Monotonie

Elle tient son oreiller dans ses bras comme r'il s'agissait d'un petit enfant, d'un bébé qu'elle presse contre son corps. Dehors la pluie martèle le pavé. Le ciel est d'acier, et renifle bruyamment. Elle tient son oreiller dans ses bras comme on tient à la vie, qui palpite doucement, comme on s'accroche aux élans sauvages de la tendresse, comme on retourne sur ses pas, ramassant peu à peu tout ce qui traîne derrière soi: son ombre, l'amour, jamais assez d'amour, l'enfance, l'état de naïveté... Elle est en état de naïveté, elle est en forme de ruissellement, de saut dans les flaques, de tic-tacs ténus et de craquements de bois sec, elle est en forme de mains vieilles et de vitre qui s'embue, existence égarée, de nudité crue. Son coeur. Son coeur bat dans le vide. Son coeur est un vélo rouillé. Son coeur est une langue étrangère, est une terre d'exil. Elle serre fort son oreiller, elle étouffe un sanglot. Dehors c'est tout un siècle de crachin. Les passants sont d'acier. Les trottoirs sont d'acier. La monotonie fait tinter les gouttières et fait jouir les caniveaux. Et tout se répète: les secrets, les mensonges, les aveux arrachés, les promesses non tenues. Dehors est une éternité. Et elle s'est arrêtée, lovée dans son lit, les pieds contre le mur, elle s'est arrêtée et elle pleure doucement, presque sans bruit, pour ne pas déranger les fantômes. Elle veut rire à nouveau, et savoir à nouveau jouer, la porte grande ouverte.

Ce texte est très beau ; il devrait être côté "poésie".

Mais un peu d'aération que diable !!! On l'apprécierait sans doute mieux.

Tu reviens avec cette acuité dans la tendresse qui me fait fondre...

Yoni Wolf a écrit:Son coeur est un vélo rouillé. Son coeur est une langue étrangère, est une terre d'exil.

Yoni Wolf a écrit: Dehors c'est tout un siècle de crachin. Les passants sont d'acier.

Il y en a beaucoup d'autres des jolies, mais celles-là j'ai eu envie de les manger tellement je les ai aimées.
Je suis assez d'accord avec aseptans en ce qui concerne l'aération, cela dit.

Merci à tous les trois. Ce texte est très important pour moi car, contrairement au reste de ma production, le sujet est différent de moi (ou pas !) quant à la forme compacte, elle est dûe au fait que j'écris avec mon téléphone, et que je ne sais comment sauter les lgnes.

Un texte sur Elle, vers Elle -indépendante du narrateur, extérieure à lui. Un texte ouvert, comme la porte finale. Pour laisser passer l'espoir, la vie. Un texte finalement positif. Le soleil qui se lève un peu on dirait. C'est bien, et même très bien.

Je viens de lire ton commentaire Yoni, juste avant le mien.

toi aussi je ne manque jamais un de tes textes
une nouvelle étape ici, il me semble
c'est bien.

C'est du Yoni. Tourbillon d'écriture probablement jeté sur un rebord de table un soir ou une nuit de spleen. Des individus cabossés par la détresse, en survivance. C'est souvent bouleversant. On aimerait un jour alors que Yoni nous ramène une construction, un développement, une stratégie narrative... Mais tous ces mots deviennent vilains quand on les compare à la sincérité de Yoni, qui nous force à baisser chapeau.

Je le trouve sublime ce texte.