Interlude tranchant le quotidien lugubre d'un usager des transports en communication !
5 participants
Page 1 sur 1
Interlude tranchant le quotidien lugubre d'un usager des transports en communication !
Il y a ce grand type dans le train. Une armoire, basketteur ou athlète, je ne sais pas. Il a toujours l’air triste, un pli sur son front et la moue boudeuse. On échange un regard parfois, rapide et gêné. J’ai l’impression qu’il voudrait me parler, mais je sais que c’est moi en fait. Parce que c’est un mec, et que je suis un mec. Quelle connerie !
Il lit, tout le temps, je l’ai surnommé ‘’Le Liseur’’, avec une majuscule. De tout apparemment. Aujourd’hui, c’est du Kessel : Le Lion, le seul que je connaisse. Il s’est assis en face de moi, en bredouillant un timide je ne sais quoi, je ne l’ai pas entendu, j’ai ânonné un vague ‘’bonjour’’ qui se voulait jovial. Peut être m’a-t-il dit un truc important, et du coup, je passe pour un goujat, ou un âne, ce qui n’est pas pire mais affligeant tout de même.
Il prend des poses dans lesquelles je me reconnais. La tête penchée repose sur sa main, le coude posé sur l’accoudoir. Et il lit, encore, des kilomètres de pages, sans un regard pour les madones qui défilent pourtant dans l’allée. Avons-nous brisé la glace ?
Il referme son livre, étend les jambes en prenant garde de ne pas toucher les miennes. C’est qu’il est grand le ‘’Liseur’’. Il ferme les yeux, il n’est déjà plus là. J’ai vraiment envie de lui parler et surtout, lui montrer mes textes. Sa tête dodeline au gré de son sommeil, part en avant et bascule en arrière, brusquement. Il se réveille et jette un regard inquiet autours de lui, puis dehors, et sa montre enfin. Se rendort…
Demain peut être, j’ai deux exemplaires de mon recueil dans mon cartable ! Un est pour lui. Il me faudra briser des tonnes de préjugés. Et si je me trompais, et si, goguenard, il me jetait mon papier à la face ?
J’étends mes jambes à mon tour, le regard en fuite. J’aperçois la ‘’contrôleur’’. Celle qui n’a pas répondu à mon bonjour quand je l’ai croisée sur le quai. Je dis toujours bonjour aux contrôleurs et ils me rendent toujours mon bonjour. Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait elle ?
Il y a cette mouflette aussi, Dieu qu’elle est belle ! Hier elle s’est assise deux rangées plus loin. Elle a pris place à côté d’un gosse en survêt’. A la dérobée, je l’observe. La perfection existe, elle est à deux pas de moi. La moue boudeuse, non, elle ne pose pas, ce doit être là où elle va qui l’ennuie. Alors elle s’absente, mp3, yeux clos. Elle part vers des rivages où je ne suis pas, où je ne serai jamais sans doute. Qu’importe, parce que moi, elle y est sur ma plage. Elle est la voix des mers et la lumière des rêves, je l’image en bleu, sirène. Elle s’est endormie elle aussi. Le train et son ‘’tatac-tatoum’’, nul n’y échappe, à part les doux dingues sous hypnose. Sa tête dodeline au gré des courbes. Elle sourit soudain dans son sommeil. Qui l’habite ainsi ? Elle finit par glisser sur l’épaule de son voisin. Sans ménagement, il la repousse, la réveille. Elle rosit, balbutie deux mots et je fusille le gamin. Je donne dix ans de mon ennui pour prendre sa place. Pauvre idiot !!! Et nos regards se croisent enfin. Elle me sourit…Ma journée sera belle et peut être que ce soir, voiture six, compartiment bonheur, elle y sera encore.
La ‘’contrôleur’’, décidemment pas sympa, réveille tout ce petit monde en transit. Billets s’il vous plait. Bon sang, elle pourrait sourire tout de même. C’est dans son contrat, non ? Peut être pas. Le Liseur, un habitué, dégaine son passeport tranquillité. La Cerbère en gris le poinçonne avec rage, déçue ? C’est mon tour, je suis intouchable et lui tends ma carte qu’elle connaît mais qu’elle tourne et retourne encore. Et non ma ‘’belle’’, c’est une vraie, dommage ! Elle me la rend à regret, enfin je crois. C’est au tour de la môme. Son beau visage s’est soudain crispé et ses mains s’affolent, dévastent un sac à main où l’indispensable côtoie l’improbable. L’employée des trains jubile, elle en tient une. Elle suinte du carnet à souche, calcule son profit. Le pouce câline son index, elle sourit, enfin ! La belle s’affole. Elle pose pêle-mêle un trésor sur la tablette devant elle. Un tube de poudre aux yeux, inutile parce que tellement… Une fiole de doux baisers, avec un pinceau, pour repeindre les rêves oubliés de nos nuits sans elles. Un carnet de cuir rouge rempli de gens heureux, des écorces de mandarinier, séchées et un ours, petit mais souriant. Mais de ticket, point. Ou plutôt, si, mais elle ne l’a pas vu. Chahuté par la fouille affolée, il s’en est allé droit sous son siège. Je me lève, le ramasse et lui tend avec un sourire et une phrase affligeante de banalité. Son visage s’éclaire, je suis Dieu ! Miss poinçon me fusille du regard, je lui souris à mon tour, bêtement. Désolé ma belle, ce n’est pas ton jour. Ta prime, tu l’auras sans doute, mais pas avec nous.
Terminus, tous les voyageurs descendent du train. Je me démène pour faire trois pas avec la belle, mais la foule l’emporte déjà, ailleurs. L’escalator l’avale, je ne la rattraperai jamais. Vingt, trente personnes nous séparent. Arrivée au sommet, elle se retourne, cherche quelque chose ou quelqu’un. Ses yeux me captent, les miens l’implorent. Elle me sourit, j’explose. Elle se retourne, s’en va, disparaît. Je meurs.
Il lit, tout le temps, je l’ai surnommé ‘’Le Liseur’’, avec une majuscule. De tout apparemment. Aujourd’hui, c’est du Kessel : Le Lion, le seul que je connaisse. Il s’est assis en face de moi, en bredouillant un timide je ne sais quoi, je ne l’ai pas entendu, j’ai ânonné un vague ‘’bonjour’’ qui se voulait jovial. Peut être m’a-t-il dit un truc important, et du coup, je passe pour un goujat, ou un âne, ce qui n’est pas pire mais affligeant tout de même.
Il prend des poses dans lesquelles je me reconnais. La tête penchée repose sur sa main, le coude posé sur l’accoudoir. Et il lit, encore, des kilomètres de pages, sans un regard pour les madones qui défilent pourtant dans l’allée. Avons-nous brisé la glace ?
Il referme son livre, étend les jambes en prenant garde de ne pas toucher les miennes. C’est qu’il est grand le ‘’Liseur’’. Il ferme les yeux, il n’est déjà plus là. J’ai vraiment envie de lui parler et surtout, lui montrer mes textes. Sa tête dodeline au gré de son sommeil, part en avant et bascule en arrière, brusquement. Il se réveille et jette un regard inquiet autours de lui, puis dehors, et sa montre enfin. Se rendort…
Demain peut être, j’ai deux exemplaires de mon recueil dans mon cartable ! Un est pour lui. Il me faudra briser des tonnes de préjugés. Et si je me trompais, et si, goguenard, il me jetait mon papier à la face ?
J’étends mes jambes à mon tour, le regard en fuite. J’aperçois la ‘’contrôleur’’. Celle qui n’a pas répondu à mon bonjour quand je l’ai croisée sur le quai. Je dis toujours bonjour aux contrôleurs et ils me rendent toujours mon bonjour. Pourquoi ne l’a-t-elle pas fait elle ?
Il y a cette mouflette aussi, Dieu qu’elle est belle ! Hier elle s’est assise deux rangées plus loin. Elle a pris place à côté d’un gosse en survêt’. A la dérobée, je l’observe. La perfection existe, elle est à deux pas de moi. La moue boudeuse, non, elle ne pose pas, ce doit être là où elle va qui l’ennuie. Alors elle s’absente, mp3, yeux clos. Elle part vers des rivages où je ne suis pas, où je ne serai jamais sans doute. Qu’importe, parce que moi, elle y est sur ma plage. Elle est la voix des mers et la lumière des rêves, je l’image en bleu, sirène. Elle s’est endormie elle aussi. Le train et son ‘’tatac-tatoum’’, nul n’y échappe, à part les doux dingues sous hypnose. Sa tête dodeline au gré des courbes. Elle sourit soudain dans son sommeil. Qui l’habite ainsi ? Elle finit par glisser sur l’épaule de son voisin. Sans ménagement, il la repousse, la réveille. Elle rosit, balbutie deux mots et je fusille le gamin. Je donne dix ans de mon ennui pour prendre sa place. Pauvre idiot !!! Et nos regards se croisent enfin. Elle me sourit…Ma journée sera belle et peut être que ce soir, voiture six, compartiment bonheur, elle y sera encore.
La ‘’contrôleur’’, décidemment pas sympa, réveille tout ce petit monde en transit. Billets s’il vous plait. Bon sang, elle pourrait sourire tout de même. C’est dans son contrat, non ? Peut être pas. Le Liseur, un habitué, dégaine son passeport tranquillité. La Cerbère en gris le poinçonne avec rage, déçue ? C’est mon tour, je suis intouchable et lui tends ma carte qu’elle connaît mais qu’elle tourne et retourne encore. Et non ma ‘’belle’’, c’est une vraie, dommage ! Elle me la rend à regret, enfin je crois. C’est au tour de la môme. Son beau visage s’est soudain crispé et ses mains s’affolent, dévastent un sac à main où l’indispensable côtoie l’improbable. L’employée des trains jubile, elle en tient une. Elle suinte du carnet à souche, calcule son profit. Le pouce câline son index, elle sourit, enfin ! La belle s’affole. Elle pose pêle-mêle un trésor sur la tablette devant elle. Un tube de poudre aux yeux, inutile parce que tellement… Une fiole de doux baisers, avec un pinceau, pour repeindre les rêves oubliés de nos nuits sans elles. Un carnet de cuir rouge rempli de gens heureux, des écorces de mandarinier, séchées et un ours, petit mais souriant. Mais de ticket, point. Ou plutôt, si, mais elle ne l’a pas vu. Chahuté par la fouille affolée, il s’en est allé droit sous son siège. Je me lève, le ramasse et lui tend avec un sourire et une phrase affligeante de banalité. Son visage s’éclaire, je suis Dieu ! Miss poinçon me fusille du regard, je lui souris à mon tour, bêtement. Désolé ma belle, ce n’est pas ton jour. Ta prime, tu l’auras sans doute, mais pas avec nous.
Terminus, tous les voyageurs descendent du train. Je me démène pour faire trois pas avec la belle, mais la foule l’emporte déjà, ailleurs. L’escalator l’avale, je ne la rattraperai jamais. Vingt, trente personnes nous séparent. Arrivée au sommet, elle se retourne, cherche quelque chose ou quelqu’un. Ses yeux me captent, les miens l’implorent. Elle me sourit, j’explose. Elle se retourne, s’en va, disparaît. Je meurs.
Marchevêque- Nombre de messages : 199
Age : 63
Date d'inscription : 08/09/2011
Re: Interlude tranchant le quotidien lugubre d'un usager des transports en communication !
Un bon texte, Marchevêque.
Grand plaisir à lire cette tranche de vie, le fait qu'elle reste en suspens, sans que rien ne se décide ; beaucoup aimé aussi les quatre ou cinq personnages qui l'animent.
Le petit incident avec la "contrôleure" ajoute un peu de sel au trajet mais vraiment, les personnages en soi sont déjà toute une histoire.
Grand plaisir à lire cette tranche de vie, le fait qu'elle reste en suspens, sans que rien ne se décide ; beaucoup aimé aussi les quatre ou cinq personnages qui l'animent.
Le petit incident avec la "contrôleure" ajoute un peu de sel au trajet mais vraiment, les personnages en soi sont déjà toute une histoire.
Invité- Invité
Re: Interlude tranchant le quotidien lugubre d'un usager des transports en communication !
Ce qui me plaît dans tes textes, Marchevêque, c'est leur caractère de proximité, un côté familier, on est sûr que ça t'es vraiment arrivé... ce qui n'implique pas que ce soit plat : j'aime bien les petites notations comme
peut être que ce soir, voiture six, compartiment bonheur, elle y sera encore.
Elle suinte du carnet à souche, calcule son profit. Le pouce câline son index,
Un joli moment que tu nous fais partager.Une fiole de doux baisers, avec un pinceau, pour repeindre les rêves oubliés de nos nuits sans elle
Invité- Invité
Re: Interlude tranchant le quotidien lugubre d'un usager des transports en communication !
Un texte-sourire ! Cela faisait longtemps. Merci, la journée était sombre et déplaisante et voilà que tout est arrangé.
J'aime beaucoup la progression de passager en passager, on se déplace sans bouger de son siège à la manière de ces usagers. Tout un petit monde dans le grand chaos de la vie, c'est pris sur le vif. Qui plus est, le ton me plaît. Oui, un texte-sourire !
J'aime beaucoup la progression de passager en passager, on se déplace sans bouger de son siège à la manière de ces usagers. Tout un petit monde dans le grand chaos de la vie, c'est pris sur le vif. Qui plus est, le ton me plaît. Oui, un texte-sourire !
Lucy- Nombre de messages : 3411
Age : 46
Date d'inscription : 31/03/2008
Re: Interlude tranchant le quotidien lugubre d'un usager des transports en communication !
Je me suis reconnu dans le personnage ! C'est vrai et ça le rend attachant ! 'Fin bref ! ... Sinon, j'aime bien ce texte. Les personnages sont super bien définis et c'est probablement la première force de ce texte selon moi.
Re: Interlude tranchant le quotidien lugubre d'un usager des transports en communication !
J'apprécie moi aussi cette vignette.
Même si c'est assez différent dans le ton, ça me fait penser à ton texte qui se passait dans un hall de gare, avec une fille au bras coupé; on peut le coupler aussi avec celui qui se passait dans une boîte : ces lieux de passage, de foule, où l'on peut observer à loisir et tout imaginer, c'est le fil que je vois entre ces bons textes.
Janis- Nombre de messages : 13490
Age : 63
Date d'inscription : 18/09/2011
Re: Interlude tranchant le quotidien lugubre d'un usager des transports en communication !
Ces vies qui se croisent, ces pensées qui s'entrecroisent en silence, ces échanges furtifs, ces espoirs minuscules, tout un petit univers en ébullition c'est du nanan pour qui aime écrire. Et pour qui aime lire.
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Réposes et remerciements
Bonjour à tous,
Tout d'abord un grand merci à vous, pensionnaires de VE pour l'aide que vous m'apportez au fil de mes textes.
Que dire, sinon que cette histoire, je la vis chaque jour.
Pour le "liseur", je n'ai pas encore trouvé le courage de lui "offrir" mon recueil ( qui depuis est devenu un livre, enfin), mais je ne desespère pas.
Les controleur(e)s vont et viennent, la plupart sont sympas quand même.
Quant à la demoiselle....arf...!!!
Merci encore pour votre sympathie et pour l'intérêt que vous portez à mes écrits.
Marchevêque
Tout d'abord un grand merci à vous, pensionnaires de VE pour l'aide que vous m'apportez au fil de mes textes.
Que dire, sinon que cette histoire, je la vis chaque jour.
Pour le "liseur", je n'ai pas encore trouvé le courage de lui "offrir" mon recueil ( qui depuis est devenu un livre, enfin), mais je ne desespère pas.
Les controleur(e)s vont et viennent, la plupart sont sympas quand même.
Quant à la demoiselle....arf...!!!
Merci encore pour votre sympathie et pour l'intérêt que vous portez à mes écrits.
Marchevêque
Marchevêque- Nombre de messages : 199
Age : 63
Date d'inscription : 08/09/2011
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum