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Conversation (exercice)

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Message  Charles Mar 17 Jan 2006 - 13:32

Une personne passe devant une cabine téléphonique et saisit quelques mots de la conversation avant de poursuivre sa route. Il/Elle entend "J'en veux deux! Oui, deux! On se débrouillera, tu m'entends?!"
Chemin faisant, il/elle pense à ces mots et échafaude toute une histoire autour d'eux, tente d'imaginer ce que pouvait être cette conversation.

Contraintes techniques:
- Longueur: 5000 signes
- Mots à placer: gingembre – fourrure - métal

**************************



- "J'en veux deux! Oui, deux! On se débrouillera, tu m'entends?!"

Sûr qu’il entend, même moi qui passait à quelques mètres, j’ai entendu. Alors lui … Elle n’avait pas l’air contente cette jeune femme aux cheveux bruns, elle semblait véritablement à bout.

C’était un après midi de novembre, de nombreuses feuilles jonchaient les trottoirs des quais de l’Arve. A cette époque, je perdais mes heures à errer le long des berges froides, désertées au profit des cafés à l’ambiance douillette. Je l’avais aperçu de loin, perdue dans cette vieille cabine téléphonique, petite boite de lumière dans la pénombre naissante. Arrivé à sa hauteur, je ralentis pour l’entrevoir. La trentaine, plutôt jolie, les traits tirés dissipant une impression de fragilité touchante.

J’aurais voulu m’arrêter pour l’observer mais je n’osai pas et continuai mon chemin en tendant l’oreille. Peut être retourner en arrière pour me planter devant la cabine, inconnu en attente d’un téléphone libre, perturbateur de conversation … Je n’en fis rien.

Immanquablement, cette apparition me renvoya quelques mois en arrière. A moi aussi, un jour, une femme m’avait dit cette phrase. Peut être pas exactement celle-ci mais le sens était le même. Elle en voulait deux ! Au départ, elle en voulait même plus puis pour ne pas m’effrayer, me perdre, elle s’était résolu au minimum, enfin minimum pour elle. Ce serait deux !

Deux enfants avec ou sans toi m’avait t’elle dit ! Sur le coup, je ne l’avais pas prise au sérieux. Une conversation de plus, une dispute récurrente avais je pensé et je n’avais pas cédé ! Je n’en voulais pas, je l’avais répété, c’était comme ça et c’est tout… ainsi soit il …
Je n’avais rien vu venir, je n’avais pas croisé son dernier regard triste, je n’avais pas vu ses tremblements nerveux et je ne l’avais pas entendu partir.

Evidemment, j’avais beaucoup réfléchi depuis, sans savoir, sans comprendre, sans rien résoudre. Et finalement, j’avais choisi la voie la plus simple, celle qui ne demande aucun autre effort que celui d’attendre, l’oubli. J’avais mis tout mon cœur dans cette attente. Attendre qu’elle revienne tout d’abord, attendre de l’oublier ensuite, attendre un nouveau sens, une nouvelle vie, une autre chance …

Et voilà qu’en une phrase, une inconnue déterrait mes souvenirs enfouis et me ramenait à mes tourments. J’avais continué de marcher, résolu à chasser ces enfants de mes pensées, tentant vainement de me noyer dans l’observation méticuleuse de cet automne genevois.

Un caniche noir endimanché d’une fourrure synthétique urinait au milieu des feuilles, sur la balustrade de métal vert, sa maîtresse bourgeoise sombrant dans un ridicule burlesque en l’appelant par petits cris successifs : gingembre, gingembre … reviens ici …

Quelques bourrasques légères s’enroulaient à mes jambes …

Elle pouvait tout aussi bien parler d’autre chose. Deux quoi ? … Deux voitures, oui, deux voitures ! Elle en avait assez de devoir prendre le bus ou de marcher dans le froid pour aller travailler et elle lançait un menaçant ultimatum : tu m’achètes une voiture ou …
Non, pas possible ! On ne se met pas dans cet état pour une voiture … Deux enfants donc …

Le tram passait sur le pont de Carouge, un des derniers vieux wagons oranges me masquant en partie le Salève pas encore blanchi par la neige. Il me salua d’un long tintement menaçant, m’enjoignant avec force à ne pas m’aventurer devant lui. J’avais donc l’air si triste que le conducteur m’avait catalogué suicidaire.

Deux hommes, ce devait être deux hommes ! Elle voulait simplement un ménage à trois ! Il ne la satisfaisait pas totalement et elle allait passer une annonce : cherche jeune homme aimant se promener sur les quais, la trentaine, célibataire pour compléter trio ! La pensée d’aller proposer mes services me fit sourire. J’imaginais très bien le ridicule de la situation. Bonjour, je suis d’accord pour être votre deuxième homme ! comment ?… vous dites ? … pas deux hommes, deux enfants ?

Les stores des balcons étaient tous fermés, personne, aucune fête, aucun repas entre amis, aucun appartement rempli de vie. Je me voyais pourtant bien en personnage de Modiano, perdu dans un dédale de rues grises, surmontées de terrasses éclairées, bruyantes, remplis de destins inconnus, loin de ma solitude errance.

Deux kilos de cocaïnes ! ou de cannabis peut être ! … Deux semaines de vacances ! … deux bébés !

L’eau glacée filait sous le pont, noire, impénétrable aux regards.

Deux boulots ! Deux paires d’Afflelou ! Deux lits séparés ! … Deux canaris ! Deux chats ! … Deux bébés !

La petite fontaine de la place d’Armes était arrêtée, aucun ruissellement d’eau n’égayait les platanes nus et l’herbe boueuse …

Deux platanes ! Deux bancs ! Deux imbéciles qui ne savent pas discuter ! Deux enfants dans des corps d’adultes ! Un homme qui a peur d’être père ! Deux, pourquoi deux !

Plus rien à observer … aucun détail pour faire diversion, aucune fuite possible …

Deux qui ne font qu’un ! Un homme qui dormait, un homme qui s’éveille … peut être … Un demi tour … un pas rapide … une cabine vide … un numéro … deux sonneries … une voix, des excuses … une deuxième chance ? … Deux enfants ?
Charles
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Message  Nath Mar 22 Aoû 2006 - 8:20

Deux quoi alors??? Je veux savoir!!
C'est bien joli et nostalgique tout ça, et je trouve que pour un exercice il est réussi. Ca fait un peu penser à ce dernier exercice "Photographie" pour les données de base, je visualise bien cette cabine "petite boite de lumière dans la pénombre naissante" qui donne tant à imaginer.
J'ai beaucoup aimé Charles

Nath

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