Hors santé
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Hors santé
Le début de quelque chose, peut être rien...
Colin a eu trente-sept ans, aujourd’hui. Ce matin, je dormais encore quand il a pris ma main dans la sienne pour la réchauffer à la chaleur de la tasse de café. J’avais si froid, les pieds gelés, mon dos en avait renoncé à frissonner. Sa paume sur mes doigts aurait suffi à me réchauffer pour les trois prochaines années. Alors quand en plus on ouvre les yeux sur le lent mouvement de la mousse au dessus du café… Après, j’ai vu le soleil à la fenêtre et son sourire près de mon visage.
La journée commençait comme elles le devraient toutes. Et puis j’ai fait une connerie.
Il était peut-être dix heures quand j’ai vu apparaître sur son front une ride de douleur. Il m’a jeté un coup d’œil, et ce sont ses lèvres qui se sont plissées, de honte, cette fois. J’ai détourné les yeux, comme d’habitude, en espérant qu’il croirait s’être trompé. Ça ne marche jamais. Colin a toujours honte quand il sait que je sais, et je sais toujours.
Dans mes rêves — dans tous mes rêves — je suis magicien. Je pose mes mains sur ses bras douloureux, ses jambes incertaines, son dos endolori, sa nuque tourmentée. Je vois les nerfs (j’imagine un réseau, comme un arbre infini qui s’enracinerait dans son crâne), je me concentre et je les répare. La douleur est une ligne rouge sur les branches de l’arbre et elle s’éteint peu à peu. Son front n’aurait plus jamais de ride, et sa bouche de pli de honte de ne pouvoir me le dissimuler.
C’est pour cela que je refuse d’écouter les Saints Médecins expliquer, avec des mots compliqués, hyperalgie, polynévrite, pleins de h et de y. Chez les Saints Médecins, personne n’est magicien, la douleur n’est pas rouge, et surtout, elle ne s’en va pas.
Je préfère rêver.
Colin a eu trente-sept ans, aujourd’hui. Ce matin, je dormais encore quand il a pris ma main dans la sienne pour la réchauffer à la chaleur de la tasse de café. J’avais si froid, les pieds gelés, mon dos en avait renoncé à frissonner. Sa paume sur mes doigts aurait suffi à me réchauffer pour les trois prochaines années. Alors quand en plus on ouvre les yeux sur le lent mouvement de la mousse au dessus du café… Après, j’ai vu le soleil à la fenêtre et son sourire près de mon visage.
La journée commençait comme elles le devraient toutes. Et puis j’ai fait une connerie.
Il était peut-être dix heures quand j’ai vu apparaître sur son front une ride de douleur. Il m’a jeté un coup d’œil, et ce sont ses lèvres qui se sont plissées, de honte, cette fois. J’ai détourné les yeux, comme d’habitude, en espérant qu’il croirait s’être trompé. Ça ne marche jamais. Colin a toujours honte quand il sait que je sais, et je sais toujours.
Dans mes rêves — dans tous mes rêves — je suis magicien. Je pose mes mains sur ses bras douloureux, ses jambes incertaines, son dos endolori, sa nuque tourmentée. Je vois les nerfs (j’imagine un réseau, comme un arbre infini qui s’enracinerait dans son crâne), je me concentre et je les répare. La douleur est une ligne rouge sur les branches de l’arbre et elle s’éteint peu à peu. Son front n’aurait plus jamais de ride, et sa bouche de pli de honte de ne pouvoir me le dissimuler.
C’est pour cela que je refuse d’écouter les Saints Médecins expliquer, avec des mots compliqués, hyperalgie, polynévrite, pleins de h et de y. Chez les Saints Médecins, personne n’est magicien, la douleur n’est pas rouge, et surtout, elle ne s’en va pas.
Je préfère rêver.
Re: Hors santé
"Je me concentre et je les répare"
ça j'aime beaucoup.
J'aime vraiment bien ce début (?) de texte que je trouve doux, sincère, sensible, et très "à l'écoute", et j'aime l'image du réseau, de la ligne rouge.
Du coup si suite il y a, je viendrai lire avec plaisir
ça j'aime beaucoup.
J'aime vraiment bien ce début (?) de texte que je trouve doux, sincère, sensible, et très "à l'écoute", et j'aime l'image du réseau, de la ligne rouge.
Du coup si suite il y a, je viendrai lire avec plaisir
Re: Hors santé
Le peu me plaît bien aussi.
Pas vraiment compris ce qu'était la "connerie" ("Et puis j’ai fait une connerie.") et l'histoire de la honte de Colin m'intrigue mais ça va sûrement se décanter si tu poursuis.
Pas vraiment compris ce qu'était la "connerie" ("Et puis j’ai fait une connerie.") et l'histoire de la honte de Colin m'intrigue mais ça va sûrement se décanter si tu poursuis.
Invité- Invité
Re: Hors santé
Je crois que la connerie, c'est d'avoir créé un malaise en surprenant un expression de la douleur ?
Re: Hors santé
Même chose qu'Easter, qu'elle est donc cette "connerie"? J'imagine que ce serait une banalité pour une personne n'ayant pas à vivre avec les souffrances de Colin, mais qu'ici ça peut tourner en quelque chose de difficile à supporter. Je me suis demandé l'âge de la narratrice, aussi, il y a encore de la magie enfantine partout dans ce texte (et ton avatar qui ne vieillit jamais). C'est vraiment la force de ton écriture que de mêler aussi aisément la réalité douloureuse de l'extérieur et une approche sensible, intime, qui se passe du malheur du monde pour espérer que les rêves deviennent vrais.
Chako Noir- Nombre de messages : 5442
Age : 34
Localisation : Neverland
Date d'inscription : 08/04/2008
Re: Hors santé
Je profite que mon texte soit en haut. Je re-poste tout ce qui est censé être la partie "premier jour" et que je n'ai pas osé poster tout à fait la dernière fois par peur de me faire, en toute amitié et par affection, bien sûr, lyncher.
CHAPITRE 1 – L’À-CÔTÉ
12 mai 2312 – Anniversaire de Colin
CHAPITRE 1 – L’À-CÔTÉ
12 mai 2312 – Anniversaire de Colin
Colin a eu trente-sept ans, aujourd’hui. Ce matin, je dormais encore quand il a pris ma main dans la sienne pour la réchauffer à la chaleur de la tasse de café. J’avais si froid, les pieds gelés, mon dos en avait renoncé à frissonner. Sa paume sur mes doigts aurait suffit à me réchauffer pour les trois prochaines années. Alors quand en plus on ouvre les yeux sur le lent mouvement de la mousse au dessus du café… Après, j’ai vu le soleil à la fenêtre et son sourire près de mon visage.
La journée commençait comme elles le devraient toutes. Et puis j’ai fait une connerie.
Il était peut-être dix heures quand j’ai apparaître sur son front une ride de douleur. Il m’a jeté un coup d’œil, et se sont ses lèvres qui se sont plissées, de honte, cette fois. J’ai détourné les yeux, comme d’habitude, en espérant qu’il croirait s’être trompé. Ça ne marche jamais. Colin a toujours honte quand il sait que je sais, et je sais toujours.
Dans mes rêves — dans tous mes rêves — je suis magicien. Je pose mes mains sur ses bras douloureux, ses jambes incertaines, son dos endolori, sa nuque tourmentée. Je vois les nerfs (j’imagine un réseau, comme un arbre infini qui s’enracinerait dans son crâne), je me concentre et je les répare. La douleur est une ligne rouge sur les branches de l’arbre et elle s’éteint peu à peu. Son front n’aurait plus jamais de ride, et sa bouche de pli de honte de ne pouvoir me le dissimuler.
C’est pour cela que je refuse d’écouter les Saints Médecins expliquer, avec des mots compliqués, hyperalgie, polynévrite, pleins de h et de y. Chez les Saints Médecins, personne n’est magicien, la douleur n’est pas rouge, et surtout, elle ne s’en va pas.
Je préfère rêver.
Un autre jour, la journée aurait passé comme cela. Tant que le soleil nous aurait fait la grâce de briller, nous aurions fait comme s’il n’y avait pas le rouge entre nous. Nous serions partis nous promener sous les arbres, s’asseoir sur le vieux tronc au dessus de l’eau pour y tremper les pieds. Après, bien après, la nuit serait tombée et Colin aussi. Je l’aurais allongé sur notre grand lit, je serais allé lui chercher à boire, j’aurais cuisiné, j’aurais posé au creux de sa paume trop peu de médicaments.
Mais aujourd’hui, Colin fêtait une année de plus, alors j’ai refusé de le savoir souffrir, et de savoir que je ne suis pas magicien. Je lui ai proposé le verre d’alcool hebdomadaire réglementaire et il l’a accepté. Et je nous ai resservi.
J’avais fait un saut à l’hypermarché Sain d’À-Côté Sud et j’avais quelques bouteilles en réserve. J’ai eu droit à son regard un peu las, qui me disait : « Tu veux vraiment tricher ? Encore ? Tu vas nous faire risquer la Mise en Santé Obligatoire ! Pourquoi jouer ? Pourquoi faut-il toujours que tu veuilles jouer ? ». Parce que quelque part dans mon ventre un enfant chante cette chanteuse d’il y a trois siècles et demi : Get it while you can ! Because we may not be here tomorrow !
Je lui ai chanté cette vieille chanson, et il a rit. J’espère que c’est pour cela qu’il a accepté le deuxième verre.
On a bu ensemble, on a rit. On a dansé le rock sur de vieux tubes ; Colin en avait oublié ses jambes défaillantes, sa douleur excessive. Et moi j’avais oublié que les regards apitoyés des Saints Médecins quand ils me numérotent P42.136 et cochent la case avec application.
Et puis la sonnette a retenti.
« Bonjour ».
La voisine. Froide et méprisante. Et moi, j’ai oublié qu’elle était mariée à un Administrateur de la Santé et couchait avec un Saint Méd’. J’ai sourit, j’ai salué.
« Je venais seulement vous prévenir que le bruit de votre appartement m’indique que vous avez dépassé la dose légale d’alcool. Je me vois dans l’obligation de le signaler, mais, par sens du respect, je vous en informe afin de vous éviter une trop mauvaise surprise. Au revoir messieurs. »
Oups. Au revoir madame. Voilà qui nous a dessaoulés. Tu avais raison, Colin : pourquoi, mais pourquoi faut-il que je veuille toujours jouer ?
Maintenant, l’homme que j’aime et que je viens peut-être d’envoyer en MSO dort. Son front est tendu. Il souffre encore, ou il rêve du jour où il s’est condamné en me choisissant.
Je vais tenter d’effacer les rides sur sa peau du bout du doigt et faire de même. Peut-être rêver être un magicien, pouvoir revenir en arrière et m’amender.
La journée commençait comme elles le devraient toutes. Et puis j’ai fait une connerie.
Il était peut-être dix heures quand j’ai apparaître sur son front une ride de douleur. Il m’a jeté un coup d’œil, et se sont ses lèvres qui se sont plissées, de honte, cette fois. J’ai détourné les yeux, comme d’habitude, en espérant qu’il croirait s’être trompé. Ça ne marche jamais. Colin a toujours honte quand il sait que je sais, et je sais toujours.
Dans mes rêves — dans tous mes rêves — je suis magicien. Je pose mes mains sur ses bras douloureux, ses jambes incertaines, son dos endolori, sa nuque tourmentée. Je vois les nerfs (j’imagine un réseau, comme un arbre infini qui s’enracinerait dans son crâne), je me concentre et je les répare. La douleur est une ligne rouge sur les branches de l’arbre et elle s’éteint peu à peu. Son front n’aurait plus jamais de ride, et sa bouche de pli de honte de ne pouvoir me le dissimuler.
C’est pour cela que je refuse d’écouter les Saints Médecins expliquer, avec des mots compliqués, hyperalgie, polynévrite, pleins de h et de y. Chez les Saints Médecins, personne n’est magicien, la douleur n’est pas rouge, et surtout, elle ne s’en va pas.
Je préfère rêver.
Un autre jour, la journée aurait passé comme cela. Tant que le soleil nous aurait fait la grâce de briller, nous aurions fait comme s’il n’y avait pas le rouge entre nous. Nous serions partis nous promener sous les arbres, s’asseoir sur le vieux tronc au dessus de l’eau pour y tremper les pieds. Après, bien après, la nuit serait tombée et Colin aussi. Je l’aurais allongé sur notre grand lit, je serais allé lui chercher à boire, j’aurais cuisiné, j’aurais posé au creux de sa paume trop peu de médicaments.
Mais aujourd’hui, Colin fêtait une année de plus, alors j’ai refusé de le savoir souffrir, et de savoir que je ne suis pas magicien. Je lui ai proposé le verre d’alcool hebdomadaire réglementaire et il l’a accepté. Et je nous ai resservi.
J’avais fait un saut à l’hypermarché Sain d’À-Côté Sud et j’avais quelques bouteilles en réserve. J’ai eu droit à son regard un peu las, qui me disait : « Tu veux vraiment tricher ? Encore ? Tu vas nous faire risquer la Mise en Santé Obligatoire ! Pourquoi jouer ? Pourquoi faut-il toujours que tu veuilles jouer ? ». Parce que quelque part dans mon ventre un enfant chante cette chanteuse d’il y a trois siècles et demi : Get it while you can ! Because we may not be here tomorrow !
Je lui ai chanté cette vieille chanson, et il a rit. J’espère que c’est pour cela qu’il a accepté le deuxième verre.
On a bu ensemble, on a rit. On a dansé le rock sur de vieux tubes ; Colin en avait oublié ses jambes défaillantes, sa douleur excessive. Et moi j’avais oublié que les regards apitoyés des Saints Médecins quand ils me numérotent P42.136 et cochent la case avec application.
Et puis la sonnette a retenti.
« Bonjour ».
La voisine. Froide et méprisante. Et moi, j’ai oublié qu’elle était mariée à un Administrateur de la Santé et couchait avec un Saint Méd’. J’ai sourit, j’ai salué.
« Je venais seulement vous prévenir que le bruit de votre appartement m’indique que vous avez dépassé la dose légale d’alcool. Je me vois dans l’obligation de le signaler, mais, par sens du respect, je vous en informe afin de vous éviter une trop mauvaise surprise. Au revoir messieurs. »
Oups. Au revoir madame. Voilà qui nous a dessaoulés. Tu avais raison, Colin : pourquoi, mais pourquoi faut-il que je veuille toujours jouer ?
Maintenant, l’homme que j’aime et que je viens peut-être d’envoyer en MSO dort. Son front est tendu. Il souffre encore, ou il rêve du jour où il s’est condamné en me choisissant.
Je vais tenter d’effacer les rides sur sa peau du bout du doigt et faire de même. Peut-être rêver être un magicien, pouvoir revenir en arrière et m’amender.
Re: Hors santé
oui, et la simplicité de l'écriture, presque plate, écriture lourde comme un goutte à goutte, rend ce duo assez poignant - l'inquiétude de l'un, la tendresse de l'autre qui sait qu'on fait un peu comme si tout était simple et laisse faire. Beaucoup d'amour dans ce texte, on a envie que ça continue (le texte, et l'amour !)
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Hors santé
Hors santé = HS ?
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Hors santé
Eva, je te mets quelques bricoles ci-dessous :
Sa paume sur mes doigts aurait suffit
et se sont ses lèvres qui se sont plissées ("ce")
et il a rit.
on a rit.
Et moi j’avais oublié que les regards apitoyés des Saints Médecins quand ils me numérotent P42.136 et cochent la case avec application. ("que" superflu)
J’ai sourit
Et puis je mets aussi deux expressions que j'ai bien aimées en particulier, de ces trouvailles qui donnent de la personnalité à une écriture, la signent :
"Sa paume sur mes doigts aurait suffit à me réchauffer pour les trois prochaines années. "
"sa nuque tourmentée."
Sa paume sur mes doigts aurait suffi
et se sont ses lèvres qui se sont plissées ("ce")
et il a ri
on a ri
Et moi j’avais oublié que les regards apitoyés des Saints Médecins quand ils me numérotent P42.136 et cochent la case avec application. ("que" superflu)
J’ai souri
Et puis je mets aussi deux expressions que j'ai bien aimées en particulier, de ces trouvailles qui donnent de la personnalité à une écriture, la signent :
"Sa paume sur mes doigts aurait suffit à me réchauffer pour les trois prochaines années. "
"sa nuque tourmentée."
Invité- Invité
Re: Hors santé
Poignante plume joliesse ...
Océacide- Nombre de messages : 106
Age : 45
Date d'inscription : 17/10/2012
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