Exo anonyme « Ce que je fais » : Je le fais bien

Ce que je fais, je le fais bien. Je prends mon temps mais pas que.

Je prends ce qu'on me doit. Je me paie comptant. Je suis déjà sur elle. Si elle commence à crier, je plaque ma main gauche sur la bouche et la rassure. Je ralentis le débit de ma voix - elle se fait douce - et lui susurre près de son oreille droite, tout près, un commandement simple à exécuter : se taire. « Chut, chut... », et je recommence tant que je ne sens pas sa respiration haletante se ralentir, je recommence : « chut, chut, tais-toi, je vais te parler et tu comprendras pourquoi je suis là.» Dans la plupart des cas elles ne comprennent pas. Elles s'interrogent muettes, les yeux roulants, cherchant une explication à l'évidence, du moins c'est ce que je lis sur leurs visages pitoyablement identiques.

- Pourquoi je suis là ?

J'entame toujours notre conversation par ces mots : « Pourquoi je suis là ? », une habitude qui m'est venue avec le temps. Je poursuis en tentant de les mettre sur la piste :

- Pose-toi la question. Qu'est-ce que je fais là ? Pourquoi tu m'as amené dans ta piaule, on est bien chez toi ici, bon alors ?

Et invariablement, elles me répondent toutes : je ne pensais pas... quelque soit l'heure, le lieu, bien que je préfère la nuit - oui je suis insomniaque mais c'est un détail sans importance, il m'arrive de travailler en plein jour - elles me répondent toutes : je ne pensais pas...

- Tu ne pensais pas... ? Attends, je suis pas ton père, je suis pas ton frère, je suis pas ton petit ami, je suis pas un de tes potes ! je suis un mec que tu viens de rencontrer dans un bar et tu me réponds : je ne pensais pas... je suis là dans ta petite chambre d'étudiante, c'est bien ce que tu es, étudiante en deuxième année de journalisme c'est ça ? entre nous mauvais choix, maintenant c'est pas mon avenir, donc je me retrouve à bavarder avec toi dans ta petite chambre et tu me pleures un : je ne savais pas... tu ne savais pas quoi ? Que j'allais te raccompagner jusque chez toi ? sont pas sûres les rues, la nuit. Ce que je vois moi, tu veux l'entendre, c'est une gamine de même pas vingt ans et déjà allumeuse, l'âge de ma fille... mais ma fille, ma fille elle, elle traîne pas dans les bars ! T'attendais quelqu'un ? (elles disent toutes ça). Il est où ?... oui je sais, tu l'as déjà dit, arrête de te répéter tu me déçois... tssss... et puis arrête de chialer dis-moi plutôt la vérité. Dis-mois la vérité et je m'en vais, je disparais, tu m'as jamais vu. Quelle vérité... ? Ne me prends pas pour un imbécile ! pourquoi je suis là ?

Et c'est à ce moment précis que je perds tout contrôle, à chaque fois... I lost control again...

- Pourquoi tu veux pas me dire que t'en as envie, c'est pas difficile. Tu le dis et je m'en vais, tout de suite, je te lâche et je me tire. Oui c'est promis. Te faire du mal ? mais pourquoi je te ferais du mal, je te connais même pas ? Là, dans le creux de l'oreille, dis-le moi... mhum... oui, c'est ça,... mhum... c'est ça... mhum... comme ça... mhum... … … … .. .

Ce que je fais, je le fais bien. Je prends mon temps mais pas que.

c'est assez rock et punk tout ça , quelqu'un qui aimerait Cat Power ou will Oldman ;-)

Will Oldham ( coup de fouet ...)

Ah que le malaise est grand et bien entretenu.
consigne respectée, mais je me sauve vite, tant je suis impressionnée (impressionnable, aussi) et je ne sais pas commenter la "micro-nouvelle", dans laquelle je décèle de la poésie, certes, mais après avoir repris mes esprits (en plus je suis proche de Lyon et mère d'une jeune femme, et j'ai fait le parallèle avec un fait-divers en cours)

"Je prends ce qu'on me doit. Je me paie comptant"
whou! bien bien, un cosaque...?
:-)
pas facile à aborder, ce texte...il soulève des questions...j'y reviendrai sûrement!

oui, il crée un malaise
je prends mon temps mais pas que (mon pied ?)

pas mal fait

Violent ! Me manque quelque chose pour apprécier. Comme ça, je sais pas, ça m'a paru un peu gratuit.
Bon, suis pas certaine que mon commentaire ne soit pas complètement idiot.
Sais pas quoi dire d'autre ;-)

consigne respectée, d'accord avec éclaircie, mais il m'a fichue mal à l'aise ce texte... comme une trouille d'y revenir... le malaise est bien là, dans la lecture, dans la progression, jusqu'à la chute... et je dirais même après sa lecture... "je prends mon temps mais pas que." rien que cette phrase me retourne...
je vais lire un autre texte pour me changer les idées...

Janis a écrit:
oui, il crée un malaise
je prends mon temps mais pas que (mon pied ?)

pas mal fait

je dois être maso pour revenir mais j'ai repensé à cette phrase que Janis reprend :

"je prends mon temps mais pas que (mon pied ?)"

il prend son pied ça c'est sûr vu que c'est son activité quotidienne, c'est ce que j'ai compris, mais je ne suis pas sûre de l'après "point" : du sens de "mais pas que".

Excellent !

Très bien écrit.
Impressionnant.
En fait, j'aurais préféré ne pas savoir ce que fait "si bien" cet anonyme !

C'est assez glauque et pour ça, c'est bien, ça crée un malaise qui reste (et qui rend le commentaire délicat, ceci dit).
Il me manque toute fois un petit quelque chose - un chouïa, hein - pour que ça fonctionne parfaitement, un truc qui ferait que le propos sort des sentiers balisés. Ici, ce que le narrateur raconte est certes effrayant mais somme toute pas trop étonnant, donc une petite dérive dans le conventionnel aurait été la bienvenue.

Quel cynisme ! Mais il est bien rendu aux effets bien calculés.

un peu trop explicatif pour que ça fonctionne chez moi, à la fois dans ce qui est fait et dans les raisons
peut-être que sans explications du pourquoi ça fonctionnerait mieux ?
mais c'est pour moi, visiblement ça marche pour d'autres

Psychopathe amateur ! Il te manque juste la précision d'un Dexter.

Autrement c'est pas mal foutu quand même, suis assez vite entré dans le truc.

Un texte en eaux troubles où les questions scandent et resserrent la situation.

Spoiler:

Comme certains l'ont souligné, difficile de commenter ce texte, dérangeant au possible. En tout cas je peux dire que j'aime bien, c'est très bien construit car, même sans description, l'auteur parvient à évoquer en creux un contexte, une ambiance particulière ; j'arrive à voir le bar, la musique, le hall d'entrée sombre de l'appartement. En revanche certains "effets dialogues" me dérangent, comme le "tss". Je pense également comme elea que cela aurait pu être moins explicatif, plus mystérieux encore. Mais pas mal pas mal !

je remercie les lecteurs et tous ceux qui ont laissé un commentaire...

j'ai réussi une partie de mon pari : vous mettre mal à l'aise et que l'anonymat reste entier jusqu'au lever de rideau.

en revanche je suis d'accord avec certains sur le trop "explicatif" : après : I lost control again... j'aurais dû laisser mon tueur - parce que c'est un tueur, un étrangleur, qui étouffe ses victimes à mains nues - dans le brouillard du questionnement : à ton avis, pourquoi je suis là ? finir sur le questionnement...

pour la phrase qui débute et ferme le texte (là, j'ai cru que vous alliez me reconnaître, je n'y ai pensé qu'après l'avoir posté... c'est une de mes petites manies d'écriture !) Ce que je fais, je le fais bien. Je prends mon temps mais pas que. ... c'est tout simple : je prends mon temps mais pas que... je prends la vie aussi. (et son pied aussi, je suis d'accord avec toi, Janis... maintenant je ne suis pas dans sa tête... je suppose... :-))

ah je n'avais pas vu cet aspect, c'est un tueur intellectuel alors! pour le dérangement c'est pari gagné, et le fait que la plume soit féminine change la donne. ça peut à mon avis devenir un fort bon texte avec des arrangements pour faire ressortir ce tueur, parce que "je prends mon temps mais pas que" reste un peu trop mystérieux. ça vaudrait vraiment le coup!

Pussicat a écrit:
en revanche je suis d'accord avec certains sur le trop "explicatif" : après : I lost control again... j'aurais dû laisser mon tueur - parce que c'est un tueur, un étrangleur, qui étouffe ses victimes à mains nues - dans le brouillard du questionnement : à ton avis, pourquoi je suis là ? finir sur le questionnement...

C'est marrant je n'avais pas vu les choses comme ça ! Cela me dérangeait d'autant plus que, pour moi, ce mec n'était pas un tueur, il n'était pas même dangereux, juste un peu malsain. Dans ma tête c'était un type un peu paumé dont l'occupation est de se faire ramener par des femmes plus jeunes que lui, de les effrayer et les forcer à avouer qu'elles le désirent (malgré la différence d'âge, son aspect, que sais-je !) et c'est tout. D'autant plus étrange. Je sais pas si je suis la seule à avoir compris ça au premier abord ?

C'était donc Pussicat, comme quoi je ne suis pas le seul à m'autocommenter.

Je l'avais lu et pas commenté car je suis incapable de commenter ça : je déteste ce genre. Ce qui me laisse peu de marge pour apprécier l'écriture. Tous ces machins glauques de psychopathes m'inspirent une répugnance viscérale, et que l'auteur soit une femme n'y change rien, désolée, Pussicat...

Boah coline, t'as jamais eu envie de crever les yeux de tes poules naines, pour le fun ?

Oups, c'est po un commentaire, vais me faire virer.

alors si c'était le but, c'est réussi !

brrrrr

coline Dé a écrit:Je l'avais lu et pas commenté car je suis incapable de commenter ça : je déteste ce genre. Ce qui me laisse peu de marge pour apprécier l'écriture. Tous ces machins glauques de psychopathes m'inspirent une répugnance viscérale, et que l'auteur soit une femme n'y change rien, désolée, Pussicat...

pas grave coline.
j'ai voulu m'essayer à un genre et sortir de mes habitudes d'écriture... j'ai relu et tout n'est pas parfait, mais je crois avoir réussi mon entreprise : créer le malaise.

je confirme, tu as, de mon point de vue, rendu assez mal à l'aise après la lecture. Ce qui en soi n’est pas forcément pour me déplaire;
Un registre dans lequel je ne t'avais absolument pas reconnue mais dans lequel je pense j'apprécierais te retrouver quelques fois.

polgara, je t'avoue que cela n'a pas été évident à écrire... j'ai trouvé le thème je ne sais comment, ça m'a traversé l'esprit et j'ai dû le retenir, je pense... mais le passage du brouillon qui commençait à se dessiner à l'écriture et à l'accouchement final a été difficile, je dois le reconnaître.
En revanche pourquoi je l'ai fait, choisi de le poster ? Je me suis posée la question et je n'ai toujours pas trouvé la réponse... l'envie de bousculer le lecteur, créer un malaise ? je l'ai écrit mais je reviens sur ça, je ne sais pas si c'est la bonne piste. Et puis, vous en avez lu d'autre...

Ambiance très réussie. Enfin, j'imagine. Heureusement je n'ai jamais été confrontée à ce genre d'individus et j'espère avoir passé l'âge :-) Mais ça sonne vrai comme dans les films :-) J'ai trouvé que tout se tenait bien et le rythme y est. J'hésite juste un peu quant à l'intérêt de l'allusion relative aux études suivies par la jeune fille. D'un côté, je me dis que ce n'était pas utile mais d'un autre côté ça humanise, si je puis dire, le récit. Prenant et donc bravo.