Appétit d'anémie
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Lucy
Janis
ubikmagic
Marine
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Appétit d'anémie
Et brusquement il s'arrêta, la fourchette à quelques centimètres de la bouche et sa lèvre inférieure pendant en dessous, comme un appendice, un gonflement grotesque, une boursouflure qui n'avait jamais existé avant cela, molle et lourde, un coussin de velours déchiré par un filet de bave.
Il se demandait pourquoi il faisait cela.
Puis il se demanda ce qu'il faisait exactement.
Il mangeait. Il mangeait un plat de pommes de terre et de haricots, cuits ensemble dans la graisse des premières et la saveur des seconds. Deux ou trois pommes de terre dans l'assiette se dressaient comme les gratte-ciel d'une grande ville féculente dans laquelle des amas de haricot, formés par les mouvements intempestifs et arbitraires de la fourchette, avaient dessiné des espaces verts au soleil de midi, entré par la fenêtre. Derrière les rideaux blancs.
Son regard passé de la ville organique à la fourchette, du bas de la fourchette à la silhouette de ses lèvres, une ombre, à peine. Le mur derrière, comme un tableau, et la fenêtre comme en décor.
Un morceau de patate était en équilibre sur une de ses dents. Une des dents de la fourchette.
Son bras hésita. Puis recula. Descendit, enfin. Le morceau de pomme de terre retourna à l'assiette.
Perplexe, l'homme essuya ses lèvres grasses.
Pendant quelques secondes il avait hésité. Le dos de sa main ou la serviette ? Incapable de faire un choix, la panique avait grimpé, et il avait agité son poignet, fébrilement, saisit un coin de serviette dans ses doigts moites et passé le dos de sa main sur ses lèvres, la serviette toujours serrée entre les doigts, serrée à ce qu'ils soient violets autour du tissu blanc.
Il regardait le mur. La fenêtre et le jour bizarre qui filtraient au dehors, mais presque de l'intérieur au dehors, comme si quelque chose s'échappait au lieu d'entrer, comme si la pièce se vidait de sa substance, aspirée ailleurs, et que la matière enlevée, il restait quelque chose de nouveau tout au fond, dans le creux de cette pièce, comme un trésor qu'on découvre au fond d'un bassin dont toute l'eau a été retirée et qui semble soudain luire sans être éclairé.
Un bout de doigt violet s'échappait du tissu blanc.
En somme il n'avait pas voulu manger cette pomme de terre et tout avait commencé comme cela, aussi simplement, aussi quotidiennement. Ce n'était pas qu'il n'avait plus faim, ce n'était pas que le goût de la nourriture ne lui plaisait plus, ni qu'elle était trop cuite, ni pas assez, c'était qu'il ne voulait pas finir son geste.
Le mouvement lui coûtait, d'une façon ou d'une autre.
Et pourtant ce n'était pas encore non plus tout à fait cela.
Il se demandait pourquoi il faisait cela.
Puis il se demanda ce qu'il faisait exactement.
Il mangeait. Il mangeait un plat de pommes de terre et de haricots, cuits ensemble dans la graisse des premières et la saveur des seconds. Deux ou trois pommes de terre dans l'assiette se dressaient comme les gratte-ciel d'une grande ville féculente dans laquelle des amas de haricot, formés par les mouvements intempestifs et arbitraires de la fourchette, avaient dessiné des espaces verts au soleil de midi, entré par la fenêtre. Derrière les rideaux blancs.
Son regard passé de la ville organique à la fourchette, du bas de la fourchette à la silhouette de ses lèvres, une ombre, à peine. Le mur derrière, comme un tableau, et la fenêtre comme en décor.
Un morceau de patate était en équilibre sur une de ses dents. Une des dents de la fourchette.
Son bras hésita. Puis recula. Descendit, enfin. Le morceau de pomme de terre retourna à l'assiette.
Perplexe, l'homme essuya ses lèvres grasses.
Pendant quelques secondes il avait hésité. Le dos de sa main ou la serviette ? Incapable de faire un choix, la panique avait grimpé, et il avait agité son poignet, fébrilement, saisit un coin de serviette dans ses doigts moites et passé le dos de sa main sur ses lèvres, la serviette toujours serrée entre les doigts, serrée à ce qu'ils soient violets autour du tissu blanc.
Il regardait le mur. La fenêtre et le jour bizarre qui filtraient au dehors, mais presque de l'intérieur au dehors, comme si quelque chose s'échappait au lieu d'entrer, comme si la pièce se vidait de sa substance, aspirée ailleurs, et que la matière enlevée, il restait quelque chose de nouveau tout au fond, dans le creux de cette pièce, comme un trésor qu'on découvre au fond d'un bassin dont toute l'eau a été retirée et qui semble soudain luire sans être éclairé.
Un bout de doigt violet s'échappait du tissu blanc.
En somme il n'avait pas voulu manger cette pomme de terre et tout avait commencé comme cela, aussi simplement, aussi quotidiennement. Ce n'était pas qu'il n'avait plus faim, ce n'était pas que le goût de la nourriture ne lui plaisait plus, ni qu'elle était trop cuite, ni pas assez, c'était qu'il ne voulait pas finir son geste.
Le mouvement lui coûtait, d'une façon ou d'une autre.
Et pourtant ce n'était pas encore non plus tout à fait cela.
Des indices.
Hello,
Intéressant début, avec quelques jolies perles :
... Des erreurs ou maladresses :
... Un texte qui reste en suspens, comme l'indique la dernière phrase :
Des indices qui indiquent un souci de qualité, de créativité. Une idée au départ qui peut tout à fait se révéler féconde. Quelques maladresses qui, elles, demandent un travail plus rigoureux. Une fin en forme d'interrogation qui suggère nettement que tout ça n'est qu'un début.
Conclusion : je demande à en voir plus, j'ai une opinion globalement positive, mais pas assez d'éléments pour l'étayer.
Ubik.
Intéressant début, avec quelques jolies perles :
Marine a écrit:... sa lèvre inférieure pendant en dessous, comme un appendice, un gonflement grotesque, une boursouflure qui n'avait jamais existé avant cela, molle et lourde, un coussin de velours déchiré par un filet de bave.
... Deux ou trois pommes de terre dans l'assiette se dressaient comme les gratte-ciel d'une grande ville féculente
... comme si quelque chose s'échappait au lieu d'entrer, comme si la pièce se vidait de sa substance, aspirée ailleurs, et que la matière enlevée, il restait quelque chose de nouveau tout au fond, dans le creux de cette pièce, comme un trésor qu'on découvre au fond d'un bassin dont toute l'eau a été retirée et qui semble soudain luire sans être éclairé.
... Des erreurs ou maladresses :
Marine a écrit:... dans laquelle des amas de haricot,
Un morceau de patate était en équilibre sur une de ses dents. Une des dents de la fourchette.
... il avait agité son poignet, fébrilement, saisit un coin de serviette dans ses doigts moites et passé le dos de sa main sur ses lèvres, la serviette toujours serrée entre les doigts, serrée à ce qu'ils soient violets autour du tissu blanc.
... Un texte qui reste en suspens, comme l'indique la dernière phrase :
Marine a écrit:.... Et pourtant ce n'était pas encore non plus tout à fait cela.
Des indices qui indiquent un souci de qualité, de créativité. Une idée au départ qui peut tout à fait se révéler féconde. Quelques maladresses qui, elles, demandent un travail plus rigoureux. Une fin en forme d'interrogation qui suggère nettement que tout ça n'est qu'un début.
Conclusion : je demande à en voir plus, j'ai une opinion globalement positive, mais pas assez d'éléments pour l'étayer.
Ubik.
Re: Appétit d'anémie
ah j'aime bien !
on y est presque, dans ce corps qui ne se reconnaît pas, dans cette lumière qui fuit, dans cette impossibilité de finir un geste.
Belle écriture !
on y est presque, dans ce corps qui ne se reconnaît pas, dans cette lumière qui fuit, dans cette impossibilité de finir un geste.
Belle écriture !
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Appétit d'anémie
J'aime beaucoup.
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 46
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: Appétit d'anémie
Pendant quelques secondes il avait hésité. Le dos de sa main ou la serviette ? Incapable de faire un choix, la panique avait grimpé, et il avait agité son poignet, fébrilement, saisit un coin de serviette dans ses doigts moites et passé le dos de sa main sur ses lèvres, la serviette toujours serrée entre les doigts, serrée à ce qu'ils soient violets autour du tissu blanc.
C'est le passage que je préfère. C'est si bien dit qu'on a l'impression d'avoir déjà observé ça soi-même, un jour.
Ce texte me ravit. D'accord avec ubikmagic pour les petits détails à retoucher, mais c'est peu de chose.
C'est le passage que je préfère. C'est si bien dit qu'on a l'impression d'avoir déjà observé ça soi-même, un jour.
Ce texte me ravit. D'accord avec ubikmagic pour les petits détails à retoucher, mais c'est peu de chose.
Invité- Invité
Re: Appétit d'anémie
Il ne se passe rien ou quasi
mais une atmosphère se dessine
à couper au couteau
jolie mise en scène
des tressaillements
des petites angoisses
ces choses ténues
comme observées au microscope
mais une atmosphère se dessine
à couper au couteau
jolie mise en scène
des tressaillements
des petites angoisses
ces choses ténues
comme observées au microscope
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: Appétit d'anémie
L'immobilisme et le "rien" c'est toujours difficile à rendre.
Ici c'est bien.
Ici c'est bien.
Invité- Invité
Re: Appétit d'anémie
Bonjour,
J'avais écrit un commentaire, mais ma connexion capricieuse ne l'a pas ajouté.
Je vais la faire un petit peu plus courte : ça ne m'a pas convaincu, trop de détours, de longueurs, pour décrire quelque chose d'étrange ; or, cette situation étrange justement ne m'apparait pas, je reste en dehors, c'est dommage
Certaines images me laissent sceptique également,
Mais n'étant qu'un début, j'attends la suite, pour me faire une idée plus précise !
Bien à vous,
Remus
J'avais écrit un commentaire, mais ma connexion capricieuse ne l'a pas ajouté.
Je vais la faire un petit peu plus courte : ça ne m'a pas convaincu, trop de détours, de longueurs, pour décrire quelque chose d'étrange ; or, cette situation étrange justement ne m'apparait pas, je reste en dehors, c'est dommage
Certaines images me laissent sceptique également,
Mais n'étant qu'un début, j'attends la suite, pour me faire une idée plus précise !
Bien à vous,
Remus
Remus- Nombre de messages : 2098
Age : 34
Date d'inscription : 02/01/2012
Re: Appétit d'anémie
PS : mon commentaire me parait un peu abrupte, à la relecture
l'écriture est agréable et il y a de belles images, comme l'a relevé Ubik
à suivre pour moi, bien sûr !
l'écriture est agréable et il y a de belles images, comme l'a relevé Ubik
à suivre pour moi, bien sûr !
Remus- Nombre de messages : 2098
Age : 34
Date d'inscription : 02/01/2012
Re: Appétit d'anémie
Une focale longue - pour viser les détails -, des choses intéressantes malgré quelques maladresses et imprécisions (la plupart relevées).
Dans son aspect général, je trouve cet écrit très encourageant, et attends la suite.
Sympathiquement.
La graisse de pommes de terre ?Il mangeait un plat de pommes de terre et de haricots, cuits ensemble dans la graisse des premières et la saveur des seconds.
Les images sont plaisantes, toutefois ce passage me semble relativement lourd : comme si vous vouliez insérer à tout prix certains éléments/détails, sans trop savoir où les disposer, ceci aux dépens de la fluidité du texte.Deux ou trois pommes de terre dans l'assiette se dressaient comme les gratte-ciels d'une grande ville féculente [...] avaient dessiné des espaces verts au soleil de midi, entré par la fenêtre. Derrière les rideaux blancs.
Son regard passé de la ville organique à la fourchette, du bas de la fourchette à la silhouette de ses lèvres, une ombre, à peine. Le mur derrière, comme un tableau, et la fenêtre comme en décor.
Dans son aspect général, je trouve cet écrit très encourageant, et attends la suite.
Sympathiquement.
Hop-Frog- Nombre de messages : 614
Age : 35
Date d'inscription : 11/04/2012
Re: Appétit d'anémie
À n'en pas douter, vous savez installer une atmosphère… Et quoi de plus difficile à faire autour d'un plat de haricots et pommes de terre. J'ai beaucoup aimé cette "suspension". Je précise que je n'ai pas, contrairement à d'autres avis, décelé de maladresses mais plutôt des "insistances" (je qualifie ainsi car rien d'autre ne me vient à l'esprit).
Franchement, et comme d'habitude en toute subjectivité, j'ai vraiment apprécié ma lecture.
À vous lire.
Franchement, et comme d'habitude en toute subjectivité, j'ai vraiment apprécié ma lecture.
À vous lire.
Invité- Invité
Re: Appétit d'anémie
Oui, deux ou trois toutes petites choses à corriger qui ont été précisées avant, mais Marine, ça fait plaisir de te lire.
Encore un texte où chaque action est minutieusement décrite, j'ai aimé ce ressenti, ce mal-être.
« Et pourtant ce n'était pas encore non plus tout à fait cela. »
J'ai particulièrement aimé cette phrase pour clore le texte.
Je ne pense pas qu'il faille de suite, non ?
Encore un texte où chaque action est minutieusement décrite, j'ai aimé ce ressenti, ce mal-être.
« Et pourtant ce n'était pas encore non plus tout à fait cela. »
J'ai particulièrement aimé cette phrase pour clore le texte.
Je ne pense pas qu'il faille de suite, non ?
Phoenamandre- Nombre de messages : 2423
Age : 33
Date d'inscription : 08/03/2009
Re: Appétit d'anémie
Il y a une certaine fascination, pour le lecteur, à suivre ces menus faits qui s'enchaînent au ralenti, et qui meublent totalement cet instant de vie.
Invité- Invité
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