Les mots des actes manqués

L’écrivain n’a que le courage de ses mots. Ce qu’il ne fait pas il en parle, ce qu’il ne dit pas il l’écrit. Des mots pour coucher sa réflexion, des pensées pour taire ses actes manqués.
Que la formule est belle quand elle se veut séduisante, tandis que l’auteur a méticuleusement préparé ses appâts. Trop tard, je suis conquis par l’amorce, tombé dans le filet de ses mots. Il m’emprisonne de ses tournures pour m’évader au plus près de ses propos. Je deviens le pantin de ses délires, le jouet de ses humeurs. Pas à pas je l’accompagne dans les traces de ses phrases et le suis tel un automate pressé. Je ne connais pourtant jamais le chemin emprunté qu’il a balisé des traits de son esprit.
S’il advenait malgré tout comme une soudaine envie de prendre la tangente, l’auteur a tout prévu pour fédérer les déserteurs. Sortons la grosse artillerie, les munitions lexicales, parons nous d’ enjoliveuses expressions, faisons du style avec les figures. Que la langue est belle quand elle se délit ! Et si ça ne suffit pas, capturons les âmes égarées avec la poésie d’une subtile métaphore. Je me rends, mea-culpa, coupable infidèle que je suis d’abandonner en si bon chemin, assuré que la route sera belle.
Pourtant je ne suis pas dupe, je sais qu’il m’ensorcelle avec ses histoires qui m’attirent tel un mirage. Mais quand le piège est délicieux, il est inutile de vouloir en démonter le mécanisme sous prétexte d’en déceler la part de vérité. Car l’écrivain n’est pas vertueux. Il truque, il biaise, il leurre. Expert en terminologie, il filoute avec sa conscience. Gardés sous le coude, les sentiments inavouables. Enterrée la mesquine médiocrité de l’existence. Il maquille la vérité sous le fard de sa plume. Et s’il est truqueur, je ne veux point le savoir car les mots de ses actes manqués nous rendent tout à coup un peu moins lâches.

Tu soulèves une sacrée réflexion, là, Cilou !
"La parole a été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée" (citation orpheline et approximative !)
Certes. Mais le déguisement que l'on choisit pour l'habiller en dit au moins aussi long sur nous !
De la même façon certains prétendent nous préférer "naturelles" plutôt que maquillées. (ce qui ne les empêche pas de baver devant des actrices hyper truquées !)
Mais les couleurs, la coupe, des vêtements qu'on choisit pour nous embellir, la coiffure sont déjà des artifices. On pourrait aussi ne pas se laver ni se coiffer. On en serait encore plus " naturelles" !
Un texte intéressant qui montre bien à quel point tu es toi-même partagée ( et puis... tu écris , n'est-ce pas ! ;-))

"Que la langue est belle quand elle se (dé)lit !" Surtout le soir sous la couette :-).
Ce qui me laisse à penser que l'écrivain est un rétiaire (plus ou moins habile) .
Très intéressante cette réflexion.

Intéressante cette réflexion. Elle balaie assez bien le sujet. Mais pourquoi cette lâcheté finale ? Pas compris. Qu'a à faire cette considération morale ? Tu m'inquiètes ? Explique. Merci

En psychanalyse l'acte manqué a une signification très particulière qui s'apparente à la concrétisation d'un désir inavouable. C'est l'irruption dans la réalité, sous une forme détournée, de quelque chose que l'on cache ou dont on n'a pas conscience. Le lapsus en est le plus bel exemple.

Je suis dubitatif sur le fait de considérer l'écriture comme un acte manqué puisqu'elle reste d'abord un processus mûrement réfléchi. Les surréalistes adeptes de l'écriture automatique essayaient justement de contourner cet ordonnancement des pensées pour puiser directement dans l'inconscient.

Ainsi votre déclaration "des pensées pour taire ses actes manqués" me semble assez confuse ou alors il faut enlever "ses actes manqués" et le remplacer par "la vérité". Car si j'ai bien suivi votre raisonnement, l'écrivain est en partie un faussaire qui dissimule une vérité, la sienne.

Un point de vue qui se discute. Personnellement l'écriture reste pour moi un exutoire, une manière de projeter hors de moi des sensations et des sentiments. Il n'y a pas d'acte manqué puisque je réalise de ce que je veux dire.

Cette réflexion sur l'écriture est intéressante, bien écrite, bien enrobée. Mais je ne suis pas sûre d'y adhérer. L'écriture peut aussi être au plus près de la vie.

Merci pour vos messages auxquels je vais essayer de répondre.
Raoulraoul : concernant la lâcheté finale, je voulais faire passer le message que l'écrivain est peut-être à son insu un "passeur de courage". Si l'auteur écrit parfois pour combler ses failles ou pour exorciser ses peurs, finalement il a le pouvoir inverse d'insuffler du courage à ses lecteurs....vous savez ce sentiment délicieux que nous avons lorsqu'une lecture nous transporte et nous transforme.

Pour Jano : Le titre "les actes manqués" est juste un clin d'oeil à cette expression effectivement psychanalytique. J'ai utilisé l'expression non pas dans ce sens figuré mais dans son sens littéral. Pour moi l'écrivain écrit ce qu'il n'a pas le courage de faire ou de dire, les actes manquants de sa vie, les révélations qu'il n'osera jamais dire.
Bien sur ceci n'est pas toujours le cas et parfois l'écriture est également au plus près du réel.