El desdicrapo

A Gérard le Narval

Je suis le vigoureux chanteur jamais aphone,
L’obstiné Chaliapine aux grands airs ahuris.
Mon timbre monocorde, uniforme et flétri
Semble un disque rayé sur un électrophone…

Dans ton bocal idiot, toi qui, vil, m’emprisonnes,
Rends-moi les nénuphars de mes étangs chéris,
Les joncs que ravissaient mes danses de houri
Et les campeurs lassés de mes chants monotones.

Suis-je Buhl ou Herzog ? Bonington ou Messner° ?
Mon front est rouge encor de cet opprobre amer.
Je rêve de pouvoir m’affranchir de mon maître

Car j’ai cent fois gravi ces degrés éreintants ,
Prédisant tour à tour, vulgaire baromètre,
Pluie abondante et froide ou bien superbe temps.


°alpinistes

Beau sonnet pour pauvre reinette au front rouge !
J'aimerais une explication pour le titre.
Cela ressemble à de l'espagnol, mais je n'en saisis pas le sens.
Crapaud se dit sapo et grenouille rana
Je n'ai pas trouvé desdicrapo sur mon petit dico...

Hello chère embellie. C'est un détournement du "Desdichado" de Gérard de Nerval. D'où le titre.

Ah, avec l'explication donnée à Embellie, je comprends enfin. Et j'aime

Et voilà ! Mon manque de culture apparaît en pleine lumière !!!
Connais pas bien Nerval. J'aurais dû tilter avec "A Gérard le Narval..."
Merci pour l'explication.

Cette reinette est aux pommes;
poilante.

La deuxième strophe est un vrai plaisir. La dernière un peu empruntée,
l'ascenseur devait être en panne, et le temps aux embruns.

Pas grave, ça rafraichit....

Tu es le valeureux, le boeuf, le congolais...

Yapafoto, je ne changerai pas un seul exemplaire de ce batracien jamais aphone contre cent sonnets du ténébreux tonton Gérard
Le Narval doit en verdir de rage et de jalousie au fond de son sépulcre, il a trouvé son maître
Je ne déconne pas
Et tu le sais bien

La réécriture du Desdichado de Nerval est un des jeux pratiqués de longue date par les oulipotes, celui-ci est fort bien venu.

http://www.graner.net/nicolas/desdi/

Ce qui me séduit, dans ce poème, au-delà des références et autres clins d'oeil, c'est la belle écriture, sa fluidité.

chapeau Legone,
c'est une bien jolie verve alexandrine que vous avez là !

Haha j'ai étudié l'original l'année dernière
J'aime beaucoup ta version, pleine d'humour !

pour exploser la versification
...il faudrait peut-être appuyer sur l'état de "prison" ou "d'esclave"
peut-être juste en quelques mots formant charnières...
(ça c'est juste une suggestion perso parce que j'aime bien quand il y a un je ne sais quoi
que je ne comprends pas forcément mais que je perçois, derrière l'évidence de ma lecture)
sinon
la musique est calme et méthodique, belle et régulière
sympa !

Bonsoir à tous. Je ne fais pas remonter mon texte mais remercie les commentateurs pour leur appréciation. Assez surprenante pour moi qui juge cette pauvre rimaillerie parodique pas vraiment aboutie. Mais tant mieux, je ne m'en plains pas :o)
Puis je suis là pour apprendre et progresser.

Pas de mal à répondre au bout de quelques commentaires.
(beaucoup moins apprécié après un seul).
La Modération

Une interrogation : qui est Chaliapine ?

Je me permets de répondre à Marine, étant revenue lire cette plaisante parodie.

Fedor Chaliapine était un célèbre chanteur lyrique russe, grand interprète de l'opéra Boris Godounov.

Le titre du sonnet signale une double et étrange intertextualité : "El desdichado" de Nerval, bien sûr, puisque nous sommes là devant un travail parodique... mais aussi "Le crapaud" de Corbière.

Pourquoi étrange ? Parce que ces deux auteurs possèdent des styles bien différents, le second, assez provocateur, s'inscrivant dans un véritable renouvellement du langage poétique (rejets, contre-rejets et enjambements y sont monnaie courante, la ponctuation y est particulièrement vive, particulièrement expressive). Legone est plutôt le tenant d'un sonnet traditionnel, tiré à quatre épingles, avec recours régulier à la césure.  Il y a certes trois enjambements dans ce poème et le vers 5 est plus haché qu'à l'ordinaire. Cependant, rien, dans la forme, dans la métrique, ne rappelle de manière explicite l'auteur du recueil  "Les Amours jaunes".

Rien dans la forme, donc. Quant au fond, il y a cette image du crapaud et de son chant. Chez Corbière, le crapaud, c'est le poète "tondu, sans aile", un paria qui proclame son malheur (avec une certaine auto-complaisance). Il semble se dessiner, dans ce sonnet de Legone, un même caractère inaudible du crapaud, mis en relief de manière assez féroce ("timbre monocorde", "chants monotones"), l'idée de l'asservissement ("bocal", "m'emprisonnes", "mon maître"), l'image hautement parodique d'un prince des nuées ("Buhl ou Herzog ?", "Bonington ou Messner ?", "ces degrés éreintants"), d'un voyant ("Prédisant") dont l'activité parmi les hommes s'avère fondamentalement triviale ("vulgaire baromètre").

Merci pour ce partage !