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Thétis

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Message  Misra Dim 29 Avr 2012 - 22:04

Thétis I

Elle le hait. Ce minus. Ce pitoyable mortel. Son mari de force. Que Zeus et Poséidon lui ont collé. Elle, déesse océanide, néréide de choix, Thétis aux pieds d'argent, à la belle chevelure. Thétis à la traîne de perles marines, Thétis auréolée de gouttes de beauté . Princesse des fonds bleus, des contrées liquides où volent les poissons et les fleurs hydrophiles.

Elle a tout fait pour échapper aux désirs ignobles de ce terrien miteux, ce vieux roi de Phthie cacochyme, ce repoussant orang-outang. Pélée l'hideux papi. Elle a couru comme une folle, par monts, par vaux, égratignant sa jolie robe d'eau. Elle s'est transformée, muée, déguisée, métamorphosée, elle a tout essayé pour échapper à ses ardeurs séniles. Feu, elle a rougeoyé. Eau, elle a glouglouté. Vent, elle a susurré. Arbre, elle a feuilleté. Oiseau, elle a pioupioutté. Tigre, elle a ondulé. Lion, elle a osé. Serpent, elle a sifflé. Puis comme une imbécile, dans sa soif de naturel, elle est devenue seiche. Et là, il l'a séchée. Scotchée, aplatie sur le sable où, à son grand effroi, elle a repris son apparence de femme et ses charmes concrets.

Elle, nourrie au biberon du nectar et de l'ambroisie, elle tout irriguée d'ichor, se retrouve engloutie sous les coups de reins trop humains de ce mangeur de viande à l'haleine phtisique. Et la voilà grosse de vies de chair dont elle sait d'avance la terrible mortalité, la pourriture assurée. Alors elle œuvrera à rendre immortels ces pauvres bébés rouges au trépas programmé.

Le feu lui semble le remède suprême, l'onguent d'immortalité. Elle y trempe son premier né. Pas de veine. Le voilà trépassé. Obstinée, elle réitère. Le deuxième, cramé. Elle règle l'intensité pour le troisième mais pas assez. Peu importe, elle y croit dur comme fer, à son feu. Au quatrième, carbonisé, succède le cinquième totalement grillé. Le sixième répand sa folle odeur de cuir brûlé. Quand le septième arrive, symbole gigotant d'un funeste avenir, acharnée, persévérante, persuadée d'un imminent succès, elle le plonge aussitôt dans le foyer ardent. C'était sans compter sur la vigilance du vieux pelé, las de creuser des tombes à tous ces gigots noirs. Il s'était planqué derrière le frigo. Fou de rage, il brandit sa canne de sa main gonflée de rhumatismes tandis que tremble son dentier. Il redresse bravement son dos scoliosé, perclus de douleurs sourdes. Il tend son bras, arrache le bébé à la flamme qui a déjà dévoré un osselet du petit orteil et quelques brins de lèvres. Il emporte le petit paquet fumant.

En tout cas, pour elle, c'est trop. Elle maudit la terre et s'en retourne à son humidité primordiale où les dauphins lui font la fête.

Thétis II

D'autres font à la belle Thétis un roman différent, un scénario souterrain. Mais perdure sa rage à soustraire sa fragile engeance à la mort.

Son premier né à peine né, elle prend le chemin rocailleux qui conduit aux Enfers.

Ses chevilles graciles sur les cailloux se tordent, les épines griffent sa peau de lait. La longue marche meurtrit ses jambes fuselées. Le bébé, sur son dos, dans un fichu repose. Elle a pris cet usage aux douces Ethiopiennes visitées au printemps. Oublieuse de tout, elle parle à l'enfant. Mon ange, mon trésor, mon bout de chair mortelle, mon avenir désespéré, mon espoir guillotiné, ma déchirure. Sera-t-il dit dans les livres de mythologie que moi Thétis, déesse affranchie de l'hideuse clepsydre qui minute la vie des malheureux terriens , insolente d'éternité, vivante à jamais, sera-t-il dit que j'ai donné vie à la mort, que j'ai enfanté un enfant condamné? Non, mon chéri, non. Dors, ma poupée, ta mère veille. Mon bien-aimé, mon prince, mon calice. Mon étoile rousse, ma perle, mon petit bébé adoré, mon poulet. Je connais le moyen de t'immortaliser! L'eau, remède souverain, lotion d'éternité. L'eau infernale, l'eau du Styx. Qui s'y trempe jamais ne sera prisonnier de la mort aux dents noires. Courage, mon poussin. Bientôt tu seras dieu, qui se rit du trépas.

Nous sommes arrivés. Voici le lac ébène, la crevasse béante qui conduit chez Hadès.

Elle s'y glisse,essoufflée. Mon amour, n'aie pas peur, je vois dans les ténèbres. Cerbère et ses serpents qui éternuent sans cesse, le long hululement des âmes volantes, Sisyphe en sang sur le rocher, Tantale exorbité, les Danaïdes crevées. Perséphone voilée de nuit, le peuple des ombres, les sensations ouatées, le silence et les cris, le fouet des Érynnies, Charon sur sa banque flottante, les yeux comme des drachmes. Des toiles d'araignée zèbrent ses joues. Dors, mon héros, dors. Elle traverse la plaines des asphodèles en fleurs et les Champs Élysées.

. Elle marche dans la nuit de ce monde d'en bas, où, sans respiration, sans couleurs et sans vie, passent les purs fantômes de rires ensevelis. Elle savoure sa supériorité, tremble pour son fardeau. Non, mon fils, non, jamais tu n'erreras ici, triste, en larmes, pleurant le soleil. On approche, voilà le Styx, le fleuve aux remous verts, le remède à ton mal.

Elle l'y plonge ardemment, elle l'éclabousse, en transes, elle le roule dans l'eau, elle l'inonde, elle l'ensevelit dans les vagues douçâtres, elle le noie dans les tourbillons, elle le moustache d'écume. Insatiable, le tenant par un bout de talon, elle le laisse s'imprégner d'invulnérabilité. Elle l'arrose, elle le mouille, elle le rince à gogo, elle le pleut, elle le coule. Et le fleuve le boit. Lui, il rit aux éclats de ce jeu qui l'éveille. Et il en redemande. La voici elle aussi dégoulinante, en rire. L'étourdie dans ses doigts entend le cœur qui bat dans ce morceau de pied, ne songe nullement à changer de côté. Et voilà notre Achille couvert d'immortalité, de la tête à un pied.

Elle repart, triomphante. Il gazouille et fait des clins d'œil au ciel de Grèce qui sait.

Misra

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Message  Invité Lun 30 Avr 2012 - 6:55

J'ai trouvé la lecture de ce texte particulièrement agréable, car il est servi par une écriture fluide et harmonieuse.

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