne compliquais pas un peu trop certains passages, certains vécus émotionnels, comme si tu craignais d'être dupe de toi-même, ou trop explicite. Peut-être tu pourrais te relire avec cette question ?
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Message  Polixène Mar 7 Sep 2021 - 20:29

Le premier texte a bénéficié de l'effat de surprise, j'en ai aimé l'épaisseur, la densité,
-presque trop-. J'en ai aimé ces zones poisseuses de la vie entre deux instants, entre deux visages, l'entre-deux-mots, toujours...J'en ai aimé ces raccourcis à effet poétique, attention à éviter l'étouffement du lecteur par effet peau-étrique!!!
Mais je n'ai pas compris ton projet, je me suis demandé si le second était écrit une semaine après l'autre et pourquoi.
En tous cas, te lire fait plaisir.
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Message  Jand Ven 15 Oct 2021 - 11:19

Le destin est un rond-point à l’ombre d’une église carrée, à côté des maisons de campagne. On y revient parce que rien n’y change. Le crachat d’une musique municipale diffusée sur une place vide embaume les jambes, tout est immobile après 16 heures 30. Les hommes se tordent dans des plis ronds et fumant et parlent de tracteurs cassés, et les enfants fixent leurs yeux sur leurs parents quand ils regardent ailleurs. L’après-midi se montre à côté des aménagements urbains, à côté des bancs entourés de pierres artificielles. Les symboles sont cachés derrière les viandes et la bouchère, la crème fraîche, les cigarettes en cartouche.
Au camping, le bar ferme à heure fixe, et tous les soirs de la semaine, les personnes avec un nom et un prénom et une histoire vont rentrer. Et presque rentré, tard dans la nuit, si on sait regarder, on le trouve penché en avant. Il marche dans la rue, et la plaine devant lui va se retirer comme une vague. Il veut s’y plonger et revoir tout un tas de choses. Il veut affronter le souvenir de la robe de sa mère, de la robe des femmes qu’il a aimées, leur voûte finie, leurs danses, leurs moments de paix et leur disparition. Ces grands tissus comme des rideaux d’une chambre d’enfant sont dressées sur un plafond très haut. Il s’y glisse et la bière se tasse dans ses yeux, à chaque foulée de ce retour courageux au beau : « Tu es formidable, tu es un garçon formidable avec plein de qualités », et le trottoir à côté marche au même pas, « Je t’aime », et il s’endort maintenant dans sa nuit d’homme seul, dans un paysage localisé.
Le lendemain à 13 heures, il déjeune au même endroit que tous les jours du mois, avec le reste des économies d’une épargne constituée tardivement. Des saucisses avec de la purée, ou un steak tartare coupé au couteau et surgelé, et un dessert différent tous les jours, et un café et une cigarette. Il est rejoint par un grand brun musclé et barbu, adapté aux standards de la virilité des années 60, exactement dans la veine d’un village d’une région réactionnaire. Pour avoir l’air sympa avec Gaëtan et ses courbes massives, il se fait une fraîcheur. Il se donne un air snob en parlant d’Abdel, et quand Gaëtan lui demande s’il va bien, il répond « y a juste l’escalier qu’il faut que je retape ». Et le quotidien s’allonge ainsi, vertigineux, dur avec les rêves de grandeur.
Et puis Gaëtan finit un jour par se tourner vers lui et le regarde vraiment. C’est arrivé après peut-être une cinquante de ces interactions en tournevis. « Tu vas retourner à Paris ? » Le vieil Antoine ne s’y attendait pas. Il s’était couvert de cet anonymat sur lequel on fantasme en regardant des films de merde sur la vie dans les villages français. Il sait qu’il n’a aucune chance d’échapper à cette petite mort identitaire. Cette réponse sera un dévoilement tout entier. Dans une phrase, Gaëtan apprendra aussitôt que quelqu’un est payé pour retaper l’escalier, qu’Antoine voudrait être ami avec Abdel, et que cette vie à la campagne, ce n’est pas vraiment une vie, c’est l’inverse d’une vie, c’est le retour des soldats blessés. Il se glace dans le silence trois secondes au moins avant de répondre. « Oui j’y retourne demain ». Et aussitôt, il ajoute : « y a vraiment moyen que j’repasse assez vite taper un godet avec toi le mois prochain ». Ce choix soigné d’abréviations et de langage populaire, dans une suite agencée de tentatives de récupération ne permettent pas à Antoine de comprendre qu’il a toujours attendu cette question. Il avait bien sûr déjà sa réponse, et en regardant sa bière, dans le temps d’après, il voudrait pouvoir contrôler Gaëtan.
Mais Gaëtan, habituellement assez con, comprend qu’il est dupe. Désormais, sa voix prend le ton par lequel on fait mine de cacher son rejet pour rejeter durement, le ton des fins de relations amoureuses. « Je vais sûrement m’occuper du champ et j’ai reçu les graines pour faire pousser dans ma chambre pour vendre à Remiremont, je sais pas si je serai là ». L’excuse débile y est. Antoine, à 71 ans, lui dont la mémoire peut le ramener à un désir réaliste de mariage avec une mannequin sud-américaine, ou une violoncelliste mondialement reconnue, s’est fait larguer par Gaëtan. Sa graisse tendue derrière les muscles se met en mouvement, Gaëtan s’en va en remettant une casquette aux insignes du camping, paye les deux bières et laisse la porte ouverte.
Antoine feint la tristesse. « Il y a toujours une lumière au bout du tunnel, nous n’avions pas d’avenir. » Il voudrait revivre ses ruptures passées avec cette immunité : même avec un effort d’imagination inattaquable, il ne peut ressentir de tristesse vis-à-vis de Gaëtan. Il avale son café, et sort du tunnel.

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Message  Jand Mer 8 Déc 2021 - 8:53

toujours stimulé à l'idée d'écrire un début de roman, on essaye de nouvelles choses assez souvent


Je ne suis plus sûr que les débuts de roman aient tellement d’importance. Trouver le bon rythme, ou regretter chaque seconde perdue à ne pas savoir, je pense que ça finit par nous éloigner de tout. D’autant plus que pour la première fois de ma vie, je m’apprête à écrire pour moi. Je ne lis pas suffisamment pour savoir ce que d’autres auteurs, petits ou grands, ont dit de la littérature, j’ignore donc s’il y a quelque chose d’inadapté ou de répétitif à dire qu’il s’agit ici d’une introspection. La vie pour moi me donne l’impression de devoir s’arrêter. Tout est devenu trop difficile et par surprise, j’ai souhaité en même temps exercer ce repli. J’ai souvent de longues phrases sur le « principe d’identité ». J’ai bien dû les piquer à quelqu’un que je trouvais intelligent. Elles consistent à dire que poser la question de soi, c’est poser une question impossible. Pas impossible, plutôt, cette fois, véritablement naïve. On est jamais enfin x ou y, à aimer le choux et le violoncelle, et à détester la trahison. On est soit particulièrement banal, soit coincé dans une authenticité bravache. J’ai donc l’intention de me parler, comme on parle à quelqu’un pour trouver des réponses, mais je ne cède pas au fantasme de me trouver. Comme je n’ai pas suffisamment lu, j’ignore aussi si le sujet de l’amour est trop investi pour y consacrer l’incipit de ce que je pourrai ensuite appeler avec les hochets de mon égo, mon « premier roman ». Mais c’est quand même la suprême normalité d’une peine de cœur qui me pousse à écrire. Je peux promettre de ne pas commencer à en parler en disant « tout commence un jour d’août 2021 » mais je ne sais pas si je peux m’abstenir durablement d’évoquer l’épisode amoureux de ma vie qui a débuté un jour d’août 2021. Quand on fait le bilan, comme en comptabilité d’entreprise ou en psychologie comportementale, on souffre d’une tendance bien connue qui consiste à réécrire pour comprendre. Deux choses sont possibles quand on fait le bilan. L’événement qui nous causait du tort était la cause de notre mal-être puisque par hypothèse, en causant, la cause a causé. Et en même temps, elle ne fait pas que causer, elle survit en nous comme la cause de toutes les causes. Au bout du compte, on peut dire qu’on s’est tiré une balle dans la tête parce qu’elle nous a quitté. Dans ce cas, faire le bilan permet justement de surmonter ce déterminisme. Dans ce cas, il faut faire un bilan.
L’autre faire le bilan prend le chemin inverse. Vingt-quatre ans d’une vie riche et diverse nous permettent d’associer à notre mal-être une multitude de causes enracinées et difficiles d’accès, mais ici, en faisant le bilan on en désigne une, dominante, et fière d’elle-même. Le bilan crée l’unanimité. Cette belle cause, le ventre bien rempli et qui regarde par-dessus l’épaule avec un œil écarquillé en direction du serveur pour lui dire merci, cette cause repus, on pourra enfin lui en vouloir en disant que c’était une grosse pute, qu’elle ne nous méritait pas, ou que l’argent ne fait pas le bonheur. Et à mesure qu’elle s’intronise, on désarme l’espoir de faire le seul bilan utile au bonheur, on ne parvient plus à oublier. Et donc, si vous m’avez suivi très attentivement, à un moment donné, dans ce gros cahier des charges bilanciel, il est bon de dépasser l’examen des causes et entamer une réécriture. En l’occurrence, écrire. Et pour convaincre le comité spirituel en charge de mon bonheur, je vais faire preuve d’honnêteté pour être certain de ne pas réécrire le passé de quelqu’un d’autre. Je vais me décrire durement, je vais aller tout au fond de mes torts. Mais en fait, au seuil d’une vérité utile, qui me définirait finalement comme un élément banal, souffrant de causes banales (le mot banal au pluriel n’est pas banaux), et qui s’est soumis jusque dans la dernière heure au fantasme qu’il pouvait se dégager de cette immense banalité, dans une accumulation du mot banal, je finirai par me retenir et par me taire, et personne ne le verra. Cette légère suspension juste avant soi, c’est réécrire. Et en général, pour en finir avec ces quelques mots d’introduction légers, n’étant pas tout à fait certain que notre réécriture ait réécrit, on demande aux autres de confirmer, et on passe d’un journal intime à un premier roman qu’on file à des amis comme un cadeau à soi-même. Je pense que l’illusion peut durer une vie.

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Message  seyne Jeu 9 Déc 2021 - 13:46

Ton texte me semble plus relever d'un journal intime que d'un début de roman. Il y a ces interrogations obsédantes qui tournent sur elles-mêmes, il y a ces question sur "qui suis-je ?" et sur l'originalité ou la banalité de soi, sur l'amour et ses douleurs, ses ressentis. Tu me diras que beaucoup d'écrivains ont développé ces thèmes, et souvent dans leurs premiers écrits. Mais ce qui fait d'eux des romanciers c'est je crois d'être sortis de cette chambre débilitante que nous avons tous hantée, et d'avoir surtout décrit le monde, le non-soi.
Ces questionnements, on ne peut y trouver de réponse que longtemps après. Ce sont nos actes et nos rencontres qui finissent par y répondre, avec pas mal d'ironie souvent, et alors on comprend qu'on est absolument banal, et d'une absolue originalité, et que tout ce que nous vivons porte cette double nature. Faire le mieux possible ce qu'on fait, éprouver comme un passage tout ce qu'on éprouve. Et vérifier que c'est en forgeant qu'on devient (bon) forgeron.

Bref, cet incipit pourrait être un bon début si à la page suivante le héros du roman cesse de réfléchir, descend la poubelle et regarde la rue, y voit quelque chose de nouveau.
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Message  'toM Ven 10 Déc 2021 - 13:33

Je suis sûr que tu peux faire plus simple.
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Message  Polixène Dim 9 Jan 2022 - 15:54

Ah dis donc, ya pas que les causes qui causent...ya toi aussi!
Vas-y, écris.
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