Exo Lunatik : Le jour ne se lèvera pas

Le 1er mai 2013

Jardin d’acclimatation.
Aucun signe de bouleversement atmosphérique. Il fait beau. Le monde tient. Impossible de d’estimer une nouvelle date. Les signes sont toujours là, pourtant, de plus en plus forts. Les gens crèvent de faim, les cités s’embrasent… Je dois continuer.
Mais j’ai trouvé le lieu sûr, le lieu où...


Je n’arrive pas à me concentrer. Je ferme mon carnet. Je regarde les gosses tourner autour des tables. Ils cavalent après les pigeons, s’esclaffent. La poussière vole. Un des mômes retourne à sa table, prend une frite…
Il revient, demande aux autres de rester tranquilles. Le silence se fait. Ricanements sous la main. Il lance la frite au pigeon, pas trop loin. Le piaf hésite, s’approche à petits bonds crochus, recule. La danse dure un temps, les gamins s’impatientent. L’oiseau sait les risques. Il recule, encore, estime la distance, nerveux, agite la tête, mate un moineau qui sautille, les enfants, ailleurs, le moineau, les enfants… Et renonce à toute prudence.
Une énorme pierre lui rebondit sur le dos. Les gamins hurlent, dansent, rient… Tu l’as eu… Ouais… Génial… trop fort… la poussière vole.
Le pigeon, l’aile basse, s’éloigne.
Le moineau en profite.

J’ai l’impression d’entendre mon fils, près de moi… Pourquoi ils lui font du mal, papa ?

Je lève les yeux sur l’autre, Le père des monstres, encore à table, impassible, il ne bronche pas. Je crois même qu’il sourit. À moins qu’il ne soit victime d’une paralysie faciale partielle.

La serveuse se poste devant moi et attend que je débarrasse ma table des carnets qui la jonchent. On voit bien qu’elle n’a pas envie d’être là. Je ne lui en veux pas. J’avais la même tête quand je travaillais.
Je débarrasse, enfouis tout dans le carton à mes pieds. Un des carnets tombe par terre. Je le ramasse. Il est ouvert à la page du 10 septembre 2011. La serveuse pose l’assiette sur la table vide.


Le 10 septembre 2011

Ce matin je me suis réveillé en réalisant que je vivais sur une boule de métal en fusion vieillissante, qui tourne autour d'une boule d'hélium et d'hydrogène en fusion nucléaire constante... Je me sens bien.


Je feuillette.


Le 25 mai 2012

Quatrain 1-55

Soubz l’opposite climat Babylonique,
Grande sera de sang effusion
Que terre & mer, air, au ciel sera inique,
Sectes, faim, regnes, pestes, confusion.

Plus je fouille plus le message est clair … La date approche, l’équateur galactique. Je cherche. Impossible de trouver où commencera la fin, à Yellowstone ou en Indonésie, mais je trouverai, et je trouverai l’endroit.
Je range les derniers cahiers et ne garde que celui d’aujourd’hui. Je dois me concentrer, les gens doivent savoir. Je repousse l’assiette devant moi.
Je n’ai pas très faim. Demain, je pars.

Je relis.

Le 1er mai 2013

Jardin d’acclimatation.
Aucun signe de bouleversement atmosphérique. Il fait beau. Le monde tient. Impossible de d’estimer une nouvelle date. Les signes sont toujours là, pourtant, de plus en plus forts. Les gens crèvent de faim, les cités s’embrasent… Je dois continuer.
Mais j’ai trouvé le lieu sûr, le lieu où…

Reprends mon crayon, je dois tout dire, certains comprendront.

...Mais j’ai trouvé le lieu sûr où ce qu’il restera d’humanité pourra recommencer.
J’ai essayé de prévenir tout le monde, le monde ne m’a pas écouté. Je leur ai donné l’endroit, en Afrique, le lieu le plus sûr, loin des océans, des fleuves, des failles sismiques.

Si j’avais eu un peu plus de temps, j’aurais pu sauver les miens. Mais je ne voulais pas qu’ils souffrent, je refusais qu’ils vivent le chaos. Le 20 décembre 2012, je ne savais pas encore comment les sauver, alors j’ai eu peur pour eux. J’ai tout organisé.

La dernière soirée avec mon fils était belle. La tête de Paul, du haut de ses quatre ans, qui me demandait qui était le méchant dans l’histoire. Il n’aimait que les méchants dans les films.
Je lui ai répondu : « Il y a peu de méchants dans les films pornos », il a hoché la tête et est parti jouer avec son hypermodulator. Au temps pour ma leçon de vie.
Hélène était tout sourire, affalée sur la table. Elle était chargée à bloc, je voyais bien qu’elle n’était pas tout à fait avec nous, je ne m’étais jamais senti aussi proche d’elle. J’avais pris ma dose aussi, le temps était figé. Il ne me restait plus qu’à faire boire Paul et nous pourrions partir ensemble, tous les trois, sans souffrir.

Je me réveillais à l’aube et le monde était encore là. Sans Paul. Sans Hélène.
J’avais juste une énorme gueule de bois, et la souffrance.


Les gosses continuent à torturer le piaf.
Le père ne dit toujours rien.
Je me lève, ramasse un des pavés qui délimitent le parterre de fleurs près de ma table. Il résiste un peu, mais n’est pas enfoncé très profond. Je rejoins la table des gosses. Le père lève la tête, j’en profite pour lui défoncer le crâne. Et je frappe, et je frappe, et…

je n'ai pas mis le bon titre, bien sûr

Exo lunatik : Le jour ne se lèvera pas

sinon, c'est le choix 1
avec le thème de "l'abîme" et celui de "les derniers jours de la Terre (parallèle)" de Robert Sheckley dans le recueil "le robot qui me ressemblait" (auteur suggéré par Gobu dans un échange avec lunatik

arrête de frimer et va te passer sous l'eau froide
pendant qu'on lit
('tain le mentor ! va s'arracher ses trois cheveux !)

ça m'énerve, parce que tes textes, j'ai souvent l'impression de les avoir presque écrits !
ou que tu me les as piqués contre six bières !

J'en vois du coup les défauts, les intentions, et ils m'habitent comme s'ils étaient miens : je n'en suis pas tout à fait satisfaite, je n'ai pas la bonne distance, mais je les adopte et les intègre totalement.

j'y reviendrais pour une lecture plus circonstanciée (ou pas), mais bon, voilà.

Ah j'ai trouvé ce déroulement excellent. Ces allers et retours entre la scène du parc et le contenu du carnet qui fait monter la pression jusqu'au point de fusion.
Qui nous fait le lien entre une scène champêtre cruelle mais malheureusement banale et puis le délire qui va se jouer là. En plus c'est une écriture relativement froide, trés compte rendu de faits objectifs qui contraste trés bien avec la folie qui bouillonne sous le crâne du narrateur. Impec !

ouais, très réussi !

Un peu perdue dans les dates à la première lecture, une fois compris et relu ça coule tout seul.
Belle construction qui dit beaucoup en économie de phrases, superbement écrit et dosé. Fin parfaite.

Ah, j'oubliais : la scène du pigeon, magnifique (horrible mais magnifique).

Manifestement, Nostradamus fait encore des dégâts… Au moins dans la tête de certains auteurs, mais pas uniquement si je me réfère à l'utilisation qui est faite du pavé. Un vrai casse-tête ce texte, mais bien écrit, quoiqu'un peu court.
Juste un point de détail : un piaf est un petit oiseau (moineau; p.ext., oiseau de petite taille).

Je confesse: je n'ai pas encore lu le recueil de Lunatik. Et donc, le point fort de Grieg, c'est cette capacité à te donner un désir imminent et intangible à lire un bouquin qui pourtant n'est pas de lui. Bravo Monsieur, m'en vais m'adresser à mon libraire.

On retrouve bien le côté froid et inaccessible à tout raisonnement sensible qui caractérise le héros de "l'abîme". Et c'est vrai que ça colle plutôt bien avec son "délire" de fin du monde. Alors en effet, au point où il en est, éclater la tête d'un quidam, il n'est plus à ça près !! Cette préoccupation (matérialisée par la lecture du carnet) permet de caractériser le héros sans en faire la description et c'est une des forces de ce texte. Belle réussite !

Pour moi, celui ci fonctionne beaucoup mieux que Le vin de l'assassin, que je trouve trop explicatif.
Ici, rien de superflu.
Le passage du pigeon et celui du gamin avec le film porno sont excellents.