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Shakos

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Message  ubikmagic Mer 2 Mai 2012 - 18:38

... Je poste cet extrait après avoir très longuement hésité. Le plaisir n'y est plus, comme par le passé. Enfin, voilà.





... Vint enfin le grand jour. En grandes pompes, nous fûmes nommés dans la Schupo. Nous faisions officiellement partie des forces de l’Ordnungpolizei. C’est le Hauptwachtmeister Krebs qui, en personne, me remit mon uniforme, ainsi qu’une matraque en caoutchouc. Je fus un peu déçu, j’espérais un pistolet. Toutefois, j’étais très fier. Enfin, je devenais quelqu’un ! Krebs me serra la main, raide et ampoulé, en me souhaitant une carrière exemplaire. Je le remerciai timidement, la voix enrouée par l’émotion.

Notre retour à Detmold fut euphorique. Nous reprîmes ce train qui nous avait, tant de fois, transportés, dans un sens ou l’autre. On rentrait au pays.
Mon père me reçut avec une large accolade. Ida eut un instant d’arrêt. Je vis sur son visage une grimace qu’elle se hâta de transformer en un sourire raté. Elle me félicita sur son mode distant, désincarné. Je gage, au rouge qui lui montait aux joues, qu’elle en faisait une maladie. Me voir ainsi, avec mon shako, devait la ronger de jalousie et d’impuissance.


Offlingen et les autres nous accueillirent dans leur équipe. J’ignore si Baumann était intervenu, mais nous faisions toujours les rondes ensemble, Franz et moi, sous la tutelle d’un collègue.
Au bout de trois semaines, on nous laissa aller seuls. Nous étions le duo de jeunes, la relève. Quel plaisir d’arpenter les rues de la ville en tant que policiers ! A présent, si quelque chose ne nous plaisait pas, si tel ou tel individu nous paraissait suspect, nous pouvions lui demander ses papiers, l’interroger, voire l’arrêter.
Une ou deux fois, je croisai Viktor Trautmann. Depuis que nous étions « verts », il nous évitait. Son manège était simple : dès qu’il nous repérait, il se faufilait dans une entrée d’immeuble. Je caressais le fantasme de l’incarcérer, un jour ou l’autre. En attendant, quand nous coincions une de ses filles, on lui faisait la morale. C’étaient, pour la plupart, de vieilles connaissances, alors on ne les embêtait pas directement. Certaines étaient épatées de nous retrouver sous l’uniforme de policiers. Je crois savoir que Franz en a tiré partie. De temps en temps, il avait droit à des passes gratuites. En échange, il leur rendait de menus services et les protégeait.

La vie continuait. On parcourait Detmold, la journée entière. Vers dix-huit heures, fatigués mais contents, on repassait à Hermannstrasse saluer les collègues, faire notre rapport et puis on rentrait. Parfois on s’offrait une bière le long de Paulinenstrasse.
Un soir, alors qu’il me raccompagnait chez moi, je confiai à Franz combien j’étais heureux de notre nouveau statut. A présent, une solde régulière tombait chaque mois, et nous étions respectés.
Franz haussa les épaules :
- Et ça te suffit ?
- …. Euh… oui.
- Tu n’y es pas, l’ami ! Schupo, c’est une toute petite, une minuscule étape !
- Tu veux devenir gradé ?
- Bien plus que ça, naïf ! Tu n’as donc pas encore compris ?
Il me quitta sur cette phrase, tandis que je me torturais l’esprit. Franz était-il un ambitieux, ou un éternel insatisfait ?
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Message  Invité Jeu 3 Mai 2012 - 8:34

Bon, je retrouve un auteur dont j'ai lu quelques extraits déjà proposés, mais que je n'ai jamais commenté.

J'ai appris que la remise d'une matraque en caoutchouc permettait de devenir quelqu'un. Ça en dit long sur la psychologie du personnage. Il ne lui reste plus qu'à l'utiliser pour affirmer son identité.

- "A présent, si quelque chose ne nous plaisait pas, si tel ou tel individu nous paraissait suspect, nous pouvions lui demander ses papiers, l’interroger, voire l’arrêter." : ce sentiment de puissance, c'est jouissif non ? Une peccadille : A - À (majuscule accentuée). J'utilise un extenseur de clavier (gratuit) Keymap : http://www.reseau.org/keymap/

Juste quelques remarques (en toute humilité) :

- "Nous reprîmes ce train qui nous avait, tant de fois, transportés," : il me semble que les "virgules" hachent trop la phrase.

- J'ai eu quelques problèmes avec la ponctuation, comme ici : "On parcourait Detmold, la journée entière."

- Juste un bémol (je sais, il y a la fée Google ! ) : un petit glossaire à la fin pour les non spécialistes que j'imagine nombreux.

Je vous cite : "Le plaisir n'y est plus, comme par le passé." Pour moi, si. Pour conclure par un très mauvais jeu de mots : "Schupo" (Chapeau).

PS : j'attends l'analyse de Louis. Un expert dans l'analyse de texte.

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Message  demi-lune Jeu 3 Mai 2012 - 16:12

Je regrette que tu ne trouves plus de plaisir à poster ici les extraits de ton travail, trop rarement distillés, qui restent en revanche, pour moi, un plaisir.
On voit bien ici en effet l'ivresse du pouvoir, si petit soit-il, situation qu'on a pu voir aussi dans le très beau film : Lacombe Lucien.
Le seul endroit où j'ai un peu accroché est le passage du "nous" au "on" dans la phrase suivante :
En attendant, quand nous coincions une de ses filles, on lui faisait la morale.
le "nous" et le "on" apparaissent à divers endroits sans que cela gêne mais ici ils sont tellement proches que j'ai eu le sentiment d'un changement de ton un peu brutal (ça reste un détail)
J'ai bien davantage regretté la brièveté de l'extrait !!
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Message  midnightrambler Sam 5 Mai 2012 - 9:38

Bonjour,

Rien de plus à dire sur le texte lui-même que ce que j'ai pu dire à propos de certains de tes textes précédents ... pour moi, l'ensemble est excellent !

Maintenant, sur le plaisir de poster ...
Je travaille moi aussi très assidument sur un projet d'une certaine ampleur. Les commentaires suscités par mes premiers "posts" m'encouragent formidablement à persévérer, mais au fil du temps le nombre de commentateurs - je ne dis pas de lecteurs, même s'il diminue aussi car le texte "tombe" vers le fond du classement - a baissé car ceux qui ont déjà commenté estiment, à raison certainement, qu'ils ne vont pas le faire cinq fois, dix fois ...
La masse accumulée et la lecture sur écran ne sont pas non plus des éléments favorables ...
Si le projet parvient à son terme, les commentateurs en seront destinataires dans son ensemble ... sous une forme ou une autre ...

Amicalement,
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Message  Louis Sam 5 Mai 2012 - 15:45

L’intégration dans le corps des policiers ( la Schupo, les hommes en vert ) est une étape dans la carrière des deux personnages, Wolfgang et Franz, carrière qui les mènera, on le devine, à des fonctions élevées dans le régime nazi et à des rôles d’importance dans les événements horribles qui vont suivre.
Cette étape est la première d’une ascension, Franz en a conscience, qui lance à son ami prêt à se satisfaire du nouveau statut prestigieux récemment acquis : « - Tu n’y es pas, l’ami ! Schupo, c’est une toute petite, une minuscule étape ! »
Quand Wolfgang voit un aboutissement dans l’intégration dans le corps des policiers, après tous les efforts d’apprentissage dans les formations de jeunesse, Franz, lui, y voit un point de départ, la première marche d’une destinée plus grandiose, le premier degré dans l’accomplissement de la haute tâche d’une mission historique à laquelle ils seraient tous deux appelés, le premier pas en vue de la réalisation d’une œuvre élevée.
Franz voit loin, il est un idéaliste dogmatique, il est l’aiguillon qui va entraîner Wolfgang sur le chemin de la réalisation des idéaux nazis ; il ne s’arrête pas à ce qui est acquis, il est l’homme de l’excès, de la démesure, de la passion, il ne peut se satisfaire d’un résultat limité. Si Wolfgang spontanément accepte des limites, Franz est celui qui entraîne à franchir toutes les limites, il est celui qui pousse au-delà de la mesure.

Wolfgang a un besoin de reconnaissance qui est satisfait dans le port de l’uniforme et dans l’arme (une matraque) qu’on lui remet. Ces marques et instruments de pouvoir lui donnent un prestige, enfin il se sent admiré, jalousé, respecté ; « enfin je devenais quelqu’un », il acquiert une existence sociale, il est visible socialement, en vue grâce aux rondes effectuées toute la journée dans la ville de Detmold.
Il goûte au plaisir de ce qu’il a, et de ce qu’il est devenu : il jouit de l’exercice du pouvoir, de la crainte qu’il suscite, mais aussi de l’avantage financier de sa fonction, « A présent, une solde régulière tombait chaque mois, et nous étions respectés. » Il est seulement déçu de ne recevoir pour arme, instrument de pouvoir et signe de puissance, qu’une matraque, il aurait préféré un pistolet, instrument de violence plus puissant, instrument de mort plutôt que de coups et de blessures. Il regrette seulement qu’on ne lui accorde pas encore le pouvoir suprême de vie et de mort, mais il tire une fierté de son nouveau statut social, il trouve une satisfaction à jouer, avec son compagnon, les chiens de garde de l’ordre nouveau.
Franz ne se contente pas d’être un chien de garde, il désire ce qu’il n’a pas et ce qu’il n’est pas encore ; il veut être un maître de l’ordre nouveau et non son simple gardien; il ne se contente pas d’une puissance limitée, il veut gagner la toute-puissance. Non seulement la domination du parti qu’il sert, mais aussi une puissance personnelle, comme le montrent ses arrangements avec la morale, « quand nous coincions une de ses filles, on lui faisait la morale… Je crois savoir que Franz en a tiré parti. De temps en temps, il avait droit à des passes gratuites. En échange, il leur rendait de menus services et les protégeait. » Franz ne sert pas seulement son parti, mais ses intérêts personnels ; il n’est pas seulement l’agent d’un pouvoir totalitaire, mais aussi une graine de tyran, une tyrannie personnelle qui le place au-dessus des lois et de la morale. Il y a une folie chez Franz, que l’on ne trouve pas chez Wolfgang, mais on sent que Wolfgang va être entraîné dans cette folie.

Un extrait toujours de qualité, Ubik. Bravo pour la finesse et la subtilité des rapports tissés entre les deux personnages principaux.


[i]

Louis

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Message  Invité Sam 5 Mai 2012 - 19:14

Je passe pour dire que j'ai personnellement toujours grand plaisir à lire ces rares extraits.
Ici, j'aime surtout la narration factuelle, détachée, l'énergie qui s'en dégage.
Et le rapport entre les deux garçons, cette différence toujours peu ou prou présente entre eux, comme une incompréhension inconsciente, voire une pointe de jalousie, de rivalité masculine. On imagine très bien leur parcours diverger par la suite, plus tard.

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Message  Pascal-Claude Perrault Dim 6 Mai 2012 - 0:49

Commençons par les mauvaises nouvelles.

La ponctuation est ici fort rigoureuse, parfois trop.

C’est le Hauptwachtmeister Krebs qui, en personne, me remit mon uniforme, ainsi qu’une matraque en caoutchouc
=> Après uniforme, la virgule est inutile.

Nous reprîmes ce train qui nous avait, tant de fois, transportés, dans un sens ou l’autre
=> C’est trop haché ! Ici, je supprime volontiers les virgules et je rajoute un mot :

Nous reprîmes ce train qui nous avait tant de fois transportés dans un sens ou DANS l’autre
Allez hop, tout d’un trait ! Cul sec et ça roule ! (en plus on est dans train, trop cool)

Krebs me serra la main, raide et ampoulé => je ne suis pas du tout convaincu par la tournure. Krebs est ampoulé, soit. Alors dire : Krebs, raide et ampoulé, me serra la main, me conviendrait mieux mais pas encore. En fait, j’aurais plutôt entendu : Krebs me serra une main raide et ampoulée, c’est alors la main de Krebs qui possède les attributs, mais par allusion, cela se rapporte au Krebs man.

En attendant, quand nous coincions une de ses filles, on lui faisait la morale. C’étaient, pour la plupart, de vieilles connaissances, alors on ne les embêtait pas directement
=> Ici, soit tu choisis le nous, soit le on, mais pas les deux, autrement il y a incohérence.

De toute évidence, cet extrait de texte est de qualité. Je n’ai pas suivi depuis le début l’acheminement du récit au fil des posts, par conséquent je n’en possède pas l’historique. Mais l’histoire m’apparaît d’emblée passionnante.
La narration à la première personne donne, de façon certaine, une dynamique indéniable qui sied au propos, et je me trouve alors naturellement entraîné dans un mouvement naturel de vie quotidienne. Vie quotidienne autre, dois-je dire, car elle n’est pas la nôtre, mais celle d’un acteur.
Une vie, un personnage, un film…
D’ailleurs j’ai tout à fait l’impression de regarder un film.

Amitié,
PCP








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Message  Remus Dim 6 Mai 2012 - 18:46

Bonjour !

Toujours ravie de vous lire,
Bon sang, quand est-ce qu'il sort, votre bouquin ? :-)

Juste une petite remarque, cette phrase m'a gêné : " Enfin, je devenais quelqu’un ! " Parce que je ne la trouve pas utile. La description, le reste, suffit à nous faire comprendre à quel point il en est fier, combien cela compte pour lui, combien il en retire une certaine satisfaction de ce petit pouvoir qu'on lui donne, et combien ça constitue un élément important pour lui, pour qu'il se sente homme. En tout cas pour moi !

Au plaisir de vous lire,
Remus
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Message  elea Lun 7 Mai 2012 - 10:40

Rien à ajouter aux commentaires précédents, forcément. Si ce n'est le plaisir intact de lire ces extraits et le regret de ne pas pouvoir le faire plus souvent.

Quel que soit l'extrait, où qu'il se situe dans la chronologie de l'histoire, on retrouve toujours les personnages et leur personnalité, les rapports à la famille, au pouvoir, entre les deux. Preuve qu'il n'y a aucun flottement et qu'ils sont bien caractérisés, c'est aussi ça qui fait la qualité d'une histoire.

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