Exo Lunatik : Avec tout mon amour
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Exo Lunatik : Avec tout mon amour
J’ai surpris Kurt dans son sommeil. L’oreiller recouvrant sa tête m’a protégée de son regard, mais pas de son petit corps gigotant faiblement le temps que l’air lui manque.
Mais j’avais oublié que sa sœur est insomniaque : elle m’a vu faire. Quand je me suis retournée elle était là, tétanisée et frissonnante dans la chemise de nuit en flanelle rose offerte par sa grand-mère.
Ma mère a toujours des cadeaux utiles, elle ne conçoit pas le plaisir, ni pris, ni donné. À force, Ludivine s’est habituée, elle remercie gentiment et va ranger le cadeau dans l’armoire puis retourne ouvrir les vrais paquets.
J’ai vu des questions dans ses yeux froissés, quand j’ai fait un pas dans sa direction, elle a trouvé les réponses, quelque chose dans mon regard peut-être ou la manière qu’avait eu mon corps de s’approcher d’elle. Elle a fait demi-tour et s’est mise à courir dans le couloir, sans hurler, pour préserver son souffle. Je me suis sentie fière du sang-froid de ma fille.
C’est ma préférée, on dirait moi, petite. Je ne lui ai jamais dit, c’est dommage. J’avais choisi un moyen tout en douceur pour elle, maintenant elle va m’obliger à faire mal, forcément. Déjà, elle sait, j’aurais voulu le lui épargner.
Je la course dans la maison, elle me fait tomber les étagères dessus dans le couloir, ce qui lui donne une avance confortable, qu’elle perd en glissant sur le tapis en bas de l’escalier. Paul me l’avait bien dit qu’un jour il y aurait un accident avec ce tapis. Mais je me félicite d’avoir tenu bon face à lui, si elle avait atteint la porte d’entrée, j’étais cuite.
Comme je suis sur ses pas et qu’elle sent mon souffle sur sa nuque gracile, elle tourne court, vers la porte du salon. Je ne sais pas à quoi elle pense, je la croyais plus intelligente. Grossière erreur ma chérie, c’est pourtant toi qui rigole devant les films d’horreur en disant que les poursuivis font constamment de mauvais choix, comme s’ils n’avaient qu’une envie : se faire rattraper et éventrer. Tu veux que je te rattrape mon cœur ?
Plus besoin de courir, je savais bien qu’elle serait figée par le spectacle. Un lapin pris dans des phares.
Il faut dire que je n’ai pas loupé son frère. Quand je suis montée pour terminer le boulot avec les deux petits, il n’y avait que quelques éclaboussures, de loin on aurait pu croire à des taches, Jordan aimait tellement les pâtes au ketchup. Mais maintenant une flaque l’entoure, un instant je m’arrête, prise d’émotion devant ce beau rouge, mon sang, ma chair.
Il était installé sur le canapé, hilare devant son dessin animé préféré, volume à fond, il ne m’a pas entendu arriver. Son petit crâne tendre a explosé sans résister. J’ai caressé sa tempe, juste là où le duvet de ses cheveux était si doux. La peau était encore chaude. J’y ai déposé un baiser avant de monter prendre l’oreiller, celui en plume d’oie, je voulais ce qu’il y avait de mieux pour mon bébé.
Ludivine sort de sa torpeur, elle un hoquet, suivi d’un bruit de morve avalée, son petit nez enchifrené m’attendri : les tâches de rousseur, le bout retroussé, les yeux en amande aux longs cils et la chevelure auburn, elle aurait fait des ravages d’ici deux ou trois ans. Son père s’en inquiétait, il disait qu’il garderait la porte de la maison avec un fusil pour empêcher les mâles de venir l’enlever. Il n’avait pas pensé à la protéger de l’intérieur.
J’espère que dans sa fuite elle ne va pas passer devant le bureau de son père, j’ai laissé la porte ouverte je crois, elle l’aime tellement, le choc risque de l’anéantir. Il n’est pas beau à voir : la bave recouvre son menton, ça me rappelle cette fausse barbe de père noël qu’il avait absolument voulu acheter il y a deux ans. Ridicule. En plus les deux grands n’y croyaient déjà plus et Kurt venait juste d’être conçu, il ne remuait pas encore dans mon ventre, donnant des petits coups de pieds à chaque fois que j’écoutais Nirvana.
Paul ne s’est pas méfié, il a bu son whisky comme d’habitude, en petites gorgées de connaisseur. J’avais dû mettre la bonne dose pour qu’il ne se rende pas compte du goût. Quand ça a commencé à faire effet je l’ai scotché sur sa chaise et je lui ai tenu la main en regardant par la fenêtre. C’était difficile de faire abstraction de ses gargouillements humides, heureusement ils rendaient ses paroles incompréhensibles. Et, dans le jardin, le vent du nord créait des ombres de branches fascinantes qui dessinaient des formes éphémères sur la pelouse. J’étais hypnotisée, j’ai toujours aimé notre petit jardin, abrité par les palissades, ombragé par l’immense saule pleureur. Quand sa main s’est crispée une dernière fois dans la mienne, je suis sortie de ma contemplation et j’ai pris le presse-papier en marbre sur son bureau avant de rejoindre Jordan. Il a fallu que je le tienne à deux mains pour être certaine qu’il ne glisse pas de ma paume à peine assez grande pour le serrer.
Je reviens à la réalité en apercevant l’ombre de ma fille se faufiler vers la cuisine. La cruche. Justement je visualisais le couteau qui attend sagement, posé sur sa pierre à aiguiser. La pièce est sans issue, les volets automatiques sont fermés, elle n’aura pas le temps de lancer leur ouverture.
« Mon ange ? Ma douceur ? N’ai pas peur ».
« Argh…». Pas si cruche que ça… il était trop en évidence finalement ce couteau. Elle a pensé à le tenir vers le haut, et tenu compte de mon élan. J’entends le roulis des volets automatiques mais je ne vois plus rien. Je songe un instant à la corde soigneusement attachée au lustre de l’entrée, et au tabouret dessous. Une corde achetée pour rien.
Mais j’avais oublié que sa sœur est insomniaque : elle m’a vu faire. Quand je me suis retournée elle était là, tétanisée et frissonnante dans la chemise de nuit en flanelle rose offerte par sa grand-mère.
Ma mère a toujours des cadeaux utiles, elle ne conçoit pas le plaisir, ni pris, ni donné. À force, Ludivine s’est habituée, elle remercie gentiment et va ranger le cadeau dans l’armoire puis retourne ouvrir les vrais paquets.
J’ai vu des questions dans ses yeux froissés, quand j’ai fait un pas dans sa direction, elle a trouvé les réponses, quelque chose dans mon regard peut-être ou la manière qu’avait eu mon corps de s’approcher d’elle. Elle a fait demi-tour et s’est mise à courir dans le couloir, sans hurler, pour préserver son souffle. Je me suis sentie fière du sang-froid de ma fille.
C’est ma préférée, on dirait moi, petite. Je ne lui ai jamais dit, c’est dommage. J’avais choisi un moyen tout en douceur pour elle, maintenant elle va m’obliger à faire mal, forcément. Déjà, elle sait, j’aurais voulu le lui épargner.
Je la course dans la maison, elle me fait tomber les étagères dessus dans le couloir, ce qui lui donne une avance confortable, qu’elle perd en glissant sur le tapis en bas de l’escalier. Paul me l’avait bien dit qu’un jour il y aurait un accident avec ce tapis. Mais je me félicite d’avoir tenu bon face à lui, si elle avait atteint la porte d’entrée, j’étais cuite.
Comme je suis sur ses pas et qu’elle sent mon souffle sur sa nuque gracile, elle tourne court, vers la porte du salon. Je ne sais pas à quoi elle pense, je la croyais plus intelligente. Grossière erreur ma chérie, c’est pourtant toi qui rigole devant les films d’horreur en disant que les poursuivis font constamment de mauvais choix, comme s’ils n’avaient qu’une envie : se faire rattraper et éventrer. Tu veux que je te rattrape mon cœur ?
Plus besoin de courir, je savais bien qu’elle serait figée par le spectacle. Un lapin pris dans des phares.
Il faut dire que je n’ai pas loupé son frère. Quand je suis montée pour terminer le boulot avec les deux petits, il n’y avait que quelques éclaboussures, de loin on aurait pu croire à des taches, Jordan aimait tellement les pâtes au ketchup. Mais maintenant une flaque l’entoure, un instant je m’arrête, prise d’émotion devant ce beau rouge, mon sang, ma chair.
Il était installé sur le canapé, hilare devant son dessin animé préféré, volume à fond, il ne m’a pas entendu arriver. Son petit crâne tendre a explosé sans résister. J’ai caressé sa tempe, juste là où le duvet de ses cheveux était si doux. La peau était encore chaude. J’y ai déposé un baiser avant de monter prendre l’oreiller, celui en plume d’oie, je voulais ce qu’il y avait de mieux pour mon bébé.
Ludivine sort de sa torpeur, elle un hoquet, suivi d’un bruit de morve avalée, son petit nez enchifrené m’attendri : les tâches de rousseur, le bout retroussé, les yeux en amande aux longs cils et la chevelure auburn, elle aurait fait des ravages d’ici deux ou trois ans. Son père s’en inquiétait, il disait qu’il garderait la porte de la maison avec un fusil pour empêcher les mâles de venir l’enlever. Il n’avait pas pensé à la protéger de l’intérieur.
J’espère que dans sa fuite elle ne va pas passer devant le bureau de son père, j’ai laissé la porte ouverte je crois, elle l’aime tellement, le choc risque de l’anéantir. Il n’est pas beau à voir : la bave recouvre son menton, ça me rappelle cette fausse barbe de père noël qu’il avait absolument voulu acheter il y a deux ans. Ridicule. En plus les deux grands n’y croyaient déjà plus et Kurt venait juste d’être conçu, il ne remuait pas encore dans mon ventre, donnant des petits coups de pieds à chaque fois que j’écoutais Nirvana.
Paul ne s’est pas méfié, il a bu son whisky comme d’habitude, en petites gorgées de connaisseur. J’avais dû mettre la bonne dose pour qu’il ne se rende pas compte du goût. Quand ça a commencé à faire effet je l’ai scotché sur sa chaise et je lui ai tenu la main en regardant par la fenêtre. C’était difficile de faire abstraction de ses gargouillements humides, heureusement ils rendaient ses paroles incompréhensibles. Et, dans le jardin, le vent du nord créait des ombres de branches fascinantes qui dessinaient des formes éphémères sur la pelouse. J’étais hypnotisée, j’ai toujours aimé notre petit jardin, abrité par les palissades, ombragé par l’immense saule pleureur. Quand sa main s’est crispée une dernière fois dans la mienne, je suis sortie de ma contemplation et j’ai pris le presse-papier en marbre sur son bureau avant de rejoindre Jordan. Il a fallu que je le tienne à deux mains pour être certaine qu’il ne glisse pas de ma paume à peine assez grande pour le serrer.
Je reviens à la réalité en apercevant l’ombre de ma fille se faufiler vers la cuisine. La cruche. Justement je visualisais le couteau qui attend sagement, posé sur sa pierre à aiguiser. La pièce est sans issue, les volets automatiques sont fermés, elle n’aura pas le temps de lancer leur ouverture.
« Mon ange ? Ma douceur ? N’ai pas peur ».
« Argh…». Pas si cruche que ça… il était trop en évidence finalement ce couteau. Elle a pensé à le tenir vers le haut, et tenu compte de mon élan. J’entends le roulis des volets automatiques mais je ne vois plus rien. Je songe un instant à la corde soigneusement attachée au lustre de l’entrée, et au tabouret dessous. Une corde achetée pour rien.
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
là, chapeau bas
réussite totale pour moi !
réussite totale pour moi !
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
"elle a un hoquet" (non?), "m'attendrit"elea a écrit:elle un hoquet, suivi d’un bruit de morve avalée, son petit nez enchifrené m’attendri
Je suis d'accord avec Janis, ça m'a fait froid dans le dos!
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
Oh put...
c'est hyper trash
style flamboyant sanguinolent
très bien écrit
ah ouais je comprends la reflexion de grieg avec ses lexomils
bravo
c'est hyper trash
style flamboyant sanguinolent
très bien écrit
ah ouais je comprends la reflexion de grieg avec ses lexomils
bravo
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
Terrible, ça fait frémir ! Beaucoup aimé ces instants de contemplation qui rendent encore plus violents les actes de l'héroïne, encore plus froids et implacables par le côté détaché qu'elle prend soudain dans son fonctionnement. On comprend que rien ne peut l'arrêter. Bravo !
demi-lune- Nombre de messages : 795
Age : 64
Localisation : Tarn
Date d'inscription : 07/11/2009
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
Tout un art les scènes d’action, tu maîtrises et nous entraînes.
Ton texte est superbement abominable
Et fort bien construit, un portrait complet (d’où l’expression « je vais te refaire le portrait ») subtilement orchestré.
Si j’avais à lui trouver le défaut, je dirais que tu pousses, une ou deux fois, un peu trop le décalage : folie du moment/pensées communes. Cela fonctionne très bien au début, mais à la fin du deuxième paragraphe, le film d’horreur m’a gêné.
Ton texte est superbement abominable
Et fort bien construit, un portrait complet (d’où l’expression « je vais te refaire le portrait ») subtilement orchestré.
Si j’avais à lui trouver le défaut, je dirais que tu pousses, une ou deux fois, un peu trop le décalage : folie du moment/pensées communes. Cela fonctionne très bien au début, mais à la fin du deuxième paragraphe, le film d’horreur m’a gêné.
grieg- Nombre de messages : 6156
Localisation : plus très loin
Date d'inscription : 12/12/2005
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
je redis : super texte super réussi
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
Merci !
et
Désolée...
et
Désolée...
elea- Nombre de messages : 4894
Age : 51
Localisation : Au bout de mes doigts
Date d'inscription : 09/04/2010
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
Bravo. La conclusion est abominablement parfaite. Juste ce mot qui survole tout le texte: "pourquoi?" Mais bon, en vrai ça se passe aussi comme ça. Réponse à la Charles Bovary: "c'est la faute à la fatalité".
Chako Noir- Nombre de messages : 5442
Age : 34
Localisation : Neverland
Date d'inscription : 08/04/2008
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
Très d'accord avec grieg pour la fin du second paragraphe. Sinon, c'est effectivement impeccable, le dosage, l'écriture, l'haleine. Mais ce n'est pas trop mon truc. J'ai du mal avec les scènes de genre en littérature quand je ne ressens pas quelque chose d'autre derrière. J'aime beaucoup ça au cinéma, même le genre pour le genre et rien d'autre, lorsque c'est bien fait. Mais là, outre l'intensité et le rythme certains, je ressens un gros manque.
J'aime beaucoup cette phrase. Je trouve qu'elle dévoile quelque chose d'autre, un pourquoi, une émotion, une profondeur, une angoisse, une vérité fondamentale. Je pense qu'il y aurait beaucoup à dire sur cet éclatement si absolu de la cellule familiale.
elea a écrit:Il n’avait pas pensé à la protéger de l’intérieur.
J'aime beaucoup cette phrase. Je trouve qu'elle dévoile quelque chose d'autre, un pourquoi, une émotion, une profondeur, une angoisse, une vérité fondamentale. Je pense qu'il y aurait beaucoup à dire sur cet éclatement si absolu de la cellule familiale.
Invité- Invité
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
J'ai beaucoup aimé la tendresse toute maternelle qui se dégage de ce texte… Tout en douceur. Dommage de finir d'une manière aussi tranchante.
Invité- Invité
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
Bonsoir,
Je ne connais pas la ou les contraintes de cet exercice. Je les suppose parfaitement respectées.
C'est un texte efficace et très visuel mais j'ai trouvé cette tendre sauvagerie un peu irréelle.
Plusieurs fautes d'orthographe redonnent un peu d'humanité à l'ensemble ...
Pour moi, un bilan mitigé en fin de compte.
Amicalement,
midnightrambler
Je ne connais pas la ou les contraintes de cet exercice. Je les suppose parfaitement respectées.
C'est un texte efficace et très visuel mais j'ai trouvé cette tendre sauvagerie un peu irréelle.
Plusieurs fautes d'orthographe redonnent un peu d'humanité à l'ensemble ...
Pour moi, un bilan mitigé en fin de compte.
Amicalement,
midnightrambler
midnightrambler- Nombre de messages : 2606
Age : 71
Localisation : Alpes de Haute-Provence laclefdeschamps66@hotmail.fr
Date d'inscription : 10/01/2010
Re: Exo Lunatik : Avec tout mon amour
Ah ! Wes Craven peut aller se rhabiller.
Bien joué Elea.
Le final est nickel : Je songe un instant à la corde soigneusement attachée au lustre de l’entrée, et au tabouret dessous. Une corde achetée pour rien.
Bien joué Elea.
Le final est nickel : Je songe un instant à la corde soigneusement attachée au lustre de l’entrée, et au tabouret dessous. Une corde achetée pour rien.
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