The first Gentleman

THE FIRST GENTLEMAN

C’est cela qui avait été le plus difficile à supporter, au début du moins ; devenir « the first gentleman ». Pendant toute la campagne électorale, son agitation, ses excès, il n’avait jamais songé qu’il deviendrait, en cas de victoire, le premier homme de France. Mais là, au siège du parti, au fur et à mesure que les résultats favorables s’accumulaient, il sentait une sorte d’angoisse lui tordre l’estomac…Comment allait-il s’y prendre pour assumer des fonctions jusqu’ici dévolues aux seules femmes ?
L’élection de Lucienne Blanchard à la présidence de la République Française fut vécue comme un événement exceptionnel, planétaire, universel. La presse du monde entier avait envoyé ses chasseurs d’images et de scoops à l’assaut de l’Elysée où la nouvelle élue allait donner sa première conférence de presse. C’est vrai que l’actualité internationale dans sa voracité continuelle n’avait pas grand-chose à se mettre sous les rotatives et les téléscripteurs : des otages inconnus, donc pas très médiatiques, retenus depuis 5 ou 6 ans quelque part en Afrique, et pas en Amérique centrale, un tremblement de terre au Japon et ses quelques centaines de morts, un attentat sanglant dans l’Irak enfin libéré de ses armes de destruction massive. Du banal, du quotidien, de l’ordinaire. Même les aventures amoureuses de la célèbre Gaggy Lada, chanteuse ô combien excentrique, ne faisaient plus la une de l’actualité. Et pourtant !
Assis dans un luxueux fauteuil à la droite de l’estrade, Georges Blanchard ne voyait rien, n’entendait rien, il pensait. Rien à voir avec la fameuse tempête sous un crâne puisque sa conscience avait la blancheur de l’opaline, ce qui, vous en conviendrez, en politique est plutôt inhabituel.
-Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire pour tenir mon rôle d’ombre officielle ? M’occuper d’une fondation qui portera mon nom ? La Fondation Georges Blanchard…oui, ça a de la gueule, ça sonne bien. Mais qu’est-ce que je vais lui donner comme mission ? Collecter des pièces de monnaie rouges pour acheter des gants aux ramasseurs de châtaignes de mon Ardèche d’adoption ? Non, c’est un peu limité et de portée trop régionale ; et je vois d’ici les ramasseurs d’oursins, les ouvreurs d’huîtres et que sais-je encore venir réclamer assistance en se plaignant de la discrimination qui les frappe…Non, il faut trouver autre chose.
Un moment le brouhaha de la salle et le jeu des questions-réponses l’arracha à sa réflexion ; il écouta : « Elle s’en tire bien ma Lucienne, et ils n’ont encore rien vu ! » Reprenant sa méditation il eut une idée qui le fit sourire de satisfaction : je vais m’occuper de tous ces jeunes artistes à la notoriété aussi éphémère qu’illusoire et qui disparaissent aussitôt après avoir enregistré leur premier album. Passer des lumières de la télé au guichet des intermittents, de la gloire d’un jour à la mendicité mensuelle, quel choc pour la vanité, l’égocentrisme, et quel terrain pour la culture en grand des psychoses et frustrations. Mais quel noble rôle pour une Fondation que de servir de trampoline à tous ces talents perdus, méconnus, victimes d’une société injuste, aveugle et sourde. Je l’appellerai la Fondation pour la Ré-Orientation des Chanteurs ; mais non, ça donne le FROC en abrégé, j’ai peur que ça devienne gênant ; je vois d’ici les opposants : « La Fondation Blanchard soutient le FROC » ou encore « Par manque de subventions le FROC devra se mettre la ceinture ».Non il faut trouver autre chose…
- Madame la Présidente, Albert de la Poulinière du Figaro ; voilà ma question. Quelle sera la place des hommes dans votre futur gouvernement ?
- Je m’attendais à cette question, elle ne me surprends donc pas, et je vais essayer de vous répondre le plus clairement , le plus rapidement et le plus complètement possible, afin que votre journal, qui, soit dit en passant, ne m’a pas ménagé pendant cette campagne longue, dure, parfois violente, afin , disais-je que vos lecteurs sachent , sans plus attendre, le fond de ma pensée, sur ce sujet qui n’a presque pas été évoqué au cours des débats, et on peut le regretter, mais qui alors aurait envisagé notre victoire ?
Toute ma stratégie et celle de mes futures ministres sera contenue dans deux mots, la symétrie inversée ! C’est-à-dire, me demanderez-vous ? Et bien, imaginez un immense miroir dans lequel se refléterait la société actuelle Le reflet symétrique inversé renverrait chaque fois qu’un homme apparaît à un poste, l’image d’une femme. Poste pour poste ! D’ailleurs, et je vous en fais ici la confidence, nous avions pensé appeler notre parti le Parti de la Symétrie Inversé, mais avouez que le PSI, pour un parti…féministe qui plus est, ah ! que n’eussions-nous pas entendu !...
Et Georges Blanchard se reprit à penser à ses attributions futures. Les idées les plus étranges lui traversèrent l’esprit. Venir en aide aux jeunes culs-de-jatte qui veulent faire de l’athlétisme ? Il rejeta aussitôt cette idée en pensant que ses protégés devraient se limiter au lancer de poids sans élan, au tir à l’arc à condition de le tenir horizontalement, ce qui poserait un problème de place sur les pas de tir. Et les manchots aussi réclameraient assistance, mais là, pas de javelot, de natation, de saut à la perche…Non, il faudra trouver autre chose…
- Louis Perrier, du Dauphiné Libéré ; Madame la Présidente, Monsieur Blanchard vous accompagnera-t-il lors de vos déplacements internationaux et quel sera….
Il n’en écouta pas davantage ! La sueur l’envahit tout d’un coup ! Il n’avait pas pensé à cette inévitable contrainte. Qu’allait-il faire au milieu des autres firsts ladies ? Prendre le thé dans le petit salon de la Maison Blanche, service en vermeil, petites cuillères en or, deviser avec ces dames, mais de quoi allait-il pouvoir parler ? Quoique, parmi ces premières dames il y en avait quelques-unes qui…, que…, enfin, avec lesquelles un tête-à-tête n’aurait rien de déplaisant et qui apprécieraient sûrement le savoir-faire made in France. Son moral s’en trouva subitement réconforté, et il se surprit même à sourire…
Que de chemin parcouru depuis son adoption par Pap’ et Mam’ Blanchard, instituteurs à Coucouron . Deux ans à peine, ses vrais parents disparus en brousse, toute son enfance au village, le lycée d’Annonay, la fac de Lyon, sa rencontre avec Lucienne, le coup de foudre réciproque, les grandes écoles… Et puis la politique.
Perdu dans son come back, il entendit à peine les applaudissements marquant la fin de la conférence .Il se leva, se regarda machinalement dans le miroir immense qui lui faisait face et murmura : « Et oui, la France, il faudra t’y faire, ta first lady est un mec, et noir par-dessus le marché ».

Pas percuté de suite sur la phrase finale mais ça a fini par se faire.
C'est pas mal du tout, l'envers du décor en quelque sorte, pas si différent de son endroit ; sans amertume, sans étalage de mauvais goût, avec les grincements qu'il faut concernant la manière politique, oui, ça se lit bien.

L'idée est excellente et la première partie ne déçoit pas.
Mais ensuite vous cédez aux facilités et le texte vire au burlesque.
En dernière partie le niveau remonte et la chute rattrape le coup.

Quelques réserves sur ce texte qui me paraît sombrer dans la facilité et les évidences par moments. La question d'être the first one a le mérite d'être posée mais sans pour autant sombrer dans la caricature, ce qui est de ci de là le cas ici. De plus, ces réflexions dans lesquelles aucune détail ne nous est épargné finissent par s'essouffler et paraître bien longues.
C'est dommage car l'idée de départ est bonne mais j'aurais personnellement préféré quelque chose de plus court et de plus percutant (simple suggestion, bien sûr).

Moi j'ai bien aimé cette facilité justement, car l'histoire suit son cours avec une logique toute "Allaisienne", d'une manière qui, par les temps qui courent, est loin d'être si caricaturale que ça.
C'est dommage que le texte ne soit pas plus aéré pour en faciliter la lecture.

Si le Froc se met la ceinture, il risque de se faire remonter les bretelles, le first gentleman !
Bien aimé, même si je pense qu'un poil moins long eut été plus percutant.

Amusant et décalé. Si j’ai bien compris : Georges va tomber le froc (tant qu’il ne fait pas dedans !).
« Collecter des pièces de monnaie rouges pour acheter des gants » ou « acheter des gants pour collecter des pièces de monnaie rouges ».

Dommage que le texte ne soit pas plus aéré et la typographie plus soignée. C’est un peu pénible à lire.