Le stylo de la mort et de la vie
4 participants
Page 1 sur 1
Le stylo de la mort et de la vie
LE STYLO DE LA MORT ET DE LA VIE
Elle écrit à la tombée de la nuit
Elle écrit à son fils
Elle écrit à son fils dans le djebel
A son fils elle écrit tous les jours à la tombée de la nuit à son fils pour qu’il ne meurt pas elle écrit des lignes quotidiennes avec son stylo bille Reynold à son fils combattant dans le djebel
Le premier est mort dans le djebel alors elle écrit tous les jours à son dernier fils pour le maintenir en vie et qu’il revienne du djebel et que la guerre ne lui croque pas son enfant combattant dur dans le djebel sec
Elle écrit des lettres sur le papier les lignes droites du papier qu’elle suit méticuleusement avec la pointe bleue des son stylo Reynold à bille qui brille dans la nuit tombante sur le papier le stylo courant et sur la table et dans la cuisine et par la fenêtre de la cuisine la nuit tombante où elle écrit à son fils encore droit debout dans le djebel triste
Je la regarde écrivant à son fils loin dans le djebel pour qu’il ne crève pas de sa mort triste dans le djebel blanc
Elle lui envoie des mots des phrases de tous les jours qui se répétent chaque jour pour qu’il ne meurt pas des mots bien formés avec le stylo Reynold avec des boucles et des majuscules qui lui parlent du village de la vie du village et que tout le monde l’attend dans le village
Elle range le stylo elle plie le papier elle ferme l’enveloppe sur laquelle elle écrit l’adresse du régiment dans le djebel mais elle pleure
Elle n’allume pas la lumière elle me demande de m’agenouiller sur le banc de bois et nous commençons une prière pour le soldat mort et celui encore vivant dont la photo est sur le buffet à côté du crucifix sur le buffet la photo du fils fière nous prions devant le buffet aux portes bien fermées que j’imagine rempli de compotes et de chocolat fourré au lait
Elle prie pour le fils disparu comme elle écrit pour que l’autre revienne - disparition - apparition – je prie pour que le buffet s’ouvre et que l’autre revienne sortant du buffet avec des paniers remplis plein d’oranges du djebel
Ce fut ainsi que m’apparut la nécessité de l’écriture
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Le stylo de la mort et de la vie
Et tout ça sans ponctuation! (ça ne me gêne pas, loin de là)
Le texte m'a beaucoup plus, il avance lentement, avec des allers des retours, ça s'enroule et se déroule, pourtant toujours un bon rythme, je ne me suis pas ennuyée un seul instant.
"avec des paniers remplis plein d’oranges du djebel" ici j'ai eu un doute, c'est "plein d'oranges" ou les paniers qui sont pleins? La formule "plein d'oranges" me semblait juste un peu étrange par rapport au reste du texte, au niveau du ton.
Le texte m'a beaucoup plus, il avance lentement, avec des allers des retours, ça s'enroule et se déroule, pourtant toujours un bon rythme, je ne me suis pas ennuyée un seul instant.
"avec des paniers remplis plein d’oranges du djebel" ici j'ai eu un doute, c'est "plein d'oranges" ou les paniers qui sont pleins? La formule "plein d'oranges" me semblait juste un peu étrange par rapport au reste du texte, au niveau du ton.
Re: Le stylo de la mort et de la vie
Il me semble me souvenir que tu es adepte de cette écriture à la répétition forcée de certains mots, parfois comme un jeu entre l'auteur et son lecteur, parfois pour marteler l'idée en changeant d'angle.
Ici, la répétition me fait l'effet d'un mantra, à partir d'une réalité, d'une douleur passées. Un mantra pour contrer la fatalité, défier le destin, déjouer le sort. Et bien sûr ça fonctionne. Et là où c'est très fort c'est que malgré les bégaiements, malgré les enroulements, les volutes et les à-coups, le texte progresse - en clair-obscur, ombre et lumière, "disparition-apparition"-, jusqu'au dernier grand saut en arrière, une espèce d'ultime aveu, retour à la case départ.
Et il va sans dire que au-delà de l'exercice de style, ce que raconte le texte est bien sûr touchant et suscite l'empathie.
J'aime beaucoup beaucoup.
Une coquille :
"qu’elle suit méticuleusement avec la pointe bleue des son stylo Reynold à bille"
Ici, la répétition me fait l'effet d'un mantra, à partir d'une réalité, d'une douleur passées. Un mantra pour contrer la fatalité, défier le destin, déjouer le sort. Et bien sûr ça fonctionne. Et là où c'est très fort c'est que malgré les bégaiements, malgré les enroulements, les volutes et les à-coups, le texte progresse - en clair-obscur, ombre et lumière, "disparition-apparition"-, jusqu'au dernier grand saut en arrière, une espèce d'ultime aveu, retour à la case départ.
Et il va sans dire que au-delà de l'exercice de style, ce que raconte le texte est bien sûr touchant et suscite l'empathie.
J'aime beaucoup beaucoup.
Une coquille :
"qu’elle suit méticuleusement avec la pointe bleue des son stylo Reynold à bille"
Invité- Invité
Re: Le stylo de la mort et de la vie
Une mère écrit à son fils pour conjurer la mort ; se révèle alors la fonction de l’écriture, son impérieuse « nécessité ».
« L’écriture ou la vie » est le titre que Jorge Semprun avait donné à l’un de ses livres les plus émouvants ; ce texte pourrait, lui, s’intituler : « L’écriture ou la mort ».
« A son fils elle écrit tous les jours à la tombée de la nuit »
La mère, qui a donné le jour à son fils, écrit quand le jour tombe, quand les ténèbres s’annoncent, quand survient la mort du jour, pour l’éloigner, la mort, pour écarter les ténèbres avec « son stylo Reynold à bille qui brille dans la nuit tombante », et, dans le bleu de son encre, dans le bleu d’un nouveau ciel, redonner le jour. Elle est mère, elle porte la vie au bout des doigts. Elle écrit.
Son écrit : un cri à la vie renaissante.
La mère donne la vie par les mots qu’elle couche sur le papier à lettre. Son fils absent, loin, là-bas à la frontière du monde, loin dans le Djebel, elle le remet au monde du village, au centre du monde, à la beauté du monde, avec « des mots bien formés avec le stylo Reynold avec des boucles et des majuscules qui lui parlent du village de la vie du village ». Le fils est à la guerre où la mort se donne par les armes, la mère est au village où elle se bat pour la vie avec l’arme de son stylo, avec pour toute arme la force de l’écrit.
L’écriture est un appel, un rappel, une prière à la vie ; elle recrée le monde et la vie, contre l’absence, contre l’oubli, contre la mort qui rôde.
Le texte prend la forme d’une litanie, d’une prière dans laquelle les mots se répètent, insistent, se psalmodient, avec insistance pour se donner la présence quand menace le néant, quand menacent la mort et l’absence. L’écriture prend la forme de ce qu’elle est dans le fond.
C’est un beau texte.
« L’écriture ou la vie » est le titre que Jorge Semprun avait donné à l’un de ses livres les plus émouvants ; ce texte pourrait, lui, s’intituler : « L’écriture ou la mort ».
« A son fils elle écrit tous les jours à la tombée de la nuit »
La mère, qui a donné le jour à son fils, écrit quand le jour tombe, quand les ténèbres s’annoncent, quand survient la mort du jour, pour l’éloigner, la mort, pour écarter les ténèbres avec « son stylo Reynold à bille qui brille dans la nuit tombante », et, dans le bleu de son encre, dans le bleu d’un nouveau ciel, redonner le jour. Elle est mère, elle porte la vie au bout des doigts. Elle écrit.
Son écrit : un cri à la vie renaissante.
La mère donne la vie par les mots qu’elle couche sur le papier à lettre. Son fils absent, loin, là-bas à la frontière du monde, loin dans le Djebel, elle le remet au monde du village, au centre du monde, à la beauté du monde, avec « des mots bien formés avec le stylo Reynold avec des boucles et des majuscules qui lui parlent du village de la vie du village ». Le fils est à la guerre où la mort se donne par les armes, la mère est au village où elle se bat pour la vie avec l’arme de son stylo, avec pour toute arme la force de l’écrit.
L’écriture est un appel, un rappel, une prière à la vie ; elle recrée le monde et la vie, contre l’absence, contre l’oubli, contre la mort qui rôde.
Le texte prend la forme d’une litanie, d’une prière dans laquelle les mots se répètent, insistent, se psalmodient, avec insistance pour se donner la présence quand menace le néant, quand menacent la mort et l’absence. L’écriture prend la forme de ce qu’elle est dans le fond.
C’est un beau texte.
Louis- Nombre de messages : 458
Age : 69
Date d'inscription : 28/10/2009
Re: Le stylo de la mort et de la vie
J'aime beaucoup ce texte, pour ce qu'il raconte et comment il le raconte; fond et forme se marient avec harmonie. Douceur aussi, une douceur impulsée par cette répétition qui met en avant la douleur du thème tout en ne sombrant pas dans le pathos.
Une forme répétitive qui permet de conjurer la peur à défaut de peut-être conjurer le sort. On sent le désespoir et la détermination qui luttent, tout ça est rendu de manière sensible et poétique.
Une forme répétitive qui permet de conjurer la peur à défaut de peut-être conjurer le sort. On sent le désespoir et la détermination qui luttent, tout ça est rendu de manière sensible et poétique.
Sahkti- Nombre de messages : 31659
Age : 50
Localisation : Suisse et Belgique
Date d'inscription : 12/12/2005
Le stylo de la mort et de la vie
J'ai apprécié ton commentaire délicat, profond, et très personnel à propos de mon texte "Le stylo ...."
Merci sincèrement, Sahkti.
Raoul
< Pas de souci pour répondre ici directement après plusieurs commentaires, Raoulraoul.
Merci pour vos scrupules.
La Modération >
.
Merci sincèrement, Sahkti.
Raoul
< Pas de souci pour répondre ici directement après plusieurs commentaires, Raoulraoul.
Merci pour vos scrupules.
La Modération >
.
Raoulraoul- Nombre de messages : 607
Age : 63
Date d'inscription : 24/06/2011
Re: Le stylo de la mort et de la vie
J'ai été séduit par ce texte, son style fort singulier et hypnotique, ce propos qui à tout bout de champ semble trébucher, inapte à aller au bout de sa logique, marqué par le traumatisme, errant, circonvolutoire, s'attachant à des détails futiles, des détails du quotidien qui prennent tout leur sens dès lors que le drame s'y immisce… D'autres avant moi ont loué avec bien plus de talent toute la qualité de cet écrit… Aussi, je me permets de vous proposer cette petite correction orthographique, afin que mon passage ne soit pas entièrement vain :
– « A son fils » : « À » (accent sur la majuscule) ;
– « son stylo bille Reynold » : « Reynolds » est le véritable nom de la marque déposée… ;
– « pour qu’il ne meurt pas » : « pour qu'il ne meurre pas » (subjonctif) ;
– « avec la pointe bleue des son stylo » : « de son stylo » ;
– « stylo Reynold » : « Reynolds » ;
– « pour qu’il ne meurt pas » : « meurre » ;
– « avec le stylo Reynold » : « Reynolds » ;
– « la photo du fils fière nous prions » : à quoi se rapporte l'adjectif « fière » ? ;
– « pour que l’autre revienne - disparition - apparition – je prie » : je ne comprends pas les marqueurs typographiques ici ;
– « avec des paniers remplis plein d’oranges » : quand « plein » signifie « rempli », il a la valeur d'un adjectif et s'accorde comme tel, en genre et en nombre. Il faudrait donc écrire « pleins ».
– « A son fils » : « À » (accent sur la majuscule) ;
– « son stylo bille Reynold » : « Reynolds » est le véritable nom de la marque déposée… ;
– « pour qu’il ne meurt pas » : « pour qu'il ne meurre pas » (subjonctif) ;
– « avec la pointe bleue des son stylo » : « de son stylo » ;
– « stylo Reynold » : « Reynolds » ;
– « pour qu’il ne meurt pas » : « meurre » ;
– « avec le stylo Reynold » : « Reynolds » ;
– « la photo du fils fière nous prions » : à quoi se rapporte l'adjectif « fière » ? ;
– « pour que l’autre revienne - disparition - apparition – je prie » : je ne comprends pas les marqueurs typographiques ici ;
– « avec des paniers remplis plein d’oranges » : quand « plein » signifie « rempli », il a la valeur d'un adjectif et s'accorde comme tel, en genre et en nombre. Il faudrait donc écrire « pleins ».
Invité- Invité
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum