L'inauguration (pantalonnade)
4 participants
Page 1 sur 1
L'inauguration (pantalonnade)
Un soleil libéral éclabousse trogne couperosée et double menton des notables et de leurs rombières.
Les journaliers, mal à l'aise dans leur habit du dimanche, ne pipent mot. Leurs légitimes enceintes jusqu'aux yeux font taire mouflets piaillards en distribuant moult gifles.
C'est un jour historique : l'inauguration de la statue.
Enfin la gloire du village, Joseph Branlin - martyr du début du XVIIIe siècle, jésuite mort en Chine dans d'atroces souffrances après qu'un sectateur illuminé lui eût sectionné bras, jambes, langue, oreilles, nez et virilité - a été canonisé, les hautes autorités du canton ayant donné leur aval au projet du maire, si longtemps caressé.
- C'est vrai qu'on lui a coupé le zizi au prêtre ? demande un tout petit moujingue à son paternel. Et la torgnole de s'abattre sur la joue mafflue.
L'histoire de cet épisode tragique, raconté dans ses mémoires par le père X, qui a survécu à la torture, est connue de tous à Grasséjac.
Le discours du maire promet. On connaît son éloquence. Un orateur de première force. Quel feu d'artifice cela va être !
Sous les applaudissements et l'effet de ses bordeaux matutinaux il se dirige, de sa démarche mal assurée d'échevin sac à vin, vers l'estrade recouverte d'un tapis rouge.
Une large paire de micros turgescents l'attend.
- Mes chers amis. Je dois avouer que mon cœur, dont vos oreilles ne subodorent pas les battements accélérés dus à une émotion bien naturelle, est content. En ce beau matin, la fierté m'habite.
Grasséjac est un village actif. Je ne doutais point que vous le sussiez. Mais maintenant ce monument en est la preuve indubitable.
Enfin vous allez pouvoir admirer la statue de notre vénéré saint.
- Il est débordant de sève, le maire, ce matin, chuchotent quelques auditeurs.
- Mais il m'a fallu bander ma volonté et raidir mes énergies dans une tension de tout mon être afin que vos yeux affamés du désir ardent de rassasier leur faim de symboles pussent être repus. L'argent est rare dans nos contrées. Cependant mes efforts ont trouvé leur récompense.
Ce m'est une jouissance extrême que de dévoiler devant vous, messieurs, et devant vos femmes - que j'aimerais honorer plus souvent d'un mot d'encouragement car leur tâche d'épouse et de mère de famille est dure, je le sais - dévoiler disais-je, cette magnifique érection.
On enlève la bâche. Le moment est solennel.
- Joseph Branlin, tu dresses pour nous très haut l'orgueil d'une vie de sacrifice.
Apparaît alors à l'assistance la statue du saint homme, imposante, superbe, qu'un môme farceur a affublée d'un énorme tuyau de fonte à l'endroit que la pudeur m'interdit de nommer.
Voilà le père Colin fin prêt à des combats tout autres que ceux de l'évangélisation.
Le maire, aux cris d'orfraie des bourgeoises scandalisées, se rend compte qu'il se passe quelque chose d'imprévu. Il se retourne, constate, et - se souvenant vaguement d'une réplique d'une pièce qui l'avait frappé lors de sa besogneuse scolarité - bredouille entre deux hoquets :
- Cachez - hips - ce saint que je ne saurais voir !
Les journaliers, mal à l'aise dans leur habit du dimanche, ne pipent mot. Leurs légitimes enceintes jusqu'aux yeux font taire mouflets piaillards en distribuant moult gifles.
C'est un jour historique : l'inauguration de la statue.
Enfin la gloire du village, Joseph Branlin - martyr du début du XVIIIe siècle, jésuite mort en Chine dans d'atroces souffrances après qu'un sectateur illuminé lui eût sectionné bras, jambes, langue, oreilles, nez et virilité - a été canonisé, les hautes autorités du canton ayant donné leur aval au projet du maire, si longtemps caressé.
- C'est vrai qu'on lui a coupé le zizi au prêtre ? demande un tout petit moujingue à son paternel. Et la torgnole de s'abattre sur la joue mafflue.
L'histoire de cet épisode tragique, raconté dans ses mémoires par le père X, qui a survécu à la torture, est connue de tous à Grasséjac.
Le discours du maire promet. On connaît son éloquence. Un orateur de première force. Quel feu d'artifice cela va être !
Sous les applaudissements et l'effet de ses bordeaux matutinaux il se dirige, de sa démarche mal assurée d'échevin sac à vin, vers l'estrade recouverte d'un tapis rouge.
Une large paire de micros turgescents l'attend.
- Mes chers amis. Je dois avouer que mon cœur, dont vos oreilles ne subodorent pas les battements accélérés dus à une émotion bien naturelle, est content. En ce beau matin, la fierté m'habite.
Grasséjac est un village actif. Je ne doutais point que vous le sussiez. Mais maintenant ce monument en est la preuve indubitable.
Enfin vous allez pouvoir admirer la statue de notre vénéré saint.
- Il est débordant de sève, le maire, ce matin, chuchotent quelques auditeurs.
- Mais il m'a fallu bander ma volonté et raidir mes énergies dans une tension de tout mon être afin que vos yeux affamés du désir ardent de rassasier leur faim de symboles pussent être repus. L'argent est rare dans nos contrées. Cependant mes efforts ont trouvé leur récompense.
Ce m'est une jouissance extrême que de dévoiler devant vous, messieurs, et devant vos femmes - que j'aimerais honorer plus souvent d'un mot d'encouragement car leur tâche d'épouse et de mère de famille est dure, je le sais - dévoiler disais-je, cette magnifique érection.
On enlève la bâche. Le moment est solennel.
- Joseph Branlin, tu dresses pour nous très haut l'orgueil d'une vie de sacrifice.
Apparaît alors à l'assistance la statue du saint homme, imposante, superbe, qu'un môme farceur a affublée d'un énorme tuyau de fonte à l'endroit que la pudeur m'interdit de nommer.
Voilà le père Colin fin prêt à des combats tout autres que ceux de l'évangélisation.
Le maire, aux cris d'orfraie des bourgeoises scandalisées, se rend compte qu'il se passe quelque chose d'imprévu. Il se retourne, constate, et - se souvenant vaguement d'une réplique d'une pièce qui l'avait frappé lors de sa besogneuse scolarité - bredouille entre deux hoquets :
- Cachez - hips - ce saint que je ne saurais voir !
Legone- Nombre de messages : 1121
Age : 51
Date d'inscription : 02/07/2012
Re: L'inauguration (pantalonnade)
Superbe pantalonnade. Dès l'annonce du nom, Branlin, on sait qu'on est sur la bonne antenne.
Et toutes les petites phrases à double sens nous maintiennent sourire aux lèvres.
L'humour de Legone florissant, comme toujours.
La dernière ligne, avec son jeu de mots adéquat, ne dépare en rien le récit. Chouette lecture.
Et toutes les petites phrases à double sens nous maintiennent sourire aux lèvres.
L'humour de Legone florissant, comme toujours.
La dernière ligne, avec son jeu de mots adéquat, ne dépare en rien le récit. Chouette lecture.
Invité- Invité
Re: L'inauguration (pantalonnade)
Hip hip hip ouaip, tout bon.
C'est truculent, anecdote, personnages et idiotismes (au sens linguistique ;-))
J'ai bien ri.
"après qu'un sectateur illuminé lui eût sectionné" ("eut", passé simple et non subjonctif imparfait)
C'est truculent, anecdote, personnages et idiotismes (au sens linguistique ;-))
J'ai bien ri.
"après qu'un sectateur illuminé lui eût sectionné" ("eut", passé simple et non subjonctif imparfait)
Invité- Invité
L'inauguration
Jubilatoire !
Tout-à-fait le genre de discours que pourrait faire l'édile d"un petit village. Et la dernière phrase... Ah, la dernière phrase !
Petite remarque : il me semble que "moult" est un adverbe, donc invariable, et pourtant c'est un adverbe invariable... qui peut varier : moultES gifles. Et, à l'oreille, c'est plus harmonieux
Tout-à-fait le genre de discours que pourrait faire l'édile d"un petit village. Et la dernière phrase... Ah, la dernière phrase !
Petite remarque : il me semble que "moult" est un adverbe, donc invariable, et pourtant c'est un adverbe invariable... qui peut varier : moultES gifles. Et, à l'oreille, c'est plus harmonieux
Albert-Robert- Nombre de messages : 492
Age : 82
Localisation : Drôme
Date d'inscription : 21/04/2012
Re: L'inauguration (pantalonnade)
Un sacré gaillard ce maire de Grasséjac, un discours foutrement bien envoyé, même si un petit couillon a voulu lui voler la vedette !
Rebecca- Nombre de messages : 12502
Age : 65
Date d'inscription : 30/08/2009
Re: L'inauguration (pantalonnade)
C'est amusant à lire en buvant son café, mais moins que le pastiche de Cyrano, je trouve. Bien sûr, il y a l'esprit et les bons mots, rien à dire sur ce point, mais c'est sur l'histoire elle-même que je t'imaginais plus "panaché", plus délirant, plus... vois grand, tu le peux !
Reste un moment bien sympa, et donc merci pour ce dernier !
Reste un moment bien sympa, et donc merci pour ce dernier !
Lizzie- Nombre de messages : 1162
Age : 58
Localisation : Face à vous, quelle question !
Date d'inscription : 30/01/2011
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum