Exo "Vers et prose" d'après Manon Lunalice : Désenchantement

Spoiler:

Voilà.

Au bout du chemin, Johanna s’essouffle. Il a été si long le chemin. Si abrupt vers la fin. Les pétales de roses qui un temps l’ont pavé se sont bien vite envolées. Les ronces et les orties les ont remplacées.

Les spectateurs et acteurs de sa vie, si prompts à l’épauler, à lui tendre, qui un peu d’amour, qui un verre d’eau fraiche, qui quelque musique belle ou poésie douce à entendre, tous ces gens, hommes, femmes, enfants, si disposés à l’accompagner et à la faire rire, à la caresser, à l’émouvoir, parfois à la griffer se sont évanouis. Au fur et à mesure que le soleil déclinait, leurs ombres se sont allongées. Ne reste plus que le spectre errant de leur absence sur la route sombre et escarpée.

Parfois ils tournent dans sa tête, comme un manège, une ménagerie sonore et bruyante, un manège à rire, un manège enchanté.

-Enchantée, my dear, que faites vous là dans mon souvenir ? leur demande-t-elle.
-Nous errons las, las de tourner en rond sur ce manège déjanté.

Désenchantement. La musique légère du passé finit toujours par s’égrener en sons discordants et grinçants. Et le silence se fait.

Voilà.

Johanna repose sur son lit. Pâle, fatiguée. Elle a tout vu, tout connu, tout vécu. Alors le vent insidieux qui pénètre son esprit finit de balayer ses incertitudes. Par la fenêtre close, elle voit défiler les choses de la vie, les roses, les épines, ses rêves, ses illusions, ses amours, qu’engloutit une nuit noire et sans fond. Voici un rayon de lune comme une trêve ! Et puis non, ce n’est que sa solitude, qui scintille, encore un peu. Et tout ça lui donne le tournis.

Tournicoti, tournicoton, comme dans le manège enchanté de son enfance, une formule magique va lui permettre de s’éclipser. Elle tourne, elle tourne autour du gouffre comme la terre autour du soleil.
Elle ne peut pas empêcher la terre de tourner sans fin, mais elle va descendre. Terminus !

Pâle, fatiguée, elle boit la potion qu’elle a soigneusement concoctée. Elle a un peu peur.

Adieux chevaux de bois, chevaux de feu, cavalcades empressées des spectres du passé, adieu Pierrot de la Lune qui à l’une a préféré l’autre ! Feue Johanna se prépare à devenir comète, elle brûle sa vie à l’aube de la nuit, sa façon d’être après avoir été.

Le vent envole ses cheveux, le ciel pleure, Johanna sourit. Elle embrasse l’éternité.

C'est une bonne idée d'avoir mis le poème au début du fil. Ainsi on peut laisser le spoiler ouvert, et lire le texte en prose à la suite. Et le poème semble être tout naturellement une introduction, à laquelle se fond le texte, sans que l'on soit heurté par la transition. Preuve que tu as su saisir, Rebecca, le propos et surtout le climat. C'est très réussi.

Spoiler:

je suis d’accord avec Iris, il y a une réelle transition, voire un fondu entre les 2 textes et c'est très agréables, l'impression de glisser de l'un à l'autre, de les laisser se mêler : différents mais tellement semblables parce que l'essence du premier a totalement été investie. Un exercice superbement maitrisé pour moi. et une écriture toujours aussi agréable à lire. je m'en délecte !

Je plussoie. La prose est la suite naturelle du poème.
"voilà" est une jolie transition. On imagine l'auteur reposant la poésie et prenant la plume pour noter les images que cette lecture vient de faire surgir dans son esprit. Elle développe, elle enrichit. A bon escient.
L'exercice est très réussi.

ah oui, ça se mêle sans heurt, ça résonne super bien, en écho.

La colère mélancolique du poème et l'énergie tranquille de ton texte se marient parfaitement.

C'est drôle, deux écritures si différentes qui se glissent si bien dans la peau l'une de l'autre !

Sans doute parce que vos fonds se parlent (ouais, je me comprends)

Le malaise mis en musique trouve une belle expression dans ce parcours de vie semé de roses et d'épines. L'orgue de barbarie égrène ses notes aigrelettes d'un texte à l'autre. Bravo.