Paysage de demi-sommeil

Quand le demi-sommeil point, je me sens mourir un peu plus gaiement que si je mourrais vraiment : mes veines se dilatent, muent en un lieu de passage où le sang trouve une résonance d'une autre nature, nuée de grillons rouges, influx d'insectes intérieurs, chatouilleurs, qui murmurent mélodieusement (ainsi sent-on son âme rire délicatement dans chaque fibre de chaque membre). Ah! Bourdons incessants! fourmis marginales! quand tonne le carillon de ma détresse, vous êtes encore la chair vivante et rassurante de ma nuit, l'organe qui fait battre tous les volets de mon coeur. Grillons danseurs! poissons tapageurs! lucioles féeriques! nul ne sait mieux que vous peupler mes hypnoses, guérir mon intranquillité. Vous soulevez en moi une mer auréolée, si bien que tout ce qui se trouve à portée de main - petite table de bois, pc, lit, sol - prend votre empreinte phosphorescente. Un autre monde brille, jungle spectrale, où tout est luminescence soyeuse et repos ; puis vient le temps des remous : les arches joyeuses plongent au fond des gouffres, les cargaisons de mots s'entrechoquent, percent, fuient, des corbeaux albinos volettent à la ronde autour des radeaux, de gros scarabées vomissent à la poupe, des meutes non-répertoriées pissent par-dessus bord, un enfant boit la tasse, tousse, recrache l'eau, il est seul - la mer est brûlante et muette. Ses pensées tanguent, ont le mal de mer, se mêlent comme le sel et l'onde - est-ce une fable? un opéra? un naufrage? je compte les secondes parmi les trombes de pluie, il ne les compte plus - la vie s'est dissolue dans une galère de songe.