Exo « Que faire à manger ? » : Solitude des ogres

Comme toujours, les ongles qui s’endeuillent quoi que l’on fasse. Les cheveux partent du mauvais côté. Le reflet prend par surprise : cette silhouette mal dégrossie, cette démarche ridicule, et cet air contrit.
Et encore, quand tu ouvres un livre, un insecte traverse la page.
Sous le lit, de grands rouleaux de poussière qui s’effilochent dans tes doigts. Des cornichons durcis, derrière la cuisinière.

L’après-midi se dessine, lointaine immense et vide.
Téléphoner à maman.
Mais maman est morte à présent.
Appeler Anna dans la maison.
Mais Anna est bel et bien partie, dans son petit pull à capuche.
Voir Hugo, lui faire réciter son poème. Mais ce n’est pas le bon week-end.
Prendre n’importe qui, inviter à manger. Ils disent d’accord. Prépare-nous un festin.


C’est l’heure. Seul dans la cuisine, tu affûtes le grand couteau. Il n’y a plus personne plus d'aujourd'hui plus de demain, rien que l’odeur de l’agneau grillé et de l’ail.

Ils ne sont pas restés. Ils ne restent jamais, ça te revient maintenant, ils te laissent les repas sur les bras, et pendant des semaines tu manges le même plat dans la barquette.
Parfois ils te confient leurs filles, et partent dans la ville, joyeux, insouciants, l'académicien et l'anarchiste, ce couple improbable.
Mais oui ! Mais non! Une autre fois Victor! Et la porte se referme sur leurs rires, sur l’air frais du dehors. Pour eux tout est facile. Allons Victor! Il faut se secouer!
Ce soir encore : « On ne pourra pas rester finalement, mais on te laisse les filles, ça te fera de la compagnie ! »

Te voilà seul dans la nuit sans fond de la cuisine, parmi les plats assaisonnés à point que tu as préparés tout l’après-midi. Huîtres - fines de claires -, oursin presque nains, l’écailler a découvert ses dents pointues quand il a souri. Mouton en gigot. La bouchère et ses petits seins, le hachoir qu’elle essuie d’un geste sec sur son tablier en te regardant dans les yeux. Mousse au chocolat maison, un grand saladier. Vin blanc, 12°, deux bouteilles. Verres de cristal.

Tu gobes une à une les trente-six huîtres, puis les trente-six oursins, la langue bien profond. Croques les coquilles. Tranches le mouton, mords à pleines dents. Toute la mousse. Tout le vin. La nuit avance, rouge et noire, et tu as encore faim.

Les trois petites filles dorment sur le canapé, en désordre, emmêlées, Oh ! Oh ! Ça sent la chair fraîche ! Dans le noir, tu tâtes les morceaux. Couronnes d’or, pattes de biches. Tu te mets au travail. La plus jeune, celle que tu aimes avec un pincement au cœur, ouvre soudain les yeux. Tu poses une main sur ses cils et tu finis l’ouvrage.

Voilà ! on se calme ! Oui bon, j'avoue ne m'être pas vraiment foulée ! et en plus j'ai pas compté les signes. Ça va mal, ça va mal !



Ces cornichons tordus oubliés derrière la cuisinière.

L’après-midi qui se dessine, lointaine, floue, immense.
Et la faim qui me tenaille. Inviter n'importe qui. Mes filleules, ces charmantes pestes, et leurs imbéciles de parents, mon anar de sœur adjointe à cette espèce d'académicien dégarni. Ils disent oui, prépare-nous un festin !



C’est l’heure. Seul dans la cuisine, j'affûte le grand couteau. Dans ma tête, y a plus un fil qui tient.

Ils ne sont pas restés. Ils ne restent jamais, ça m'est revenu soudain, me laissent les repas sur les bras et pendant des semaines je finis les barquettes.
Ce soir encore : « On te laisse les filles, ça te fera de la compagnie ! »
La porte s'est refermée sur leurs rires, l'air froid m'a bondi dessus.


Seul dans la nuit sans fond de ma cuisine, tiré des cavernes rouges de l'insomnie, titubant parmi les plats assaisonnés à point que j'ai préparés tout l’après-midi. Huîtres - fines de claires -, oursin presque nains, l’écailler a découvert ses dents pointues quand il a souri. Mouton en gigot. La bouchère et ses petits seins, le hachoir qu’elle essuie d’un geste sec sur son tablier en me regardant dans les yeux. Mousse au chocolat maison, un grand saladier. Vin blanc, 12°, deux bouteilles. Verres de cristal.

Je gobe une à une les trente-six huîtres, puis les trente-six oursins, la langue bien profond. Croques les coquilles, avale tout. Tranche le mouton, mords à pleines dents. Toute la mousse. Tout le vin. La nuit avance, lente et noire, et j'ai encore faim.

Les trois petites filles dorment sur le canapé, en désordre, emmêlées, Oh ! Oh ! Ça sent la chair fraîche ! Que fout Anna, partie dans son petit pull marine chercher des cigarettes depuis bientôt trois ans ? Dans le noir, je tâte les morceaux. Couronnes d’or, pattes de biches. Je me mets au travail. Quand la plus jeune, celle que j'aime avec un pincement au cœur, ouvre soudain les yeux, je pose une main sur ses cils et je finis l’ouvrage.