Exo réécriture : Elle ne dit pas bonjour

Elle ne dit jamais bonjour.
Pas même un regard.
C’est difficile, mais on s’habitue. On s’habitue à tout,
De loin, ronde et dorée comme une boulangère, on l’imaginerait chantant des pubs enjouées pour une marque de petit-déj-qui-vous-donne-la-pêche.
De près, elle parait beaucoup plus vieille ; costaude, massive même. Elle a une blouse à rayures, sans manches, une bouche sans lèvres, un regard avalé.
Elle s’appelle Françoise.
Tous les matins, elle prend le journal que je viens d’apporter, le chiffonne en une grosse boule qu’elle pose de l’autre côté de la table. Elle regarde ailleurs. De temps à autre, elle hausse les épaules et repousse la boule.
Je dis :
− Du café, Françoise ?
Elle tend sa tasse sans un mot. Touille lentement son sucre en s’approchant de la fenêtre.
C’est une tablée très silencieuse, à part les bruits de déglutition ; je suis seul à parler.
S’il fait beau elle sort dans le jardin, son café à la main, la boule de journal sous le bras.
Elle s’assied dans l’herbe humide, installe tendrement la boule sur ses jambes et commence à chuchoter. De ses lèvres sèches sortent des litanies pressantes d’où il est impossible d’extraire un mot. Souvent elle laisse la boule sur la pelouse, se balance ensuite pendant des heures, et je sais que la journée sera calme.
Mais parfois, elle se précipite sur la boule de journal et l’anéantit à coups de poings, de chaussure, de caillou, s’acharne jusqu’à avoir les mains en sang. Il faut alors l’attacher sur son lit.
Personne ne vient la voir.
Elle est là depuis la mort de son mari. C’est elle qui l’a trouvé.
Il souriait, le crâne béant, allongé sous le poteau de la pergola démantelée.

Ah !
Bien joué. Super, ton interprétation.

Mais t'aurais pas un peu triché ? C'est légal, comme stratagème ? T'as une autorisation en bonne et due forme pour ce détournement d'intrigue ?

Ça c’est très malin comme point de vue et surtout parfaitement réalisé, je me suis laissée menée en bateau jusqu’à la fin.
J’adore ton idée de boule de papier journal.

J'attendais avec curiosité et impatience de savoir où tu nous emmenais, et surprise !
excellent, coline.

j'aime beaucoup cette téléportation dans le futur de cette femme. Bien joué !

absoolument réjouissant

comme c'est tendre et cruel
intelligent
si ton exo avait été une femme, je l'aurais épousé

Eh bien je n'ai pas été emballée par ce papier journal roulé en boule et qui sert d'exutoire... L'image ne me convainc pas ...je crois que je vois l'idée, le journal comme symbole de ces nouvelles dont on ne veut prendre connaissance tant qu'on n'a pas repris connaissance, tant qu'on n'a pas bu son café, le journal comme réminiscence de ce mari qui violait l'intimité des petits matins avec ses commentaires incessant sur l'actualité, mais qui peut être lui manque , mais moi me manque quelque chose que je ne peux définir.
En revanche j'aime bien le parti d'écrire un prolongement à l'histoire , ce saut dans le futur, dans la folie autistique, qui pose des questions. Du coup ce crime, l'a t elle commis ou fantasmé ?

Un texte qui m'a remué, à cause de ce qui est dit et n'est pas dit. Un plongeon en désespoir. Et le non dit l'emporte ici, question de sensibilité sans doute.

Bien joué !